Isabelle Saporta comparaissait hier en diffamation devant le Tribunal Correctionnel de Paris . En 2014, la journaliste avait publié « Vino Business », un livre dans lequel elle portait des accusations contre Hubert de Bouard, écrivant qu’il était juge et partie dans le dernier classement des vins de Saint-Emilion. Son avocat Jean-Yves Dupeux réfute et considère qu’il ne s’agit pas d' »une enquête loyale sérieuse et de bonne foi », le classement ayant été réalisé par une commission indépendante. Interviews des deux parties à la sortie de l’audience.
En 2014, Isabelle Saporta enchaînait les radios et plateaux télés pour son livre « Vino Business », suivi quelques semaines plus tard d’un documentaire sur France 3 éponyme mais aussi plus « soft ». Ce jeudi elle comparaissait devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffamation. Une audience passionnée et passionnante qui aura duré jusqu’à 21 heures.
Pour Isabelle Saporta : « c’est le pot de terre contre le pot de fer, mais je dois dire que dans ces cas là on ne ferait jamais d’enquête, (…) aujourd’hui chaque fois qu’on s’attaque à des intérêts d’argent on a un procès. Le procès est fait pour vous intimider et de fait c’est intimidant. Mais ce n’est pas parce que c’est intimidant qu’il ne faut pas faire ces enquêtes, c’est pas parce que c’est dur qu’il ne faut pas y aller et je vais vous dire c’est dur, je ne vais pas vous mentir c’est dur ».
De son côté Jean-Yves Dupeux, l’avocat d’Hubert de Boüard, considère qu’« elle a écrit un livre, ce n’était déjà plus le métier de journaliste et ensuite elle a écrit un livre dans lequel elle porte des accusations qui me paraissent parfaitement injustifiées. »
Isabelle Saporta a utilisé dans son livre des termes forts comme le « seigneur de Saint-Emilion » mais aussi de « cumulard » de fonctions pour dépeindre celui qui l’avait autorisé à le suivre pour un reportage télé sur une longue durée, sur plusieurs mois (à l’époque il n’était pas question d’un livre).
A la sortie de l’audience hier l’avocat d’Hubert de Bouard tenait à préciser le cumul des fonctions: « il s’est longuement expliqué, d’abord il est tourné vers le collectif, il fait partie de ces gens qui s’intéressent à la chose publique et pas seulement à ce qu’ils font dans le cadre de leurs activité professionnelles. Et il a expliqué que quand on est membre d’un syndicat, le syndicat des vins de Saint-Emilion en l’espèce, on est membre de la fédération, du conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, et que dans la suite logique il a été membre du comité régional de l’Inao et puis membre du Comité national de l’Inao ».
Isabelle Saporta voulait démontrer que les règles du nouveau classement avaient été faites pour permettre au château Angelus de devenir 1er cru classé A (Angélus figure depuis 1996 parmi les 1ers grands crus classés de St Emilion); la journaliste s’est ainsi interrogée sur certains critères du classement, qui semblent, selon elle, taillés sur mesure pour M. de Boüard. Par exemple, un vin sera d’autant mieux classé qu’il est déjà célèbre, or château Angélus a fait son apparition au cinéma dans James Bond.
Hubert de Bouard a pu dire devant le tribunal « Je revendique le fait d’être actif et d’être un entrepreneur mais je revendique aussi mon honnêteté » et d’expliquer qu’il travaille depuis toujours sur le marketing de son vignoble.
Un classement qui a par ailleurs été attaqué par 3 plaignants devant le tribunal administratif de Bordeaux en décembre dernier. En vain, car le tribunal l’a confirmé 9 jours après l’audience. L’affaire est pour l’heure en appel. Deux vignerons déclassés figuraient hier parmi les témoins d’Isabelle Saporta :« J’espère aussi avoir offert une tribune aux déclassés. Je crois qu’ils ont pu aussi développer leurs arguments, dire ce que c’était d’être déclassé aujourd’hui à Saint-Emilion. »
Pour Me Dupeux : « Lorsque le classement de Saint-Emilion a été décidé en 2011, puisque le précédent avait été annulé, les précautions essentielles ont été prises pour qu’il ne soit pas possible qu’il y ait des conflits d’intérêts. Et on a nommé une commission avec des gens totalement extérieurs à Bordeaux, eux-mêmes tous extrêmement indépendants, présidée par une personnalité, un ancien haut fonctionnaire qui manifestait beaucoup d’éthique, et par conséquent c’est cette commission qui a raisonné sur le classement et qui a soumis ce classement à l’INAO puis au Ministère de l’Agriculture. »
Au bout de sept heures d’audience, Me Jean-Yves Dupeux a demandé au nom de son client 50.000 euros, plus 10.000 euros au titre des frais de justice. « On n’est pas dans le cadre de l’enquête loyale, sérieuse, de bonne foi », a estimé l’avocat d’Hubert de Bouard.
Me Christophe Bigot, l’avocat d’Isabelle Saporta considère le contraire « Vous avez à juger d’un travail extrêmement sérieux et d’intérêt général », avec des « enjeux de consommation et des enjeux financiers colossaux » a-t-il dit devant le tribunal.
Le tribunal correctionnel a mis l’affaire en délibéré, il rendra son jugement le 22 septembre prochain à 13h30. 3 témoins ont été entendus pour chacune des parties : Hubert Boidron de Corbin-Michotte et Pierre Carle de Croque-Michotte ainsi que Jacques Berthomeau, ancien directeur de cabinet au ministère de l’Agriculture du côté d’isabelle Saporta et Bernard Farges du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux),Christian Paly du Comité national des AOC vins de l’Inao et Robert Tinlot, de la Commission de classement des Grands crus classés de Saint-Emilion, cités par Hubert de Boüard.
Avec AFP, et Patricia Chalumeau de France 3 Paris
Regardez les interviews des deux parties réalisées par Patricia Chalumeau et Anaïs Recouly: Isabelle Saporta et Me Jean-Yves Dupeux: