A 700 kilomètres du double assassinat de Magnanville, un maire du Tarn réagit. Lundi 13 juin, un couple de policiers a été tué, à leur domicile, par un islamiste. L’ancien député et maire LR de Lavaur, Bernard Carayon, demande le placement en rétention administrative des personnes fichées S et des personnes condamnées pour des actes terroristes mais ayant purgé leur peine.
« Je demande le placement en rétention administrative des islamistes en liberté après avoir été condamnés à ce titre et de tous ceux qui sont considérés comme dangereux au titre du fichier S« . Bernard Carayon veut frapper fort. Le maire de Lavaur propose de durcir le dispositif de la rétention administrative. Facile à dire. Inapplicable dans les faits.
A l’heure actuelle, la rétention administrative concerne essentiellement les étrangers en situation irrégulière. Elle consiste à maintenir dans un lieu un individu dans l’attente d’un éloignement du territoire national. Il ne s’agit pas (au sens juridique du terme) d’un emprisonnement. Mais cela y ressemble beaucoup. Les gardiens sont des policiers de la police de l’air et des frontières (PAF) et non des agents de l’administration pénitentiaire. Mais ils restent des gardiens. Les centres de rétention administratifs ne sont pas des maisons d’arrêt. Mais ils sont fermés et privent leurs « pensionnaires » de leur liberté de mouvement.
Bernard Carayon propose de soumettre à ce régime des islamistes ayant été condamnés à ce titre. Problème, une fois une peine purgée (qu’elle soit liée à un acte terrorisme, un délit routier ou un vol à mains armées), la peine est purgée. Notre législation pénale ne prévoit pas un passage d’une maison d’arrêt à un centre de rétention. Une seule exception : en matière de délinquance sexuelle. Et encore sous certaines conditions et évidemment sous le contrôle d’un juge.
Seule une réforme législative pourrait permettre d’étendre ce dispositif. En attendant, Bernard Carayon peut toujours le demander. Mais c’est sans aucune conséquence pratique.
Seconde proposition de Bernard Carayon : placer en rétention administrative les personnes fichées S. Au fil des attentats et de l’actualité, l’opinion publique a appris à connaître le (désormais) célèbre fichier S. Il recense les personnes qui peuvent porter atteinte à la Sureté de l’Etat. A ce titre, il concerne aussi bien des hooligans que des militants d’extrême gauche ou des djihadistes.
Ce fichier est composé de plusieurs niveaux de S1 à S16. Sans d’ailleurs que le chiffre corresponde à une élévation du niveau de dangerosité. Ainsi, par exemple, Mohamed Merah était classé S5 car ce classement correspond au passage d’une frontière. En France, en 2012, on comptait 5 000 fiches S. Ce chiffre a forcément évolué.
100 islamistes fichés S dans le #tarn .Ils doivent être placés en rétention administrative.Qd le gouvernement réagira-t-il?@lesRepublicains
— Bernard Carayon (@BernardCarayon) June 14, 2016
Bernard Carayon parle d’une centaine dans son département du Tarn. Un département qui a connu plusieurs arrestations dans le cadre de coups de filets anti-terroristes et dans lequel le sujet de l’islamisme est sensible. Impossible de vérifier la réalité des chiffres annoncés par le maire de Lavaur. Une source parle d’une trentaine de fiches S au maximum. Du côté de la Préfecture, on rappelle que les chiffres sont confidentiels et connus uniquement de quelques hauts fonctionnaires. En dehors de quelques hauts fonctionnaires, les policiers du commissariat d’Albi ignorent eux-mêmes le nombre exact de « fiches S ». La préfecture dément auprès de France 3 le nombre d’une centaine de personnes fichées dans le Tarn, cité par Bernard Carayon.
Peu importe le nombre, la proposition de mettre en centre de rétention les personnes fichées est irréalisable. Un fichage n’est pas une condamnation. C’est une simple mesure de surveillance et de suivie. En revanche, la liberté d’aller et de venir est une liberté constitutionnelle. Le fait d’être fiché par le ministère de l’intérieur ne peut pas justifier une atteinte à cette liberté fondamentale. Un juge ne pourrait que censurer une telle mesure.
De plus, les services de renseignement pourraient faire les frais d’un enfermement des fiches S. Une personne fichée peut constituer un filon à exploiter et permettre de remonter une filière. Certains opposent défense des libertés et efficacité des services de sécurité. Mais, s’agissant des fiches S, la liberté de mouvement est l’alliée de la DGSI.
Dans son communiqué de presse, Bernard Carayon parle d’horreur et de colère. Plus que l’émotion, le sang froid et le recul sont souvent utiles.
Laurent Dubois (@laurentdub)