22 Juin

Mojo, de Rodolphe et G. Van Linthout. Editions Vents d’ouest. 20 euros.

Dans la vie, certains naissent avec un mojo obscur, d’autres avec un mojo lumineux, traduisez qu’il naissent sous une bonne ou sous une mauvaise étoile. Au moment d’enterrer son pote Charley, un gars justement né sous le signe de la poisse, Slim Whitemoon se dit qu’il a finalement un bon mojo et qu’il serait peut-être temps d’en profiter, de quitter sa misérable terre natale pour devenir une star. C’est pour ça que lui et sa guitare ont un beau jour pris la tangente comme il dit. Direction Chicago où son talent de bluesman allait forcément être reconnu. Il deviendrait alors riche, graverait de nombreux disques et pourrait enfin s’acheter ce costume et ces chaussures bicolores dont il rêve depuis si longtemps. Mais la route va se révéler malheureusement plus sinueuse que prévue, Slim passant des juke-joints les plus minables (clubs blues du Mississippi) aux scènes les plus prestigieuses et vice-versa. Un destin chaotique, fait de petits larcins, de séjours en prison, de filles, de beuveries, de vagabondage, de succès, de solitude et de rencontres magiques avec quelques légendes du blues, Blind Lemon Jefferson, Sonny Boy Williamson ou encore Robert Johnson…

Sur plus de 180 pages d’une somptueuse signature graphique, Mojo nous raconte le destin incroyable de cet homme qui a vécu pour le blues. Serait-ce une biographie ? Non ! Une fiction ? Pas tout à fait non plus ! Car Slim Whitemoon n’a pas existé. Mais aurait très bien pu exister ! « Avons-nous inventé pour autant ? Sûrement pas ! », précisent les auteurs,« L’essentiel du parcours de Slim est au contraire tout ce qu’il y a de véridique, d’authentique, d’historique : de l’évocation de sa naissance, à l’orée d’une gigantesque plantation de coton dans le haut du Delta du Mississipi, à son arrivée à Chicago sans un sous vaillant […] en passant par le quotidien âpre et souvent sordide des noirs… ». Et de fait, le scénariste Rodolphe qui a d’ailleurs consacré un ouvrage au bluesman Blind Lemon Jefferson, paru aux éditions Nocturne , et le dessinateur Georges Van Linthout (La Nuit du lièvre, Conquistador…) nous offrent bien plus qu’un simple portrait de bluesman. Mojo est une plongée sans concession dans l’Amérique du début du XXé siècle, une Amérique riche et misérable à la fois, libre et ségrégationniste, terreau d’une musique universelle : le blues. Un ouvrage magnifique, un récit passionnant, un personnage hors norme, une atmosphère qui donne envie d’approfondir nos connaissances sur le blues… E.G.