Dans l’atelier Manjari de Paris 11e, un vent nouveau souffle sur le manfra. Le manga à la française, comme nous avons pris l’habitude d’appeler cette BD hybride depuis 2005, renaît avec l’expérience Lastman. Cette série pourrait bien réussir là où les autres tentatives avaient échouées. Derrière la tablette graphique (exit la gomme et le crayon), pas un auteur, mais un trio : Balak, Michaël Sanlaville & Bastien Vivès.
Des trois, Bastien Vivès est le plus connu du grand public depuis ses multiples succès en solitaire ou en groupe, du Goût du Chlore à Polina, et jusqu’au récent La grande Odalisque. Comme pour ce dernier album multiprimé, l’artiste, en perpétuelle évolution, tente l’expérience du travail à 6 mains, mais cette fois-ci en atelier selon la méthode japonaise.
Lastman de Balak, Vivès & Sanlaville - KSTR
Depuis le 11e ardt de Paris, la triplette détourne avec humour leur aventure façon télé-réalité, à suivre en ligne. Des coulisses qui révèlent comment produire les centaines de planches nécessaires en un temps record pour suivre le rythme imposé par les mangakas des titres phares comme Naruto ou One Piece plébiscités par les amateurs.
Balak (Lord of Burger) s’occupe du story-board et du découpage des planches, alors que Michaël Sanlaville (Le Fléau vert, Rocher rouge et Hollywood Jan) se partage le dessin avec Bastien Vivès, qui dirige aussi l’écriture. Objectif : exécuter un chapitre, soit vingt planches par semaine qui ont été prépubliées sur le site Delitoon. Et c’est la seconde clé du succès potentiel. Après déjà plus de 120 000 vues sur le net, le tome en version papier se vend maintenant très bien en librairie : l’ impression initiale de 30 000 exemplaires est déjà augmentée de 10 000 albums.
Lastman de Balak, Vivès & Sanlaville - KSTR
L’histoire est simple : celle d’un gamin de 12 ans qui rêve de participer au tournoi annuel de combat organisé dans une ville indéterminée, à une époque qui ressemble à celle du Moyen-Age. Sans partenaire, il se retrouve à faire équipe avec un homme solitaire de passage, une brute plus attirée par les femmes et l’argent que par la défense d’un garçonnet dont tous se moquent. Le regard de cet étranger changera avec la découverte du personnage féminin central, la jolie mère de l’enfant.
Lastman de Balak, Vivès & Sanlaville - KSTR
Un simplisme assumé, comme la rapidité des dessins produits – le copié-collé de certaines cases pourrait agacer les plus exigeants – pour une aventure au long cours sur 12 à 58 tomes comme les shônen, les mangas destinés aux ados (comme Dragon Ballou Yu-Gi-Oh!).
Les auteurs promettent d’apporter de la profondeur dans les prochains albums, avec le développement de la relation mère fils, de la notion d’apprentissage … Ce premier tome se lit avec un plaisir accrocheur; le lien avec les personnages est immédiat, l’humour présent jusque dans les scènes de combat, comme l’apparition des mentons des frères Bogdanov, armes redoutables. Cette nouvelle série pourrait bien se révéler créatrice de nouvelles oeuvres originales, mi-européennes, mi-asiatiques : le 9e art n’a plus de frontières !
Enorme ! Enorme par son poids, énorme aussi par le nombre d’auteurs réunis dans ses pages. 200 au total ! Et pas des moindres, non, tous ceux ou presque qui comptent dans la bande dessinée franco-belge sont ici. Visez plutôt : Baru, Baudoin, Berthet, Blutch, Boucq, Brüno, Cosey, Cabu, David B, Davodeau, Dupuy & Berberian, Le Gall… reprenez votre souffle… Dodier, Goossens, Gotlib, Le Gall, Lepage, Loustal, Margerin, Pedrosa, Pétillon, Schuiten… une galerie d’auteurs plus illustres les uns que les autres réunis pour rendre hommage à l’univers de Spirou en cette année marquée par le soixante-quinzième anniversaire du personnage et du journal. 2013, année groom !
