En déclarant à plusieurs reprises ces dernières semaines qu’il est « le seul à avoir un métier » parmi les candidats tête de liste aux régionales de décembre prochain, le tête de liste LR Dominique Reynié s’est attiré les foudres des autres candidats ou de leur soutien. Ces propos, tenus régulièrement et à nouveau le 1er septembre lors d’un meeting à Quint-Fonsegrives près de Toulouse, ont été relayés sur les réseaux sociaux :
« De toutes les têtes de listes de la région, je suis le seul à avoir un métier. » @DominiqueReynie #AvecReynié — Les Républicains 31 (@Republicains31) September 1, 2015
Réaction en chaîne des autres candidats, de leurs soutiens ou colistiers. Contacté par nos soins ce mercredi 2 septembre, Dominique Reynié maintient ses propos même s’il les nuancent : « Ce n’est pas un reproche, c’est un constat, dit-il. Je ne dis pas que ma situation est supérieure, je dis qu’elle est différente des autres têtes de listes. Leurs mandats leur permettent de faire de la politique, moi je dois travailler. Quand on n’a plus de liens avec le monde réel du travail, il y a quelque chose de perdu. Et puis, cela instaure une campagne à deux vitesses ».
Alors qu’en est-il vraiment ?
Oui, Dominique Reynié a bien un métier… et même 2 !
Enseignant à Sciences-po Paris, dont il est aussi ancien diplômé, Dominique Reynié est professeur des Universités et relève donc de la fonction publique. Il est aussi directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, qui se définit elle-même comme un « think-thank libéral, progressiste et européen ».
Pour ces deux emplois, Dominique Reynié perçoit deux rémunérations, en tant que « salarié » pour les cours à Sciences-Po Paris et de « mandataire » pour la fondation, selon ses propres termes. « Il faut bien comprendre que je travaille pour vivre, continue-t-il. Je reprends mes cours demain à Sciences-Po et pour la campagne je devrais faire des allers-retours entre Paris et la région à mes frais, car cela ne sera évidemment pas intégré aux frais de campagne ».
Non, Dominique Reynié n’est pas « le seul à avoir un métier » !
S’il ne ment pas sur sa propre situation professionnelle, Dominique Reynié se trompe cependant sur la situation des autres candidats.
- Sa principale adversaire, la socialiste Carole Delga est certes redevenue députée de la Haute-Garonne depuis qu’elle a quitté le gouvernement au début de l’été, mais elle est, elle aussi, issue de la fonction publique. Plus précisément de la fonction publique territoriale : elle a travaillé à la mairie de Limoges (Haute-Vienne), au syndicat des eaux de la Barousse puis à différents postes à la Région Midi-Pyrénées. Successivement parlementaire, ministre puis à nouveau députée, elle est bien actuellement en congé de la fonction publique et n’exerce pas de « métier »… comme la quasi-totalité des députés et sénateurs français, qu’ils soient de gauche ou de droite.
- « Soit ce monsieur est mal renseigné et c’est bien normal il ne connaît pas la région, s’emporte le candidat d’EELV Gérard Onesta, soit il est bien renseigné et dans ce cas, il ment effrontément et il va avoir du mal à incarner cette nouvelle manière de faire de la politique qu’il appelle de ses voeux ! » Le candidat écologiste est architecte. Il a dirigé son cabinet d’architecture jusqu’en 2000 au moment où il est devenu vice-président du parlement européen et a suspendu son activité professionnelle. Le cabinet Onesta a notamment co-réalisé le bâtiment de l’Ecole des Mines d’Albi (Tarn). Depuis qu’il a quitté le Parlement Européen, il a lancé une société qui achète et réhabilite des appartements de type loft, principalement sur Toulouse.
J’invite formellement Monsieur Reynié a venir visiter mes dernières réalisations immobilières sur Toulouse » (Gérard Onesta, EELV)
« Dominique Reynié est un commentateur de la vie politique, poursuit-il, moi je suis un acteur. Et sur le plan professionnel, moi je sais ce que c’est que de rédiger des feuilles de paye ou d’être au cul d’un camion avec un menuisier ! »
- S’il a mis actuellement son activité professionnelle entre parenthèse, le maire de Montpellier et président de la Métropole Philippe Saurel est chirurgien-dentiste de profession.
- Ancien professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’université Toulouse 1, Louis Aliot, tête de liste Front National, est désormais avocat, profession qu’il exerce lorsqu’il n’est pas pris par ses mandats de député européen, de conseiller municipal de Perpignan, et sa charge de vice-président du FN.
- « C’est un mensonge répété, appui Damien Lempereur, le tête de liste de Debout la France, et une insulte pour tous les candidats de toutes les listes et les militants« . Damien Lempereur est avocat, inscrit au barreau de Paris. Jeudi, je suis en campagne à Montpellier, puis à Millau et Rodez. Je rentre en train de nuit Rodez-Paris jeudi soir pour une audience à Metz vendredi à 9 heures ! ».
Dominique Reynié a beau être issu de la société civile, il va être à la tête d’une liste où il devra composer avec des barons locaux des Républicains qui sont des professionnels de la politique » (Damien Lempereur)
« Pour la campagne, explique-t-il, je suis obligé de libérer du temps sur mon agenda professionnel, et évidemment dans ce temps-là je ne rentre pas d’honoraires !« . Il dit comprendre l’idée « de dire que la société civile, c’est important » mais concernant Dominique Reynié « en tant que prof à Sciences Po et dirigeant d’une fondation politique largement subventionnée par l’Etat, il n’est pas le mieux placé pour donner des leçons en matière professionnelle ! »
Conclusion : une mauvaise réponse à une bonne question !
Non, par conséquent, Dominique Reynié n’est pas « le seul des têtes de liste à avoir un métier« . Faire de la politique en venant de la « société civile » est une chose. Mais montrer du doigt les autres candidats soi-disant tous « professionnels » de la politique, comporte des risques : quand la démonstration se révèle fausse comme nous le montrons ici, cela tombe à plat. Que dire aussi des nombreux parlementaires, présidents de collectivités territoriales issus du même parti que Dominique Reynié, qui n’exercent pas eux-mêmes d’autres « métiers », comme c’est le cas par exemple du maire LR de Toulouse, président de Toulouse-Métropole et soutien de Dominique Reynié, Jean-Luc Moudenc ? Doivent-ils eux aussi se sentir visés par les propos de leur candidat ?
En revanche, en abordant ce sujet, même de façon biaisée, Dominique Reynié peut se voir créditer d’avoir le mérite de porter le débat sur l’absence de « statut de l’élu » en France. « Ça c’est une vraie question, s’exclame Gérard Onesta. Nous, nous proposons de trouver une solution pour ne pas professionnaliser la politique, notamment en limitant les mandats dans le temps et en facilitant le retour à la vie professionnelle. Cela évitera une République d’élus qui sont tous fonctionnaires ou retraités ».
Dominique Reynié reconnaît qu’au sein de son propre parti, il y a aussi un fossé entre les « pro » de la politique et les gens « comme moi ». Quant au statut de l’élu, il y est favorable : « Je suis d’ailleurs co-auteur d’un rapport sur ce sujet commandé il y a une dizaine d’années par l’association des petites villes de France (APVF) dont le président était… Martin Malvy ! ».
Fabrice Valéry