17 Sep

Chroniques de la Vigne – Conversation avec mon Grand-Père par Fred Bernard – Glénat

Chroniques de la Vigne par Fred Bernard – Glénat

Conversation avec Fred Bernard autour d’un verre de Bourgogne, du Savigny rouge, lors d’une séance de dédicace – dégustation à Issy- les-Moulineaux et plus tard, au téléphone. Son dernier album Chroniques de la Vigne est une pure réussite : la faconde de son grand-père y est gouleyante à souhait. Un grand cru !

–       Vous êtes en train de travailler sur une aquarelle ?

–       C’est un magazine qui me demande une planche qui parle à la fois de l’actualité du monde et de la mienne. Donc j’ai rajouté une planche au livre. C’est une des choses que j’aurais pu mettre et que je n’avais pas intégrée. Les vendanges commencent le 20 septembre cette année et cela ne va pas être formidable. Déjà il y a eu la grêle à la fin de l’été ; et puis le temps froid sans soleil de l’arrière saison. A Savigny, il ne reste que 30% de raisins et à Pommard ce n’est que 20%. C’est ce que je dessine pour Mondomix. Un bonus qui aurait pu être dans le livre.

–       Vous dites souvent que, cet album, vous souhaitiez le faire depuis plusieurs années, mais que votre grand-père n’était pas d’accord. Avez vous le sentiment que le livre est différent aujourd’hui, 15 ans après ce qu’il aurait pu être à l’époque où vous l’aviez imaginé ?

–       Ah oui, j’ai bien fait de ne pas le faire avant ! Premièrement parce que j’ai mûri un peu, on va dire … Je pense que je n’aurais pas axé le récit de cette façon là. Les anecdotes auraient été les mêmes, mais je n’aurais pas traité cela comme ça, ni graphiquement, ni même au niveau du ton en fait.

Fred Bernard en dédicace

Fred Bernard en dédicace

–       Je sens une grande liberté dans le ton, dans la narration et dans les dessins.

–       Oui c’est exactement cela. En le faisant aujourd’hui j’ai une espèce de lâcher-prise qui a donné ce que cela a donné. Je n’aurais pas été dans ce lâcher-prise là, il y a dix ans. A l’époque, je voulais le faire encore avec mon grand-père, à 4 mains et je n’avais pas cette vision là. Depuis j’ai fait plein d’autres albums pour lesquels je me suis appliqué à développer des dialogues très écrits et là c’est un phrasé quotidien en fait.

–       C’est vrai que j’entends vraiment la voix de votre grand-père. J’ai le sentiment que si je le rencontrais, je le reconnaitrais tout de suite et je serais en sympathie immédiate.

–       De toute façon, ce sont ses mots et ses formules. J’ai osé mettre tout à plat exactement comme cela peut se raconter dans une vigne ou dans un dîner. Les copains vignerons, que j’ai eus au téléphone depuis qu’ils ont lu mon album, cela les a même surpris, parce qu’ils connaissent le reste de mon travail : « Ah il raconte ça, oh la la … Ah! Il raconte ça comme cela !!!! Il a mis ça aussi ? » Et puis ils m’ont dit : « Ah ! Mais non, mais c’est bien ! » En fait, cela ne se prend pas au sérieux, alors que souvent le vin apparaît comme une chose très sérieuse, que ce soit pour les gens qui le font que pour les gens qui traitent du sujet. C’est quelque chose qui a beaucoup de cachet, cela fait partie de notre patrimoine qui est à préserver, c’est qualitatif … Donc très souvent c’est trop sérieux. Et  moi je voulais prendre ça par le petit bout de la lorgnette. C’est aussi ce que fait mon grand-père, c’est à dire virer tout le snobisme autour du vin, qui le met en rogne, et mettre plutôt en avant tous les plaisirs que cela apporte.

–       Comment avez vous recueilli toutes ses histoires ?

–       On bascule vite dans l’intime dans une cave. La plupart des anecdotes, je les ai reçues en cave et pas dans la rue. Un peu comme dans le livre ou le film Malevil avec Jacques Villeret : ils sont tous en train d’embouteiller ou de goûter du vin alors qu’il y a la fin du monde dehors ! Toutes proportions gardées, le monde extérieur n’existe plus vraiment dans une cave, le temps peut se prolonger et les confessions intimes sont alors possibles.

Chroniques de la Vigne , Fred Bernard – Glénat

–       Vous faites référence à un film. Est-ce que d’autres films ou des livres comme celui d’Etienne Davodeau Les Ignorants, ont pu vous inspirer ou bien vous libérer ?

