03 Juin

Joe Hill : bon sang ne serait mentir !

Comment réussir à faire son propre trou dans le créneau horreur ou fantastique lorsque son propre père est déjà un monument du genre ? En se diversifiant et en cherchant, notamment, dans la BD le médium parfait pour faire fructifier son héritage. Exemple avec l’américain Joe Hill. 

Alors autant évacuer l’éléphant qui encombre la pièce dès le début : oui, comme son nom ne l’indique pas, Joe Hill est bien un ‘fils de’. Et de pas n’importe qui en plus dans le créneau horrifique : Stephen King. Un peu écrasant comme héritage non ? D’où sa relative discrétion. Mais bien qu’il se soit inscrit dans la même mouvance que papa, il a su vivre son époque en s’impliquant à plusieurs niveaux, et pas que dans la littérature où, pour être franc, il n’a pas pour l’instant fait trop d’éclat.

Or de toutes ses activités, c’est la bande dessinée où, au final il excelle le plus en tant que scénariste. Notamment grâce au succès de la série Locke & Key, au point que la maison de BATMAN DC COMICS a décidé de lui confier sa propre collection, centrée sur l’horreur. Mais pas n’importe laquelle, du moins si l’on se base sur les deux premières sorties inaugurales.

Basketful Of Heads – © Urban Comics DC Comics / Joe Hill et Leomacs

Pourtant, sur le papier, on pourrait croire que Plunge et Basketful Of Head (la version française ‘plongée’ et ‘un panier plein de têtes’ claque moins non ?) ne jouent pas tout à fait sur le même registre. Autant le premier est très sérieux et fait appel à ce que les afficionados appellent de l’horreur ‘cosmique’ bourrée de références plus ou moins cachées à Howard Lovecraft avec son histoire de remorqueurs d’épaves confrontés à des entités extra-terrestres venus sournoisement envahir la Terre, autant le second évolue dans un registre en comparaison presque plus léger. Enfin, autant léger que puisse être le récit des pérégrinations d’un jeune fille bloquée face à des trafiquants de drogues sur une île de la côte est américaine en pleine tempête et armée d’une hache viking magique dont la particularité est de garder en vie les têtes qu’elle s’emploie pourtant à séparer d’une façon tranchante du reste de leurs corps. Mais l’ADN est clairement le même.

En fait, le gros autocollant ‘par le créateur de Locke & Keyque l’on retrouve sur les deux couvertures n’est pas innocent du tout. Sans vergogne, Hill réutilise ici la formule qui lui a permis d’asseoir son (propre) nom. C’est-à-dire un mélange assez subtil au final de références à la ‘pop culture’ des années 80 (cinéma d’horreur de série B, séries TV etc.), d’humour un peu potache mais jamais lourdingue et de personnages pas si manichéens que ça. Et puis il sait alterner poussées soudaines d’adrénaline horrifiques (surtout sur ce Plunge au ton assez désespéré) et moments plus légers. En fait, le style Hill se caractérise par un côté très cinématographique, avec un sens du rythme hérité directement des séries télé, du genre à ne jamais relâcher la tension sans pour autant submerger le lecteur avec.

Basketful Of Heads – © Urban Comics DC Comics / Joe Hill et Leomacs

Et puis dans les deux cas, il a su s‘entourer des bonnes personnes au dessin : le trait plus réaliste de Leomacs (Lucifer) convient parfaitement à Basketful Of Heads alors que celui, plus emphatique, de Stuart Immonen (découvert avec Superman : identité secrète) accentue juste comme il faut le côté apocalyptique de Plunge.   

On pourrait certes dire que Joe Hill est quelqu’un qui emprunte plus qu’il ne crée et qu’au final, ses œuvres ne sont qu’un gigantesque mais habile recyclage. Mais comme face à un 768ème visionnage d’Evil Dead ou de Terminator avec ce qu’il faut comme munitions (pop corn, soda) à nos côtés, on a envie de dire que la question n’est pas là. Et puis la pop culture n’est-elle pas une éternelle entreprise de réemballage ? Ramassage des copies dans deux heures !

Olivier Badin

Plunge, de Joe Hill et Stuart Immonen & Basketful Of Heads de Joe Hill et Leomacs, Urban Comics/DC Comics. 15€

02 Juin

Romance, Banquiz, Titeuf, Les Dentus, Imbattable… Quand l’humour se déconfine !

BMaintenant qu’on a retrouvé un peu de notre vie d’avant, c’est le moment de rire un peu, beaucoup, à la folie, en terrasse ou sur la plage, avec quelques livres sélectionnés rien que pour vous, de l’humour pur jus sans effets spéciaux ajoutés.


On commence avec Romance du sieur Elric, un album publié en février dernier qui raconte, comme peut le laisser deviner la divine couverture, une grande histoire d’amour ou plus précisément cent grandes histoires d’amour… en trois cases et avec pas beaucoup plus de mots. Ils sont beaux, elles sont belles, bien coiffés, bien habillés, avec un petit côté vintage comme on aime dans le dessin et des préoccupations… disons… plutôt bloquées au dessous de la ceinture. Inutile de vous dire que le tout est franchement drôle et que les hommes en prennent sévèrement pour leur grade. (Romance, d’Elric. Delcourt. 9,95€)

