27 Juil

Pages d’été : Un Juste de Patrice Guillon et David Cénou

album-cover-large-29727C’est l’été, les doigts de pied en éventail, le cerveau en mode détente et enfin du temps pour lire et éventuellement rattraper le retard. Sur la table de chevet, quelques livres en attente. C’est le moment…

L’album Un Juste est sorti il y a maintenant deux mois mais vous devriez le trouver sans peine dans toutes les bonnes librairies BD de France. Comme son titre le laisse très justement suggérer, le récit de Patrice Guillon au scénario et David Cénou au dessin a pour thème la Seconde guerre mondiale, l’occupation allemande, la déportation juive et la résistance de certains Français à la barbarie nazie.

C’est une histoire vraie que nous raconte Un Juste, une histoire qui met en scène deux familles, les Lévy d’un côté et les Cénou de l’autre, plus particulièrement Fernand Cénou, l’arrrière-grand-père de l’auteur David Cénou. C’est aussi quelque part l’histoire de toutes ces familles juives qui ont cherché à échapper à la déportation et de toutes ces familles non juives qui ont accepté de les y aider, en dépit des risques de représailles.

Il est facile de dire aujourd’hui, depuis notre – très relatif – environnement pacifié, que nous aurions été résistants, que nous aurions sauvé des vies innocentes. Fernand Cénou, lui, l’a fait, comme quelques autres, en restant qui plus-est très discret sur cet acte héroïque durant toute sa vie.

© La Boîte à Bulles / Cénou & Guillon

© La Boîte à Bulles / Cénou & Guillon

En 1942, l’arrière-grand-père de David Cénou ne cachait pas sa haine pour Pétain, « le premier collabo de France […] Ah, il est beau le héros de Verdun« , lui font dire les auteurs. Lui préférait clairement écouter Radio Londres à Radio Paris, filer un coup de main à la Résistance plutôt que de cirer les bottes des Allemands.

C’est donc presque naturellement qu’il accepta de cacher la famille Lévy en 1942 dans un appartement contigu au sien. La famille Lévy y resta jusqu’au débarquement des troupes alliées sur les plages de Provence, en août 1944. De longs mois avec la peur au ventre avant le soulagement puis l’envie d’oublier toute cette folie dans un réflexe de survie.

Et c’est bien des années plus tard, en retombant sur une correspondance entre ses parents et la famille Cénou, que Myriam entreprenait une action pour que Fernand et sa femme, Aurélie, soient reconnus Justes parmi les nations. Ils le seront en 2012. Leur dossier porte le numéro 10368.

Soutenu par le Comité français pour Yad Vashem et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, Un Juste apporte un témoignage et un éclairage remarquable sur l’époque, les atrocités des uns mais aussi les élans de solidarité et de générosité des autres, un véritable outil pédagogique intelligemment complété par un dossier de quelques pages revenant sur la notion de Justes parmi les nations, sur le statut des juifs pendant la guerre et sur leur persécution.

Pour ne jamais oublier…

Eric Guillaud 

Un Juste, de Patrice Guillon et David Cénou. Editions La Boîte à bulles. 18 €

© La Boîte à Bulles / Cénou & Guillon

© La Boîte à Bulles / Cénou & Guillon

 

27 Jan

Seules contre tous et Lâcher prise, deux récits autobiographiques de Miriam Katin chez Futuropolis

Capture d’écran 2014-01-26 à 20.26.21Dans les ténèbres ! C’est ainsi que commence Seules contre tous. Dans les ténèbres de la seconde guerre mondiale et de la shoah. Miriam n’est alors qu’une petite fille de trois ans. Elle vit avec sa mère, Esther, à Budapest jusqu’au jour où les persécutions nazies contre les Juifs les obligent à fuir sous une fausse identité. Seules contre tous raconte cette terrible petite histoire de la grande histoire. De village en village, de ferme en ferme, Miriam et Esther vont trouver de l’aide mais aussi beaucoup de lâcheté, de l’amour et bien sûr de la haine, elles vont échapper au pire, survivre à la guerre, retrouver Budapest et finalement tenter de reprendre une vie normale.

