30 Mai

Révélations sur les responsabilités dans le « fiasco » Dominique Reynié aux régionales

Une situation inédite et un cas unique. L’annulation de l’élection de Dominique Reynié offre à la région Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées un double palmarès. Jamais une tête de liste régionale n’a vu son élection annulée. Mais, de plus, aucune région française n’a connu l’élimination judiciaire d’un élu qui a drainé sur son nom des centaines de milliers de voix. Dominique Reynié n’est pas le seul «coupable» de ce triste bilan. D’autres responsables de gauche comme de droite partagent le fardeau du fiasco. Des responsables qui étaient les concurrents politiques du politologue parisien et qui ont « instrumentalisé » la « vraie-fausse » candidature Reynié à des fins électorales. Révélations.

(Photo : Pascal Pavani / AFP)

(Photo : Pascal Pavani / AFP)

Un demi-million d’électeurs pour un « vrai-faux » candidat

520 028 bulletins de vote qui n’auraient jamais dû exister. Un demi-million d’électeurs ont voté pour un « vrai-faux » candidat : Dominique Reynié. L’annulation de l’élection de l’ex-tête de liste (de la droite et du centre) aux régionales 2015 se résume à un terrible constat : le premier grand scrutin sur la nouvelle Grande Région a été un scrutin «fantôme» et même «fantoche». Les élections de décembre dernier n’ont pas été juridiquement annulées. Mais, politiquement, elles sont sérieusement écornées.

Pendant des semaines et des mois, les électeurs ont vu et entendu une tête d’affiche. Mais Dominique Reynié n’aurait pas dû être sur l’affiche et encore moins en tête de gondole. Son visage et son nom se sont étalés sur une caravane de véhicules qui a sillonné la région, sur des millions de documents électoraux et des affiches placardées au bord des routes, dans des centaines d’articles de presse. Mais tout cela n’aurait jamais dû exister. C’est ce que vient de proclamer (avec l’autorité de la chose jugée et sous le sceau de la République) la plus haute juridiction administrative française.

Tout est parti du maire d’Onet-le-Château

Dominique Reynié ne commente pas la décision du Conseil d’Etat. Mais il insiste sur le fait qu’il est victime d’un rejet de la classe politique locale. Il n’a pas tort. C’est effectivement un élu de la région qui lui a coûté son seul et unique mandat politique. Mais, contrairement à ce que prétend Dominique Reynié, ce n’est pas le sénateur LR de l’Hérault qui est son «bourreau». Bien-sûr, c’est Jean-Pierre Grand qui a saisi la justice administrative et obtenu sa «tête». Néanmoins, plusieurs sources concordantes sont catégoriques.

J’ai arrangé le coup à Reynié et il n’a rien fait pour moi»

C’est le maire d’Onet-le-Château qui allume la mèche sur laquelle va souffler Jean-Pierre Grand. Le 1er magistrat de la commune hébergeant la mère et le frère de Dominique Reynié voulait une troisième place sur la liste du politologue parisien. Il ne l’obtient pas. Déçu, il se répand alors dans les dîners en ville et les cénacles de la droite départementale : «J’ai arrangé le coup à Reynié et il n’a rien fait pour moi».

Ces «lamentations» finissent par se propager et arrivent jusqu’aux oreilles de Jean-Pierre Grand. Au siège des Républicains, comme dans les rangs des socialistes aveyronnais, les conversations vont bon train. Nous sommes plus de trois mois avant le scrutin et l’inéligibilité de Dominique Reynié devient un secret de Polichinelle. A Paris, lors d’un déjeuner entre Etienne Mougeotte (ancien directeur de TF1, actuel patron de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles) et le président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde, le doute n’est pas de mise. Les deux hommes estiment que Dominique Reynié ne peut pas être candidat. 

La « bienveillance » de ses adversaires socialistes

Toute cette agitation (souterraine) et le sol qui commence à trembler sous les pieds de Dominique Reynié sont bien partis d’une faille localisée dans l’Aveyron. Dominique Reynié a raison. Sa chute a des racines locales. Mais il a également bénéficié d’une « protection » également très locale. Une « protection » localisée dans… le camp adverse.

