08 Avr

Bravo les brothers, de Franquin et Jidéhem. Editions Dupuis. 24 euros.

C’est un petit bijou que les éditions Dupuis ont exhumé de leurs archives. Un bijou signé André Franquin et Jidéhem, intitulé Bravo les brothers. Certains me feront remarquer très justement que ce récit a déjà été publié en album, mais jamais dans un tel écrin et avec autant d’attention. Cette nouvelle édition à dos rond propose en effet une version recolorisée et remasterisée. Mais ce n’est pas tout ! L’histoire d’une vingtaine de pages est accompagnée d’un dossier réunissant les planches originales en fac-similés, des dessins inédits et les commentaires planche à planche de José-Louis Bocquet et Serge Honorez.

Bravo les brothers serait dit-on l’histoire préférée d’André Franquin, peut-être parce qu’elle réunit trois personnage emblématiques de son oeuvre, à savoir le tandem Spirou et Fantasio dont il a repris la destinée en 1946, et le mythique garçon de bureau Gaston Lagaffe, pure création de l’auteur contrairement aux deux précédents. Et c’est une histoire à 100 à l’heure qui nous est ici contée, une histoire qui nous plonge au coeur de la rédaction du journal Spirou. Pour fêter l’anniversaire de Fantasio, Gaston Lagaffe a eu la fabuleuse idée d’acheter un trio de singes savants à un cirque en faillite… Une histoire aussi folle que bestiale à découvrir ou à redécouvrir toutes affaires cessantes ! E.G.

04 Avr

Le Dernier homme, L’extravagante comédie du quotidien (tome 3), de Grégory Mardon. Editions Dupuis. 18 euros.

Grégory Mardon est de retour. Et avec lui un personnage récurrent dans son oeuvre, comme Antoine Doinel dans celle de François Truffaut (voir Corps à corps, Incognito…), un personnage trentenaire, cette fois célibataire et timide. Maladivement timide ! Au point d’être totalement paralysé à l’idée même d’aborder une femme. Combien de fois est-il ainsi passé à côté d’une belle aventure ? Trop. Beaucoup trop. De quoi le regretter amèrement quand la solitude se fait sentir et que sa sexualité se limite à la visite de quelques sites de charme sur le net. Mais un beau jour, Jean-Pierre décide de passer à l’action, de devenir enfin maître de son destin, de sa vie amoureuse. Le voilà donc distribuant à de jeunes inconnues croisées dans la rue un petit mot leur proposant de le rencontrer. Et ça marche ! Matilda, Valérie, Véréna, Isabelle, Elisa, Jennifer, Kadidia, Gladys, aaahh Gladys… et d’autres encore dont on ne connaîtra jamais le prénom répondent positivement à sa proposition. Jean-Pierre à maintenant l’embarras du choix. Et la difficulté est de se décider pour l’une ou l’autre…

Après Les Poils et C’est comment qu’on freine, Grégory Mardon poursuit son exploration de L’Extravagante comédie du quotidien, titre de cette fameuse trilogie aujourd’hui bouclée, avec toujours autant de singularité, de personnalité, de tendresse, de drôlerie, de poésie, de légèreté et de gravité aussi à certains moments. Son trait toujours aussi juste, élégant, souple, nous rappelle forcément le travail d’un Blutch ou encore celui du tandem Dupuy-Berberian. Un récit à la fois intimiste et universel sur la solitude, l’amour, les hommes, les femmes, la vie en somme. Un album à dévorer  ! E.G.

02 Avr

L’affaire Sugaya, de Hiroshi Takano et Kenichi Tachibana. Editions Delcourt. 7,95 euros.

L’homme qui sort de la prison de Chiba en ce matin du 4 juin 2009 est attendu par des dizaines de journalistes. Rien d’étonnant, Toshikazu Sugaya – c’est son nom – vient de passer des années en prison pour une série de meurtres sordides qu’il a avoué mais pas commis. Une erreur judiciaire. La plus grande erreur judiciaire du Japon ! Et parmi les journalistes présents ce jour-là se trouve celui qui est à l’origine de la révision de son procès et donc de sa libération : Kiyoshi Shimizu. Il n’a jamais cru en sa responsabilité. A l’époque des faits, le journaliste était sur la piste d’un tueur en série jusqu’au moment où Toshikazu Sugaya passa aux aveux… sous la torture. Profitant d’un programme spécial et ambitieux lancé par son entreprise, la chaîne de télévision NTV, Kiyoshi Shimizu entreprit une longue et minutieuse contre-enquête qui aboutit donc à la réouverture du  dossier Sugaya et à la démonstration du dysfonctionnement de la justice japonaise.