200 auteurs donc qui ont réalisé dans leur propre style une planche mettant en scène leur enfance, leur rencontre avec la BD et plus particulièrement avec le journal Spirou. On s’amuse de voir un Gaston Lagaffe prenant vie sous la plume de Florence Cestac, un Fantasio sous celle de Ted Benoît, on s’émerveille devant ce bolide ressuscité des premières aventures de Spirou et Fantasio par Christophe Blain, ce Marsupilami géant imaginé par Nicolas de Crécy, cette histoire délirante de Lucky Luke écrite par Gotlib ou encore ce récit autobiographique de Zep mettant en scène ses déboires de débutant avec les éditions… Dupuis.
Mais là où l’ouvrage frôle le génie, oui oui absolument, c’est quand il nous propose en regard de chaque planche-hommage une courte interview de l’auteur signataire. Et on y apprend beaucoup de choses, souvent très intimes… Beau boulot ! EGuillaud
La Galerie des illustres, collectif. Editions Dupuis. 45 euros
La guerre civile espagnole connaîtrait-elle un regain d’intérêt ? En l’espace de quelques semaines sont apparus sur les étagères de nos librairies spécialisées Le Convoi, un dyptique signé Torrents et Lapière portant sur la « retirada », l’exode des Républicains vers la France à partir de décembre 1938, et España la Vida, un récit de Vaccaro et Le Roy qui nous ramène quelques mois auparavant, au moment du bombardement de Guernica. Jean-Léonard, Léo pour les intimes, jeune Parisien issu de la bonne bourgeoisie ne supporte plus de regarder l’Espagne sombrer et tomber aux mains des Franquistes. Bien décidé à défendre ses idéaux libertaires, Léo finit par rejoindre les Brigades internationales où il se frotte très rapidement à la dure réalité de la guerre…
A la différence du Convoi, clairement inspiré de faits réels ayant touché la famille d’un des auteurs, España la vida est cette fois une pure fiction. « J’avais envie d’essayer un autre type d’écriture… », explique le scénariste Maximilien Le Roy, familier d’une bande dessinée plus documentaire. « Le travail de reportage ne laisse, et pour cause, pas la moindre place à l’imagination : il faut être au plus près des témoignages que l’on recueille. Une fiction nécessite un autre type de travail sur la narration. Celà dit, j’ai tenu à écrire une fiction qui soit très ancrée dans les réalités historiques et politiques de l’époque ». Maximilien Le Roy au scénario, Eddy Vaccaro au dessin et Anne-Claire Thibaut-Jouvray aux couleurs : le trio nous offre ici un récit sur l’engagement individuel en même temps qu’une belle histoire d’amour. Un récit plein d’humanité dans un monde en guerre ! EGuillaud
España la vida, de Vaccaro, Le Roy et Thibaut Jouvray. Editions Casterman. 25 euros
Fred de son vrai nom Frédéric Othon Aristidès - Dargaud
Les éditions Dargaud nous font part du décès de Fred, Othon Aristidès, hier soir à l’âge de 82 ans. Il était depuis plus de 60 ans l’un des plus grands artistes, un créateur et un poète hors du commun. Aujourd’hui, l’ensemble de la bande dessinée est en deuil. Les éditions Dargaud, ainsi que tous les auteurs, s’associent à l’immense tristesse de sa famille.
Celui qui vivait à Paris venait de publier le dernier album de sa série la plus connue Le Train où vont les choses, le tome 16 de Philémon.
En mars et avril 2011, la galerie Martel, à Paris, a présenté une grande exposition consacrée à ce monstre sacré de la bande dessinée, Fred. Le père de « Philémon » et du « Corbac au basket » nous plonge dans un univers enchanté, qui a bercé les jeunes années de millions de personnes. Parmi ses amis, le dessinateur Bilal et Thomas Dutronc qu’il a connu enfant quand il écrivait des chansons avec son père Jacques Dutronc, comme Le fond de l’air est frais.
Pour revoir le reportage de France Télévisions :
Voici sa biographie publiée par Dargaud. Une autre façon de la découvrir est de picorer au hasard dans son oeuvre : chaque planche a bien souvent un lien avec sa vie…
Othon Aristidès, dit Fred, naît le 5 mars 1931 à Paris. Tout môme, il remplit des cahiers entiers de bandes dessinées bourrées de « fôtes d’ortografe ». Il publie son premier dessin humoristique dans le courrier des lecteurs d’un journal pour enfants. Un peu plus tard, il fait ses premiers pas vers l’absurde, l’envers du décor et le dérapage contrôlé en dévorant Edgar Poe, Charles Dickens et Oscar Wilde.
