« Je n’ai pas réussi à réconcilier le peuple français avec ses dirigeants » a reconnu Emmanuel Macron avant même le 1er jour d’action des gilets jaunes ce samedi. Mais la question après ce 17 novembre où près de 300 000 personnes ont manifesté est désormais : comment le peuple français va-t-il se réconcilier avec lui-même ?
Je ne parle pas ici de division entre classes sociales ou entre ruraux et urbains, bobos et prolos, écolos et consuméristes… Je parle par exemple d’une jeune femme insultée et moquée par ceux qui se réclament du « peuple » pour être partie gagner, samedi dernier malgré les blocages, ses 1200 euros mensuels dans un supermarché de l’agglomération toulousaine
Mais qui est ce « peuple » d’ailleurs ? Que signifie encore ce mot dans notre société si individualiste, morcelée, corporatiste ou tout simplement « libérale » comme la qualifient certains ? Je n’aurais pas la prétention de répondre ici à cette question si vaste voire insoluble.
« Un cri d’injustice ». Voilà comment plusieurs de mes confrères qualifient le mouvement des Gilets Jaunes. Mais là encore, de quelle injustice parle-t-on ? De celle qui fait que de plus en plus de personnes ne peuvent plus habiter près de leur travail et sont obligées d’utiliser chaque jour leur voiture pendant des heures (et des litres) souvent au milieu des embouteillages.
Mais à qui la faute ? Aux maires qui ne tiennent plus les loyers de leurs villes et en donnent les clés aux promoteurs ? Aux Français qui veulent à tout prix leur maison, le carré de jardin qui va avec et le calme alentour ? Aux chefs d’entreprise qui ne font pas le pari de s’installer trop loin de la métropole ou de la ville préfecture ? A l’Etat enfin, qui voit (qui fait ?) s’envoler les prix du carburant et le coût de la vie, sans rien faire, ou pire en disant : « c’est pas moi » ?
Le prix de l’essence n’est pas la seule raison de la colère des gilets jaunes. Mais la voiture individuelle, après avoir longtemps été un symbole de liberté mais aussi un marqueur social, devient aujourd’hui plus que jamais clivante, entre ceux qui peuvent s’en passer et les autres. Clivante aussi entre ceux qui pourraient s’en passer et ceux qui leur font la morale à ce sujet. Perdre sa voiture ou la possibilité de l’utiliser quand on le souhaite, au mieux inquiète, au pire peut faire sortir de ses gonds.
Ce qui semble aussi irriter les gilets jaunes, et cela revient souvent dans les discussions, c’est ce sentiment, ou cette impression, que « tout le monde n’est pas logé à la même enseigne ». Une fois de plus « les pauvres paieraient pour les riches » c’est-à-dire pour ceux qui peuvent se payer une « hybride » ou encore ceux qui ne regardent jamais les prix à la pompe. Mais là encore qu’est-ce qu’un »pauvre » et qu’est-ce qu’un « riche » ? D’ailleurs les gilets jaunes ne se réclament-ils pas, pour beaucoup d’entre eux, de « la classe moyenne », là encore un terme de plus en plus flou par les temps qui courent.
Face à autant de questions et de manques de repères fiables, comment ne pas générer affrontements et rancœurs ? « Il ne faudrait pas se tromper de cible » vitupèrent ceux qui ont laissé leurs gilets jaunes dans la boite à gants. Ceux qui les ont sur les épaules leur répondent : « Si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes contre nous ». Un réservoir de protestations qui pourrait bien faire le plein de divisions.
Patrick Noviello (@patnoviello)