12 Oct

Une nouvelle anthologie consacrée à Vampirella, sulfureuse anti-héroïne des années 70 et fleuron de la bande dessinée fantastique

Avant de devenir une véritable icône, le personnage de Vampirella fut avant tout une opération de la dernière chance. Un véritable pari qui vit éclore non seulement un personnage devenu culte depuis mais qui permit aussi de redéfinir le style fantastique/horreur, tout en donnant une chance à de jeunes futurs grands de la bande dessinée européenne.

En 1969, les éditions Warren sont au bords de la banqueroute : même si ces deux magazines phares, Creepy puis Eerie, sont devenus des références de la bande dessinée fantastique et d’horreur, plusieurs mauvais investissements et d’énormes pertes d’argent menacent leur existence même. Dans une sorte de baroud d’honneur, ses patrons décident de lancer un troisième magazine autour d’un personnage féminin très largement inspiré par le Barbarella de Roger Vadim starring Jane Fonda mais aussi ancré dans la culture horrifique maison, espérant ainsi ratisser large. C’est le succès, immédiat.

© Delirium / Collectif

Or si sa plastique est en partie définie par le célèbre illustrateur Frank Frazetta qui se chargera de sa première couverture, ce vampire originaire de la planète Drakulon ne fait pas que combiner glamour et horreur. En fait, passé des débuts assez hésitants, sous l’impulsion du scénariste Casey Brennan, le personnage gagne en épaisseur et se voit affubler de partenaires comme Adam Van Helsing, lointain descendant du plus célèbre adversaire de Dracula, ou Pendagon, magicien fantoche. Mieux, tout en emmenant d’un monde onirique à un autre tout en affrontant régulièrement Dracula mais aussi le dieu du chaos, Vampirella s’humanise progressivement, essayant par exemple petit-à-petit de se débarrasser de son insatiable envie de se nourrir des sangs des autres.

© Delirium / collectif

Huit ans après un premier volume compilant les meilleurs récits des quinze premiers numéros du magazine, cette nouvelle anthologie s’attaque aux numéros 16 à 23. Elle permet surtout d’apprécier cette subtile transformation et surtout l’incroyable apport de toute une génération de alors jeunes dessinateurs venus d’Europe. Car oui, plus qu’un hommage à Vampirella elle-même, ce nouveau tome est limite plus un travail de réhabilitation de tout une génération d’artistes, dans le sens premier du terme, dont le style racé et fin s’apprête à redéfinir le style de la bande dessinée d’horreur pour les vingt ans à venir.

© Delirium / collectif

Tous ont en commun d’être originaires de Barcelone et d’avoir fait leurs premières armes dans la bande dessinée romantique au sein du même éditeur. Lorsqu’endettés jusqu’au cou les propriétaires de Warren Publishing se voient obligé de laisser passer partir une grande partie des auteurs qui avaient fait le succès de Creepy et Eerie, un agent américain leur propose de laisser leur chance à ses jeunes européens, tous aussi créatifs mais beaucoup moins gourmands sur le plan financier. Avec leur trait tout en finesse et en atmosphère, à la fois envoûtant et même temps sensible mais jamais vulgaire et serti dans un noir et blanc de toute beauté, cette bande de jeunes loups révolutionnent alors le genre, au point qu’assez rapidement le géant Marvel se lancera à son tour dans le BD d’horreur en tentant de les copier ouvertement.

© Delirium / collectif

Parmi eux, José ‘Pepe’ González devient très rapidement LE dessinateur attitré de Vampirella et il se taille ici logiquement une large part du gâteau. Sauf que le magazine du même nom ne contenait pas que des histoires centrées autour de son héroïne attitrée mais aussi, suivant la même idée que Les Contes de la Crypte par exemple ou justement Creepy, des sortes de contes sanglants dont elle n’est que la narratrice. Ce ‘à-côtés’ sont les vrais trésors de cette anthologie et là où l’inventivité et la folie créatrice sont les plus ébouriffantes. Si par exemple le trop rare Félix Mas revisite d’une façon macabre mais saisissante la légende la sirène avec Cilia, plus loin le trop peu connu Esteban Maroto déconstruit complètement les règles narratrices avec un Épisode Du Tombeau Des Dieux quasi-expérimental mais dont la façon de fragmenter le récit et les planches n’ont sûrement pas échappé à certains des dessinateurs emblématiques du magazine français culte Métal Hurlant.   

Ajoutez à cela le standard de reproduction élevé (une habitude chez Deliirum), l’inclusion de plusieurs couvertures d’époque ainsi que des planches originales plus une très fouillée introduction bourrée d’anecdotes et vous vous retrouvez avec une petite pépite de la BD d’horreur 70’s, rééditée avec le respect et le soin qu’elle mérite. Indispensable !

Olivier Badin

Anthologie Vampirella – Volume 2. Collectif. Delirium. 29€

10 Oct

Sans panique de Coline Hégron : un premier album d’une très grande maîtrise

Premier essai réussi pour Coline Hégron qui signe avec Sans panique un premier album de bande dessinée surprenant, envoutant et un poil déroutant dans la forme comme dans le fond…

Dans son malheur, Romie a eu de la chance, enfin si on peut appeler ça de la chance. Elle est la seule rescapée d’un accident d’hélicoptère dans lequel ses parents ont péri. Pour elle, aucune blessure si ce n’est la blessure de l’âme.

