Nous…La Cité
« Quand quatre jeunes de banlieue se prennent d’écrire leur quotidien avec un de leurs éducateurs, ça envoie du lourd »
Ainsi est présentée sur la couverture cette œuvre si précieuse et tellement utile au regard de notre actualité. L’histoire de Joseph Pontus, éducateur, et de quatre jeunes de cité qu’il accompagne dans leur réinsertion, est rare car peu souvent racontée. Elle est également renforcée en authenticité par le fait que ce sont ces jeunes, eux-mêmes, qui se racontent, sans fausse pudeur, sans orgueil et surtout sans fioritures.
Preuve pour débuter du portrait que dresse Rachid, un de ces jeunes, de leur compagnon d’écriture :
– Joseph, je sais pourquoi t’as fait éducateur comme métier. T’aurais jamais eu les couilles de devenir un voyou et surtout t’aurais jamais pu être flic. Du coup, comme ça, t’es entre les deux.
L’ouvrage se décline ensuite en thématique.
Ecole
Sylvain raconte sa sixième dans un internat de province installé dans un château.
« Le premier pote que je me fais là-bas, c’est Alain, il est dans ma classe et toutes les filles sont en sang sur lui. Il ne fait pas son âge, il est très grand à côté de mon mètre soixante et un. Moi je suis tout petit, je suis même le plus petit de ma classe en âge et en taille, même les filles me dépassent. Tout le monde m’appelle Kirikou. »
Avant même la fin de l’année, Sylvain craquera et fera la suite de sa scolarité dans un collège public de Suresnes.
Rachid, lui, écrit de la prison où il est incarcéré.
« Au début de ma première sixième, y’avait un mec avec qui je traînais dehors. Comme on le sait, un arabe et un gitan, si on les met ensemble, ça peut faire que des conneries ! On a même vendu de la drogue dans le collège, on en a vendu à tout le monde, mais surtout aux troisièmes et aux quatrièmes. »
« Par contre, j’ai jamais volé de meufs-enfin, si, deux fois-mais je le regrette encore. Déjà, parce qu’elles crient, ça ameute tout le monde et puis, on ne sait jamais, si ça tourne mal et que t’es obligé de mettre une baffe…Non, franchement, pas les femmes. Pareil pour les magasins. J’ai toujours eu honte de voler pendant les heures d’ouverture. Y’a des heures pour acheter et des heures pour voler. Moi, je ne suis pas un voleur de magasins ouverts. »
Ce même Rachid écrit également son journal de mitard, autrement dit de quartier disciplinaire, quand il est une fois de plus sanctionné, au sein même de la prison.
« Promenade, en même temps que Choukette. Lecture, prières, gamelle, prières, galère !!! J’écris à mon avocat et au chef du bâtiment. Je repense à mon passé. A ma famille, aux morts de ma famille, je pense à mon avenir et je ne vois rien. J’ai vingt-deux ans ! »
A lire également la rencontre avec un surveillant que le jeune homme découvre humain et dont il aurait pu peut-être se faire un ami, en d’autres circonstances.
Les émeutes de 2005.
« En tout cas pendant les émeutes, la plupart des portes, elles, étaient ouvertes, les gens t’accueillaient, te donnaient à manger. C’est normal, même si t’es vieux, quand tous les jours, tu vois les flics qui humilient tout le monde, c’est une façon d’être solidaire (…)
On voyait bien que l’Etat avait peur, mais ce qui a vraiment manqué chez nous, c’est une organisation. Y avait pas de réunion, on faisait ça à l’improviste. Chaque cité faisait son truc dans son coin. Si il y avait eu des contacts avant, des vrais chefs, ça aurait été vraiment fumant ! (…)
Après, je ne sais pas si j’y retournerais aujourd’hui. Ça dépend mis c’est vrai que l’envie, elle est là. J’ai toujours une petite haine des keufs et elle peut vite devenir une grosse flamme. Si un jour faut faire la guerre aux keufs, je la ferai. Si faut aller place de la Concorde comme à la place Tahrir, j’irai, et même s’il faut s’armer de Kalach et de gilets pare-balles ».
Yougataga ! (NDR : l’équivalent d’une « année Rock’n Roll)
La cité est dure et ses narrateurs aussi parfois, comme l’est Rachid quand il décrit le profil de ses anciens acheteurs.
« Les clients tu vois de tout, de toutes les couches sociales. Ça va du petit de douze ans au tellement vieux qu’on dirait qu’il a fait le Hadj (Pèlerinage à la Mecque), soixante-cinq, soixante-dix ans. Tu vois des riches, des junkies, des gens que t’as vu à la télé. Tu vois toute la France »
Plus réaliste encore, le point de vue de ce même Rachid sur la loi et la politique à mener en termes de lutte contre la drogue.