–       Avec Etienne, déjà ce qui est super quand je l’ai lu, je me suis dit c’est formidable, il a déjà tout expliqué. Alors dans ma tête, j’ai pu évacuer tout ce qui était technique dans le vin. Par exemple la fermentation malolactique, il explique tout très bien, donc ça c’est fait. Son ton est léger, il est badin aussi, ce que j’ai beaucoup apprécié aussi. Moi je n’ai pas lu tout ce qui s’est fait sur le vin évidemment, ni en BD, ni ailleurs. Mais ce que j’ai lu, cela débroussaillait le sujet ; et puis de toute façon, comme dit toujours mon grand-père, tout a été dit et redit ; c’est pour ça qu’il ne voulait pas s’y coltiner avec moi ;alors moi je me suis attaché à des choses que dans la plupart des cas je n’ai jamais entendues ailleurs que dans mon village par des gens que je connais. Soit parce que ce sont des choses qui ne se disent pas, soit parce qu’on a le sentiment que cela n’intéresse pas les gens, et à tort bien souvent. Je ne suis pas rassuré depuis très longtemps, à dire vrai. Le livre est sorti il y a une semaine et aujourd’hui je peux affirmer : non cela n’intéresse pas que les gens du cru. En le faisant je me posais la question. Mais j’étais super motivé parce que je le faisais à la fois pour mon grand-père et les gens qui sont dedans. C’est intime mais c’est assez universel en fin de compte. Tout ce qui tourne autour du vin, et ce sont les plaisirs de la vie en général qui sont traités, avec beaucoup de recul du point de vue de mon grand-père qui a 90 ans. Il a l’art de s’amuser des choses et un recul que moi je n’ai pas … pas encore.

–       Cela semble venir si nous suivons votre création depuis les livres jeunesse jusqu’à vos derniers romans graphiques ?

–       J’apprends beaucoup de lui, et je l’écoute attentivement. Il m’amuse et il me fait rire. Tout ce qu’il dit me fait rire. Ma grand-mère n’est plus là, mais jusqu’à la fin de ses jours, elle a ri à la moindre de ses blagues, qu’elle a entendues mille fois. A chaque fois cela m’épatait parce qu’à chaque fois il les tourne autrement.

–       Et pour vous cela fonctionne de la même façon ?

–       Oui, et moi je l’ai toujours fait parler le plus possible. Sur moi il ne pose pas beaucoup de questions.

Chroniques de la Vigne, Fred Bernard – Glénat

–       Votre grand-père connaît-il vos albums ?

–       Oui, il les a lus parce qu’il lit de la bande dessinée depuis longtemps. J’ai retrouvé ses vieux Félix le Chat des années 30 ; a grand-mère lisait Bécassine et lui d’autres livres comme Quick & Flupke d’Hergé. Mes parents n’en ont pas lu, ou très peu, mais cela a sauté une génération ! Mes grands-parents en lisaient. Oui, il a donc lu les miennes … au moins les miennes. Je me souviens, une fois, je lui avais offert les Petits Ruisseaux de Pascal Rabaté. Je me suis dit : « ça passe ou ça casse ». Et bien cela ne lui a pas plu. Une BD sur le quatrième âge et ce qui arrive aux protagonistes cela me plaisait bien, mais pas à lui. Il est prude, trop prude. Il parle beaucoup, mais en fait il est très pudique.

–       Comme beaucoup de bourguignons peut-être ?

–       Oui, ce sont des coquillages bivalves, durs à ouvrir. Mais une fois qu’ils sont ouverts, c’est super ! Moi, dans le village de Savigny-lès-Beaune, je vois par hasard des gens qui me disent :  » J’habite là depuis 5 ans, j’ai un peu du mal à rencontrer des gens ». Cela ne m’étonne pas. Moi déjà en étant parti c’est un peu cuit, je ne suis plus vraiment du village. Je suis un peu le Parisien. En revanche, pour moi c’est chez moi là bas.

Fred Bernard et ses Chroniques de la Vigne

Fred Bernard et ses Chroniques de la Vigne

–       Pour revenir aux dessins, vous êtes conscient de votre évolution graphique pour cet album-là ?

–       Ce n’est effectivement pas du tout dans la lignée des précédents. J’avais déjà fait un album couleur, il y a deux ans, qui se passait aussi en Bourgogne en grande partie, et qui s’intitulait Ursula cers l’amour et au-delà. J’avais donc déjà utilisé la couleur mais je voulais véritablement traiter cela de façon enfantine. J’avais fait des dessins aux crayons de couleur et un peu d’aquarelle aussi. Un peu moins jeté mais plus brut.

