Le scénario tourne en boucle. Depuis le début mars, des manifestants battent le pavé pour « abattre » la loi El-Khomri. La quatrième manifestation, jeudi 28 avril, a moins mobilisé que les précédentes. Mais la résistance persiste et se déroule sur fond de violentes échauffourées avec les forces de l’ordre. Pendant ce temps, la commission des Affaires Sociales de l’Assemblée termine son travail d’amendement. A partir du lundi 3 mai, c’est une autre séquence qui s’ouvre.
La réforme du code du travail va arriver en séance publique. Quelles sont les modifications apportées par rapport au projet gouvernemental ? Les retouches des député(e)s peuvent-elles calmer la rue et les organisations syndicales ? Réponse avec la coordonnatrice du groupe PS sur la loi El-Khomri, Monique Iborra. La députée de Haute-Garonne évoque les points durs qui coincent encore entre l’Assemblée et Matignon et annonce un assouplissement de la taxation des CDD. Interview.
Le Blog Politique. La contestation contre le projet de loi El-Khomri marque le pas mais elle ne s’éteint pas. Le texte que votre commission a examiné et retouché arrive en séance publique lundi. Quels sont les points qui peuvent rassurer les opposants à la réforme ? Que reste-il du projet gouvernemental après son passage devant votre commission ?
Monique Iborra. Le texte a été examiné par la commission des affaires sociales sur le fond mais également par la commission des affaires économiques pour avis. Plus de 1 000 amendements ont été examinés et des points ont été modifiés. L’architecture générale n’a pas bougé. On maintient la possibilité que des accords d’entreprise dérogent à des accords de branche. Les organisations syndicales prétendent que le fait d’introduire ce nouveau dispositif conduit à la fin de la protection des salariés. Mais ce sont 44 000 accords d’entreprise qui sont déjà signés. Y compris par la CGT. Les accords d’entreprise n’ont rien de nouveau. Ils existent depuis 2012. On entend dire que le patron va décider tout seul et imposer un accord. Ce n’est pas vrai. La commission des affaires sociales a apporté une modification au projet gouvernemental. L’accord doit être majoritaire et adopté par au moins 50% des salariés. En dessous, c’est la loi qui s’applique. De plus, dans le cadre des négociations, un salarié sera mandaté par un syndicat. Dans les petites entreprises, le taux de syndicalisation est très faible et un salarié pourra être mandaté par un syndicat pour négocier. Evidemment, il s’agit d’un salarié de l’entreprise et non d’une personne syndiquée qui viendrait de l’extérieur.
Le Blog Politique. Des accords d’entreprises peuvent-ils servir à contourner les 35 heures ?
Monique Iborra. Un accord d’entreprise est focalisé sur l’organisation du travail.Les 35 heures ne sont pas concernées. Elles relèvent de la loi.
Le Blog Politique. Un autre point de crispation concerne les conditions de licenciement. Quelle est désormais, après le passage en commission, la situation ?
Monique Iborra. On détaille ce qui permet de justifier un licenciement économique. Et on le fait en s’appuyant sur la jurisprudence. C’est un vrai progrès pour les petites entreprises. Pour les entreprises de moins de 11 salariés, c’est un trimestre de baisse de chiffre d’affaire ou de commandes. Entre 11 et 49 salariés, ce sont 2 trimestres consécutifs. De 50 à 299 salariés, ce sont 3 trimestres consécutifs. A l’heure actuelle, le juge ne dispose pas de référence. Autre évolution, le projet du gouvernement prévoyait que le salarié qui refuse un accord majoritaire d’entreprise était licencié pour cause personnelle. Dans le texte issu de la commission, ce n’est plus le cas. Le salarié qui ne veut pas se soumettre à un accord d’entreprise est suivi par Pôle Emploi et fait l’objet d’un reclassement. Enfin, s’agissant des licenciement abusifs, les entreprises s’en remettaient autrefois aux juges et aux avocats, sans aucune lisibilité sur les indemnités. Nous donnons des échelles pour que le salarié, comme les entreprises, puisse se projeter. On permet la création d’un fonds de prévention qui permet aux petites entreprises de faire face et on crée un service public d’accès au droit, toujours pour les petites entreprises.
Le Blog Politique. A l’issu du passage du texte en commission, quels sont les points qui continuent à bloquer entre les députés de la majorité et la commission ?
Monique Iborra. Il reste deux points durs. Le premier concerne les licenciements dans les grandes entreprises. Dans le projet de loi, seule la situation nationale de l’entreprise est évaluée, sans tenir compte de ses filiales à l’étranger et de ses résultats dans les autres pays. Plusieurs députés ne trouvent pas cela normal. Il faut aller au-delà du contexte strictement national. Le second point concerne la taxation des CDD. Le Premier ministre a annoncé un peu rapidement que tous les CDD doivent être taxés. On peut le regretter. Mais c’est la réalité. Les recrutements se font très largement sur la base de CDD. Dans l’esprit des gens il vaut mieux un CDD que rien du tout. L’essentiel c’est l’emploi et pas de faire gagner de l’argent à l’Unedic. Le gouvernement revient un peu là dessus sur la taxation uniforme des CDD. Une modulation est possible. Une modulation en fonction de la durée des CDD. Les plus courts, les CDD d’un mois par exemple, pourraient être taxés alors que des CDD plus longs, six mois ou davantage, échapperaient à la taxation.
Le Blog Politique. Après le passage en commission, après le débat en séance publique et la navette avec le Sénat, ce sera, en juin prochain, le moment de vérité : le vote. Pensez-vous que le projet de loi sera voté ?
Monique Iborra. On n’est pas assuré du vote. Les frondeurs ne sont pas décidés à voter et la droite ne veut pas voter non plus en prétextant que le texte a été démoli, ce qui est totalement faux
Propos recueillis par Laurent Dubois (@laurentdub)