Le conseil constitutionnel doit se prononcer sur un soupçon de fraude électorale en Haute-Garonne. Cette affaire soulève une question : comment est-il possible de frauder ? Enquête.
Des assesseurs, des cahiers d’émargement, une carte d’identité obligatoire et un dépouillement ouvert au public. A priori, la fraude est impossible. Les élections sont ultra-sécurisées. Les scrutins « bidonnés » semblent réservés au continent africain ou à la Corse. Et pourtant. Sans être généralisée, la triche existe. De temps en temps, une affaire remonte à la surface. L’Occitanie est, d’ailleurs, à la pointe. A Perpignan, lors des municipales 2008, des chaussettes ont servi à dissimuler des bulletins de vote. De manière moins folklorique, c’est au tour du Comminges d’alimenter la chronique. Pas de chaussettes, de casquette ou de musette. De « simples » procurations et signatures non conformes sont sur la sellette.
Ce dossier (pas encore jugé et qui bénéficie à ce titre de la présomption d’innocence) rappelle que la fraude est possible. Le Blog Politique s’est livré à un petit recensement des principales techniques.
La « bousculade » et l’enveloppe des 100
La technique a été utilisée lors de municipales dans une commune du Lauragais. Elle repose sur une bousculade (judicieusement) organisée au sein d’un bureau de vote. Le but du chahut est de remplacer une enveloppe (contenant 100 bulletins de vote) par une autre enveloppe (préparée à l’avance et contenant des bulletins favorables à un candidat). Cette substitution s’opère après l’ouverture des urnes et avant le dépouillement.
Pour être crédible et passer inaperçue, l’enveloppe frauduleuse ne doit pas contenir 100 bulletins favorables. Généralement, ce sont 97 ou 98 bulletins (sur les 100 contenus dans l’enveloppe) qui portent le nom du candidat favorisé. En cas de question, les fraudeurs (forcément membres du bureau de vote) peuvent toujours expliquer cette vague de vote par : « ça doit correspondre à la sortie de la messe » ou même jouer l’étonnement;
Matériellement, cette technique est très simple à mettre en oeuvre. Dans tous les bureaux de vote, le nombre de bulletin de vote est supérieur aux nombre de bulletins mis à disposition des électeurs. Il suffit de piocher dans ce stock (exigé par le Code Électoral) pour fabriquer une « vraie-fausse » enveloppe de 100. Avec une ou deux enveloppes frauduleuses, un scrutin peut complètement être renversé.
Dans le Lauragais, une bousculade a servi de viatique. Mais la technique de l’enveloppe des 100 suppose (simplement) de subtiliser une enveloppe pour la remplacer par une autre. La bienveillance des assesseurs peut suffire. Surtout s’ils ont été « préparés ».
Des assesseurs « cuisinés »
La méthode est labellisée « toulousaine ». Elle a eu cours lors de municipales. Mais cette spécialité locale est parfaitement transposable en d’autres lieux et sous d’autres cieux. Elle passe par un bon buffet, de la bière et du vin rouge. Les assesseurs sont des êtres humains. Un jour de vote est une longue journée. Il faut bien subvenir à un besoin naturel : l’hydratation. Mais l’alcool ne se contente pas de ranimer les gosiers. Il anesthésie la vigilance. Des assesseurs fatigués et alcoolisés sont des assesseurs qui (involontairement) ferment les yeux. Ou (ce qui revient au même) ce sont des assesseurs qui ne regardent pas au bon moment au bon endroit.
La « vraie-fausse » feuille d’émargement
Après le dépouillement, une feuille d’émargement doit être envoyée (en double exemplaire) à la Préfecture et à la mairie centrale. Cette feuille doit être signée par les assesseurs et le président du bureau de vote. Lors de municipales, à Toulouse, un président de bureau de vote a proposé aux assesseurs de remplir à leur place un des deux exemplaires. Après une lourde journée, cette proposition de service a été acceptée avec soulagement. Mais la feuille d’émargement « complétée » par le président du bureau de vote n’était pas conforme à celle remplie et signée par les assesseurs. Et c’est ce « vrai-faux » document qui a été envoyé en préfecture.
Le vote « fantôme » des malades et des retraités.
La technique est valable dans les petites communes. Des électeurs glissent un bulletin dans l’urne sans avoir mis les pieds dans le bureau de vote. Il suffit de savoir qui est malade ou de connaître les retraités qui ne se déplacent pas. En milieu rural, ce genre d’information est facile à collecter. Surtout pour les maires qui (en principe) président les bureaux de vote. Les fraudeurs votent à la place de la personne alitée ou empêchée. Ils imitent la signature ou se contentent d’un vague paraphe.
Si, par malheur, le vrai électeur finit par se déplacer, il suffit de plaider une erreur.
Le procédé du « vote fantôme » se déroule habituellement entre midi et deux. A un moment où le bureau de vote est vide.
La technique du fer à repasser.
C’est la technique de fraude la plus sophistiquée. Il faut un peu de matériel : un fer à repasser. Il s’agit de coller ensemble deux enveloppes. Au moment du dépouillement, il y a (inévitablement) plus de bulletins de votes que de signatures dans le cahier d’émargement. Dans ce cas de figure, le code électoral est clair : il faut retirer 1 voix à chaque candidat.
Pour les fraudeurs, c’est le but de la manœuvre. En effet, si on retire plusieurs fois 1 voix à chaque candidat, le candidat favorisé y gagne tout de même.
Toujours dans la même idée (faire invalider des votes) il existe une variante : la mine de crayon sous les ongles.
Cela permet de tacher un bulletin et donc de le faire retirer du dépouillement.
Laurent Dubois (@laurentdub)