« Les urgences, parfois, ont des allures de Vaudeville. Il manque le placard et l’amant caché dedans. Certains jours, l’opérette cède la place à la tragédie antique. L’hôpital est un théâtre : on y chante ce que nous sommes, ce qui nous détermine ou nous émeut. En bien, en mal, ce lieu est un athanor alchimique où se distille lentement l’humanité malade de la vie »
Le décor est ainsi planté. Baptiste Beaulieu est interne à l’hôpital d’Auch alors qu’il écrit ces lignes. Il raconte comme au théâtre mais en même temps il vit dans cet endroit et en ressent tous les sentiments inhérents.
L’auteur se prend d’affection pour une patiente en soin palliatifs, condamnée par un cancer et qui attend pour mourir que son fils, coincé par le nuage d’un volcan en Islande, puisse reprendre un avion pour venir la voir une dernière fois.
Elle lui dit :
– Une question me tarabuste depuis des années ? Pourquoi attendons-nous aussi longtemps aux urgences ? Y-a-t-il un secret ? Une sorte de mystérieux triangle des Bermudes qui naîtrait dans les salles d’attente et dilaterait les minutes en heures ?
L’interne rit intérieurement et repense à un patient vu quelques heures auparavant parce qu’il avait le coude douloureux seulement quand il l’agitait dans tous les sens. Quelle idée de faire ça à son coude… Ou encore un autre qui lui dit préférer venir à l’hôpital plutôt que de déranger pour rien son médecin généraliste !
Le narrateur reste toutefois objectif : le problème ne vient pas toujours des patients. Et Baptiste Beaulieu d’habiller certains de ses chefs pour l’hiver.
« Le chef Gueulard tient le téléphone devant le vide-ordure qui lui sert de bouche. Je l’entends vociférer au téléphone sa haine des Urgences, du personnel des Urgences, etc. pour lui, les Urgences sont le paillasson sur lequel il essuie ses frustrations ».
Les urgences un univers à part que Baptiste Beaulieu humanise par sa façon parfois onirique de voir les choses ou les situations. Il parvient à cet enchantement tout en remettant régulièrement les choses à plat :
« Aux urgences, les patients viennent puis repartent. Chez eux ou dans les services. On ne sait pas ce qu’ils deviennent : vie ? mort ? guérison ? aggravation ? Mystère… Pire on ignore qui est vraiment le coupable. »
Ce qui marquera le lecteur dans cette compilation de notes et de souvenirs (au départ un blog) c’est la description au plus près de la mort que fait le soignant. Sans fard mais sans pathos, sans pincettes mais sans volonté de choquer pour choquer. En atteste cette rencontre entre un de ses chefs et une patiente : « Je le vois se confier à cette parfaite inconnue sans m’en étonner : au seuil du grand passage, les convenances et les frontières sont abolies. Nous ne sommes jamais vraiment étrangers à une personne qui va mourir ».
Baptiste Beaulieu ne tombe pas plus dans l’angélisme quand il s’agit de décrire l’environnement économique dans lequel il évolue, un milieu où l’argent reste le nerf de la guerre (voir l’actualité sociale) : « L’argent est un sujet tabou à l’hôpital. Officiellement, la santé des gens ne se monnaye pas ! Officieusement ? il en est question partout. C’est comme une grosse pépite d’or qui roule dans les couloirs. On court après. Tout le temps. Le directeur, l’administration, les chefs de service, c’est une vraie chasse au trésor. A l’hôpital, officiellement, on ne parle pas d’argent. Le silence est d’or et cet or est joueur… ».
Lisez « Alors voilà » et vous ne verrez plus votre attente aux urgences de la même façon. C’est en partie pour ça que Baptiste Beaulieu a écrit ce livre, un ouvrage également hommage au personnel soignant.
Patrick Noviello
« Alors Voilà. Les 1001 vies des urgences ». Baptiste Beaulieu. Fayard.
Baptiste Beaulieu sera l’invité de « La Voix est Libre » consacrée aux urgences le 16 novembre.