C’est une histoire vraie que racontent Hiroshi Takano, habitué des récits engagés et politiques, et Kenichi Tachibana que l’on présente comme l’un des mangakas les plus prometteurs de sa génération. Une histoire vraie et captivante à découvrir dans son sens de lecture original. E.G.

01 Avr

Pierre Goldman, La vie d’un autre, d’Emmanuel Moynot. Editions Futuropolis. 24 euros.

Paris, le 20 septembre 1979. Il est midi trente. Un homme vient d’être abattu en pleine rue dans le 13e arrondissement. Son corps gît encore sur le trottoir qu’un commando signant « Honneur de la police » revendique déjà l’assassinat. Cet homme s’appelle Goldman, Pierre Goldman. Un nom qui ne dit absolument rien à la plupart des gens aujourd’hui si ce n’est associé au prénom Jean-Jacques, célèbre compositeur de musique, en l’occurrence son demi-frère. Sa mort fera pourtant la Une du journal Libération le lendemain et son cercueil sera suivi quelques jours plus tard par une foule composée de plusieurs milliers d’anonymes et de quelques célébrités. Parmi elles, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Régis Debray, Daniel Cohn Bendit, Bernard Kouchner… Mais qui était donc Pierre Goldman ? Un intellectuel ? Un truand ? Un militant d’extrême gauche ? Un écrivain ? Un guérillero ? Un meurtrier ? C’est ce que nous propose de découvrir Emmanuel Moynot dans cet album qui débute au moment même de l’assassinat avant de remonter le temps et de nous exposer le cheminement de cet homme au destin particulier.

Et qui mieux que Pierre Goldman pour parler de Pierre Goldman ? Dans ce récit, Emmanuel Moynot a en effet choisi de placer le personnage central en narrateur de sa propre histoire. On est de fait au plus près de lui lors de son voyage à Cuba, lors de son séjour au Venezuela où il rejoindra un groupe de révolutionnaires. On revit son implication militante, ses procès qui le condamnèrent à perpétuité pour meurtres avant qu’il ne soit acquitté. On le suit en prison, on est là lorsqu’il est libéré et ainsi de suite… Mené comme une enquête, le récit d’Emmanuel Moynot est entrecoupé d’entretiens avec des amis de Pierre Goldman, des avocats ou journalistes qui reviennent sur cette époque et nous éclairent sur le personnage. Enfin, en annexe, des textes signés Jacques Rémy et Wladimir Rabi, parus dans la revue Les Temps modernes, reviennent sur son assassinat et son séjour en prison. Un livre très dense, très bien construit, sur un destin romanesque qui, comme l’explique l’auteur dans l’interview vidéo ci-dessous, marque peut-être la fin d’une période, la fin de l’après 68, la fin d’un engagement politique radical ! E.G.

L’info en +

A découvrir le reportage télévisé de l’époque sur l’enterrement de Pierre Goldman ici-même ! Et ci-dessous une interview d’Emmanuel Moynot réalisée par l’éditeur Futuropolis.

25 Mar

Saison brune, de Philippe Squarzoni. Editions Delcourt. 27,95 euros.

C’est un livre riche, dense, qui pourra même paraître âpre à certains. Son titre tout d’abord : Saison brune. Il fait référence à une cinquième saison du côté du Montana, une saison coincée entre l’hiver et le printemps. C’est un indice ! Son auteur ensuite. Philippe Squarzoni. Il a été révélé à un public averti par un dytique paru au début des années 2000 aux Requins Marteaux : Garduno en temps de paix et Zapata en temps de guerre. Dans ce récit, Philippe Squarzoni livre la chronique d’un jeune auteur de bandes dessinées, militant d’Attac, qui s’interroge sur l’état du monde et tente de définir son engagement. Relevant à la fois du documentaire, de l’autobiographie, de l’essai et de la réflexion politique, ce récit en annonce d’autres comme Torture blanche, Crash-text ou Dol. Engagé jusqu’au bout de la plume et des pinceaux, Philippe Squarzoni parle dans ce dernier livre du réchauffement climatique.