Secourue et recueillie par les habitants de l’ile de Galguantes, Romie découvre une population pour le moins étrange. Totalement apathique. Rien ne les effraie, rien ne les fait vibrer. Parmi eux, Danaé, qui a sensiblement le même âge que Romie, dans les 11 ans, ne laisse paraître aucune émotion.

« Si je devais donner un nom à ton état d’âme… », lui dit Romie, « ce serait l’apathite ».

Et Danaé de lui répondre : « Si j’ai l’apathite, alors tu as la débordante ».

Malgré tout, même si l’une et l’autre ont des caractères foncièrement opposés, elles vont apprendre à se connaître et signer un pacte : s’enseigner mutuellement les points forts de leur caractère. Jusqu’au jour où les scientifiques annoncent qu’une météorite va selon toutes logiques s’écraser sur l’île de Galguantes.

Devant l’apathie générale des habitants, résignés à attendre que la météorite leur tombe sur la tête, Romie et Danaé, subitement libérée de sa propre apathie, vont se jurer de les sauver…

Des aplats de couleurs vives, un trait souple ramené à l’essentiel, des personnages aux grands yeux, un gaufrier relativement classique ponctué par des illustrations pleine page, des éléments de décors sommaires, parfois naïfs, Sans Panique a la saveur d’un conte pour enfants autour des émotions.

Lauréate du concours jeunes talents du festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2021 avec un récit en trois planches reprenant la même trame de scénario, Coline Hégron signe cette fois un très bel album de 200 pages à l’univers bien en place. Une autrice à suivre de très près.

Eric Guillaud

Sans panique, de Coline Hégron. Delcourt. 27,95€

© Delcourt / Hégron

06 Oct

INTERVIEW. Rosigny Zoo : le nouvel album de Chloé Wary, première lauréate du Fauve d’Angoulême – Prix du public France Télévisions

Elle a remporté le Fauve d’Angoulême – Prix du public France Télévisions en 2020 pour son album Saison des roses, Chloé Wary revient avec un troisième roman graphique qui se déroule une nouvelle fois à Rosigny-sur-Seine, une ville comme les autres ? Non, un petit coin de planète qui voudrait bien rester à l’écart du système…

Chloé Wary et les couvertures des albums Rosigny Zoo et Saison des Roses • © Chloé Wary

À l’écart du système, mais plus pour très longtemps ! Sous prétexte de redynamiser les zones urbaines délaissées et surtout de donner l’opportunité à quelques promoteurs immobiliers de construire la ville de demain avec ses résidences GreenStanding, la mairie a envoyé les bulldozers raser le bâtiment du patronage Saint-Joseph qui abritait jusque-là Coeur2Cité, une association de jeunes et moins jeunes plus intéressés par le hip hop et les actions de solidarité que par faire de Rosigny-sur-Seine une ville propre et bien rangée.

Rosigny-sur-Seine. Une ville, une banlieue au nom inventé par Chloé Wary mais à la réalité bien concrète. L’autrice l’avait déjà pris pour décor de son album précédent, Saison des roses, qui offrait un regard lucide et militant sur la condition féminine à travers Barbara, jeune footballeuse amatrice, vouée à se battre pour faire vivre son club et plus particulièrement l’équipe des filles forcément dénigrée.

La femme et sa place dans notre monde patriarcal, c’est ce que Chloé Wary questionnait ici, c’est déjà ce qu’elle questionnait dans son premier livre, Conduite interdite (Steinkis), une fiction sur les femmes d’Arabie Saoudite. C’est enfin ce qu’elle questionne aujourd’hui avec Rosigny Zoo où les femmes sont juste plus présentes sur les quelque 300 planches de l’album et juste plus impliquées dans la lutte contre une nouvelle étape de déshumanisation des villes, un espace public tiré au cordeau, propre, mais sans âme. 

L’interview ici

05 Oct

2001 Nights Stories de Yukinobu Hoshino : un OVNI dans la galaxie Kubrick

Un OVNI s’est posé sur les présentoirs de votre libraire préférée, un OVNI tout droit venu de l’espace et plus précisément de 2001 L’Odyssée de l’espace, le film de Stanley Kubrick auquel il ambitionne de donner une suite. 2001 Nights Stories est un manga hors norme de quelque 800 pages en deux volumes à découvrir ou redécouvrir d’urgence…

Certains d’entre vous l’auront peut-être découvert dès 2012 à l’occasion d’une première édition française en coffret à tirage très limité (2001 exemplaires), depuis longtemps épuisé et vendu par des collectionneurs à des prix indécents.

Mais pas d’affolement, les éditions Glénat ont eu la très bonne idée de rééditer la bête à un prix un peu plus raisonnable et toujours dans un format XXL, vraiment XXL, loin des perfect édition habituels, du 210 X 300 mm plein pot qui offre des conditions de lecture optimums et une vue imprenable sur des planches absolument somptueuses, dont certaines en couleurs.

