Le théâtre du milieu des années 70 est parfois marqué par l’actualité politique et sociale effervescente de l’époque. Le désir, aussi, de retour à la terre, au village. En janvier 1975 est présentée au théâtre municipal de Brive, La déesse d’or de Gérard Gelas par le Théâtre du Chêne noir, invité par l’association Cephée. « Une pièce en musique, en lumière, en sons (…) dans un supermarché bordel où le client trouve à l’étalage des putes en remplacement des détersifs et autres produits alimentaires habituels, un homme chante une autre vie. Il dit, nous avons décidé de saisir les étoiles aux cheveux et les brandir, comme des armes en dansant au-dessus du vieux monde. » Selon Actuel, c’est la pièce « la plus planante de France et de Navarre. »
Au Grand Théâtre de Limoges, Sophie Desmarets – repérée dès 1938 par Jouvet, 1er Prix de comédie moderne au Conservatoire – joue dans L’Arc de triomphe de Marcel Mithois (créé au Théâtre St-Georges). Dans Le Populaire du 11 janvier, le Dr H. Pouret évoque la figure de Pierre Fresnay, qui vient de disparaître, « un grand comédien, certes, mais aussi un grand homme. »
Mercredi 15 janvier, une réunion de concertation est organisée par le Centre Théâtral Limousin, dirigé par Jean-Pierre Laruy, au Petit Théâtre de la Visitation, rue François Chénieux, afin de préciser aux professeurs de lettres et aux personnes intéressés le programme envisagé dans le cadre du théâtre-enseignement existant depuis trois ans. Les acteurs vont dans les classes pour parler théâtre mais surtout pour initier les élèves au théâtre et à la vie des acteurs. Ils jouent d’ailleurs des extraits d’œuvres au programme. En 1970-72, l’action concernant 118 classes et 3 710 élèves a valu au Limousin de devenir « région pilote ». En 1971-72, ce furent 225 classes et 6 796 élèves et l’année suivante 321 classes et 11 235 élèves. Cela concernait Limoges, Brive, Tulle, Uzerche, Périgueux et Guéret. L’initiative fut financée par l’Etat et les collectivités locales. Le thème choisi par les comédiens pour 1975 est « maître et serviteur ». Les élèves étant invités à assister aux répétitions des Mystères de Paris puis de Richard III au C.C.S.M. Jean Gagnant. Les animatrices du C.T.L. sont André Retz, Marie-Hélène Thouin et Andrée Eyrolle.
Au village du Bussin (Saint-Laurent-les-Eglises), on assiste à la création d’un café-théâtre qui fonctionne chaque dimanche après-midi à partir du 2 mars, animé par Jean Madoumier, un fermier qui exprime sa volonté de faire du « théâtre d’actualité ». Mais l’expérience ne semble guère concluante puisque en novembre, l’équipe fondatrice déménage.
Maison du peuple Limoges (c) coll. part.
Le week-end du 15 février, des rencontres artistiques sont organisées à la Maison du Peuple à Limoges, avec notamment du théâtre avec L’Ecale (?), Le Théâtre de la fête. Au Grand Théâtre, on peut voir L’arnacoeur, une comédie de Pierrette Bruno, avec Jean-Pierre Darras et Roger Carel ou Les Branquignols, avec Robert Dhéry, Colette Brosset, Micheline Dax…
Les Mystères de Paris mélodrame de J.P. Laruy d’après Eugène Sue, est prévu à Jean Gagnant, avec Pierre Valde, Bernard Bourdet, Marie-Hélène Thouin, J.P. Laruy, Andréa Retz, Andrée Eyrolle, Hassan Gerethy, Monica Boucheix, Frédéric Cerdal et Michel Bruzat. Joué d’abord à Bordeaux, il y reçoit un excellent accueil. Le Roman de Renart revu et corrigé par Frédéric Cerdal (C.T.L.) a du succès à la Visitation. Fin mars, il a déjà attiré 22 150 spectateurs, dont de nombreux scolaires. Il part ensuite en tournée, par exemple à Sédières, en Corrèze, en juillet. Le C.T.L. a aussi donné, la première partie de la saison 74-75 : L’Anniversaire de Pinter, et a tourné au Proche-Orient, avec Renart mais aussi Du Vent dans les branches de sassafras. Vie et mort du roi Richard II est annoncé.