« Lorsque j’ai commencé à travailler sur le réchauffement… », confie l’auteur dans une interview réalisée par l’éditeur, « il s’agissait simplement de compléter un des chapitres de Dol, mon précédent ouvrage politique, et d’évaluer l’action de la droite sur les questions d’environnement. Mais assez rapidement, en commençant à me documenter, j’ai réalisé à la fois la gravité du dérèglement climatique que nous avons enclenché, et l’ampleur des changements à effectuer pour éviter les conséquences les plus graves du réchauffement ».

Résultat : un récit de près de 500 pages dans lequel l’auteur nous interpelle, nous alerte, sur l’état du phénomène, ses conséquences, les solutions envisageables, les responsabilités des uns et des autres… Un travail colossal, mené en six ans, un travail à la fois de recherche, de documentation, d’analyse, de rencontre, et de mise en images car Saison brune est bien une bande dessinée. Et de ce côté là, Philippe Squarzoni nous démontre une fois encore sa maîtrise parfaite de la narration et du dessin mais aussi la capacité du médium à faire passer un message. Un auteur militant, une enquête rigoureuse, un album passionnant ! E.G.

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L’info en +

A l’occasion de la parution de Saison brune le 28 mars, les éditions Delcourt rééditent les principaux albums de Philippe Squarzoni publiés jusqu’ici aux Requins marteaux, à savoir Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre, Dol et Torture blanche.

24 Mar

Woogee (intégrale), de Benn. Editions Dargaud. 38 euros.

Des quartiers ultra-pauvres de Brooklyn aux usines à rêve d’Hollywood, il y a un fossé, un gouffre même, que Woogee n’a pas hésité à franchir. Arrivé dans la Cité des Anges sans un sou, cet adolescent aux airs de poulbot est bien décidé à faire carrière dans le cinéma. Et Pour arriver à ses fins, il est prêt à tout, y compris à jouer les hommes à tout faire sur les plateaux de tournage… en attendant peut-être de jouer un jour les jeunes premiers devant la caméra. Et Woogee est plutôt satisfait de son sort, content jusqu’au moment où une vieille connaissance se rappelle à lui, un policier de New York détenteur d’un mandat d’arrestation…

Ecrites et publiées dans les années 90, les aventures de Woogee nous plongent de très belle manière dans l’atmosphère des années 40 à New York et Hollywood. Le trait nerveux et réaliste de Benn (Mic Mac Adam, Elmer et moi...), trait que l’on voit s’affirmer ici au fil des pages, fait toujours bonne impression. Cette intégrale réunit les quatre tomes parus ainsi qu’un cahier graphique d’une dizaine de pages intitulé « les extras de Woogee » et contenant de très belles illustrations inédites… E.G.

21 Mar

Les Monstres de Mayuko, de Marie Caillou. Editions Dargaud. 19,95 euros.

Nous l’avions découverte en tant que dessinatrice sur l’album La Chair de l’araignée et, déjà, nous relevions la qualité de son travail. Marie Caillou nous revient cette fois en tant que dessinatrice ET scénariste sur un album tout simplement éblouissant, publié aux éditions Dargaud. Eblouissant sur le plan graphique tout d’abord avec ce trait particulièrement soigné, méticuleux, poétique, minimaliste, ces formes géométriques rondes qui agrémentent notamment les premières pages et une palette de couleurs étonnante allant du orange au vert-pomme en passant par le gris-bleu. Eblouissant ensuite sur le plan narratif et scénaristique, Les monstres de Mayuko est un conte onirique qui nous plonge dans le folklore japonais en compagnie d’une petite fille, Mayuko, et de ses meilleurs amis, deux statuettes de jardin qui prennent vie dans ses rêves aux côtés de créatures fantastiques. C’est beau, tellement beau qu’on n’ose à peine poser les doigts sur les planches ! E.G.

Rencontre avec Eric Borg, scénariste de Sidi Bouzid kids aux éditions KSTR

Connu dans le milieu du Neuvième art pour avoir lancé le magazine Zoo aujourd’hui diffusé gratuitement dans une grande enseigne culturelle, Eric Borg vient de publier avec Alex Talamba au dessin un récit sur la Révolution tunisienne qui, comme beaucoup d’entre-nous, l’a profondément marqué. D’autant que, comme nous le découvrirons dans cette interview, la vie d’Eric Borg est intimement liée à ce pays. Rencontre…

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Quand et comment vous est venue l’idée de ce livre ?