Fred - editions Dargaud
Vers 18 ans, il fait timidement le tour des rédactions. À sa grande fierté, il finit par placer un dessin à Ici-Paris ; à sa grande déception, sa signature est coupée. À son retour de l’armée, il dessine pour France Dimanche,Paris Match, Le Hérisson et Quartier latin, un modeste journal vendu à la sauvette par Georges Bernier, connu plus tard sous le nom de Professeur Choron. C’est avec le même Georges Bernier et François Cavanna (rencontré à Ici-Paris) que Fred crée Hara-Kiri en septembre 1960. Promu directeur artistique, il exécute les soixante premières couvertures, touche un peu à tout, s’aperçoit qu’il aime bien écrire, et revient à la bande dessinée avec Les Petits Métiers, Le Manu-Manu, Tarsinge, l’homme Zan et Le Petit Cirque.
En 1966, après six mois de labeur, il propose quinze planches d’une nouvelle histoire au journal Spirou, qui les refuse : le dessin n’est pas bon, l’histoire non plus… À la lecture des mêmes planches, René Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote, s’enthousiasme et publie La Clairière des trois hiboux, premier épisode des aventures de Philémon. Mais cette fois-ci, ce sont les lecteurs qui n’apprécient pas le dessin. Fred décide donc de s’en tenir à l’écriture ; il propose toute une série de scénarios qui seront mis en images par d’autres – ce qui ne l’amuse pas du tout… sauf quand il imagine Time is Money pour Alexis. Et puis il commence à ruminer dans ses moustaches l’idée d’envoyer Philémon sur les lettres de l’océan Atlantique – idée qui lui est venue dans son bain : où va-t-on quand on se laisse aspirer par le tourbillon de la baignoire qui se vide ? (Fred trouve toujours ses idées dans son bain. Quand l’idée ne vient pas, il prend cinq bains par jour ; il est donc très propre…) Il écrit le scénario, le fait lire à Goscinny et déclare assez fermement qu’il veut le dessiner lui-même. Goscinny accepte, et la grande aventure de Philémon, dont le quinzième album paraîtra en 1987, commence.
Dans les années 1970, tout le monde s’arrache Pilote, même Jacques Dutronc qui demande à Fred de lui écrire des chansons. Fred tente le coup avec une fraîcheur absolue, à l’instinct : Le fond de l’air est frais entre très vite au hit-parade. Devenus copains, ils composent ensemble deux livres-disques pour enfants : La Voiture du clair de lune et Le Sceptre. En 1993, après quelques expériences autoéditées, dont le magnifique Magic Palace hôtel, Fred imagine pour l’imagerie Pellerin d’Épinal La Magique Lanterne magique, puis pour Futuropolis un superbe portfolio intitulé Manège. C’est alors que Le Matin de Paris lui offre une pleine page hebdomadaire qu’il occupe avec Le Journal de Jules Renard lu par Fred, une histoire qui sera publiée en 1988 chez Flammarion.
En 1991, Fred signe trente-cinq scénarios de courts-métrages, réalisés, entre autres, par Daniel Vigne (Le Retour de Martin Guerre), Jacques Ruffio et Gérard Zingg. Tournés en trente-cinq millimètres dans des conditions extrêmement luxueuses – pour deux minutes de pellicule, ils partent par exemple à trente personnes dans le désert avec des Land Rover –, courts films sont des merveilles de poésie et d’humour. Pris au jeu, Fred signe ensuite pour Gérard Zingg le scénario d’un long-métrage, L’Autobus de la haine. Le projet est malheureusement abandonné.
