Ils commencent à constituer une petite tribu… Celle des vignerons qui ont un savoir-faire et se démarquent en produisant des vins sans IG en vins de France… Par choix, ils commercialisent une partie de leurs cuvées en dehors des AOC, des pépites qui souvent sont plus valorisées.
S’il en est un qui revendique sa différence, c’est bien Jean-Baptiste Duquesne. Un vigneron dans les Graves à Saint-Pierre-de-Mons en Gironde. Il a créé voilà deux ans le mouvement Bordeaux Pirate sur facebook, qui regroupe 25 vignerons et quelques 2700 membres du groupe.
Quand il ne produit pas en AOC et en bio avec la marque de son château Cazebonne, il s’éclate en produisant des vins de France. Ainsi il revisite ici sur son terroir des cépages d’autrefois, oubliés de Bordeaux, qui ne sont pas retenus par le cahier des charges de l’AOC…
« L’AOC définit un certain nombre de cépages, auxquels on a droit, et il y avait autrefois plus de cent cépages, et puis il y a une petite dizaine de cépages qui sont prévus dans les appellations de Bordeaux, et c’est ce patrimoine ces 90% de cépages qu’on a oublié qui m’intéresse de revisiter, pour se demander lesquels vont nous apporter des solutions à l’avenir… », commente Jean-Baptiste Duquesne. « On a classiquement le cabernet sauvignon, le merlot, le sauvignon, le sémillon, mais on a laissé de côté un certains nombre de cépoages qui étaient autorisés dans l’AOC en 1935 à titre accessoire (la pardotte, le saint-macaire, le mancin, le castets, le bouchalès, (autorisés en 1935 mais qu’on demandait aux vignerons d’arracher sous 10 ans) et peu à peu de manière effective et avec le gel de 1956 ces cépages ont disparu dans nos vignes… »
Ainsi si le temps, le phylloxéra et le gel de 1956 ont rebattu les cartes, récemment le gel de 2021 a aussi contraint Sylvain Destrieux à s’adapter à Ruch. Vu que ses cépages de blancs ont gelé au Clos de la Molénie, il a fait comme en champagne un vin blanc issu de cépage rouge élevé 10 mois en jarre à l’extérieur…
« On a fait un blanc de noir car avec les dégâts de gel de l’an dernier, on n’avait quasiment plus de blanc…donc on a fait du blanc de noir avec du cabernet sauvignon, qui est le cousin du sauvignon blanc, don on sort un blanc plutôt atypique mais pas si incohérent que cela en fait, où on s’est inspiré des Champenois ou d’autres régions où ils font effectivement des blancs de noirs… »
« Il est interdit dans le cahier des charges de Bordeaux, on ne peut pas en produire en AOC Bordeaux, par contre on peut le produire sur la région de Bordeaux mais il sera commercialisé de fait en vin de France. »
Sur sa dizaine de cuvées, Sylvain Destrieux produit la moitié en vins de France, ce qui représente 1/3 de ses volumes. Il les valorise mieux, parfois 50 % plus cher, car plus originaux comme sur cette cuvée Pas de la Colline: « on a gardé 100% des rafles, on l’a gardé pendant 18 mois, et c’est un assemblage assez atypique merlot 90%, 7% de malbec et 3% de sauvignon blanc…Donc on a fait un petit clin d’oeil à ce qui pouvait se pratiquer en Côte Rôtie en en Hermitage dans les Côtes du Rhône… »
Seulement 132 000 hectolitres sont produits en dehors des AOC à Bordeaux qui eux représentent 3,77 millions d’hectolitres. Un mouvement qui s’est fait jour et pourrait se développer vu les problèmes de commercialisation des vins rouges dans le bordelais.
« Cela reste quand même anecdotique, on est à un peu plus de 1% des surfaces et un peu moins de 2% des volumes, par contre c’est bien que certains puissent se tester en dehors du cahier des charges, et sur des sujets techniques et sur des sujets commerciaux, avec des cuvées particulières…. », commente Christophe Chateau directeur de communication au CIVB.
Jean-Baptiste Duquesne a fait 3 cuvées qui ne cadrent pas avec Bordeaux (au sens des AOC), ainsi avec le « Petnat » un vin pétillant naturellement qui n’est pas un crémant de Bordeaux, avec ses 5 cépages oubliés « comme en 1900 » ou encore avec son « Qui est Yin Qui est Yang » qui fait voyager ressemblant à plus à un gamay qu’à un Bordeaux… « Il est sacrilège de mélanger du raisin blanc et du raisin rouge, là on a fermenté du cabernet franc et du sauvignon blanc pour faire cette cuvée très atypique… Donc voilà ce que m’apporte le vin de France, il me redonne des territoires de liberté, proposer des nouveaux goûts, toucher de nouveaux consommateurs… »
Et preuve que les codes sont aujourd’hui bousculés, il a même fait appel à un rappeur pour décrypter et démocratiser ses vins de France…
Regardez le dossier de Jean-Pierre Stahl, Delphine Roussel-Sax et Olivier Pallas :