Eric Borg. Je suis né et ai vécu mes dix premières années en Tunisie, je suis donc naturellement interpellé par ce qui s’y passe. J’étais concerné depuis longtemps par l’absence de réelle démocratie et par les abus policiers en Tunisie (et ce même avant Ben Ali, sous Bourguiba) et aussi par la corruption gigantesque qu’y faisait régner le clan Trabelsi, famille de l’épouse de Ben Ali. J’ai donc suivi de très près les événements qui ont suivi le 17 décembre 2010, jour de l’immolation de Bouazizi à Sidi Bouzid (dont ma compagne est native), cette petite ville oubliée du centre de la Tunisie qui passera à la postérité comme le berceau du printemps arabe. J’ai commencé à conserver les photos et toutes les petites vidéos postées sur le Net, filmées avec des téléphones portables, montrant les premières manifestations à Sidi Bouzid, puis à Kasserine, les exactions policières, les snipers… J’avais sans doute dans l’idée un projet à partir de ça, mais c’était très vague : documentaire, film de fiction, BD… ? La question ne se posait pas vraiment. J’archivais de toute façon, pour constituer un corpus de témoignages, craignant que ces vidéos ne soient rapidement censurées par le pouvoir et disparaissent à jamais. Ma décision d’en faire une BD s’est concrétisée avec la découverte du dessin d’Alex Talamba, dans une compilation de jeunes auteurs roumains proposée à Angoulême en 2011. Un coup de crayon extraordinaire, suffisamment réaliste tout en étant très dynamique et très expressif, le style parfait pour traduire ce récit en images.

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Est-ce qu’un an suffit selon vous pour avoir assez de recul par rapport aux faits et proposer un récit globalement objectif ? D’ailleurs était-ce vraiment le but pour vous de proposer un récit objectif ?

E.B. 9 mois même… effectivement c’est un exercice délicat. Le recul sur la situation de dictature et sur la nature policière et corrompue du régime était suffisant. Pour les événements de décembre et janvier, je me suis énormément documenté pour approcher le plus possible la vérité des faits. J’ai écrit fin janvier 2011 une première version de l’histoire, que j’ai affinée dans les semaines et les mois qui ont suivi, améliorant la narration et corrigeant certaines parties à la lumière de nouvelles révélations journalistiques ou judiciaires. Dans cette période très passionnelle, les rumeurs vont vite et se contredisent sans cesse, il faut donc croiser le maximum de sources pour arriver à y voir plus clair… Mais je n’utiliserai pas le mot « objectif », tout récit, même basé sur l’histoire ou le reportage, porte un regard forcément subjectif, cela passe par le prisme de nos sensibilités et de nos opinions. En outre, mon récit est une fiction (Foued, Lotfi, Anissa et Ali sont inventés et n’ont donc jamais connu Mohamed Bouazizi), mon souci était de veiller à ce que tout soit « vraisemblable » et sincère… La fiction laisse une grande liberté théorique, mais il faut savoir l’utiliser, il y a tout le temps des choix à faire, par exemple dans le cas de la fameuse gifle de la policière qui aurait été la cause de l’immolation de Bouazizi. Malgré la disculpation de la policière de cette accusation par la justice, j’ai choisi de conserver cette version car je la trouvais à la fois représentative de la réalité policière et, de manière plus sous-jacente, symptomatique de ce qui allait se passer après la révolution, avec l’islamisme et sa vision de la femme qui trouveront un écho très favorables dans la société tunisienne… J’ai d’ailleurs souhaité dévoiler en partie l’utilisation de mes sources documentaires dans une postface de l’album.

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Vous reconnaissez avoir joué avec la réalité notamment dans les passages mettant en scène le clan Ben Ali. Pouvez-vous nous expliquer ce parti pris ?

