Je ne suis pas du genre à me jeter sur les Prix Goncourt, qu’il s’agisse de les acheter ou bien de les lire. C’est certainement une erreur. C’est en tout cas ici une grave erreur. Au revoir là-haut primé en 2013 est une histoire ahurissante qui nous entraîne dans les premiers jours de l’après Grande guerre. Pierre Lemaître en incroyable conteur nous raconte comment deux poilus, après avoir échappé de justesse à la mort dans les toutes dernières heures du conflit, vont affronter la démobilisation et le retour à la vie civile comme une ultime bataille, certainement pas la plus facile.
Aux héros, la patrie reconnaissante paraît-il. Sauf que nos deux poilus, Albert Maillard et Édouard Péricourt, n’ont pas le profil du héros ordinaire de la Grande guerre. Le premier échappe au peloton d’exécution pour avoir soi-disant fui devant l’ennemi. Le second revient avec la moitié du visage en moins. Édouard est ce qu’on appelle une gueule cassée qui refuse de retourner dans sa famille, se fait passer pour mort au champ d’honneur et ne touche par conséquent aucune pension. Le temps de se refaire une petite santé, de se confronter à la misère, et nos deux poilus se lancent dans une belle escroquerie aux monuments aux morts. De quoi ramasser pas mal de billets. Après tout, l’Etat leur doit bien ça…
L’histoire est incroyable par elle-même. Elle est encore sublimée par la mise en scène et le dessin de Christian de Metter qui, sur 150 planches d’une incroyable beauté, fait autant ressentir la folie, la haine et la cruauté collective de cette « putain de guerre » dirait Tardi que la tragédie de destins individuels, d’âmes perdues et de corps mutilés. Une adaptation d’une puissance émotionnelle absolument exceptionnelle !
Eric Guillaud
Au revoir là-haut, de Lemaître et De Metter. Editions Rue de Sèvres. 22,50 €