Imposer la langue française sur les chantiers de commandes publiques en invoquant des raisons de sécurité mais surtout pour privilégier les entreprises nationales. Le débat fait polémique après que plusieurs collectivités, régions et départements de droite (Ile de France, Rhône-Alpes-Auvergne notamment), ont pris cette option. En Occitanie, pas de « clause Molière » en vue mais plusieurs propositions pour ne pas laisser les entreprises locales au bord de la route.
Du côté de la présidence de région, cette prise de position de collectivités de droite est qualifiée de « très politicienne » en pleine campagne présidentielle. « Je ne suis pas sûr qu’on ait parlé de ça en assemblée. En plus, je ne crois qu’il y ait une base légale » ajoute Gérard Onesta (EELV). « On ne peut pas favoriser une entreprise par rapport à une autre. La règlementation européenne l’interdit » précise l’ancien vice-président du parlement de Strasbourg.
De l’enfumage selon le FN
« Cette clause « Molière », c’est de l’enfumage » sourit Julien Léonardelli. Pour l’élu régional FN « ceux qui l‘ont voté ne pourront jamais la mettre en application car la loi leur interdit et les régions ne sont pas autonomes ». « En arriver là c’est décevant » soupire Elisabeth Pouchelon, conseillère régionale LR de Haute-Garonne. « Je ne vois pas comment on peut obliger les personnes à parler français sur un chantier. Pour moi, on ne prend pas le problème à la racine. Le vrai sujet, c’est qu’il y ait une concurrence loyale entre les grands groupes et les sociétés locales et que nos entreprises soient compétitives».
Pour cela, le président du bureau de l’assemblée régionale explique que des critères peuvent être mis en place. « Par exemple, une Région qui a une politique environnementale, peut exiger lors de la passation de marché des clauses d’empreintes environnementales ». Autrement dit si l’entreprise vient de loin avec son personnel et son matériel, elle sera forcément moins compétitive. « Mais l’entreprise étrangère peut aussi avoir une succursale dans la Région» tempère Gérard Onesta.
Choisir le mieux-disant
Du côté de la Présidence de Région, on confirme que des dispositifs spécifiques existent dans le cadre du « plan Marshall ». « Nous avons également décidé d’avoir une commande régionale avec des « petits lots » » explique Carole Delga. Objectif : que les entreprises locales candidatent aux appels d’offre et les emportent. « C’est le cas pour l’entretien des lycées par exemple ». Les marchés publics sont également ouverts à des groupements de PME. Mais l’essentiel pour la Présidente de région est de choisir le « mieux-disant ». « On doit choisir l’entreprise qui a la meilleure offre en termes de qualité et pas systématiquement la moins chère. C’est comme ça qu’on peut aider nos entreprise » .
« Ces garde-fous ne sont pas suffisants pour éviter que les grands groupes prennent le dessus sur les entreprises locales» selon Elisabeth Pouchelon. « Personnellement, je suis pour la libre circulation des travailleurs mais on n’a pas les moyens légaux d’empêcher la concurrence déloyale. C’est plus au niveau européen que des régions que cela se joue ». « Il faut réinstaurer un état fort pour pouvoir contrer les directives européennes. Ces dernières empêchent de favoriser les entreprises nationales et donc locales » argumente Julien Léonardelli pour le FN.
L’Europe, alliée ou ennemie ?
Pour Gérard Onesta, « si on veut justement lutter contre le dumping social, on a quand même des jugements européens qui ont fait jurisprudence ». L’ancien député européen fait notamment référence à une décision de la cour européenne de justice du 17 novembre 2015 qui reconnaît la compatibilité avec le droit de l’UE de dispositions impératives de protection sociale minimale. « Cela signifie qu’une collectivité peut dans ses appels d’offres prévoir par exemple une clause obligeant les entreprises à respecter la législation sur le Smic »
En Occitanie, toujours dans le cadre du plan Marshall, la Région veut mettre en avant des clauses sociales censées soutenir l’emploi de proximité mais aussi des savoir-faire spécifiques. « Alors pourquoi est-ce une entreprise espagnole qui a construit la nouvelle caserne de pompiers de Perpignan ? » s’interroge Julien Léonardelli. « Toutes ces mesures du plan Marshall, c’est beaucoup de com’ mais il faut des actes » assène l’élu frontiste.
Autre reproche faite à la majorité, cette fois-ci par Elisabeth Pouchelon : «Le mieux-disant au départ ne l’est pas toujours forcément après un ou deux avenants ». « Il faut reconsidérer la procédure des appels d’offre et ne pas hésiter à déposer des recours en cas de dépassement ou de contrefaçon » explique l’élue Les Républicains. Revoir la législation sur l’attribution des marchés publics : encore une prérogative qui n’est pas du ressort de la Région…
Nos entreprises travaillent aussi à l’étranger
« Fermer notre territoire aux entreprises étrangères est une responsabilité dangereuse économiquement » selon Carole Delga. « Je rappelle que nous avons de nombreuses entreprises françaises de la région qui travaillent à l’étranger dans les filières de ‘aéronautique, du spatial ou encore de l’agro-alimentaire ». Quant à la langue française imposée à tous les ouvriers, le mot de la fin revient à l’architecte de métier : « il se parle de très nombreuses langues sur les chantiers et ce depuis des siècles. Cela n’a pas empêché les cathédrales de s’élever haut » conclue Gérard Onesta.
Patrick Noviello (@patnoviello)