06 Oct

Le scénariste du Petit Spirou et de Soda, Philippe Tome, est décédé

Il a signé le scénario d’une trentaine d’aventures de Spirou, grand et petit confondus, mais aussi de Soda, du Gang Mazda, de Berceuse assassine et du one shot qui pour ma part m’avait bouleversé, Sur la route de Selma, Philippe Tome est décédé ce dimanche…

@ Chloé Vollmer-Lo

La journée avait pourtant bien commencé. Mais voilà, on profite du soleil, on quitte ses écrans pour la journée et on revient le soir regonflé à bloc, prêt à affronter la semaine de boulot. Et patratra, on tombe sur le communiqué des éditions Dupuis :

« Nous venons d’apprendre le décès de Philippe Tome, une nouvelle qui nous laisse tous tristes et abasourdis. Depuis le début des années 80, la vie des Éditions Dupuis est étroitement liée à la carrière de Philippe. Avec Janry, son complice rencontré lors de cours de dessin, il a gravi tous les échelons du métier d’auteur de BD : du cul-de-lampe aux illustrations de rédactionnel, en passant par les décors de « Cubitus » ou de « Robin Dubois 

C’est avec « Spirou et Fantasio » qu’il se spécialise dans le scénario, de 1981 à 1998. Toujours avec Janry, il donne naissance au « Petit Spirou » dès 1987. En 1985, il crée les aventures de « Soda » avec Warnant d’abord, puis avec Gazzotti et Dan. Pour Aire Libre, il se lance avec Philippe Berthet dans un roman graphique, Sur la route de Selma, et aux Éditions Dargaud, il scénarise Berceuse Assassine pour Ralph Meyer. Il a collaboré avec beaucoup de ses amis : Darasse, Hardy, Dan, Goffaux…

Il adorait l’émulation, s’entourer de talents, ce qui le poussait à donner le meilleur de lui-même. L’amitié et la confiance étaient des valeurs auxquelles il tenait par-dessus tout. Sa fidélité de travail avec Janry et Stuf, décédé il y a 4 ans, en témoigne ».

J’avais eu l’immense chance de le rencontrer au milieu des années 80 en compagnie de Janry dans leur atelier bruxellois. À l’époque, Philippe tome travaillait sur les aventures du grand Spirou et de Soda. Le Petit Spirou n’existait pas encore. Un grand moment !

Eric Guillaud

04 Oct

Rencontre avec la Nantaise Tahnee Juguin, auteure avec jean-Denis Pendanx de l’album Mentawaï !

Tahnee Juguin est nantaise mais ses pensées et ses pas l’emmènent régulièrement sur l’île de Siberut en Indonésie aux côtés des Mentawaï. Avec Jean-Denis Pendanx au dessin, elle vient de signer chez Futuropolis une oeuvre à forte valeur ethnographique sur ce peuple longtemps menacé. Interview…

@ Eric Guillaud

J’avais donné rendez-vous à Tahnee Juguin sous les anciennes halles des Fonderies de l’Atlantique à Nantes où l’on fabriquait hier les hélices des plus grands paquebots, parmi lesquels le France. Elles abritent aujourd’hui un jardin luxuriant où palmiers, bananiers et fougères arbustives nous plongent dans une ambiance exotique. 

On ne pouvait finalement rêver meilleur endroit pour parler de son album sorti il y a quelques jours aux éditions Futuropolis, un premier album qui nous emmène au-delà des océans et des montagnes, dans les forêts de l’île de Siberut en Indonésie, où vit une partie du peuple mentawaï.

En compagnie du dessinateur Jean-Denis Pendanx, lui-aussi grand voyageur, Tahnee Juguin nous raconte sur près de 160 pages l’une de ses nombreuses visites à ce peuple animiste, longtemps opprimé sous la dictature de Soeharto, aujourd’hui encore en lutte pour ne pas être assimilé à la société indonésienne. 