Vous rêviez d’un album réunissant Joan Sfar au dessin et Mathieu Sapin au scénario ? Ne bougez plus, vous l’avez ! Réunis pour la première fois, les deux auteurs phares de la bande dessinée francophone contemporaine nous offrent ici un thriller complètement déjanté, une fiction avec des vrais morceaux de réels à l’intérieur et deux ex-présidents de la République, en l’occurrence François Hollande et Nicolas Sarkozy pour héros, reconvertis depuis la fin de leurs mandats respectifs, en agents secrets pour le compte du Ministère secret et chargés de protéger la France contre toutes menaces éventuelles. Et ce ne sont pas les seules gloires locales ou même internationales à apparaître dans les pages de ce premier volet. On peut même dire que ça se bouscule au portillon avec dans l’ordre d’apparition ou presque Eric Cantona, Donald Trump, Vladimir Poutine, le Prince de Monaco, Greta Thunberg, l’auteur Mathieu Sapin lui-même et un bloc de granit géant nommé Yaakov Kurtzberg qui cherche à prendre un avion depuis New York pour aller… et faire… Le mieux, c’est encore de lire l’album. (Le Ministère secret, de Sapin et Star. Dupuis. 14,95€)

Bon, même si la France grelotte globalement depuis plusieurs semaines et que le printemps avait tout de l’automne, il est un fait incontestable, la Terre se réchauffe ! Même Trump le reconnaît. Du moins, via la plume de Bernstein et le pinceau de Witko, auteurs de ce petit livre paru chez Delcourt dans la collection Pataquès. Ils lui font même financer une opération « tempête de glace », oui oui, pour établir « une méthode épistémologique de prédiction d’hypothèses et de vérification de la viabilité des constats issus de tests expérimentaux sur le réchauffement climatique ». Comprend qui peut ! En attendant, Banquiz, avec ces Trump et autres pingouins, est une petite pépite d’humour qui nous réchauffe les zygomatiques. (Banquiz, de Bernstein et Witko. Delcourt. 9,95€)

Il est de retour dans toutes les bonnes librairies de France et d’ailleurs, de retour pour une grande aventure. Elle s’intitule d’ailleurs La Grande aventure. Finis les gags en une page, Zep propose ici une histoire complète loin de l’univers scolaire et urbain auquel il nous avait habitué, avec de nouveaux personnages mais le même objectif : nous faire rire. Et c’est le cas ! Dans ce dix-septième opus, Titeuf découvre les joies de la colo, direction le camp du Bois des ours, du vert partout, de l’air pur à volonté et aucun réseau pour les jeux vidéo : de quoi se refaire une santé et communier avec la nature… (Titeuf, La Grande aventure, de Zep. Glénat. 10,95€)

C’est le seul véritable super-héros de bande dessinée, c’est du moins ainsi que Pascal Jousselin vend son personnage. Alors, bien sûr, il n’a pas vraiment le physique d’un Superman ou d’un Batman mais il a un pouvoir exceptionnel, celui de pouvoir jouer avec l’espace et le temps d’une planche de bande dessinée. Et ça peut rendre service. À l’instar de Marc-Antoine Mathieu avec son personnage Julius Corentin Acquefacques, Pascal Jousselin joue avec les codes graphiques et narratifs de la bande dessinée, explorant en courts récits de quelques cases à quelques pages les possibilités infinies du médium. Avec l’humour en plus! (Imbattable tome 3, de Jousselin. Dupuis. 10,95€)

Des flics comme les Dentus, on n’en croise pas tous les jours. Et c’est peut-être préférable. Ils sont quatre dans le service, Saturne, Mercure, Jupiter et le chef Raoul. Et nos quatre bras cassés, surnommés les Dentus, ont besoin de faire leur preuve comme on dit. Ça tombe bien. Le meurtre d’une femme vient d’être commis. Deux suspects ont avoué en même temps. Un de trop ! Les Dentus se lancent dans une enquête de voisinage pour élucider l’affaire et tombent sur une concentration de paumés et de gueules d’atmosphère qui vont leur donner du fil à retordre. Premier album d’un nouvel éditeur, Les Dentus nous offre une bonne dose d’humour noir. (Les Dentus, de Anthony Pascal. La Mouche-Krocodile. 16€)

Une autre histoire de flics, une autre enquête, celle-ci se déroule en Bretagne où un homme a été retrouvé mort dans un champ. Jusque-là, rien de bien exceptionnel me direz-vous, sauf que le mort en question était en tenue de jogging avec des bottes en caoutchouc aux pieds et que l’autopsie pratiquée dans la foulée a révélé la présence d’hydrogène sulfuré dans les poumons, typique d’une intoxication due aux algues vertes. Oui ces algues vertes qui jonchent certaines plages de la région et sont au coeur d’un scandale. Bref, ça ne sent pas très bon tout ça. Pour la commissaire Linguine fraîchement débarquée de Paris et affublée d’une coiffe bigoudène pour faire local, l’enquête ne sera pas des plus simples. Hilarant ! (La Mort est dans le pré, de David de Thuin et James. Delcourt. 9,95€)

Artiste plasticien vidéaste, Germain Huby a toujours dénoncé dans ses oeuvres les travers de notre société. C’est ce qu’il continue à faire ici avec sa deuxième bande dessinée baptisée Vivons décomplexés, un recueil d’histoires en une page, de l’humour grinçant, délirant, absurde, cynique, qui parle mine de rien d’écologie, de complot, de préservatifs à la framboise, d’impôt sur la fortune, d’éducation, de sexisme, de racisme, de harcèlement, d’astronaute misophone et même de la pandémie. (Vivons décomplexés, de Germain Huby. Delcourt. 12,50€)