Voilà une idée de cadeau à faire en cette fin d’année : « les Petites Mains de l’Ombre, Gestes & Savoir-Faire des Vins du Médoc », un livre de 114 pages de photos et de textes réalisé par Marie-Lys Bibeyran, elle même travailleuse à la vigne, qui a souhaité mettre en lumière tous ces anonymes sans qui aucun grand vin ne pourrait être produit. Un hommage aux travailleurs de la vigne. Côté château lui décerne la rubrique « Vigneron du Mois »
Jean-Pierre Stahl : « Bonjour Marie-Lys, à quand remonte cette idée d’écrire ce livre et de photographier les « Petites Mains de l’Ombre » ?
Marie-Lys Bibeyeran : « en fait, j’ai commencé à faire des photos en janvier 2019, sans aucune idée précise, sans ce que je pouvais en faire… J’avais envie d’immortaliser des gestes, un savoir-faire, je trouvais cela beau et surtout je ne comprenais pas qu’il n’y ait rien de fait là-dessus, alors que le vin est pourtant un produit sacré… Cela a donc duré quelques mois, j’ai compilé des photos et mon entourage, notamment d’Info Médoc Pesticides m’en a dit beaucoup de bien, donc j’ai fait d’abord un calendrier, puis un livre et bientôt une expo photos. »
JPS : « Ce livre est donc un recueil de photos de ces Petites Mains de l’Ombre ? »
Marie-Lys Bibeyeran : « Oui, on y trouve une bonne cinquantaine de photos, chacune accompagnée d’un texte. On part d’une saison de taille et on suit les travailleurs des vignes sur 4 saisons, avec les travaux de sécaillage, pliage et taille… Chaque tâche est décortiquée, décrite et expliquée avec des termes techniques. Je fais référence aussi à un vocabulaire local, certaines choses se disent d’une certaine manière dans le Médoc et autrement sur d’autres etrritoires de la Gironde ».
« J’ai souhaité également prendre ces photos de ces travailleurs de manière anonyme, avec simplement leur prénom, il est nécessaire de respecter ainsi l’anonymat pour éviter qu’ils ne subissent une quelconque pression. »
« C’est avant tout une volonté de mettre en lumière tout le travail de réalisation d’un vin, qui est totalement obscurci ».
JPS : « Pour vous, il n’y a pas suffisamment de mise en valeur de ces travailleurs ? »
Marie-Lys Bibeyran : « Il n’y en a pas du tout, c’est aberrant. Le vin est un produit sacré, on a l’impression que le raisin pousse tout seul, c’est incompréhensible de ne pas mettre en avant ce savoir-faire. Ce n’est pas un travail simpliste, c’est très technique, sans parler de la pénibilité… »
« C’est très important que Dominique Feydieu (maire de Cussac-Fort-Médoc et vigneron) signe la préface, que ce soit un employeur. Je précise qu’on n’est pas là sur la question des pesticides, ni contre les employeurs, cela prouve qu’on peutr être employeur et faire vivre une entreprise dans le respect des travailleurs ».
Ce sont des beaux châteaux et des grands crus, mais tout cela n’existerait pas si on n’avait pas les Petites mains de l’Ombre et leur savoir-faire » Marie-Lys Bibeyran
Le sécaillage par Miguel © Marie-Lys Bibeyran
JPS : « Qui sont ces Petites Mains de l’Ombre dans votre ouvrage ? »
Marie-Lys Bibeyran : « Ce ne sont que des travailleurs du Médoc, des permanents et des saisonniers, de toutes les appellations du Médoc. Ce sont des gens passionnés qui ont un lien viscéral avec la vigne. Moi-même je suis saisonnière dans les vignes, je peux vous dire que c’est rude, mais quand bien même ils ont une grosse conscience professionnelle, ils parlent avec beaucoup d’affection de leur vigne. Il y a aussi des gens qui sont arrivés de l’étranger, ou d’autres pas natifs du Médoc, et qui maintenant sont en CDI, il y a vraiment tous les profils… »
JPS : « Ces travailleurs, ces petites mains sont-ils ou sont-elles bien rémunéré(e)s ? »
Marie-Lys Bibeyran : « Absolument pas, il y a des gens qui sont là depuis une dizaine d’années et qui sont toujours au SMIC, ils ne gagent pas plus de 1200 euros. Les gens qui gagnent plus sont souvent au prix fait ou au rendement, il peut leur arriver de faire deux journées en une, ce pour améliorer leur niveau de vie. Au niveau reconnaissance sociale, cela traîne les pieds, tant au niveau du salaire que de la Mutualité Sociale Agricole, et avec après des problèmes de santé. Ces dernières années, on parle de plus en plus de robotisation, mais on n’obtient jamais la même qualité, ni le même savoir-faire qu’avec la main de l’homme. »
Brice et le tressage de la vigne © Marie-Lys Bibeyran
JPS : « Et là, en ce moment on est justement en plein dans l’actualité avec la taille de la vigne… »
Marie-Lys Bibeyran : « oui, en ce moment, on est en plein dedans. C’est la tâche qui dure le plus longtemps, de fin novembre à fin mars. De la taille dépend la récolte. Chaque tache a son importance. Avec le réchauffement climatique, le débourrement se fait de plus en plus tôt et il faut aller vite pour avoir au final et la qualité et la vitesse du travail ainsi fait.
Une belle idée serait pour les châteaux d’associer les travailleurs de la vigne en donnant le prénom de l’un d’eux à l’une de leur cuvée.
« D’autant que certains châteaux produisent 2, 3 ou 4 vins par propriété, donc ce serait une belle reconnaissance en donnant un prénom à une cuvée pour montrer leur implication. Mon père était maître de chai, j’ai grandi au milieu de ces gens qui ont vécu dans une misère sociale, vous n’avez effectivement pas beaucoup de considération quand vous travaillez dans la vigne ».
« Mais ce que je veux souligner c’est que je ne suis pas anti-viticulteur, j’aime une viticulture paysane, humaniste et c’est possible de concilier tout cela.Mon livre est un hommage aux travailleurs de s vigne et à cette viticulture-là. »
« Les travailleurs des vignes ont été emballés par le projet, enthousiastes à y participer : « enfin, on parle de nous ! », m’ont-ils dit, dans le respect et l’anonymat. »
Les Petites Mains de l’Ombre, par Marie-Lys Bibeyran, 114 pages, à consommer sans modération, 14 €, disponible sur le site thebookedition , à la Cave les Maîtres du Vin à Saint-Médard-en-Jalles, Maisons de la Presse de Pauillac et Castelnau, librairie de Corinne à Soulac, salon de thé KTea à Saint-Estèphe et à la Fnac et sur Amazon.