23 Jan

Grand Débat, un an après : des chercheurs toulousains ont analysé les contributions

Un laboratoire de sciences sociales toulousain, le LERASS, a non seulement traité des données issues du Grand Débat mais a également analysé celles issues du « Vrai Débat » initié lui par les Gilets Jaunes. Un bon moyen de faire la synthèse des préoccupations mais aussi un début de comparaison entre les stratégies du gouvernement et des Gilets Jaunes.   

Edouard Philippe lors de la restitution du Grand Débat National, en avril dernier, à Paris. Photo Philippe LOPEZ / AFP

« Au départ nous étions partenaires de la Commission Nationale du Débat Public avec qui nous avions déjà travaillé lors du débat sur l’Identité Nationale. Puis la CNDP a été désinvestie au profit de deux Ministres et cinq garants » explique Pascal Marchand. « Les Gilets Jaunes ont alors suspecté une récupération et ont dit « on va organiser notre propre débat. Comme ils ont vu que nous étions cité comme organisme de référence par la CNDP, ils nous ont sollicité » poursuit celui qui dirige le Laboratoire d’Etudes et de Recherches Appliquées aux Sciences Sociales.

Il faut dire que le LERASS installé sur le campus de l’université Paul Sabatier de Toulouse possède les outils adéquats. « Si on prend le Grand Débat National, c’est 167 millions de mots. Ce n’est pas le plus gros que l’on ait eu à traiter avec nos logiciels et notre technologie. Il manque des données mais on peut en sortir quelque chose » précise le chercheur.

L’exploitation des cahiers de doléances sera très difficile voire impossible »

Mais alors pourquoi ces données n’ont-elles pas encore été traitées ? « Nous sommes piégés par un appel d’offre de l’Agence Nationale de la Recherche et du CNRS qui n’a toujours pas été lancé » précise Pascal Marchand. Plusieurs laboratoires et une cinquantaine de chercheurs sont sur les rangs pour y répondre. Faute d’appel d’offre pour l’instant, aucun d’entre eux ne va se lancer dans ce travail colossal sans un budget dédié.

Une partie des données issues du Grand Débat National, sont pour l’instant consultables dans leur ensemble sur un site du gouvernement dédié. Elles sont principalement issues des réunions publiques. L’exploitation des cahiers de doléances sera, elle, très difficile voire impossible. Ces documents ont été numérisés en format image sur des fichiers qui sont désormais très lourds. Et encore, un certain nombre pas tous. Plusieurs ont été égarés, d’autres ont rejoint des services d’archives locaux.

Il existe beaucoup plus de données à exploiter en revanche sur « le vrai débat » organisé principalement en « Agora 2.0 » par les Gilets Jaunes. De là à dire que le Grand Débat National n’a pas été organisé pour être utilisé mais pour « refroidir les ardeurs », il n’y a qu’un pas que certains n’hésitent pas à franchir.

Le R.I.C toujours un enjeu majeur pour les Gilets Jaunes ou leurs sympathisants »

Le LERASS a d’ores et déjà publié un rapport sur l’interprétation des données du « vrai débat » lancé à l’initiative des Gilets Jaunes. Parmi plus de 92000 arguments énoncés, « les contributions visent à établir une négociation voire à l’imposer ». Plus dans le détail voici les thématiques principalement évoquées :

  • 27% concernent l’économie, les fiances, le travail et les comptes publics
  • 17% la démocratie, les institutions, le référendum d’initiative citoyenne
  • 15% l’expression libre et les sujets de société
  • 14% la transition écologique solidaire, l’agriculture et l’alimentation

Même s’il n’arrive pas en tête des thématiques citées, le RIC s’inscrit toutefois comme un enjeu majeur pour contrôler les lois et le respect des engagements électoraux mais aussi pour revitaliser la démocratie « via l’introduction de procédures directes de décision collective ».

Les élus pointés du doigt, pas le système »

Autre constat qui ressort de cette analyse du « vrai débat », « la contestation porte moins sur le système lui-même que sur la légitimité des élus, leur procès en compromission ou en incompétence ». Le citoyen reste donc « la dernière figure collective  légitime afin de rediscuter le contrat social de départ » selon le rapport du LERASS.

Parmi les enseignements tirés du « vrai débat » des Gilets Jaunes une phrase qui prend un sens particulier alors que le mouvement de contestation sociale face à la réforme des retraites notamment se durcit : « le débat a commencé avant, a continué pendant et se poursuivra après ». Une assemblée des assemblées de Gilets Jaunes devrait d’ailleurs se réunir prochainement pour faire émerger une synthèse des propositions.

Sondage façon XXème siècle contre Agora 2.0″

Le LERASS, de son côté, n’abandonne pas l’idée de synthétiser le Grand Débat National. Ses chercheurs devraient même publier dans les mois qui viennent une comparaison entre les deux formules. Quelques faits marquants émergent déjà. « Si on prend la couverture dans la presse par exemple, pour un article qui parlait du « Vrai Débat » des Gilets Jaunes, 800 traitaient du Grand Débat National »  assène sans détour Pascal Marchand.

Les publics ayant participé aux deux contributions sont aussi très différents. « Le Grand Débat National a été réalisé sous la forme d’un sondage modèle XXème siècle, sans savoir qui répond vraiment. La population y est plus hétérogène que dans le « Vrai Débat » des Gilets Jaunes » commente Pascal Marchand. Le premier rassemble des propos plus techniques, le second réfléchit plus particulièrement à « comment remettre du fonctionnement démocratique ». Une problématique qui apparemment reste plus que jamais d’actualité.

Patrick Noviello (@patnoviello)