Une fibre et une plume. Conseiller spécial à l’Elysée, Henri Guaino a rédigé les principaux discours du quinquennat Sarkozy. Durant les années Chirac, l’actuel député des Yvelines a inspiré le thème de la « fracture sociale ». Tout au long de ces séquences et encore aujourd’hui sur les bancs de l’Assemblée, Henri Guaino est pétri de culture historique. Henri Guaino, c’est une voix qui prend (parfois) des accents de Malraux. Mais c’est surtout un gaulliste pour qui le gaullisme n’est un simple héritage du passé. Il doit inspirer le présent et guider l’avenir. Dans une longue interview, Henri Guaino revient sur la réforme régionale de François Hollande et exprime ses craintes quant aux conséquences négatives de la création de Grandes Régions. Il révèle son intérêt pour une candidature en Ile-de-France.
Régionales 2015- Pour vous, la Fusion des Régions est une vraie réforme politique ou un simple mécano institutionnel ?
Henri Guaino. La carte des régions a été redessinée avec une invraisemblable désinvolture. Quelques heures de coloriage en laissant libre cours à l’imagination, suivies de quelques semaines d’intense lobbying de la part de quelques grands féodaux locaux et de quelques experts, électoraux du parti socialiste, soucieux des prochaines échéances, voilà la véritable et scandaleuse histoire de ce redécoupage.
Il y a deux façons de faire de la politique. A partir des réalités – économiques, culturelles, historiques, géographiques, démographiques – comme disait le Général de Gaulle. A partir de rien, comme si la France était une table rase, une page blanche. La première a de la profondeur. La seconde est superficielle et dangereuse parce que les réalités finissent toujours par se venger. Avec les nouvelles régions, nous sommes clairement dans la deuxième : superficielle et dangereuse. On s’est amusé à colorier la page blanche qui exprime assez bien la façon dont les technocrates et les politiciens se représentent la France parce qu’ils ne veulent plus entendre parler de ce vieux pays façonné par des millénaires d’Histoire. Mais pour aller où ? Comment ne pas voir dans cette désinvolture vis-à-vis de la France, un dessein à peine dissimulé d’en finir avec elle ? Refaire des principautés, revenir à l’Europe du Haut Moyen-âge, celle d’avant les Etats-Nations, semer les germes de puissantes féodalités rivales d’un Etat gouverné par le renoncement et qui revendiquent déjà un pouvoir réglementaire et demain législatif, disloquer la souveraineté dans un futur fédéralisme régionaliste, en finir avec la République « Une et indivisible », n’est-ce pas la direction prise ? Bientôt, peut-être, la Charte des langues régionales et minoritaires : le communautarisme linguistique qui déboucherait sur le communautarisme religieux, ethnique, parce que l’on commencerait à reconnaitre des droits juridiques aux minorités, aux communautés. A la fin, le risque est grand d’avoir les principautés plus les tribus. Ce redécoupage, né de la politique la plus politicienne et la plus superficielle qui soit, n’est pas anodin. Il n’est pas insignifiant. Il aura, dans la durée, si l’on ne revient pas dessus, des conséquences beaucoup plus lourdes qu’on le pense. Sans apporter de solution à aucun des problèmes auxquels il était censé répondre.
Régionales 2015-Les Grandes Régions, un nouveau grand « machin » ? Technocratique et lointain
Henri Guaino. Elles ne correspondent à aucune réalité économique, humaine, géographique…La grande taille n’apportera aucune économie d’échelle, aucune efficacité supplémentaire : avec la capitale à Strasbourg, il faudra des antennes régionales à Metz, à Reims… Avec la capitale à Toulouse, il faudra une antenne régionale à Montpellier… Il n’y a aucune rationalité ni économique, ni institutionnelle, à la fusion de Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon et aucun avantage à en espérer en matière de développement. A part reconstituer le Comté de Toulouse d’avant la croisade des Albigeois, à quelle logique obéit la création de cette grande région sinon une logique politicienne : essayer de conserver un fief électoral au parti socialiste ? Au-delà des conséquences à long terme de cette réforme qui va ressusciter les oppositions de jadis entre l’Etat et les féodalités, la conséquence la plus immédiate, certainement voulue par les technocrates à courte vue, sera la concentration accélérée de toutes les forces vives de la Nation dans quelques grandes capitales régionales et le déclin tout aussi accéléré du monde rural et des villes moyennes. Ainsi gaspillera-t-on deux fois : en abandonnant des pans entiers du territoire et en augmentant les coûts de congestion des grandes métropoles. Déséquilibre économique qui se doublera de profonds déséquilibres sociaux, culturels et identitaires. Les auteurs de cette carte ont joué aux apprentis sorciers avec les territoires. C’est, je le redis, grave et nullement anecdotique. Avec les grandes régions, les métropoles, les grandes intercommunalités, l’avenir programmé c’est la disparition des départements et de la plupart des communes. Lorsque tant de territoires seront privés de toute représentation politique, notre démocratie se portera-t-elle mieux ? Et la République ? Bien au contraire cette évolution est mortifère.