Le petit Cirque de Fred - Dargaud
Après Philémon – réédité en trois gros volumes dans une édition millésimée en mars 2011 – , Fred explore d’autres univers et signe plusieurs albums considérés (à juste titre) comme des chefs-d’œuvre : L’Histoire du corbac aux baskets, L’Histoire de la dernière image et L’Histoire du conteur électrique. À la fin de l’année 2010, Dargaud regroupe d’ailleurs ces trois albums dans un coffret, auquel est ajoutée l’Histoire du Magic Palace hôtel, pour la première fois mise en couleurs !Deux recueils de dessins d’humour – Le Noir, la couleur et lavis et Fredissimo – voient également le jour. Mais Fred se fait rare ; il se prête pourtant au jeu de la confidence dans une rubrique régulière, « Un magnéto dans l’assiette de Fred », publiée dans La Lettre (l’officiel de la BD). Cet auteur majeur de la bande dessinée a tant de choses à raconter que Dargaud lui consacre une biographie ; l’ouvrage, intitulé L’Histoire d’un conteur éclectique, sort au mois de mars 2011.
Rédigée par Marie-Ange Guillaume, cette monographie de deux cents pages rassemble de nombreux documents inédits, dont les toutes premières pages du prochain Philémon, un épisode auquel Fred travaille depuis plusieurs années. En attendant la sortie de ce nouvel album, Dargaud réédite toute la série sous la forme de trois intégrales, mais présente aussi une nouvelle édition du superbe Petit Cirque. Cette version, remasterisée à partir des originaux et agrémentée de quatre pages supplémentaires, paraît en janvier 2012, à l’occasion de la grande exposition rétrospective que le festival d’Angoulême consacre à Fred. En février 2013, Fred publie son dernier Philémon, Le train où vont les choses, le tome 16 de la série qu’il avait commencée vingt-cinq ans plus tôt.
Mais l’aventure n’est pas finie : le producteur Roger Frappier travaille en ce moment à l’adaptation cinématographique de la série, ce que l’auteur avait, jusqu’à présent, toujours refusé. En mai 2013 paraîtra Un magnéto dans l’assiette de Fred, un recueil de l’ensemble des entretiens présentés dans La Lettre.
Le petit Cirque de Fred - Dargaud
Fred fait partie des géants de la bande dessinée et a influencé toute une génération d’auteurs. Dans chacune de ses œuvres – de Philémon au Petit Cirque – l’auteur accomplit un numéro de funambule dans lequel son génie éblouit. Son langage résolument novateur, son inventivité, son imagination foisonnante ont ouvert une nouvelle voie à la bande dessinée.
Frédéric Othon Théodore Aristidès, alias Fred, est décédé hier à l’âge de 82 ans laissant orphelin quantité de fans mais aussi son personnage Philémon créé au début des années 70 pour le journal Pilote et qui connut une ultime aventure en février de cette année avec l’album Le Train où vont les choses.
Fred était aussi l’auteur des albums Magic Palace Hôtel, Le Fond de l’air est frais, Le Petit cirque, Manège, L’Histoire de la dernière image…
Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1980, Alph’Art du meilleur album en 1994… Fred fait partie des géants du Neuvième art, un poète qui a développé un univers onirique sans pareil !
En janvier 2012, une équipe de reportage de France 3 Poitou-Charentes rencontrait l’auteur alors en plein travail sur son dernier album…
Montpellier, un jour de novembre 1975. Angelita reçoit un appel de son beau père. Sa mère a fait une crise cardiaque et est hospitalisée à Barcelone. Alors que tout le monde la croyait en Auvergne ! Pourquoi Barcelone, elle qui s’était jurée de ne plus mettre les pieds en Espagne tant que Franco serait vivant. Mystère. Angelita est une fille de réfugiés espagnols arrivée en France en 1939. Sa mère et elle ont depuis refait leur vie, son père est mort en déportation, du moins le pensait-elle jusqu’à ce jour…
Inspiré par des faits réels dont certains auraienttouché la famille du dessinateur Eduard Torrents, Le Convoi nous plonge au coeur des années noires, depuis la guerre civile espagnole jusqu’à la Seconde guerre mondiale en passant par ce qu’on appelle la « retirada », l’exode de 500 000 républicains espagnols vers le territoire français à compter de décembre 1938, des réfugiés entassés dans des camps souvent improvisés avant pour certains d’être déportés dans les camps de concentration nazis. Dans ce contexte fort et douloureux, Eduard Torrents et Denis Lapière développent une très belle histoire de famille en deux volumes. EGuillaud
Le Convoi (2 tomes), de Torrents et Lapière. Editions Dupuis. 15,50 euros le volume