25 Juin

Expatriées par Sandrine Aragon, Béatrice Cante, Isabelle Charpentier, Sandrine Halpin & Nathalie Mercier

Expatriées par Sandrine Aragon, Béatrice Cante, Isabelle Charpentier, Sandrine Halpin & Nathalie Mercier - Mon Petit Editeur

Elles sont cinq, ont en commun d’être femmes, françaises vivant à Londres et surtout d’aimer écrire. Elles se sont choisies, comme double d’auto-fiction littéraire, les prénoms de Sofia, Véronique, Hélène, Adèle et Juliette. Ne cherchez pas d’illustrations dans ce recueil de nouvelles ; il n’y pas de dessins, juste des mots ou plutôt des images nées de leur écriture, autant de bulles de souvenirs échappées de leurs voyages « intranquilles » autour du globe. Une fois n’est pas coutume, il s’agit d’un livre dont il est question sur ce blog consacré au 9e art : Expatriées publié chez Mon Petit Editeur.

L’intention, comme le murmure Sofia (Isabelle Charpentier) : « Ce serait un merveilleux souvenir, une oeuvre utile à toutes les femmes voyageuses, intranquilles, roseaux ballottés par les vents, mais toujours aussi fortes et résistantes au gré des expatriations. »

Sa prose suit les contours et le velours de la poésie du pays que son mari a choisi. L’Empire du Milieu, la Chine avec tous les fantasmes et les désirs qu’elle suscite. Au fil des mots de ce premier récit qui amorce l’ouvrage, sa vie solitaire dans l’une des mégalopoles les plus peuplées au monde se fait jour. La solitude est en effet l’autre point cardinal de toutes ces femmes au déracinement voulu ou subi.

Cette solitude est souvent liée à la perte d’un statut social, celui que leur donnait jusqu’à leur départ de France leur métier, qu’elles ont du abandonner en quittant l’hexagone pour suivre leur conjoint dans son nouveau poste. Un constat qui s’impose brutalement à Véronique (Sandrine Aragon), docteur en Lettres Modernes, lorsque sa banque résume ainsi sa situation : Housewife with no income, une femme au foyer sans revenu !!!

Avec un style proche de celui de Katherine Pancol (Les Yeux jaunes des Crocodiles), Véronique reprend alors l’idée qui l’avait animée à Lille : créer un atelier d’écriture. « Toutes ces femmes françaises doivent bien avoir des histoires étonnantes à raconter. Accoucheuse d’histoires, quel beau projet ! »

Out of the blue - c Christophe Lehénaff

Ce nouveau projet de vie, c’est Hélène (Béatrice Cante) qui en parle le mieux. Au travers du récit de son quotidien dans la capitale ultra moderne d’un pays désertique, le Qatar, elle traduit avec une grande sensibilité l’envers du décor du développement de nos pays riches. Similaire et pourtant si différente de l’expatriation, l’immigration est ici décrite avec justesse à travers deux portraits de femmes : celui d’une Ethiopienne, réduite en esclave moderne au sein d’une riche famille quatarie ; et celui d’une mère philippine, obligée de laisser derrière elle ses enfants pour trouver un travail à Doha et d’envoyer l’argent à sa famille pour les nourrir.

Après un divorce, Adèle (Sandrine Halpin) a quitté seule la France et c’est à Londres qu’elle a choisi de construire sa famille. Comme elle le revendique, sa nouvelle emprunte davantage à la fiction, un récit haut en couleur et en aventures bien racontées.

L’histoire de Juliette (Nathalie Mercier), en quête d’enfant, clôt le recueil,  en passant par la capitale des Pays Bas et la Roumanie, pour s’achever, comme chacune des cinq autres nouvelles, par la découverte salvatrice de l’atelier d’écriture.

Se souvenant des écrivains qu’elle invitait dans sa librairie française à Doha, Hélène déclare qu’elle a « toujours été curieuse de ces gens là, essayant de comprendre ce qui fait qu’un beau jour on passe de la lecture à l’écriture. »

Au final, ce recueil est une invitation réussie à franchir le pas de l’écriture ou c’est selon, une échappée belle pour découvrir une autre vie … Et pour vous, messieurs qui êtes à l’origine de ses vies d’expatriation, savoir reconnaitre ce qui se joue quand vous choisissez de partir avec famille et bagages vers une nouvelle aventure, sur une terra incognita …

Les Expatriées : Sandrine Aragon, Béatrice Cante, Isabelle Charpentier, Sandrine Halpin & Nathalie Mercier

Laisser un commentaire …

La BO à se glisser entre les oreilles pour prolonger le plaisir de ce voyage :

Ulysse et Calypso par Arthur H

Pour lire les premières pages : Mon Petit Editeur

17 Juin

L’Etranger par Jacques Ferrandez

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

L’Etranger de Camus par Jacques Ferrandez ou quand la BD retourne aux sources de la littérature avec brio. L’auteur, pied noir, connu pour ses Carnets d’Orient, Alger la Noire et son goût pour les adaptations d’œuvres littéraires. Pagnol, Benacquista, Pennac se sont déjà retrouvés transformés sous ses crayons, ou encore Camus, déjà, avec L’hôte (une nouvelle tirée de L’Exil et le Royaume) Un auteur pour lequel son sens du découpage et la beauté de ses aquarelles font merveilles.