–       A l’image de l’héroïne ?

–       Oui, et pour contre balancer le propos, qui n’était pas rigolo du tout en revanche ! Là pour cet album, vu que j’ai beaucoup fait de croquis de voyages, mais finalement assez peu dans mon secteur, puisque par définition je suis devant presque tous les jours, et là j’ai eu envie de le faire. L’éditeur connaissait mes carnets de voyages, et là je lui ai dit : « C’est un voyage chez moi, c’est une ballade avec mon grand-père. Je vais le traiter comme ça : jetés et aquarelles. » Et j’ai donc essayé de faire couler cela comme les dialogues, de façon très légère, comme si cela n’allait pas devenir un livre. En fait, sans me mettre de pression. Les seuls moments où je travaille comme cela c’est en voyage, c’est que pour moi. Et ici, c’est comme si c’était pour moi et les amis. Là, je me suis autorisé à ne pas dessiner tous les détails et à être plus impressionniste. Il y a dix ans, je n’aurais pas osé faire cela.

–       Vous qui revendiquez de ne vous attaquer qu’à des sujets qui vous passionnent, quel est votre prochain projet ?

–       Je travaille sur une biographie de Charles Nungesser, le pilote qui a disparu avec François Coli sur « L’oiseau blanc » en essayant de traverser l’Atlantique, deux semaines avant Charles Lindbergh. Je ne vais pas le dessiner, j’écris le scénario. C’est une commande de  Casterman, et je me suis dit : « Ah ouais !!! » (rires pétillants d’enfant). J’adore le sujet, et en plus la fin est mystérieuse ; la vie de ce type, je la connaissais très peu, seulement dans les grandes lignes. C’était un beau taré, il était génialement fou et casse-cou.

 

Cet album a été déjà salué par les bourguignons et les vignerons : Prix du Clos Vougeot 2013. Ce qui n’est pas une mince affaire pour un livre qui parle en dilettante du monde du vin.

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Le site de Fred Bernard

Les premières planches : Glénat

La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Pigalle – Le Bar Tabac de la Rue des Martyrs (le chanteur François Hadji-Lazaro est devenu ami avec son grand-père)

Le point de vue le presse spécialisée : BDgest FranceInter France3Bourgogne

06 Sep

Sélection de rentrée #1/2

Chroniques de la Vigne par Fred Bernard – Glénat

 

Que choisir ? Que lire ? Qu’offrir ? Chaque année, c’est à la fois la jubilation devant la profusion de titres, puis le questionnement, le doute : sur quel(s) album(s) placer sa préférence, fixer son choix ? Voici un florilège de treize BD et morceaux choisis dans le dessus du panier.

Le Coup de Coeur : Chroniques de la Vigne par Fred Bernard – Glénat

Si vous ne deviez ne lire qu’un seul album, ce serait assurément celui-ci. Fred Bernard nous livre une conversation avec son grand-père vigneron, à déguster sans modération. Entre les ceps de son village natal, Savigny-lès-Beaune en Bourgogne, tous deux parcourent leurs souvenirs communs : in vino veritas ! Ce grand-père entre en bonne place dans notre panthéon des hommes au franc-parler, de ceux que l’on aimerait connaître. Sa règle de vie est des plus simples : « Pour moi un vin c’est : 1- un vin rouge ou blanc, 2- il est jeune ou il est vieux, 3- tu l’aimes ou tu l’aimes pas. Point Barre. Vrai ou Faux ?! Oh bien sûr ! On peut y déceler des tas d’arômes … Des petits fruits rouges, du silex, du cuir… Chacun son cépage. Chacun son terroir. Bon dieu que c’est bon ! » Comment ne pas être d’accord avec ce grand goûteur qui avoue n’avoir jamais recraché un vin en dégustation et estime avoir bu 40 000 bouteilles dans sa vie. Il a aujourd’hui 90 ans. Si vous ne connaissez pas encore le talent graphique de son petit-fils, il est temps de vous en délecter. Ces chroniques de la Vigne sont un excellent millésime. Bonne dégustation !

