Le 9ème art est de nouveau à l’honneur dans les musées parisiens. Après Astérix, qui vient tout juste de fermer ses portes à la B.N.F, rendez-vous au Palais de la Porte Dorée pour découvrir, jusqu’au 27 avril prochain, l’exposition intitulée Albums : des histoires dessinées entre ici et ailleurs.
Les albums de voyage que cette exposition nous invite à parcourir sont d’un genre un peu particulier. Non parce qu’ils se présentent sous une forme dessinée. Mais parce que les périples qu’ils évoquent sont ceux effectués par les migrants, ces explorateurs des temps modernes.
Les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir ; cœurs légers, semblables au ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
N’en déplaise à Charles Baudelaire, peu de voyageurs correspondraient à cette définition qu’il nous propose dans son poème « Le Voyage », extrait des Fleurs du Mal. Ni les touristes d’aujourd’hui, qui parcourent de vastes distances pour leurs loisirs. Ni les migrants, qui se confrontent à l’inconnu – et parfois au danger – par nécessité. L’exposition organisée par le Musée de l’Histoire de l’Immigration entend montrer comment la figure du migrant a investi le champ de la bande dessinée dès le début du 20ème siècle, en relation directe avec les deux grandes périodes de flux migratoires : avant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’émigration suit principalement le trajet Europe – Amérique (du Nord ou du Sud) ; après les années 1950, quand c’est l’Europe qui devient terre d’accueil.
La première période migratoire, nous pouvons la suivre au travers des personnages inventés aux Etats-Unis par George McManus (1884 – 1954) dans Bringing Up Father (1913), ou plus récemment par Will Eisner (1917 – 2005) dans son récit graphique d’inspiration autobiographique : To the Heart of the Storm (1990). Ces deux dessinateurs, descendants de migrants européens, ont placé la richesse de leur double appartenance culturelle au service d’une représentation distanciée des mœurs de la société américaine. Dans les deux cas, le pays d’accueil n’apparaît en rien comme un Eldorado : le Nouveau Monde n’est à l’abri ni des préjugés ni du racisme …
Le parcours du migrant dans son pays d’accueil est semé d’embûches, mais il ne sort pas toujours valorisé par la succession de ses mésaventures. Ainsi en va-t-il des personnages inventés par Henry Yoshitaka Kiyama dans les années 1930 : les quatre émigrés japonais qui se retrouvent à San Francisco font face dans leur quotidien à la xénophobie ambiante tout en manifestant leur sentiment de supériorité par rapport aux autres migrants venus de l’Asie, comme les Chinois. A chacun son bouc émissaire …
Le seul émigré à conquérir le statut de héros dans la bande dessinée américaine des années 1930, c’est Superman. Et oui, n’oublions pas que ce super-héros créé par Jerry Siegel et Joe Shuster vient d’une autre planète et qu’il est un enfant adopté !
L’exposition s’attache dans un second temps à nous présenter des dessinateurs francophones qui, depuis les années 1950, puisent leur inspiration dans une histoire personnelle ou familiale liée à l’immigration, depuis René Goscinny à Marguerite Abouet, en passant par Enki Bilal ou Marjane Satrapi.
En parallèle, elle met en évidence le désir de certains dessinateurs de rapprocher le 9ème art d’un travail d’investigation journalistique. Dans ces albums, le ton se veut moins léger ; la dénonciation des stéréotypes qui affectent le migrant s’inscrit dans un projet militant. L’enjeu de la fiction en images : dénoncer les conditions d’accueil des migrants en France, dévoiler les dangers auxquels sont confrontés les clandestins.
La B.D se fait alors plus sérieuse. Elle se veut le compte rendu de vies d’hommes et de femmes, évoque leurs espoirs, leurs ambitions, et leurs déconvenues. Elle entend offrir une voix aux minorités confrontées à la discrimination. Et aussi inscrire les parcours individuels dans une mémoire collective, à l’exemple de Thomas Dupuis, dit Otto T. qui dans sa Petite Histoire des colonies françaises, avec Grégory Jarry, rappelle aux lecteurs que :
Connaître leur histoire apprend à se connaître soi-même car, en vérité je vous le dis, l’homme civilisé descend de l’immigré.
La pépite d’or de cette exposition ? S’il vous faut une seule raison de vous rendre au Palais de la Porte Dorée, c’est sans hésitation l’album Où vont nos pères de Shaun Tan que je convoquerais. Point d’orgue du parcours, cette BD brille par son originalité et la force de son contenu : les planches ne contiennent aucune parole ; pas de commentaire de narrateur non plus pour éclairer ce silence des personnages ; tout est dans l’image ; une image qui s’inspire de photographies de migrants prises à Ellis Island au début du 20ème siècle pour créer un univers qui se veut la métaphore de toutes les migrations.
Le musée qui accueille cette exposition est un lieu chargé d’Histoire : construit à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931, le Palais de la Porte Dorée a d’abord abrité le musée dit des colonies, transformé en musée des Arts africains et océaniens, avant de devenir celui de l’Histoire de l’immigration depuis une dizaine d’années. Un passage par le rez-de-chaussée pour observer le discours colonialiste des fresques de l’ancienne salle des fêtes et la décoration Art déco des deux bureaux officiels, « ça peut pas faire de mal ! ».
Loretta Giacchetto
Si vous visitez l’exposition Albums en famille, téléchargez auparavant le parcours conçu, c’est ici.
Albums – Bande Dessinée et Immigration. 1913 – 2013 jusqu’au 27 avril 2014
Musée de l’Histoire de l’Immigration – Palais de la Porte Dorée – Musée de l’histoire de l’immigration 293, avenue Daumesnil Paris 12e
Post-Scriptum : Si d’aventure la lecture sans images ne vous rebute pas, un court roman de Daeninckx en relation avec le Palais de la Porte Dorée : Cannibale. A découvrir aussi dans son adaptation B.D par Emmanuel Reuzé !