Installée aujourd’hui à New York, Miriam Katin est encore profondément marquée, on s’en doute, par cette sombre période au point de haïr tout ce qui touche de près ou de loin à l’Allemagne. Et quand son propre fils lui annonce qu’il veut s’installer à Berlin et qu’il a besoin pour cela d’acquérir la nationalité hongroise de sa mère, alors tous les traumatismes, tous les souvenirs de Miriam remontent d’un coup à la surface.

Capture d’écran 2014-01-26 à 20.27.19

Impossible pour elle d’accepter ce qu’elle considère comme une trahison. Elle ira jusqu’à détruire les formulaires de naturalisation de son fils avant de finalement les remplir. Plus tard, elle se rendra au musée juif de Berlin pour le vernissage d’une expo du fiston. C’est précisément ce que raconte ce deuxième album de Miriam Katin, Lâcher prise, édité lui aussi chez Futuropolis. Au noir et blanc mélancolique de Seules contre tous succède un graphisme au crayon de couleur forcément plus joyeux et un ton beaucoup plus léger et drôle. Miriam Katin ironise sur ses préjugés, finit par lâcher prise et apprécier le pays, ses infrastructures, sa nourriture, sa culture…

Seules contre tous et Lâcher prise sont deux ouvrages étonnants et émouvants qui offrent un témoignage précieux et différent de ce qu’on a pu avoir précédemment sur ce thème.

Ce sont les deux seuls albums de Miriam Katin. La septuagénaire a travaillé comme graphiste et chef décorateur pour différents studios d’animation avant de se lancer dans la bande dessinée. Seules contre tous dont c’est ici une réédition a reçu le Grand prix de la critique 2008 et l’Inkpot Award au Comic-Con International de San Diego. Certains critiques relèvent dans son travail les influences d’Art Spiegleman (Maus…) ou de Raymond Briggs, une chose est sûre, Miriam Katin a d’ores et déjà marqué le Neuvième art de sa propre sensibilité.

Eric Guillaud

Seules contre tous et Lâcher prise de Miriam Katin aux éditions Futuropolis. 20 et 22 euros

Pour en savoir plus, une interview de Miriam Katin qui date de 2009 mais qui reste très intéressante sur le site du9 l’autre bande dessinée.

 

10 Déc

De Tunis à Auschwitz, le combat pour la vie du boxeur Victor Young Perez

Young de Vacarro et Ducoudray

Young de Vacarro et Ducoudray

136 combats, 91 victoires dont 27 par KO, champion de France puis champion du monde des poids mouches, Victor Young Perez est une légende de la boxe mais pas seulement…

C’est une légende tout court, un homme au destin incroyable à la fois magnifique et tragique. Né à Tunis en 1911 dans une modeste famille juive, Victor Young Perez s’installe à Paris en 1927. C’est là qu’il décide de devenir champion de boxe à l’image de son idole Battling Siki. Il devient la coqueluche du tout Paris et l’amant de l’actrice Mireille Balin avant d’être finalement déporté à Auschwitz où il mourra en janvier 45 sous les balles nazies !

L’album d’Eddy Vaccaro et d’Aurélien Ducoudray s’intéresse plus précisément à ces années de déportation à Auschwitz durant lesquelles Young se voit chargé par le commandant du camp d’organiser des combats de boxe pour distraire les nazis. Cette « mission » devient pour lui une question de survie! Une question de survie que le trait de Vaccaro, charbonneux, sombre, tendu, rend quasiment palpable au point que certaines scènes nous ramènent au fameux Maus de Spiegelman.

