09 Nov

Aventures humoristiques, Intégrale Spirou et Fantasio (tome 8), de Franquin, Greg, Delporte, Peyo et Gos. Editions Dupuis. 22 euros.

  Ce huitième volume de l’Intégrale regroupe les quatres dernières aventures écrites par un Franquin fatigué, lassé, malade. Pourtant, même si un message de la rédaction du journal Spirou reproduit ici au beau milieu de l’aventure QRN sur Bretzelburg annonce l’interruption des aventures des deux héros, Franquin étant « très souffrant », rien , absolument rien, dans les pages ne nous indique une quelconque baisse de régime de la part de l’auteur, QRN sur Bretzelburg figurant même parmi les meilleurs récits de la série. Avant que Jean-Claude Fournier ne reprenne la destinée de ces personnages créés par Rob-Vel, alias Robert Velter, en 1938, André Franquin offre donc à la postérité le susdit QRN sur Bretzelburg (version remontée pour l’album), un récit court mêlant complètement les univers de Spirou et Fantasio et de Gaston Lagaffe, intitulé Bravo les brothers, un roman illustré, commande à l’origine de la SNCF, Les Robinsons du rail, et l’utime récit Panade à Champignac. Comme dans les volumes précédents, un dossier d’une vingtaine de pages contenant de nombreuses illustrations replace chaque récit dans son contexte de création. E.G.

Liberté, Arabico (tome 1), de Halim Mahmoudi. Editions Quadrants. 10,50 euros.

C’est l’histoire d’un gamin. Un gamin comme les autres. Ou du moins, qui aurait du être comme les autres, joyeux, inscouciant, dévorant la vie à pleines dents. Mais ce gamin là ne s’appelle pas Jérôme ou François, Paul ou Jean-Michel. Non, dans le quartier, on l’appelle Arabico. Il est français d’origine algérienne. Et mine de rien, ça change pas mal de choses ! Pas moyen pour lui de faire un pas dans le quartier sans être suspecté par la police d’intelligence avec l’ennemi (reste à déterminer l’ennemi !), impossible d’aller à l’école sans une kyrielle de papiers qui attestent sa nationalité française et, bien sûr,  impossible d’échapper à la dissertation sur l’identité. Justement, du haut de ses 13 ans, Arabico se demande bien ce qu’il est. Un Arabe ? Un Français ? Un Maghrébin ? Pour sa mère, il n’y a aucune différence entre un Maghrébin et un Arabe. « En plus Maghrébin, ça veut dire quoi ? », s’exclame-t-elle, « … Que tu n’es ni arabe, ni français!!! Ca ne se dit même pas chez nous ça : Maghrébin ! ». Bon, c’est sûr, ça ne l’aide pas vraiment à y voir plus clair mais au moins sa carte d’identité, elle, indique bien qu’il est français. Oui, mais voilà… Arabico a perdu cette fameuse carte d’identité, le sésame pour une vie supposée meilleure. Alors que les images des sans-papiers arrêtés et expulsés du pays tournent en boucle sur les écrans de télévision, Arabico prend peur et se cache. Pour peu que la police lui tombe dessus…

Arabico n’est pas une fiction, ni une autobiographie ! Alors, c’est quoi au juste ? Réponse : Arabico est une auto-fiction, pour reprendre les termes employés par l’auteur lui-même. « Je n’ai pas perdu ma carte d’identité… », confie-t-il dans une interview, « mais effectivement j’ai vécu les mêmes humiliations / menaces face aux institutions (scolaires, policières, sociales…). Autant de souffrances soit diffuses soit frontales qui laissent des marques durables à l’intérieur… ».

Un auteur normand !

Halim Mahmoudi n’a effectivement pas eu à inventer. Ce récit est inspiré de ses propres expériences et de celles qu’il a pu reccueillir dans la cité dite « sensible » où il a longtemps vécu, une cité d’Oissel, près de Rouen. Enfant de la banlieue, Halim Mahmoudi veut aujourd’hui témoigner… et  « faire passer un message, surtout dans ce climat de diabolisation grandissante des étrangers, de lois punitives, de programmes politiques qui  nous prennent pour cible, comme des ennemis intérieurs, comme si cette lente asphyxie, cette condamnation à mort sociale ne suffisait pas à elle seule ». Arabico parle de ce quotidien dans les cités mais, attention, pas des violences urbaines souvent pointées du doigt par les médias et les politiques. L’album parle avant tout de ces violences beaucoup plus discrètes mais tout autant dévastatrices, celles que l’on peut qualifier de sociales et d’intimes. « De nombreux artistes venant de quartiers parlent de la rue mais pas de chez eux, à la maison ». En racontant le quotidien de ce petit garçon, l’auteur nous ouvre donc les portes de cette intimité et nous offre un témoignage direct, sincère, fort et bouleversant, un regard neuf et objectif sur les frustrations, les souffrances, les peurs, les doutes, les difficultés de l’intégration, sur la vie en somme de toute une frange de la population, issue de l’immigration…

Liberté, égalité, fraternité.

