Dans à peine plus d’un mois, les citoyens de 474 communes de notre région seront appelés aux urnes. En période de déconfinement et alors que le coronavirus rôde encore, nombreux sont ceux qui redoutent une abstention record. Mais les votes par internet, par correspondance, ou la simplification des procurations sont-ils pour autant la solution pour redynamiser la vie démocratique ?
Premier tour des élections Municipales à Toulouse, le 15 mars dernier. Photo MaxPPP Michel Viala.
Face à la crise sanitaire « le vote par correspondance est la solution » affirme Laurent Hénard, le maire de Nancy dans une tribune publiée dans le Journal Du Dimanche. Mais pour la première concernée, La Poste, « ce n’est pas un sujet à ce jour ». « Nous nous adapterons à d’éventuelles sollicitations » précise toutefois la direction régionale. « Le vote par correspondance a été abandonné en 1975 pour lutter contre la fraude. Il n’y a pas de base légale pour le réinstaurer ». L’analyse sans appel est signée d’un spécialiste du droit électoral de l’Université Toulouse 1 Capitole.
Des risques de cyber-attaques
Mais Pierre Esplugas de préciser : « le vote électronique a toutefois été utilisé récemment pour les français de l’étranger». Seulement l’expérience s’est arrêtée en 2017 face à des risques de cyber-attaque. « On ne maîtrise pas encore totalement la technologie et il y a bel et bien des menaces » reconnaît celui qui est aussi porte-parole Les Républicains en Haute-Garonne.
Pour sa collègue Sylvie Laval chercheuse à l’IDETCOM (1), laboratoire adossé à l’UT1,« on a là une boîte noire dont il est compliqué de savoir ce qui va en être fait ». Autrement dit un rassemblement de données sur « qui vote pour qui » ne pourrait que contribuer à renforcer la défiance du citoyen. « On a déjà vécu un certain nombre de scandales comme Cambridge analytica » rappelle la maître de conférence en sciences de l’information et de la communication.
On ne va pas voter comme on achète un livre ou un CD »
Pour elle, il faut voir cette problématique dans sa dimension globale. « En pleine crise du politique, le cheval de bataille d’Emmanuel Macron a été : il faut numériser la démocratie en instituant le vote électronique ». « Seulement on ne va pas voter comme on achète un livre ou un CD, s’agace Pascal Nakache. Ce côté dématérialisation de tout amènerait selon moi à appliquer le consumérisme à la République ».
« Le vote électronique ou par correspondance m’inspirent spontanément de la suspicion » reconnaît sans détour l’avocat qui est aussi candidat sur la liste Archipel Citoyen à Toulouse. « J’imagine tout de suite des maisons de retraite qui vont voter par wagons entiers » plaisante-il en riant jaune. « Et puis il y a aussi un côté charnel au vote. On se déplace. On va dans l’isoloir… » poursuit le président de la section toulousaine de la Ligue des Droits de l’Homme.
L’avantage du système actuel c’est sa simplicité et sa transparence »
« L’avantage du système actuel c’est sa simplicité et sa transparence » explique Sylvie Laval. « On vote et on dépouille à la vue de tous ». La chercheuse reconnaît toutefois la dimension « impressionnante » du protocole actuel. « Est-ce que certains ne vont pas voter à cause de ça ? Je le crois. Ça peut décourager » n’hésite-t-elle pas à affirmer. Parmi ces réticents : les jeunes. « Je dépouille régulièrement et je ne vois personne de moins de trente ans à mes côtés » souligne l’universitaire.
Mais doit-on pour autant essayer de se rapprocher des jeunes générations et de leur univers numérique via un vote par internet ? La question reste ouverte pour Sylvie Laval. Seulement, ces électeurs potentiels voteront-ils plus s’ils peuvent le faire de chez eux ? Là encore, rien de moins sûr. Quoi qu’il en soit la plupart des spécialistes s’accordent sur un point : le délai trop court, d’ici le 28 juin, pour envisager quelque changement que ce soit en matière de votation.
Un tel changement institutionnel en si peu de temps n’est pas souhaitable »
« Un tel changement institutionnel en si peu de temps n’est pas souhaitable. Est-ce qu’on peut imaginer les dégâts qu’occasionnerait un soupçon de fraude surtout en période de crise » prévient Sylvie Laval. « Mais il faut y penser pour l’avenir » insiste Pierre Esplugas. Aujourd’hui ou demain, « j’ai clairement peur que ça ne renforce la défiance du citoyen envers le politique » s’inquiète Pascal Nakache.
« Les modalités de la procuration doivent être assouplies » estime en revanche Pierre Esplugas. Pour le professeur de droit public, « commissariats et gendarmerie ne sont pas des lieux idéaux pour effectuer la démarche ». « Il faut faciliter la procuration électronique » recommande celui qui est aussi le chargé des relations presse pour la campagne de Jean-Luc Moudenc.
Retour à la normale ?
L’incantation présidentielle, et d’autres, de « numériser la démocratie » ne semble donc pas à l’ordre du jour. La crise sanitaire a-t-elle là aussi fait son œuvre ? « Aujourd’hui la télévision redevient un média de masse, fait remarquer Sylvie Laval. Les allocutions du Président ou du Premier Ministre y sont suivies. La routine fatigue parfois, mais elle rassure aussi ».
Patrick Noviello (@patnoviello)
(1) Institut de Droit de l’Espace, des Territoires, de la Culture et de la Communication.