20 Oct

Au revoir là-haut : Christian de Metter adapte le roman de Pierre Lemaître avec maestria

au_revoir_la_haut_01Je ne suis pas du genre à me jeter sur les Prix Goncourt, qu’il s’agisse de les acheter ou bien de les lire. C’est certainement une erreur. C’est en tout cas ici une grave erreur. Au revoir là-haut primé en 2013 est une histoire ahurissante qui nous entraîne dans les premiers jours de l’après Grande guerre. Pierre Lemaître en incroyable conteur nous raconte comment deux poilus, après avoir échappé de justesse à la mort dans les toutes dernières heures du conflit, vont affronter la démobilisation et le retour à la vie civile comme une ultime bataille, certainement pas la plus facile.

Aux héros, la patrie reconnaissante paraît-il. Sauf que nos deux poilus, Albert Maillard et Édouard Péricourt, n’ont pas le profil du héros ordinaire de la Grande guerre. Le premier échappe au peloton d’exécution pour avoir soi-disant fui devant l’ennemi. Le second revient avec la moitié du visage en moins. Édouard est ce qu’on appelle une gueule cassée qui refuse de retourner dans sa famille, se fait passer pour mort au champ d’honneur et ne touche par conséquent aucune pension. Le temps de se refaire une petite santé, de se confronter à la misère, et nos deux poilus se lancent dans une belle escroquerie aux monuments aux morts. De quoi ramasser pas mal de billets. Après tout, l’Etat leur doit bien ça…

L’histoire est incroyable par elle-même. Elle est encore sublimée par la mise en scène et le dessin de Christian de Metter qui, sur 150 planches d’une incroyable beauté, fait autant ressentir la folie, la haine et la cruauté collective de cette « putain de guerre » dirait Tardi que la tragédie de destins individuels, d’âmes perdues et de corps mutilés. Une adaptation d’une puissance émotionnelle absolument exceptionnelle !

Eric Guillaud

Au revoir là-haut, de Lemaître et De Metter. Editions Rue de Sèvres. 22,50 €

© Rue de Sèvres / Lemaître & De Metter

© Rue de Sèvres / Lemaître & De Metter

01 Mar

Gipi : Vois comme ton ombre s’allonge

 

Vois comme ton Ombre s'allonge par Gipi © Futuropolis

Vois comme ton Ombre s’allonge par Gipi © Futuropolis

 

Gipi n’est pas un dessinateur comme les autres. Cet italien n’est pas un auteur d’autofiction de plus. A 49 ans, il est un véritable écrivain, un artiste à part entière et son nouveau roman graphique une oeuvre sans commune mesure. Fait rare pour une BD, cet album est le premier à être sélectionné au prestigieux prix littéraire Strega, l’équivalent du Goncourt en Italie.

Son nouvel album Vois comme ton Ombre s’allonge (Una Storia) est à peine refermé et c’est peu de dire qu’il ne pose d’avantage de questions qu’il ne propose de réponses. C’est le récit fragmenté d’un homme hospitalisé pour « schizophrénie subite », sans signes précurseurs donc, et juste avant 50 ans, l’age de Gipi, de son vrai nom Gian Alfonso Pacinotti. Seul signe particulier, il se met à dessiner et redessiner sans arrêt le même arbre aux branches décharnées et la même station service. De quoi laisser perplexe ses médecins et le lecteur. Le récit devient un peu plus sinueux quand un lien possible se fait avec un aïeul, un poilu de 14-18. Il aurait commis un acte inavouable pour sauver sa peau sur le front. Peu à peu, les pièces du puzzle s’assemblent au fur et à mesures des délires hallucinatoires du personnage.

Vois comme ton Ombre s'allonge par Gipi © Futuropolis

Vois comme ton Ombre s’allonge par Gipi © Futuropolis

Chaque parcelle du récit fait appel à différentes techniques : typographie et crayonné en noir et blanc, lavis et aquarelle en couleur, comme autant d’écho aux multiples rides du visage creusées au fil des millénaires par les larmes, nous raconte l’auteur. La peur de vieillir après un demi siècle d’existence est au cœur de ce maelstrom graphique.

Vois comme ton Ombre s'allonge par Gipi © Futuropolis

Vois comme ton Ombre s’allonge par Gipi © Futuropolis

« Si l’homme de dix-huit ans se réveillait d’un coup une nuit, se levait et dans le miroir se voyait avec les peurs, avec les misères de ses futurs cinquante ans, il mourrait. »

Celui qui a obtenu de nombreux prix et en  2006, le Prix du Meilleur Album à Angoulême avec Notes pour une Histoire de Guerre, et qui a rencontré un grand succès critique avec Ma Vie Mal Dessinée, tisse une histoire (le titre original en italien est Una Storia) entre textes et images d’une grande force. Bouleversante et envoûtante, à votre tour de découvrir ce nouvel opus dans l’oeuvre de Gipi.

Didier Morel

Vois comme ton Ombre s’allonge par Gipi © Futuropolis

La BO à se glisser entre les oreilles pour prolonger le plaisir :

Maxence Cyrin – Where is my mind (The Pixies piano cover)