Lors d’une réunion à Millau, un militant socialiste interpelle ses instances départementales. Il connaît le dossier Reynié et veut saisir la justice. II demande l’autorisation au 1er fédéral de l’Aveyron. Carole Delga est présente. Un des piliers de sa campagne, l’ancien sénateur de l’Aveyron, Alain Fauconnier également. Réponse : non. Pas question de bouger.

Cette bienveillance peut surprendre. Eliminer ou du moins affaiblir un concurrent, c’est de bonne guerre dans une bataille électorale. Sauf, quand le concurrent est un concurrent utile. Suffisamment haut dans les sondages pour barrer la route à Louis Aliot et au Front National. Suffisamment bas pour ne pas constituer un danger pour la candidate socialiste.  

Il nous va très bien Reynié, faut surtout pas nous le changer ».

Quelques temps après la réunion de Millau, un des plus proches collaborateurs de Carole Delga, explicite les choses : «Il nous va très bien Reynié, faut surtout pas nous le changer ». Ce sont quasiment les mêmes mots utilisés par celui qui va devenir le directeur de cabinet de la future présidente de Région. Laurent Blondiau est alors en charge de la campagne de Carole Delga. Lors d’une opération autour du Canal du Midi, il n’hésite pas à dire au staff de Dominique Reynié qu’il faut conserver le candidat de la droite.

A l’époque de ces propos, la date de l’enregistrement de la candidature Reynié par la préfecture approche. Beaucoup s’interrogent sur l’attitude du préfet de région : va-t-il siffler la fin de la partie ? Pour le staff de Carole Delga, pas de doute, il faut le maintenir en piste.

Jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat

Paradoxalement, dans le même temps, Dominique Reynié reste confiant et affirme qu’il est parfaitement serein. Mais c’est également le cas de son entourage politique. Sacha Briand (conseiller régional et maire adjoint de Toulouse mais aussi avocat) a toujours affirmé que la question de l’éligiblité de Dominique Reynié ne se pose absolument pas. Même ligne du côté d’un autre conseiller régional LR, lui aussi avocat et élu municipal (à Montauban), Thierry Deville.

Ce sont les concurrents de Dominique Reynié qui ont conscience que la foudre peut tomber. Le premier ministre, Manuel Valls, et le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve sont personnellement et directement avisés du dossier Reynié.

Il n’est pas éligible. Mais il sautera seul après les élections »

Un ancien président de région déclare après le dépôt de la liste Reynié en préfecture : «Bien-sûr il (ndrl Dominique Reynié) n’est pas éligible. Mais il sautera seul après les élections. On a consulté un avocat et la seule inconnue c’est de savoir si c’est la liste de l’Aveyron qui saute ou uniquement Reynié».

De plus, selon nos informations, la candidate socialiste, Carole Delga, a eu connaissance d’une note juridique, réalisée par un avocat, pointant l’inéligibilité de Dominique Reynié.

Dans le camp socialiste, le scénario qui s’est écrit en mai 2016 avec la décision du Conseil d’Etat est donc connu depuis…novembre 2015. Pour le staff de Carole Delga et au PS, Dominique Reynié était «condamné». Mais il devait rester en course.

Cela s’appelle jouer aux «apprentis sorciers». Des mois avant la saisine de la justice, les socialistes devinent la fin de l’histoire. Mais ils ignorent le scénario. En cas de faible écart de voix entre Carole Delga et Dominique Reynié, le juge aurait même pu prononcer (conformément à une jurisprudence constante) une annulation du scrutin. 4 millions d’électeurs rappelés aux urnes. Impossible de plaider l’ignorance. Toute l’affaire (révélée par France 3 Midi-Pyrénées) s’est étalée dans la presse nationale.

La région LRMP aurait pu connaître un «accident» politique industriel avec la complicité active du parti au pouvoir à Matignon et à l’Elysée. Le pire a été évité. Il reste «juste» un goût amer. L’impression d’une élection tronquée et en partie «truquée».

Laurent Dubois (@laurentdub)