Régionales 2015-Selon vous, les élections régionales de décembre prochain seront d’authentiques élections (avec des idées et des programmes) ou le simple recrutement démocratique de super-gestionnaires locaux ?
Henri Guaino. Ni l’un, ni l’autre parce que personne ne s’identifie à ces nouvelles régions. Je mets à part celles qui n’ont pas changé. Ce sera une fois de plus l’occasion pour beaucoup de Français d’exprimer leur rejet, les uns en sanctionnant le pouvoir, les autres en utilisant le vote protestataire, d’autres, les plus nombreux, c’est à craindre, en restant chez eux. Dans beaucoup de cas, l’élection risque d’être une élection par défaut, ce qui n’est jamais bon parce que celui qui est élu par défaut n’a pas vraiment de mandat pour gouverner.
Régionales 2015 – L’idée d’une candidature aux régionales vous a-t-elle effleuré ?
Henri Guaino. Oui, en Ile-de-France parce que je déplore ce qu’est devenu le projet du Grand Paris sur lequel j’ai beaucoup travaillé lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Les travaux de dix équipes internationales d’architectes avaient embrassé tout le grand bassin parisien et la vallée de la Seine jusqu’au Havre, bien au-delà des limites de la région administrative.
C’était un projet magnifique. Ce que l’on en a fait en enfermant ensemble Paris et les départements de la petite couronne dans une institution étriquée est pitoyable. L’idée de m’investir pour ressusciter ce grand dessein qui pourrait être ensuite décliné dans les autres régions m’a donc effleuré. Cette démarche s’inscrivait dans la perspective d’une politique de civilisation que j’appelle de mes vœux. Les notables coalisés qui n’aiment pas être dérangés dans leurs petits arrangements – ce n’est pas le privilège de l’Ile de France – en ont décidé autrement. Là, pas question pour eux de primaires même avec les militants, projet contre projet. Une expérience de plus des vicissitudes de la vie partisane. Un mal pour un bien : cela me laisse plus de temps pour réfléchir à l’avenir du pays.
Régionales 2015 – Pour vous le vrai échelon du Pouvoir est européen ? Régional ?
Henri Guaino. Il manque un échelon dans votre question : la Nation.La souveraineté, donc le pouvoir de décider par soi-même, s’exerce toujours avec les autres puisque personne n’est seul au monde. Cela dit, la question du pouvoir est inséparable de celle de la légitimité. Elle demeure liée à la Nation : la solidarité et la légitimité démocratiques sont nationales. Pour accepter une communauté de destins, des lois communes, un partage, il faut le sentiment fort d’appartenir à un peuple. Alors oui, le pouvoir ne peut procéder aujourd’hui, même en Europe, que de l’indépendance nationale et de la souveraineté du peuple. Vouloir dresser les régions et l’Europe contre les Nations est une folie qui nourrit la grave crise actuelle de la politique et de la démocratie et qui attise les crispations identitaires : en piétinant les Nations, on prépare l’avènement d’un nouveau nationalisme radical. Cette pente est fatale. Il faut refonder la décentralisation et la construction européenne sans faire l’impasse sur l’Etat-Nation.
Régionales 2015 -Les régionales seront-elles le premier tour des présidentielles ?
Henri Guaino. Non.
Régionales 2015-Quel rôle jouerez-vous en 2017 ?
Henri Guaino. L’avenir le dira. Mais, je me battrai pour la résurrection d’une idée gaullienne de la politique et de la France parce que jamais, depuis 1958, les circonstances et les terribles désordres du monde ne l’ont rendu autant nécessaire alors que jamais la politique française ne leur a autant tourné le dos.
Propos recueillis par Laurent Dubois