On est loin, très loin, des mangas réalisés à la chaîne et devant répondre à une esthétique établie, l’œuvre de Yukinobu Hoshino, réalisée au début des années 80 est hors norme, tant sur le plan du graphisme que sur celui du découpage avec ces vaisseaux d’une précision chirurgicale étonnante et ces plongées dans le cosmos totalement immersives.

Une suite à 2001 L’Odyssée de l’espace ? L’affaire peut paraître ambitieuse, voire prétentieuse, mais oui, Yukinobu Hoshino est tombé raide dingue du film de Kubrick à sa sortie en salles, au point de faire de la SF son genre de prédilection et de rendre hommage au monument cinématographique à travers ces quelque 800 pages en deux volumes, un voyage à travers le temps et l’espace en 19 histoires distinctes mais liées par la thématique de l’exploration et de la colonisation de l’espace par l’homme. En prologue, une reprise de la séquence d’ouverture du film, dite de la découverte de l’outil. Cosmique !

Eric Guillaud

2001 Nights Stories tomes 1 et 2, de Yukinobu Hoshino. Glénat. 32€ le volume.

© Glénat / Yukinobu Hoshino

02 Oct

La Boîte à musique, Louca, Tif et Tondu, Yoko Tsuno… Les intégrales sont de sortie chez Dupuis

  Il fut un temps où les intégrales étaient réservées au fonds ancien d’une maison d’édition, elles peuvent désormais concerner des séries récentes et même très récentes, c’est le cas avec La Boîte à musique, une série de Carbone et Gijé (à ne pas confondre avec Jijé) publiée aux éditions Dupuis entre 2018 et 2021, autant dire hier. Mais on ne va pas s’en plaindre tant ce format permet de redécouvrir une œuvre sous un autre angle et souvent avec des bonus, cahiers graphiques, dossiers… ici malheureusement réduits à leur plus simple expression, à savoir les illustrations de couverture des cinq albums formant le premier cycle et réunis ce recueil. Mais l’essentiel est l’histoire et de ce côté-là, la magie opère toujours. Gijé et Carbone nous plongent dans un univers merveilleux aux côtés de la jeune Nola qui, pour son anniversaire, a reçu en cadeau la boîte à musique de sa mère récemment décédée, une boîte à musique qui va l’entraîner dans un autre monde… (La Boîte à musique, intégrale premier cycle, de Carbone et Gijé. Dupuis. 40€)

Lancée en 2013, la série Louca n’est pas non plus ce qu’on pourrait appeler une pièce centrale du patrimoine mais son immense succès a incité l’éditeur à proposer sa réédition en intégrale dès la fin d’une saison. Le premier volume est paru en 2017, le second vient de sortir, un gros pavé de 328 pages réunissant cinq albums. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore Louca, le héros de Bruno Dequier est une véritable catastrophe ambulante, nul à l’école, nul avec les filles, nul sur un terrain de foot, une catastrophe qui va malgré tout voir sa vie changer en bien grâce à Nathan, un beau gosse, intelligent, drôle et doué en football mais qui va se révéler être un fantôme. Ce dernier confie à Louca la mission de constituer une équipe de football. Pour cela, il devra convaincre des joueurs qui se sont détournés du foot pour d’autres sports. Et l’exercice ne sera pas des plus faciles ! (Louca, Intégrale saison 2, de Dequier. Dupuis. 35€)

Cette fois, on peut parler d’une pépite du patrimoine. Et quelle pépite ! La série Tif et Tondu fut lancée par Fernand Dineur dans le Journal de Spirou en 1938 avant d’être reprise par de nombreux auteurs, entre autres Will et Alain Sikorski pour le dessin, Maurice Rosy, Maurice Tillieux, Denis Lapière ou encore Stephen Desberg pour le scénario. Elle cesse de paraître en 1997 mais fait une belle réapparition en 2019 avec l’album Mais où est Kiki ? de Robber et Blutch. Une première intégrale publiée dès 2007 regroupe les aventures de façon thématique. Une seconde lancée en 2017 les regroupe de façon chronologique. Ce sixième volume réunit quatre récits parus entre 1968 et 1972 un doux mélange de polar et de fantastique à la Tillieux. En bonus : un dossier d’une soixantaine de pages avec de nombreuses illustrations et photos. (Tif et Tondu, Intégrale 1968 – 1972, de Will et Tillieux. 40€)

On termine avec le dixième tome d’une autre pépite du patrimoine, sorti en mai dernier, la belle Yoko Tsuno, une héroïne absolument mythique esquissée dès 1968 par son papa Roger Leloup puis lancée en 1970 dans les pages du journal Spirou. Yoko Tsuno préfigurait l’héroïne des temps modernes, libérée, capable de vivre les mêmes aventures que les garçons. Ce dixième volume réunit les tomes 28, 29 et 30 ainsi que pour chacun d’eux un dossier de quelques pages avec illustrations inédites et croquis. (Yoko Tsuno, L’Intégrale tome 10, de Leloup. 27,95€)

Eric Guillaud