En plein procès d’Abdelkader Merah jugé pour « complicité » dans les tueries de son frère et alors qu’Emmanuel Macron annonce un nouveau plan national contre la radicalisation, l’ouvrage de Tobie Nathan apporte des éléments de réflexion. Eclairage.
« Etre radical écrivait Marx, c’est prendre les choses par la racine » affirme en introduction de son ouvrage Tobie Nathan. Et Marx de rajouter : « Or pour l’homme, la racine, c’est l’homme lui-même ». Mais pour les radicalisés explique Nathan, « la racine n’est pas l’homme, mais Dieu, pas n’importe quel Dieu, mais Allah ! Je reste interloqué : comment peut-on penser ainsi ? Mais je me reprends aussitôt : penser ce n’est pas « penser la même chose que moi !»
Nathan nous invite donc à modifier notre façon de penser pour faire face au fléau de la radicalisation. Pour réinstaurer un dialogue, nous devons nous « donner les moyens de penser les êtres en devenir ». Et ce livre s’adresse non seulement « aux autorités et aux humanistes » précise l’essayiste mais aussi à « ces mêmes enfants, égarés, à l’âme capturée, soumise aux forces délétères, pour leur baliser un éventuel chemin de retour… »
Des forces religieuses qui ont capturé ces jeunes gens »
Loin de Tobie Nathan, l’idée de stigmatiser l’Islam. « La loi de 1905 (NDLR : de séparation de l’Eglise et de l’Etat) signe non seulement l’échec de la République mais aussi la faillite des religions », des religions qui « avaient échoué dans leurs tentatives de maîtriser leurs dieux ». Ces « forces » religieuses qui ont « capturé » ces jeunes gens nous concernent aussi selon l’auteur.
« Et si la laïcité ne parvenait plus à endiguer la guerre des dieux ? Disposons-nous d’une solution de rechange ? » s’interroge le professeur de psychologie. « Compassion et recours à la loi se révèlent aussi inefficace l’une que l’autre(…) Dans le cas des jeunes gens radicalisés, il nous faudra d’abord constater l’intelligence des êtres et des forces, évaluer la puissance des enjeux et surtout : produire de la pensée ».
Comprendre le sens des mots »
Facile à dire mais comment faire ? Tout d’abord Tobie Nathan invite son lecteur à bien saisir le sens des mots et y compris, ou surtout, leur sens religieux. Ainsi, dans un chapitre il raconte l’histoire d’une jeune fille de 14 ans qui « aime la pensée et la parole » et porte un voile. A travers la définition du mot « ‘hijab, il nous livre ses clés de compréhension et de dialogue avec elle. D’autres termes emblématiques sont également décortiqués tel « apocalypse » ou encore haschich (assassin) où il est question du lien drogues et dieux.
A défaut de profil type, qui est évidemment inexistant en matière de radicalisés, Tobie Nathan trouve une « fragilité au djihadisme » : « une appartenance culturelle défaillante à la première génération, une filiation flottante à la suivante ». Ainsi commence-t-il à utiliser le terme-titre d’ « âmes errantes », « cet être bon à prendre, à soumettre – c’est une proie pour les chasseurs d’âmes. »
Pas que des âmes errantes, mais aussi des curieux, avides de sens
S’il sait tout ça, qu’il arrive à l’analyser ou qu’il s’y est tout simplement intéressé, c’est parce que Tobie Nathan a lui-même été une « âme errante », descendant de migrants, « désaffilié » et attiré par des « forces » qui contrairement à celles qui recrutent les radicaux aujourd’hui, « ne s’intéressaient pas à nous » à l’époque.
Mais attention prévient Nathan : « les jeunes radicalisés ne sont pas seulement des « âmes errantes » capturées par des gourous pervers, des politiques calculateurs ou des tyrans fous d’apocalypse. Ce sont aussi des curieux, avides de sens, en quête de réponse à des questions de philosophie fondamentale ». D’où l’usage de la pensée comme instrument de riposte ou, si le terme est trop guerrier, d’instrument de dialogue. A noter toutefois que pour l’auteur, et cela est dit dès les premières pages de l’ouvrage : « les assassins relèvent d’un traitement judiciaire sans compromis ».
Quand la terreur crée des terroristes »
Tobie Nathan aborde l’affaire Merah dans le chapitre qu’il consacre à « la terreur ». Répandre cette dernière était évidemment selon l’auteur, comme pour la majeure partie des experts, l’objectif principal du tueur au scooter. Et Nathan de souligner une théorie peu entendue jusqu’à présent : « Dans un tel contexte où chacun est une cible potentielle, les plus fragiles tentent d’échapper à la terreur en s’affiliant paradoxalement aux terroristes ». Et une question glaçante surgit dans la tête du lecteur : Merah par la terreur qu’il a instillée a-t-il fait naître d’autres terroristes ?
Il est enfin question de politique également dans cet ouvrage, à travers la visée des « prises de guerre » des djihadiste à l’Occident, notamment les filles converties et si possibles venues du christianisme. « Car si ses propres filles s’engagent en « djihadisme », comment l’Occident ne viendrait-il pas à douter de ses options, de ce qu’il appelle « ces valeurs » ? » La radicalisation est donc un enjeu politique.
Intégrer la différence »
Migrant lui-même lors de sa jeunesse, Tobie Nathan évoque aussi le facteur migratoire. « Les jeunes radicalisés reviennent à une origine malgré tout, peut-être plus lointaine, sans doute en partie imaginaire, une origine qu’ils brandissent à la face de leurs parents, les accusant d’être défaillants, non pas seulement en « francité », mais aussi en « arabité », en « islamité »… Quelle parade alors ? « Contre l’idéologie djihadiste qui prône une identité en prêt-à-porter, il est indispensable de renouer avec l’identité ancestrale ».
Et l’auteur de conclure dans son épilogue : « Je suis certain aujourd’hui que la radicalité des jeunes gens que j’ai rencontrés résulte de la difficulté grandissante de nos sociétés à intégrer la différence – non pas celle du « semblable » dont on nous rabat les oreilles, mais de l’autre, vraiment autre, radicalement autre. Si nous persistons à partager un monde de « semblables », il faut nous attendre à ces conflits sans fin. »
Patrick Noviello (@patnoviello)
« Les âmes errantes », Tobie Nathan, L’Iconoclaste.
A lire également : Toujours en lien avec cette actualité, Séraphin Alava, professeur des universités à Toulouse-Jean Jaurès, pose la question dans un article pour le site « The Conversation » de l’accueil des mères et des enfants revenants de Syrie. Pour lui, « la question du retour des familles combattantes est un défi politique, policier, juridique, mais aussi éthique, philosophique et éducatif. »