« L’Étranger, c’est l’histoire d’un homme condamné à mort pour n’avoir pas pleuré à l’enterrement de sa mère. » aimait à répéter Albert Camus.

En cette année de célébration du centenaire de la naissance du prix Nobel 1957, Jacques Ferrandez s’attaque à nouveau à un de ses textes, certainement l’un des plus connus à travers le monde : L’Etranger. Et c’est loin d’être un hasard, puisque Ferrandez connait intimement Camus.

« Beaucoup de choses, et depuis longtemps en effet, me lient à Camus. Il me semble que j’ai grandi avec. Je suis né dans le quartier populaire de Belcourt, à Alger, et mes grands parents avaient un petit magasin de chaussures au 96 rue de Lyon. Albert Camus a passé toute son enfance et son adolescence au 93, en face. Ma grand-mère paternelle et sa mère étaient de la même génération. D’origine espagnole toutes deux, elles se connaissaient en tant que voisines. »

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

« Le trajet entre Belcourt et le Lycée Bugeaud, à l’autre bout d’Alger, que Camus raconte dans son livre Le premier Homme, mon père, qui a fréquenté le même lycée venant du même quartier, me l’avait raconté presque avec les mêmes mots. Son appartenance à l’Algérie, son déchirement au moment de la guerre d’Indépendance, tout cela me touche 
beaucoup. »

« Camus m’a beaucoup inspiré tout au long de mes Carnets d’Orient et, avant d’adapter L’Hôte, je lui avait déjà rendu hommage sous forme d’exergue dans mes précédents albums. Dans La Guerre fantôme, j’ai même mis en scène la séquence où Camus lance à Alger son appel à la trêve civile, en janvier 1956 …»

« Aujourd’hui, maman est morte. … ou peut-être hier, je ne sais pas … »

Difficulté première : comment faire avec le long monologue de Meursault, le personnage central de L’Etranger ? Jacques Ferrandez choisit de faire dialoguer son personnage avec les autres protagonistes, mais tout en revendiquant de ne pas avoir pris un seul mot qui n’appartienne à Camus.

La seconde difficulté a été de donner un visage à un héros de la littérature dont la célébrité dépasse le cadre géographique de la France.

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

« Impossible de ne pas reprendre le célèbre incipit du roman : “Aujourd’hui, Maman est morte.” Mais je ne savais pas comment l’installer dans le récit. Je ne souhaitais pas garder de voix off : c’est de la bande dessinée, il faut dialoguer les situations pour les rendre vivantes. J’ai donc dû trouver une astuce. Albert Camus m’a fourni la solution : son héros s’assoupit dans le bus, quelques pages plus loin. J’ai profité de cette situation pour opérer un retour en arrière dialogué, et conserver ensuite cette forme de narration. J’ai choisi de faire de Meursault un homme jeune. Pour moi, L’Etranger est un roman sur la jeunesse, il pointe un refus du mensonge et des règles de la société. J’ai pensé à James Dean ou Gérard Philipe pour créer mon héros. Comme je dessine l’intrigue au fur et à mesure, mon trait évolue : au début, je cherche mes personnages, je peine à les rendre ressemblants d’une case à l’autre. Cela va finalement bien à Meursault, qui est si difficilement cernable… » (propos recueillis par Télérama)

Ses aquarelles lumineuses restituent élégamment des paysages écrasés de chaleur, où se déroule un drame sourd : l’indéchiffrable Meursault a tué un homme, et va être condamné à mort. Mais le jury est-il plus sensible à cet assassinat, ou à l’indifférence affichée de l’accusé lors de l’enterrement de sa mère ?

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

Cette intention de mettre en scène « l’absurde » est parfaitement retransmise par l’adaptation. Surtout, elle n’étouffe jamais le texte et laisse l’œuvre de Camus respirer. Tout les questions que se posent cet étranger à soi et au monde sont là : l’amour, Dieu, la famille, la morale, celles-là même sur lesquelles sont fondées nos sociétés.