Après nous avoir offert la superbe biographie du boxeur Battling Siki avec Championzé, le tandem Vacarro – Ducoucray met en scène la vie d’un de ses disciples avec la même force graphique et narrative. 120 pages d’une profonde intensité dramatique où le destin d’un homme se confond avec le destin du monde.

un-crayon-tres-sombreLa vie de Victor Young Perez en BD mais aussi au cinéma

Sans parler d’oubli général, le souvenir de Victor Young Perez était surtout resté vivace dans le milieu de la boxe. Mais en 2012, une première bande dessinée, signée Lapière et Samama, réactivait la légende. A l’Ombre de la gloire, également publié chez Futuropolis, mettait en avant l’idylle entre Victor Young Perez et l’actrice Mireille Balin. 2013 poursuit le travail avec la parution de l’album de Vacarro et Ducoudray et le film Victor Young Perez réalisé par Jacques Ouaniche avec Brahim Asloum dans le rôle du boxeur, un film toujours à l’affiche…

Young, Tunis 1911 – Auschwitz 1945, de Vaccaro et Ducoudray. Editions Futuropolis. 20 euros

Eric Guillaud

L’info en +

Un autre album a récemment été publié sur ce thème, il s’agit du Boxeur de Reinhard Kleist chez Casterman qui raconte la vie de Hertzko Haft qui, lui-aussi, est passé par les camps de concentration et a dû faire des combats de boxe pour survivre…

La bande annonce du film…

07 Fév

Festival : St Denis en Val coince la bulle

Rien à voir avec le mastodonte festival d’Angoulême mais si vous aimez la bande dessinée et que vous habitez dans le Loiret et plus particulièrement aux environs d’Orléans, alors rendez-vous samedi 9 et dimanche 10 à St Denis en Val pour la 12e édition de Bulles en Val avec au menu des expos, des spectacles, un coin libraires et bouquinistes et bien entendu les incontournables séances de dédicaces. Parmi les auteurs invités : Afroula, Fabrice Angleraud, Jean-Michel Arroyo, Jean Barbaud, Callixte, Hervé riches, Roger Seiter…

Le Cercil, Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, y sera présent durant les deux jours pour présenter au public des bandes dessinées sur la Shoah.

Et le mardi 12 février, à 18h, le Cercil, toujours lui, proposera dans ses locaux à Orléans une rencontre autour de la thématique : « la représentation de la résistance, de la déportation

et de la Shoah est-elle possible ? Parmi les invités, Robin Walter, auteur de la BD KZ Dora (éd. Des Ronds dans l’O), Antoine Maurel, éditeur de la BD L’enfant cachée de Marc Lizano, Loïc Dauvillier et Greg Salsedo au Lombard et Benoît Momboisse, auteur avec ses élèves du roman illustré Les Sangliers sortent du bois (éd. de l’Ecluse). EGuillaud

13 Jan

Retour sur la Shoah avec « Le Boxeur » de Reinhard Kleist

L’auteur allemand Reinhard Kleist est connu des deux côtés du Rhin pour avoir mis en images quelques destins exceptionnels comme Elvis Presley chez Petit à Petit, Johnny Cash chez Dargaud ou Castro chez Casterman. Il s’attaque cette fois à la vie d’Hertzko Haft, personnage moins célèbre que les précédents mais dont l’histoire est tout aussi passionnante. Ce Juif polonais né en 1925 n’a pas encore 15 ans quand il est arrêté par les Allemands et envoyé dans un camp de travail, avant de finalement atterrir à Auschwitz. Repéré par un officier allemand, le jeune homme accepte de se former à la boxe dans l’unique but d’offrir aux SS des combats sans limite. Un jeu de massacre auquel il survivra et qui lui permettra de survivre aux camps. A la fin de la guerre, Hertzko s’installe aux Etats-Unis et continue à boxer avec la ferme intention de se faire un nom et de retrouver Leah, sa fiancée dont il perdu la trace depuis son arrestation…

Ainsi que nous le rappelle un dossier accompagnant l’album, Hertzko Haft n’était pas un cas isolé. Pour se distraire, les SS avaient effectivement « enrôlé » nombre de boxeurs professionnels parmi les déportés tels que Young Perez ou Leone Efrati, mais aussi des amateurs et parfois des hommes qui n’avaient jamais boxé comme Hertzko. Un récit passionnant et pétrifiant, où le trait de Reinhard Kleist, très proche du coup de griffe de Will Eisner, trouve toute sa force d’évocation. EGuillaud

Le Boxeur, de Reinhard Kleist. Editions Casterman. 16 euros