E.B. Plus le pouvoir est autoritaire et dictatorial, plus il se cache. Il est nécessaire de le démasquer, de le remettre à sa place, d’opposer la satire à la propagande. C’est ce que font les caricaturistes, en Tunisie le cyber-dessinateur Z a brillamment œuvré en ce sens depuis des années, avec un sens de la provocation assez unique. Mais ma démarche n’était pas tout à fait la même : l’idée était de montrer ce couple de tyrans dans la débâcle de façon naturaliste, en gardant une certaine mesure, avec ce souci de la vraisemblance qui a toujours été le mien : frapper « juste », plutôt que frapper fort. En ce qui concerne la drogue, par exemple, deux kilos de stupéfiants ont bien été retrouvés au Palais de Ben Ali. L’imagination a simplement aidé une documentation forcément assez limitée…

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Découvrez la chronique de l’album ici-même

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Avez-vous des retours de Tunisiens ayant lu votre ouvrage ? Et quelles sont leurs réactions ?

E.B. J’ai eu encore peu de réactions des Tunisiens, le livre vient de paraître en France à l’heure où je vous écris. Mais en tous cas, le projet a éveillé leur intérêt, d’autant plus que la bande dessinée est un moyen d’expression encore peu développé en Tunisie et dans le monde arabe en général.

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Qu’avez-vous ressenti au moment de la révolution tunisienne ? Comment avez-vous vécu l’événement ?

E.B. Passionnément… J’ai suivi les événements 24h sur 24, sur Facebook relayé par les chaînes satellitaires comme Al Jazeera mais aussi sur la télé nationale tunisienne (TV7) avec les discours de Ben Ali et sa propagande éhontée relayée par des journalistes aux ordres. Peu à peu la révolte s’amplifiait et le régime découvrait de plus en plus son vrai visage, celui que ne voulaient pas voir les politiciens français, de Frédéric Mitterrand à Michelle Alliot-Marie, celui d’une dictature barbare. Le 14 janvier a été une journée incroyable. Voir cette foule de Tunisiens, hommes, femmes, enfants, vieillards, avocats en robes… rassemblés devant le ministère de l’Intérieur à crier à Ben Ali «  Dégage ! », était complètement surréaliste et très émouvant. Il faut savoir qu’habituellement, il était interdit de marcher sur le trottoir devant le bâtiment du ministère avenue Bourguiba, il fallait traverser pour passer sur le trottoir d’en face ! La fuite de Ben Ali le 14 janvier était digne des scénarios les plus fous, comme la cerise sur un « gâteau » déjà grandiose !

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Comment jugez-vous l’évolution du pays aujourd’hui ?

E.B. Je suis déçu… comme beaucoup de Tunisiens, mais sans doute pas la majorité puisque cette majorité a voté pour les islamistes. Pour l’instant, dans le monde arabe, que ce soit en Tunisie, en Egypte, en Lybie… la seule alternative à la dictature policière ou militaire semble être pour l’instant la religion… C’est évidemment néfaste pour la modernité, la liberté, les droits de l’homme et surtout de la femme… qui étaient (et sont encore, mais pour combien de temps) bien plus avancés en Tunisie que dans les autres pays arabes.

Mais si le processus démocratique est respecté, la situation actuelle est néanmoins un progrès par rapport à la situation antérieure, car le combat des idées est aujourd’hui possible. Même s’il est inégal. Ennahda et le courant islamiste bénéficient d’un évident soutien des émirats arabes comme le Qatar, et déjà depuis de nombreuses années, par l’intermédiaire des chaînes satellitaires islamiques. Le Qatar est même soupçonné de financer directement le parti au pouvoir en Tunisie.

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Quel est pour vous le premier rôle de la bande dessinée ? Le divertissement ? L’information ?

E.B. Bénéficiant d’une force expressive et émotive comparable à celle du cinéma (ce qui explique son succès auprès de la jeunesse), le récit de bande dessinée peut bien sûr avoir aussi un rôle pédagogique, notamment sur cette jeunesse. Avec un avantage énorme sur le cinéma: la BD peut se faire avec des moyens financiers bien moindres et donc une indépendance et une liberté plus grandes.

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Quel regard portez-vous sur la production actuelle et notamment sur la bande dessinée reportage ?
E.B. J’avais justement lu le court reportage BD de Chapatte sur la révolution tunisienne, que j’avais trouvé excellent. Mais je ne lis malheureusement plus beaucoup de BD depuis que j’en fais…

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Quel a été votre premier coup de cœur BD et quelle a été son influence sur votre parcours professionnel, sur votre travail de scénariste, sur cet album ?

E.B. J’ai été un très gros consommateur de BD dans mon enfance et mon adolescence. Je lisais tous genres de récits, tout me passionnait.