Nous sommes en 2014, Tahnee débarque avec un réalisateur pour tourner un documentaire sur les Mentawaï avec l’idée de les faire participer au tournage. Mais les choses ne se passent pas comme prévu et Tahnee, écartée du projet, ne peut que constater un « détournement » des images et à l’arrivée un documentaire qui ne « reflète pas toute la réalité des Mentawaï ».

Tahnee a alors 21 ans, elle décide de monter le projet Mentawaï Storytellers avec pour missions et valeurs l’indépendance et la libre expression des communautés mentawaï par le biais de la gestion d’un tourisme responsable et la réalisation de films par les Mentawaï eux-mêmes.

C’est cette histoire que déroule l’album, un plongeon au coeur des traditions mentawaï, au coeur également d’un projet transversal qui fait appel à la BD mais aussi à la vidéo, un projet qui a aujourd’hui son compte Facebook et son site internet. Tour à tour conférencière pour Connaissance du monde, bergère dans les Alpes, serveuse en restauration rapide, Tahnee a aujourd’hui trouvé sa voie, bien déterminée à la poursuivre…

L’interview ici

Noô ou la réhabilitation en BD d’un grand auteur français de SF des années 50

La carrière d’écrivain de Stefan Wul – alias Pierre Pairault, un dentiste ( !) parisien – a finalement été assez courte. Mais il a malgré tout marqué de son empreinte la science-fiction française des années 50. Son œuvre est aujourd’hui de nouveau célébrée par une nouvelle adaptation en bande dessinée…

La science-fiction francophone a toujours eu mauvaise presse. Moins grandiloquente que celle de ses confrères américains, moins biberonnée aux combats intergalactiques plein de ‘piou, piou’ et de bonds dans l’hyperspace mais par contre plus humaine et, limite, plus philosophique par moment, elle plonge ses racines dans les écrits fondateurs de Jules Verne, JH Rosny Ainé ou encore René Barjavel. Des auteurs dont l’héritage voue un culte à une science salvatrice et non pas destructrice et auquel Stefan Wul a rajouté une certaine poésie.

La reconnaissance, elle, est venue d’abord de Roland Topor puis, huit ans plus tard, de Moebius, qui ont respectivement signé l’adaptation en dessin animé de deux de ses romans, La Planète Sauvage (1973) et Les Maîtres du Temps (1981). Puis à partir de 2012, ce fut au tour de la BD de s’emparer de son œuvre. D’abord par l’intermédiaire de l’éditeur Ankama puis aujourd’hui via le Comix Buro. Soror, le premier volume d’une trilogie annoncée s’attaque à un gros morceau, l’ultime livre de Wul, sorti en 1977.

L’éditeur aime parler ici autant de ‘space opera’ que de ‘voyage initiatique’. ‘Space opera’ car le tout se passe de l’autre côté de l’univers, dans un monde où l’ultra-moderne se mélange à la nature la plus sauvage et où les hommes côtoient de drôles créatures évoquant des sortes d’oiseaux . Et ‘initiatique’ car tout tourne autour d’un jeune homme du nom de Brice. Arraché à la mort sur Terre par son père adoptif, il se retrouve, malgré lui, au plein cœur d’une rébellion qui l’oblige à fuir Grand’Croix, la capitale où il vivait, pour échapper aux forces gouvernementales lancées à sa poursuite.

L’intérêt de Noô, c’est d’avoir permis la rencontre entre un dessinateur assez rôdé à la SF (Alexis Sentenac) avec un auteur (Laurent Genefort) qui évoluait dans la même sphère mais, lui, en tant qu’auteur de romans et de nouvelles. C’est d’ailleurs sa première adaptation BD. Une relative inexpérience qui se ressent parfois dans le rythme général, des dialogues assez verbeux succédant parfois à des scènes plus graphiques sans trop crier gare, comme si en voulant rester le plus possible fidèle à l’esprit original du livre il avait tenu absolument à faire rentrer presque trop de choses dans ce premier volume. En même temps, dans toute trilogie digne de ce nom, le rôle de celui qui ouvre le bal est de justement ‘poser le décor’ comme on dit et c’est ce que fait Soror. Et puis autant Sentenac semble, limite, manquer de place pour s’exprimer durant les (longues) phases de dialogues, autant lors des passages plus contemplatifs qui s’étalent parfois sur une pleine page, il donne alors toute l’ampleur de son talent. Un essai donc peut-être imparfait donc mais transfiguré par quelques moments de pure beauté et qui donne surtout envie de (re)découvrir Stefan Wul.