« Sinon en ce moment, ça parle beaucoup de légalisation. La légalisation, c’est une connerie. C’est l’Etat qui va vendre, déjà qu’il y a de la violence, ça va être encore pire. Ils vont vendre quoi, les gars, après ? Non, ce qu’il faut, c’est ouvrir des écoles, des gymnases, créer des emplois, faire partir les gens en vacances. C’est comme ça que tu inciteras les gens à ne plus dealer »
La religion
A l’heure où l’on parle recrudescence des intégristes radicaux dans les cités, d’islamistes prêts à tout sur notre propre territoire, là aussi le regard de ces jeunes est des plus clairvoyants.
(…) Après, dans le Livre, il est dit qu’il est important de respecter les autres religions. Moi j’en veux pas aux juifs mais aux israéliens ou pour être encore plus précis, à l’Etat hébreu. Et il y a des trucs que je ne comprends vraiment pas… Comment des gens qui ont connu des camps de concentration peuvent en fabriquer à leur tour ? Comment ils peuvent faire souffrir des gens alors qu’eux ont déjà souffert ?
Dans quarante ans on sortira les photos de Gaza et celles des camps, on aura quoi comme différences ? Une elle est en couleurs et l’autre en noir et blanc. Des mères derrière des barbelés.
Mais attention, les mecs dans la cité, ils disent : « La Palestine ! La Palestine !!! » C’est un beau combat mais il y en a d’autres aussi. Et le Darfour ? Et le Soudan ? Le problème c’est qu’on ne peut pas se battre pour tout ni pour tout le monde. Moi le premier. »
Sylvain, lui, est plus direct mais non moins pragmatique : « Comment font les gens pour ne pas croire en Dieu ? Comment est-on là, tout simplement ? Il y a bien un commencement… »
Alex est pas mal non plus dans le genre.
« La religion, ça m’aide dans la façon d’être avec les autres et aussi dans la façon d’être avec moi-même. Je ne doute absolument pas du choix que j’ai fait. J’ai encore des tonnes de trucs à apprendre, j’en aurai jamais fini ».
Vient se greffer à ces témoignages à vif, celui, non moins poignant et impliqué de leur éducateur, Joseph Pontus, le maître d’œuvre de ce livre. Un regard vif et à fleur de peau, notamment quand il décrit l’appareil judiciaire dans lequel ses ouailles se retrouvent plus qu’à leur tour empêtrées.
« L’avocat de Toufik est vraiment de cette race de truands qui s’acoquine avec le milieu, c’était le même qui avait défendu Rachid pour le bris de la porte de sa chambre d’isolement à l’hosto. Il est toujours aussi poseur, infatué, irritant. Semble lire avec mépris la note que je lui tends. Et si c’est comme la dernière fois, il fera style qu’il ne plaide même pas et ne reprendra que nos mots. Mais bon, on verra bien ».
Juges et policiers ne sont pas non plus épargnés, les premiers par l’éducateur, les seconds par les jeunes. JAP, présidents de tribunaux, policiers de la BAC, ne sont pas forcément montrés sous leur meilleur jour mais ce n’est pas là le but de ce livre. La vérité est parfois difficile à entendre.
Post-scriptum
Le livre se clôt sur un post-scriptum où Joseph Pontus cite notamment Pierre Michon et « ses vies minuscules » parues chez Gallimard.
« A leur recherche, pourtant, dans leur conversation qui n’est pas du silence, j’ai eu de la joie, et peut-être fut-ce aussi la peur ; j’ai failli naitre souvent de leur renaissance avortée, et toujours avec eux mourir ; j’aurais voulu écrire du haut de ce vertigineux moment, de cette trépidation, exultation ou inconcevable terreur, écrire comme un enfant sans parole meurt, se dilue dans l’été : dans un très grand émoi peu dicible ».
Et l’éducateur de reprendre ses propres pensées alors qu’il sait qu’il va changer d’affectation et que son travail avec ses protégés est terminé.
« Comme un parent qui voit ses enfants partir du foyer. Le cœur se serre. Déjà penser aux retrouvailles. On sortira la meilleure bouteille, ce sera dimanche, la table de fête sera mise juste ce qu’il faut de nostalgie pointera le bout de son museau. On se rappellera des beaux moments avec ce rien de pudeur qui sait que nos vies sont désormais plus liées, plus tant que ça. »
« Nous…La cité » Rachid Ben Bella, Sylvain Erambert, Riadh Lakhéchène, Alexandre Philibert et Joseph Pontus, Label « Zone », éditons La Découverte.