Si je devais un peu artificiellement n’en citer que quelques uns : des classiques comme Tintin, Corto Maltese, mais aussi des « séries B » comme Zembla et Bibi Fricotin… Toute la production de super héros Marvel avec le magazine Strange. Puis bien sûr la « nouvelle BD » initiée par le magazine Pilote que je vénérais et poursuivie par les revues Métal Hurlant, l’écho des savanes, A Suivre : Moebius, Mandryka, Serge Clerc, Ted Benoit, Manara, Tardi… Mais j’oublie sans doute les plus importants ! Plus récemment ce sont les mangas en général qui m’ont le plus impressionné, avec ses deux figures tutellaires Tezuka et Taniguchi en particulier.

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Vos projets ?

E.B. En mai prochain paraîtra le tome 2 de « Rocher Rouge », une série d’aventure-horreur, avec cette fois-ci Renart au dessin (après Michaël Sanlaville). En août 2012, « Crematorium », un thriller psychologique très sombre et émouvant, je l’espère, dessiné par Pierre-Henry Gomont.

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Interview réalisée par mail le 19 mars 2012 – Eric Guillaud

Illustrations extraites de Sidi Bouzid kids – Alex Talamba & Eric Borg

18 Mar

Haddon Hall, Quand David inventa Bowie, de Néjib. Editions Gallimard. 19 euros.

Haddon Hall est une vielle demeure de la banlieue londonienne vouée à l’oubli et à l’ennui. Jusqu’au jour où débarque dans ses murs un jeune couple, Angie et David, bientôt suivi d’une ribambelle de jeunes garçons et filles, vaguement hippies. Du bruit, de la musique, des rires, de l’amour, des jalousies… la vieille maison sort de sa torpeur et nous raconte sa nouvelle vie. Une vie d’autant plus passionnante que le David  en question n’est autre que David Robert Jones, alias David Bowie, bientôt star planétaire. Mais pour l’instant, David n’est qu’un musicien à la recherche d’un style, d’une personnalité. « N’essayes pas de devenir une star… », lui dit un jour son producteur Tony Defries, « sois une star! ». Il suivra le conseil à la lettre et le deviendra quelques mois plus tard…

Pour sa première incursion dans le monde du Neuvième art, Néjib signe un album pour le moins original, tant sur le plan narratif que graphique, avec une maison, Haddon Hall, qui se fait narratrice, des planches totalement exemptes de vignettes et des couleurs flashies, rose, bleu, jaune… Malgré tout, la lecture de l’ouvrage est totalement fluide, logique, et l’histoire forcément passionnante, captivante, et pas seulement pour les amoureux de Bowie. Plus qu’une simple virée psychédélique dans l’univers rock de la fin des années 60 et du début des années 70, l’album de Néjib nous propose une réelle expérience de lecture. Un récit qui se prêterait fort bien à une adaptation cinématographique !  E.G.

Buck Danny Intégrale (tome 5), de Hubinon et Charlier. Editions Dupuis. 24 euros.

65 ans et pas une ride. Ou presque ! Grâce aux éditions Dupuis et à cette très belle réédition en intégrale, les aventures de Buck Danny, personnage ô combien mythique de la bande dessinée franco-belge, continuent d’accompagner nos rêves de gosses. Même si tous les lecteurs ne sont pas devenus pilotes de chasse en grandissant, beaucoup ont gardé de leurs lectures de jeunesse le goût de l’aéronautique et plus largement de la mécanique. Et après le ciel de Corée, objet d’un cycle réunissant plusieurs albums (Avions sans pilotes, Ciel de Corée, Un Avion n’est pas rentré et Patrouille à l’aube), direction le cercle polaire où notre super héros devait affronter cette fois encore de terribles ennemis que le Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence interdisait à l’époque de nommer. Le contexte de guerre froide laissait cependant peu de doute quant à leur identité. Et parmi ces méchant, une femme, la mystérieuse Lady X qui faisait là sa première apparition dans les aventures du grand Buck. Ce cinquième tome de l’intégrale réunit donc les trois aventures qui forment le cycle polaire, NC-22654 ne répond plus, Menace au nord et Buck Danny contre Lady X, ainsi que le traditionnel dossier qui revient sur le contexte de création des épisodes, illustrations, photos et documents d’époque à l’appui. Un grand classique à découvrir ou redécouvrir ! E.G.