A l’heure où vont se tenir partout en France des débats sur l’identité nationale, le récit d’Halim Mahmoudi trouve une résonnance toute particulière. Prévu en trois volets, Liberté, Egalité et Fraternité, Arabico décryptera les trois grandes étapes de la vie du personnage : la sortie de l’enfance, c’est l’objet de ce premier tome, la sortie de l’adolescence puis l’entrée dans l’âge adulte. Arabico est un récit d’une rare intensité dans la lignée des bandes dessinées militantes d’un Baru (Le Chemin de l’Amérique, L’Autoroute du soleil, L’Enragé…) ou des bandes dessinées documentaires d’un Davodeau (Rural!, LesMauvaises gens,  Un Homme est mort…). Et comme dirait le jeune héros de Halim Mahmoudi : « Fils d’immigrés, c’est français ou étranger, ça ? ». E.G.

Sous son regard, de Marc Malès. Editions Vents d’ouest. 17,99 euros.

  Couv_95609Une Packard ? Quelle idée ! L’agence de location ne pouvait trouver mieux pour énerver Jack Barton. Lui proposer une Packard pour ses vacances… Et puis quoi encore ? A lui, le flic qui a justement passé tant de temps et d’énergie et risquer sa vie à pourchasser le fameux Gang Packard , une bande de pilleurs de banques qui agissaient vite et bien, et surtout sans jamais avoir recours à la  violence. Du moins jusqu’à ce fameux jour où un policier en moto se mit en travers de leur route… L’horreur ! Mais le gang avait été finalement démantelé et le chauffeur présumé arrêté et lourdement condamné. C’était dans les années 30. Pour l’inspecteur Barton, la vie a continué, difficilement. Vingt ans plus tard, il part en vacances. De drôles de vacances en vérité. L’inspecteur a retrouvé la trace du chauffeur, Frank Foster, libéré après 20 ans de prison. Et il veut le revoir. Mais l’homme n’a plus grand chose en commun avec le truand qu’il a autrefois connu. Foster est aujourd’hui rangé des voitures comme on dit. Il est marié, père de famille, exerce la profession modeste mais honnête de livreur pour une épicerie et ne louperait pour rien au monde la messe dominicale. Il est dans le droit chemin et rien ne pourrait semble-t-il l’en détourner. Cependant, Barton a quelques questions à lui poser et compte bien réveiller en lui le sombre passé qui sommeille…

Le trait est racé. Les planches sont en noir et blanc. L’ambiance est somptueusement sombre, presque oppressante. Les dialogues sont plutôt rares et la voix off omniprésente. Les personnages ont du caractère… Normal ! Sous son regard est un polar, un récit noir, très noir, viril, très viril, où il n’y a pas vraiment de gentils, ni de méchants, juste des flics, des voyous et des repentis qui tentent de dépasser la tragédie de la vie. Eclectique, Marc Malès a déjà abordé le polar avec les aventures de Frank Weiss (La Mort obèse et Le Requin, mon frère parus chez Glénat) mais aussi l’historique avec De silence et de sang et le western avec Mille Visages… Avec Sous son regard, l’auteur rend un merveilleux hommage aux films noirs américains des années 50. Une belle leçon de graphisme et de scénario !

Eric Guillaud

La Femme accident (2 volumes), de Grenson et Lapière. Editions Dupuis. 15,50 euros le volume.

  

  

  

  

  

  

  

  

   

   

  

  

Ballottée entre la maison de ses grands parents et celle de sa mère, livrée à elle-même la plupart du temps, Julie va découvrir la vie dans la rue et sur les terrils qui marquent l’horizon de cette région de Charleroi, en Belgique. Un horizon un peu trop bouché à son goût ! Après une liaison qu’elle s’imaginait pourtant sérieuse et pleine d’avenir avec son ami Théo et un avortement réalisé sous la contrainte, Julie décide de prendre son destin en main, de quitter l’atmosphère grisâtre et misérable des corons pour devenir riche et heureuse. Par tous les moyens possibles ! Mais quelques temps plus tard, Julie se retrouve en prison, inculpée de meurtre. Le procès s’ouvre. On parle d’une femme caractérielle et violente, mythomane et manipulatrice. Elle est objectivement une femme belle et seule, perdue dans ses rêves. Le verdict approche et, pendant ce temps là, dehors, un enfant attend le dénouement pour savoir quand il pourra à nouveau se lover dans les bras de sa mère…
Avec la sortie ce mois-ci du second volet s’achève l’histoire de La Femme accident. Denis Lapière, dont on connaît parfaitement le travail, notamment à travers les séries Luka, Charly et Ludo, ou les albums comme Le Bar du vieux Français, signe ici un récit qui oscille entre le drame social et l’intropsectif, un récit qu’il conservait dans ses cartons depuis plusieurs années. « La femme accident existait depuis très longtemps… », explique-t-il, « … sur des carnets, des feuilles éparses, quelques découpages de mise en scène et même en dessin, commis par plusieurs dessinateurs qui tous l’ont quitté au bout de quelques temps pour des raisons diverses ». Le personnage existe en fait depuis 1995, date à laquelle Denis Lapierre visite la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Mais il faudra attendre sa rencontre avec le dessinateur Olivier Grenson pour qu’il prenne finalement vie. La Femme accident, titre d’une chanson d’Orchestral Manoeuvre in the dark, est un récit émouvant, un peu dans la lignée du Bar du vieux Français, et remarquablement emmené par le trait réaliste, les couleurs directes et les atmosphères soignées d’Olivier Grenson. E.G.