Olivier Badin

 Noô, volume 1 : Soror de Laurent Genefort et Alexis Sentenac. Comix Buro/Glénat. 14,50€

@ Comix Buro/Glénat / Laurent Genefort & Alexis Sentenac

01 Oct

Une Vie de moche : un récit de toute beauté signé François Bégaudeau et Cécile Guillard

Qu’est-ce que la laideur ? Vaste question à laquelle le monde n’a toujours pas trouvé de réponse définitive. Parce qu’elle est forcément relative. Dans cet album paru aux éditions Marabulles, François Bégaudeau et Cécile Guillard nous en apportent une preuve éclatante…

Elle s’appelle Guylaine. Ne cherchez pas, la rime est évidente, facile mais évidente, Guylaine est vilaine. Du moins, le pense-t-elle depuis toute petite. Précisément depuis le jour où les garçons de son quartier l’ont rejetée de leurs jeux tout simplement parce qu’elle était moche. Et toute sa vie Guylaine sera la vilaine.

« Dans la vie, on a ce qu’on mérite, disait mon père. J’avais du mériter ma tête, mon nez de travers, mes yeux éteints, mes joues pâles, mes cheveux insoumis ». 

Le verdict est sans appel, la peine est capitale.

« On m’avait condamnée à être de celles que les moustiques piquent. Je ne serais pas une princesse, mais sa servante ».

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Miroir mon beau miroir… Le titre est explicite, Une Vie de moche déroule la vie de Guylaine depuis son enfance jusqu’à ses 60 ans, avec ses questions, ses doutes, ses peines, les copains qui la rejettent de peur du regard des autres, les copines toujours plus belles qui attirent les garçons comme des mouches, le corps qui ne prend pas les formes espérées à l’adolescence arrivée, les expériences amoureuses ou sexuelles sans lendemain, la recherche d’un style, d’un caractère, qui pourrait atténuer, voire cacher, ce corps disgracieux… et finalement, tout au loin, tout au bout, à des années-lumière, l’acceptation de soi. Enfin !

Le chemin est long et tortueux. On le suit sur près de 200 pages avec compassion, émotion, et parfois une pointe d’agacement tant on a envie de crier à l’héroïne qu’elle n’est pas moche, tout au moins pour tout le monde, qu’il y a forcément des êtres qui la trouvent belle quelque part. D’ailleurs, Guylaine finit par se découvrir un pouvoir de séduction. La victoire est en marche !

@ Marabulles / Bégaudeau & Guillard

Son curriculum Vitae est à rallonge, il est ou a été écrivain, critique littéraire, scénariste, acteur primé Palme d’or à Cannes pour le film Entre les murs dont il a écrit le livre et joué le rôle principal, réalisateur et même chanteur au sein du groupe punk Zabriskie Point qui sortit quatre albums en son temps et joua un rôle moteur pour la scène punk hexagonal, le Vendéen François Bégaudeau signe le très beau scénario de cette histoire.

Moins connue et pour cause, Une Vie de moche est son premier album, certainement pas le dernier, Cécile Guillard offre une très belle mise en images du récit avec un découpage vivant et un dessin au lavis, intimiste et élégant à souhait.

Eric Guillaud

Une Vie de moche, de François Bégaudeau et Cécile Guillard. Marabulles. 25€ (en librairie le 2 octobre)