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Les surprises détonnantes : Amorostasia par Cyril Bonin – Futuropolis, Une Histoire d’Hommes par Zep – Rue de Sèvres, Jack Joseph Soudeur sous-marin par Jeff Lemire – Futuropolis, Stalingrad Khronika (t 1&2) par Bourgeron & Ricard – Air Libre, Paco les mains rouges par Vehlmann & Sagot – Dargaud, Bandonéon par Jorge Gonzàlez – Air Libre

Amorostasia par Cyril Bonin – Futuropolis

Paris est sous le choc : une nouveau mal très étrange est apparu, l’Amorostasia. L’alerte est lancée : « Tomber amoureux nuit gravement à la santé »

Une Histoire d’Hommes par Zep – Rue de Sèvres

Zep sait raconter des histoires d’hommes, à n’en pas douter. Vous avez peut-être grandi avec son personnage fétiche à la mèche rebelle. Les albums de gags mis sur pause, le voici avec une histoire à hauteur d’hommes, celle d’un groupe de quatre potes, qui se retrouvent le temps d’un week-end, à Londres. Auparavant –  mais était ce vraiment il y a si longtemps ? –  ils formaient un groupe de rock (un des rêves de l’auteur, fan de Led Zeppelin). Que s’est-il passé depuis leur séparation ?

Jack Joseph Soudeur sous-marin par Jeff Lemire – Futuropolis

 

 

Il s’appelle Jack Joseph, il a 33 ans Son métier est hors du commun : il est soudeur en eau profonde sur une plateforme pétrolière… Cet album est sorti au milieu de l’été et mérite pour autant d’être dans cette sélection de rentrée car ce roman graphique est une plongée en eau profonde. Par un auteur canadien à découvrir, et à suivre : Jeff Lemire.

 

 

 

 

 

 

1942 : Imaginez une équipe envoyée par Staline pour filmer la grande bataille dans la ville symbole qui porte son nom : Stalingrad. Face à l’armée d’Hitler, échouer ce serait bien plus que perdre une bataille …

Stalingrad Khronika par Bourgeron & Ricard – Air Libre

Paco les mains rouges par Vehlmann & Sacot – Dargaud

 

Son surnom, c’est Paco les mains rouges. Ce jeune instituteur doit cette dénomination au crime de sang qu’il a commis. Son châtiment : le bagne de Cayenne, à perpétuité. Un univers qui n’a rien de policé, cela va sans dire. Paco va devoir apprendre à survivre, au milieu d’autres bagnards et de la société fortement hiérarchisée qu’ils mettent en place. Un récit à la première personne qui parvient à représenter, avec beaucoup de pudeur et de retenue, la violence et l’oppression de l’univers carcéral. Nous attendons la suite avec impatience.

 

 

 

 

 

 

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Les récits politiques : Charles Charles Profession Président par Marc Dubuisson & James – Delcourt

La force de cette satire jubilatoire, c’est de ne pas parodier un seul président mais de reprendre les traits saillants de plusieurs  de nos chefs d’Etat pour composer un nouveau président, avec un slogan : Unis pour l’Union. De François Mitterrand à François Hollande, en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, chacun y verra les références politiques qu’il entend … A feuilleter sans modération pour rire aux éclats …

Charles Charles Profession Président par Marc Dubuisson & James- Delcourt

Les mystères de la 3e République par Philippe Richelle avec Pierre Wachs – Glénat

 

Les mystères de la 3e, 4e et 5e République par Philippe Richelle avec Pierre Wachs, Alfio Buscaglia & François Ravard – Glénat

Le mélange de la politique et du fait divers sur la trame de polars, tel est le moyen original que ces auteurs ont choisi afin de proposer une relecture de nos trois dernières Républiques : des ligues d’extrême-droite des années 30 au pétrole de la France-Afrique, les sujets politiques sensibles ne manquent pas. Les trois séries sont indépendantes et publiées en parallèle. A vous de choisir la période historique qui vous intéresse le plus.

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Les récits pour adultes : Gisèle et Béatrice par Benoit Feroumont – Air Libre, Le Singe par Milo Manara & Silverio Pisu – Glénat (réédition)

Gisèle et Béatrice par Feroumont – Air Libre

Avant le patron de Béatrice ne s’appelait pas Gisèle, mais cela c’était avant, quand il était encore patron et qu’il se permettait de harceler sexuellement son employée. Par un enchantement, il devient une femme soumise, sans papier, sans statut, et sous la dépendance de Béatrice. Un conte érotique et social entre fantasmes et pouvoir, pour public averti.

Le Singe par Milo Manara & Silverio Pisu – Glénat (réédition)

 

La réédition du premier récit majeur de Manara est la très bonne nouvelle de cette rentrée. Parue initialement en 1980, cette adaptation d’un conte chinois, Le Roi des Singes, était déjà une très grande réussite. On y retrouvera avec plaisir tout le talent graphique de l’auteur du Déclic et du Parfum de l’invisible.

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