Une élection surprenante. Nicole Belloubet a été élue mercredi 29 juin à la présidence du conseil d’administration de l’Institut National Champollion, l’université autonome d’Albi, Castres et Rodez. La désignation d’une universitaire (ancienne rectrice) à la tête d’un organisme formant des étudiants n’a rien d’extraordinaire. Surtout quand la présidente en question est déjà à la tête du conseil d’administration de l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Toulouse. Ce qui est beaucoup moins banal c’est lorsque l’heureuse élue est également juge constitutionnel.
La présidence d’un conseil d’administration est (selon plusieurs sources) incompatible avec le statut de membre du Conseil constitutionnel. Un président d’Université participe à des réunions avec le ministère de la Recherche, négocie des postes et des subventions, rencontre des représentants syndicaux. Toutes ces activités se heurtent au statut de juge constitutionnel. Nicole Belloubet est visiblement en dehors des clous.
Trois campus : Albi, Castres et Rodez. Deux masters. 16 licences professionnelles. 1 école d’ingénieur. Des formations en lettre, droit, économie, gestion, santé et informatique. L’Institut National Champollion n’est pas un mastodonte universitaire. Mais on est très loin d’une simple antenne de l’université toulousaine. Au fil du temps, Champollion a grandi et acquis son autonomie. La présidence de son conseil d’administration n’a rien de symbolique.
Comme le précise une universitaire, « c’est un vrai boulot. On compte sur Nicole Belloubet pour ramener des postes et des subventions« . Dans le milieu des amphithéâtres et des labos de recherche, personne ne doute des capacités de Nicole Belloubet. L’ancienne rectrice est connue et reconnue pour sa rigueur, son professionnalisme et son carnet d’adresse. Avant sa nomination au Conseil constitutionnel (en février 2013), l’ancienne professeure de droit a été une importante vice-présidente du Conseil Régional. Son nom a même circulé pour succéder à Martin Malvy à la tête du Conseil régional.
Mais, au delà du profil, c’est le statut de Nicole Belloubet qui interroge. Le conseil d’administration de Champollion se réunit (en moyenne) 2 à 3 fois par an. Entre chacune de ses réunions, Nicole Belloubet contrôle la constitutionnalité des lois votées par le Parlement et examine des Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC).
Pour plusieurs juristes, la double casquette « juge de la constitution-présidente d’une Université » est totalement improbable.
Le travail de juge constitutionnel est soumis à une (stricte) obligation de réserve. Les gardiens de la Constitution (10 membres nommés pour 9 ans par le Président de la République et les présidents du Sénat et de l’Assemblée Nationale) doivent également respecter un (sévère) régime d’incompatibilité. La loi organique du 11 octobre 1973 prohibe « l‘exercice de toute fonction publique et de toute autre activité professionnelle ou salariée« .
Nicole Belloubet est une juriste chevronnée et elle bénéficie d’une excellente réputation. Comme le précise un de ses anciens collègues au conseil régional, « Nicole est d’un juridisme pointilleux. Il est impossible qu’elle ne respecte pas les règles d’incompatibilité« . Un professeur de droit est beaucoup plus dubitatif. Il déclare : « la situation est bizarre ou du moins incongrue. La fonction de juge constitutionnel est la fonction la plus verrouillée juridiquement de France. C’est quand même surprenant« .
Un autre juriste est également plus que sceptique. Il évoque une jurisprudence Simone Veil. Mais c’est pour l’exclure s’agissant de Nicole Belloubet. « Lors du débat sur le Traité Constitutionnel Européen, Simone Veil a demandé une dérogation à l’obligation de réserve pour défendre le ‘oui ». A l’époque cela a fait du bruit. Mais c’était limité dans le temps et cela n’a rien à voir avec l’exercice d’une fonction de présidente d’un conseil d’administration d’une université. Une présidence d’Université ce n’est pas un mandat politique mais c’est une fonction publique et j’ai enseigné pendant des années que le fait d’être membre du Conseil constitutionnel est incompatible avec toute fonction ».
Marie-France Barthet, vice-présidente de l’Université Champollion, balaye les doutes et les questions. « C’est purement honorifique. Il n’y a pas de problème de compatibilité de fonction. Champollion a un statut particulier comme l’Insa (ndlr école d’ingénieur toulousaine). Le président du CA n’a pas de fonction exécutive. C’est le directeur de l’établissement qui est l’exécutif« .
Cet argument ne manque pas de poids. Mais il ne répond pas à une interrogation. L’exercice d’une fonction publique est interdite aux membres du conseil constitutionnel. Le fait de présider le conseil d’administration d’un établissement public n’est-il pas assimilable à une fonction publique ?
De plus, il existe une jurisprudence Fabius.
Lors de sa nomination à la présidence du conseil constitutionnel, Laurent Fabius voulait continuer à présider la COP21. Une présidence qui n’était pas (pour reprendre l’expression de Marie-France Barthet) exécutive. L’ancien ministre des affaires étrangères a du renoncer.
Nicole Belloubet peut-elle invoquer un précédent en dehors du cas Fabius ? D’autres membres du conseil constitutionnel cumulent-ils ? Contacté par France 3 Midi-Pyrénées, le Conseil constitutionnel déclare : « aucune idée« .
Laurent Dubois (@laurentdub)