23 Mar

L’Institution, de Binet. Editions Fluide Glacial. 9,95 euros.

« J’ai six ans. Avant, j’étais dans une école de filles, mais la loi est formelle, au delà de six ans, les garçons doivent quitter les écoles de filles. Il y a bien l’école mixte du village, mais l’instituteur est communiste et papa pense que seule une école religieuse peut donner à des jeunes gens une éducation convenable… » Ainsi commence L’Institution, un album signé Christian Binet, paru en 1981 et aujourd’hui réédité en version remasterisée chez Fluide Glacial. A cela, une seule et bonne raison : faire découvrir ou redécouvrir une petite perle cachée de la bibliographie de l’auteur ! Le célèbre créateur des Bidochon mais aussi des Impondérables, de Kador ou encore de Monsieur le Ministre raconte ici ses années de pension à l’institution Notre-Dame et ailleurs, des années qu’il reconnaît comme les plus importantes de sa vie : « Ce sont celles qui m’ont façonné, qui m’ont recouvert d’une épaisse croute opaque et résistante au temps. Aujourd’hui, à force de patience et après de nombreux lavages au détergent, le vernis a craqué et ma vraie peau a réapparu ». Une école de la vie en somme, une école difficile où la religion est omniprésente, étouffante, plombante, la discipline sévère, la solitude toujours insupportable. Oeuvre sensible et attachante, L’Insitution permit à Christian Binet, qui avait alors la trentaine, de raconter à sa façon, avec  l’ironie qu’on lui connait, une foule d’anecdotes tantôt drôles, tantôt graves, qui l’ont en tout cas marqué pour le restant de sa vie. Et de faire un peu le ménage ! « C’était un peu la conclusion d’une sorte d’autothérapie, le seul bouquin expiatoire de toute ma carrière. Je voulais me débarrasser de ces mauvais souvenirs tout en faisant rire les lecteurs de Fluide. Ça m’a permis de régler quelques casseroles. Je dois d’ailleurs avouer que le décès de mon père m’a permis de me libérer de ce poids : je ne suis pas certain que j’aurais osé raconter tout cela s’il avait encore été en vie à l’époque. Et, de manière générale, je ne suis pas certain qu’il aurait apprécié que je travaille dans des journaux comme Fluide Glacial. Il me destinait plutôt à la bonne presse catholique. C’est même lui qui prenait les rendez-vous à ma place avec les rédactions, c’est dire l’ascendant qu’il avait sur moi… Cela étant, c’est difficile, quand on fait de l’humour, de dévoiler des histoires graves et personnelles. Je crois être arrivé à un bon mélange… ». Trente années après sa première publication, L’Institution reste étonnament très actuel, tant dans le fond que dans la forme. Un album surprenant ! E.G.