La Chambre Régionale des Comptes (CRC) épingle les marchés publics passés par l’ancienne majorité de la commune de Verdun-sur-Garonne (82) et parle ouvertement de délits de favoritisme.
Le rapport comporte 58 pages. Mais les cinq paragraphes consacrés à la commande publique pèsent lourds et écrasent le reste du document. Les magistrats financiers pointent de graves dysfonctionnements. Sur la période 2010-2014, le marché des fournitures est (notamment) sur la sellette.
Un délit de favoritisme s’agissant de dépenses de carburants
Sur la période 2010-2014, la municipalité de Verdun-sur-Garonne a dépensé 102 492,31 euros en combustibles et carburants. Un fournisseur bénéficie largement de ces dépenses. Pour les magistrats financiers, la municipalité a organisé un monopole de fait, contraire aux règles de base de la commande publique.
En sollicitant majoritairement un seul et même fournisseur, la collectivité a porté atteinte au principe de traitement des candidats et à la liberté d’accès aux marchés.
Autrement dit, le marché n’est pas attribué objectivement, au terme d’une mise en concurrence. La mairie a délibérément choisi de favoriser un fournisseur. Ce choix est fait en toute opacité (en violation du principe de liberté d’accès des marchés et d’égalité des entreprises) et pour des raisons que seule une enquête judiciaire pourrait révéler : proximité amicale, intérêt personnels ou financiers « croisés », simple volonté de faire travailler des connaissances…
Les juges financiers rappellent que cette pratique est susceptible de poursuites pénales. Le CRC tient le même raisonnement s’agissant d’un marché beaucoup plus important. Celui de la voirie.
Une entreprise de BTP en situation de monopole
Les dépenses de carburants dépassent les 100 000 euros. S’agissant des travaux de voiries, les sommes sont beaucoup plus substantielles. La Chambre Régionale des Comptes chiffre (pour la période 2015) le montant de l’enveloppe entre 500 000 et 750 000 euros. Mais, comme pour les fournitures de carburant et de combustibles, les magistrats financiers parlent d’un délit de favoritisme. On retrouve les mêmes dérives.
C’est encore une seule entreprise qui bénéficie des commandes et donc de l’argent municipal. Mais ce n’est pas tout. Appliquant la formule « on n’est jamais mieux servi que par soi-même« , c’était l’entreprise bénéficiaire qui définissait elle même ses prestations. Généralement, ce n’est pas le boulanger qui décide, à la place du consommateur, s’il doit acheter 3 ou 10 croissants, une baguette ou 50 pains aux raisins. Ce serait trop facile et confortable pour le boulanger qui pourrait remplir son tiroir caisse à sa guise, en « tapant » dans le porte feuille du (pauvre) consommateur.
Mais, à Verdun-sur-Garonne, c’est pourtant ce qui passait. Le vendeur (une entreprise de BTP) définissait le montant et la nature des dépenses de l’acheteur (la mairie).
Ce drôle de fonctionnement était même institutionnalisé. La CRC précise :
Chaque année, en général en janvier ou en février, la commune reçoit une série de devis établis par l’entreprise relatifs à des travaux de voirie. Secteur par secteur, ils détaillent la nature des travaux et les quantifient. A partir des chiffrages ainsi obtenus, la commune établit un programme de travaux. La société attributaire obtient les marchés pour lesquels elle a établi à la fois le cahier des charges et le chiffrage.
Autrement dit, la municipalité (en charge de l’intérêt général de la commune) réglait sa politique de voirie en fonction des intérêts commerciaux d’une entreprise. Le verdict de la CRC est brutal et sans appel. La mise en concurrence est qualifiée d’apparente. L’écran de fumée est visiblement transparent. Les magistrats financiers évoquent (à demi-mots mais de manière évidente) une possible entente illicite :
Ce sont les trois mêmes entreprises qui sont sollicitées d’année en année. Les entreprises fournissent les devis demandés. Les offres de prix d’une entreprise coïncident exactement avec les devis et sont systématiquement les moins-disantes.
Le hasard fait bien les choses. Contacté par France 3 Occitanie, un praticien des marchés publics précise qu’il existe un moyen pour fausser la mise en concurrence. Un simple coup de téléphone ou une conversation peut permettre de communiquer à l’heureux élu les propositions de ses concurrents. Il lui suffit alors d’ajuster son prix pour remporter le marché.
Cette technique dite « de l’ouverture des enveloppes » (contenant les propositions des concurrents) exige juste une précaution : éviter de laisser des traces écrites. Un Sms ou un mail peut finir sur le bureau d’un juge. Surtout si un concurrent évincé (et mauvais joueur) mêle la justice à ces sombres manœuvres. L’hypothèse est rare. Un concurrent frauduleusement évincé évite généralement de faire des vagues. Dans le petit milieu de la commande publique, les places sont chères (même si elles sont rémunératrices) et beaucoup redoutent un « black listage ».
Peu importe les moyens, le constat est sans appel pour Verdun-sur-Garonne. Les magistrats financiers dénoncent une méconnaissance des obligations du code des marchés publics. S’agissant des travaux d’entretien de la voirie, la CRC précise :
Aucun élément, dans les dossiers consultés n’atteste d’une quelconque mise en concurrence pour ces travaux d’entretien de la voirie jusqu’en 2014
Le réquisitoire est particulièrement sévère. Contacté par France 3 Occitanie, le maire (PRG) qui occupait l’hôtel de ville au moment des faits n’a pas souhaité s’exprimer. Mais il a livré une réaction sur les ondes de radio Totem. Denis Roger invoque l’absence de conseiller juridique. Cette défense est fragile. Tous les citoyens sont soumis à un principe général : nul n’est censé ignorer la loi. Un justiciable ( a fortiori un responsable public) ne peut pas se réfugier derrière une méconnaissance ou la complexité du droit.
De plus, selon nos informations, les services municipaux ont alerté (au moment des faits) Denis Roger sur l’illégalité des pratiques en matière de marchés publics.
La position de Denis Roger laisse en suspens des questions.
Pourquoi des entreprises ont-elles bénéficié de la largesse de l’ancienne majorité municipale menée par Denis Roger ? Faiblesse envers des proches ? Éventuelles rétro-commissions ou enrichissements personnels ?
Denis Roger n’est pas seul sur la sellette. La préfecture est en charge du contrôle de légalité. Comment expliquer l’immunité dont a pu bénéficier, pendant des années, l’ancien maire de Verdun-sur-Garonne ?
La proximité politique et l’amitié forte entre Denis Roger et l’influent Jean-Michel Baylet peut-elle expliquer l’étonnante passivité des services de l’Etat ?
Même interrogation au sujet du trésor public. En vertu de la (fameuse) distinction entre l’ordonnateur et le comptable, ce n’est pas la mairie qui a versé les sommes aux entreprises « favorisées ». C’est le comptable public qui a réalisé l’opération. Il était censé vérifier la régularité de la dépense avant de payer.
Les magistrats financiers se contentent d’un (saisissant) état des lieux. Seule la justice pénale permettrait d’aller au bout. Contactée par France 3 Occitanie, la Chambre Régionale des Comptes ne souhaite pas s’exprimer sur une éventuelle saisine du parquet. Un parquet qui, par définition, reste maître de l’initiative des poursuites.
En toute hypothèse, les règles de prescriptions s’agissant du délit de favoritisme (3 ans après la commission des faits) risquent d’éteindre le dossier.
Il restera alors une seule chose : un rapport accablant. Et plusieurs centaines de milliers d’euros (irrégulièrement) dépensés.
Laurent Dubois (@laurentdub)