L'Etranger par Jacques Ferrandez - Gallimard

Le soleil d’Algérie, les plages de Tipaza, les rues d’Alger, la lumière aveuglante avant le drame d’une noirceur insondable. Tout est là dans chacune des planches de Ferrandez, la chaleur étouffante, l’atmosphère et les décors chers à Camus.

Jacques Ferrandez - Photo (c) Isabelle Franciosa

« Je me suis amusé à faire des clins d’œil : le procureur ressemble fort à Jean-Jacques Brochier, un intellectuel parisien dans la mouvance de Jean-Paul Sartre, qui avait qualifié Albert Camus de « philosophe pour classe de terminale ». Et j’ai fait à Céleste – le patron du restaurant où Meursault a ses habitudes – la tête de William Faulkner, pour lequel Camus avait beaucoup d’admiration. Un peu plus loin, j’ai transformé Sartre en journaliste agressif venu de Paris… Une façon de venger Camus, en quelque sorte ! » (propos recueilli par Télérama)

Bref  Jacques Ferrandez confirme son statut majeur dans le monde du 9ème art. Cette bande dessinée est une des plus grandes réussites en la matière, une adaptation qui donne envie de relire l’œuvre de Camus et plus…

Laisser un commentaire …

La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Killing an arab par The Cure (chanson inspirée du roman de Camus et très mal comprise à l’époque de sa sortie en 1978)

Pour en savoir plus sur Jacques Ferrandez

Pour lire les premières planches : Gallimard

Le point de vue le presse spécialisée : BDgest PlanéteBD Télérama

27 Oct

Le magasin des Suicides d’Olivier Ka & Domitille Collardey – Delcourt

Le Grand Paris de la BD n°2

Ne cherchez pas, une boutique comme celle ci vous ne la trouverez pas sur les Champs Elysées, quand bien même, si pour les grecs anciens, ces champs étaient une succursale des enfers. Ils considéraient même le suicide comme une souillure. L’iconoclaste romancier Jean Teulé sait nous surprendre, avec lui, le suicide devient une activité commerciale fort lucrative. Depuis 10 générations, la famille Tuvache propose des kits pour finir sa vie, succès garanti. « Le Magasin des Suicides » est le livre le plus vendu de son auteur Jean Teulé, traduit en 19 langues, un auteur qui s’est aussi fait connaître avec ses bandes dessinées à base de photos retouchées. Cette fois ci ce n’est pas lui qui est au pinceau, et cet album n’est pas d’avantage une déclinaison papier de l’adaptation papier du film d’animation adapté par le cinéaste Patrice Leconte, lui aussi auteur de BD à ses débuts.

Le magasin des suicides planche 3

C’est en fait à l’auteur de inspiré de « Pourquoi j’ai tué Pierre » Olivier Ka que l’on doit cette version BD. Les gags mis en cases font toujours autant mouche : « Vous avez raté votre vie ? Réussissez votre mort ! » L’humour est servi noir : « Payer à crédit ? Vous plaisantez ! Pourquoi pas une carte de fidélité ! » Mais n’y voyez pas une ode au suicide, bien au contraire, sous le crayon de Domitille Collardey, Alan le dernier né de la famille Tuvache prend vie en couleur. Ses parents ont choisi son prénom en hommage à Alan Turing, un suicidé célèbre considéré comme le père fondateur des premiers ordinateurs à qui Apple pourrait rendre hommage avec sa pomme croquée. Mais Alan est très différent de son frère Vincent (référence au peintre suicidé Van Gogh) et de sa sœur Marilyn (Monroe). Lui est dessiné en couleur, quand eux sont sombres et suicidaires, lui est plein de vie et va bousculer toute la vie de la famille. Ce qui n’est vraiment pas bon pour les affaires. Le dessin suit se bouleversement et le cadre des cases disparaît, la mise en planche rappelle la liberté dont faisait preuve Winsor McCay pour « Little Nemo ».

Alors si cette nouvelle version du « Magasins des suicides » convainc par son invention graphique, le scénario démarre fort avec la reprise du catalogue drôle des mille et une façons de mourir, mais cela ne suffit pas à compenser la faiblesse de la seconde partie. Reste ce qui fait la force du roman : une invitation à vivre.

Laisser un commentaire …

La BO à se mettre entre les oreilles pour prolonger le plaisir de cette BD :

Dominique A « Rendez nous la lumière » de l’album « Vers les lueurs »

Pour découvrir les premières planches de l’album :

Editions Delcourt

Le point de vue de la presse spécialisée

bdgest.com

actualitte.com/critiques-bd

sceneario.com/bd

La bande annonce du film de Patrice Leconte sortie en salle mercredi 26 sept 2012 :