Sale temps pour les fraudeurs. Suite à l’affaire « Panama Paper’s« , des noms sont mis sur la place publique et un premier ministre (islandais) est contraint de démissionner. Mais les amateurs de comptes offshore peuvent toujours compter sur le parlement français. Tambouille politicienne et paradis fiscaux font bon ménage. Cinq mois avant des révélations qui secouent la planète finance et le monde politique, les députés ont eu l’occasion de renforcer la lutte contre l’évasion fiscale. Mais une chamaillerie entre les Frondeurs du PS et le gouvernement socialiste ont eu raison d’un amendement qui resserrait l’étau. Dommage. Sans une guerre interne au PS, François Hollande pourrait brandir l’exemplarité de la France.
Lundi 4 avril 2016. François Hollande déclare : « Toutes les informations qui seront livrées donneront lieu à des enquêtes des services fiscaux et à des procédures judiciaires« . C’est vraiment pas de chance. Grâce au vote d’un amendement déposé par une de ses députées, l’Elysée pourrait disposer, depuis plusieurs mois, d’informations utiles au fisc et à la justice. En effet, le 4 décembre 2015, dans le cadre du projet de loi rectificatif au budget, la rapporteure (PS) du Budget, Valérie Rabault, députée PS du Tarn-et-Garonne, a déposé un texte qui s’attaque à l’évasion fiscale. Publication annuelle du chiffre d’affaires annuel des entreprises, du nombre de filiales, d’employés et du montant des impôts versés à l’Etat.
L’amendement Rabault apportait plus de transparence dans l’univers (souvent) opaque des comptes d’entreprise.
Un rapport parlementaire chiffre à 15 milliards d’euros par an le manque à gagner pour le fisc. Tous les ans, entre 40 et 60 milliards d’euros de bénéfices échappent à l’impôt. Sans même parler de l’aspect moral (une fraude organisée), l’évasion fiscale « plombe » les caisses d’un Etat français lourdement endetté. Dans ce contexte, l’amendement Rabault n’est pas simplement politiquement judicieux. Il est financièrement utile.
Mais c’est sans compter sur les tensions entre Frondeurs et gouvernement. En effet, l’amendement Rabault se retrouve pris en otage par les affaires domestiques du Parti socialiste. Comme le précise un des députés qui a participé au vote, le député du Tarn, Jacques Valax : « On nous a demandé de ne pas voter car l’amendement était défendu par les frondeurs mais on nous a promis un texte plus tard« .
Visiblement la consigne a été suivie. Sur les 56 députés présents lors de la séance de nuit de décembre 2015, 25 ont voté « contre » et 21 se sont prononcés positivement. Le sommeil a eu raison de l’immense majorité des 577 députés qui visiblement ont préféré leur oreiller aux bancs de l’Assemblée. Mais, parmi la maigre « troupe » restante, le gouvernement a remporté la partie. Les Frondeurs ont été battus à 4 voix près. L’auteure de l’amendement a même voté contre son propre amendement.
Cette volte-face surprenante est, selon un parlementaire socialiste, purement conjoncturelle : « Valérie Rabault a été légitimiste et n’a pas voulu entrer dans des règlements de compte entre le gouvernement et les frondeurs ».
Valérie Rabault défend une toute autre version des faits : » Je n’ai jamais été favorable à cet amendement. C’est une spécificité de la loi des finances. Les amendements portent forcement le nom du rapporteur du budget. Le fait qu’il ne soit pas adopté ne remet absolument pas en cause la lutte contre l’évasion fiscale. Nous avons fait adopté deux mesures essentielles : les échanges d’informations entre les administrations fiscales des pays européens et nous avons institué une publication obligatoire du chiffre d’affaire et des résultats des entreprises dans tous les pays dans lesquelles elles sont implantées. C’est une vraie et profonde évolution ».
Cinq mois après l’épisode nocturne du « vrai-faux » amendement Rabault, en plein « Panama Paper’s« , l’abandon d’un dispositif anti-évasion fiscale laisse un goût amer à certains parlementaires socialistes. Ainsi Jacques Valax déclare » Regret. Le gouvernement a manqué l’occasion d’afficher sa fermeté dans sa lutte contre la fraude fiscale. Pour retenir les députés de voter avec les frondeurs, on nous a promis un texte mais il n’est jamais arrivé. C’est une occasion manquée « .
Dans le contexte actuel, l’occasion manquée se transforme en malaise.
Laurent Dubois (@laurentdub)