Paulette Cousty présente, dans Le Populaire, Moi un comédien de Jacques Charon chez Albin Michel. Jacques Charon, c’est 35 ans de Comédie-Française, de vie parisienne et de tournées. Acteur et metteur en scène, il revient, avec cette biographie, sur son amour pour le théâtre, sur ses rencontres et ses amitiés avec des grands noms, tels Jean Piat, Sophie Desmarets, Robert Hirsch, Micheline Boudet, Pierre Dux, Georges Descrières, Jacqueline Maillan, Alice Sapritch, Marie Bell, Cécile Sorel et bien d’autres encore.
Fin février, à la Visitation : Mourir bronzé par le Trémolo Théâtre, avec Charles Caunant, Marie-France Descouard, Jean-Charles Derrien. Les deux hommes sont alors des habitués de Radio-Limoges-Centre-Ouest où ils animent Redis-moi ça pour voir. Le journaliste Chris Dussuchaud rend hommage à Caunant, dont le « sens du mot en fait un auteur particulièrement percutant. Son sens de la scène en fait un comédien de bon rang. Des trois, il est le plus « professionnel », au meilleur sens du terme. » On s’en prend avec bonheur aux institutions et, parmi celles-ci, au théâtre classique. Marie-Christine Descouard a notamment suivi l’enseignement théâtral de Tania Balachova, à Paris, et précédemment d’Alessandro Fersen, à Rome (travail de Grotowski). Elle a joué dans la troupe du Café de la Gare de 1973 à 1981, auquel elle a consacré un livre, et également au cinéma.
Début mars, en lien avec l’université, le C.C.S.M. Jean Gagnant propose Neruda présent, un spectacle des Jeunesses poétiques de Bruxelles illustré aussi par des images de films et faisant le lien entre l’œuvre du poète et la situation au Chili (deux ans après le coup d’Etat de Pinochet). Dirigée par H.L. Lacouchie, le directeur de Jean Gagnant, la troupe d’amateurs Les Masques propose Les Portes claquent, une pièce de boulevard – après avoir joué du Gogol, Obaldia, Tardieu. La distribution en est : Isabelle Fontaine, Sylvie Desjarriges, P. Brocas, G. Lerval, Odette Gineste, Renée Lannette. « Une satire au ton modéré, une action aux rebondissements inattendus, une course continuelle contre la montre et pour le rire par cette famille de doux dingues, égrenant avec talent et vivacité, des répliques savoureuses, quelques légères touches plus subtiles ». En avril, des représentations de Jacques le Fataliste sont données par le Théâtre du Capricorne à Jean Gagnant (« talent des acteurs et intelligence de la mise en scène, grâce, hardiesse, drôlerie, vivacité… » d’après Le Populaire). Au Grand Théâtre, les spectateurs applaudissent Le malade imaginaire (Galas Karsenty), avec Jacques Charon, qui en signe la mise en scène.
A Bellac, le groupe théâtral du Lycée Jean Giraudoux (animé par Mme et M. Guyot) joue Les Femmes savantes de Molière. Les notables sont présents et le public satisfait. le théâtre scolaire est alors en plein essor.
A Brive et en Corrèze, le Théâtre de l’Escarbille donne Chile Vencera de Juan Fondon, pièce créée au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis par la compagnie José Valverde. Il s’agit à nouveau d’évoquer la dictature chilienne, « les généraux de la junte apparaissant comme une collection des marionnettes dont les Américains tirent les ficelles. »
A Limoges, Jean Piat vient dans Le Tournant de Françoise Dorin, un « succès foudroyant » et deux années de représentations ininterrompues au Théâtre de la Madeleine. Le Populaire du Centre brosse son portrait. Il consacre également sa rubrique « La Vie littéraire » (Paulette Cousty et Raymond d’Etiveaud) à Jean Giraudoux.
A La Croisille, on peut voir du théâtre en occitan par les jeunes de L’Ecole du Mont-Gargan, avec Lo treis galants de Jacques Raux et Lou bourri de J.L. Deredempt.
Le 3 mai, Chris Dussuchaud s’interroge dans Le Populaire à propos du « sous-développement culturel de Limoges » : « Bien sûr, la vie culturelle limougeaude n’est pas d’une intensité et d’une richesse que certains – nous-mêmes en premier lieu – la souhaiteraient. On connait les limites des inévitables tournées Karsenty ou autre Barret. On peut déplorer le manque « d’avant-gardisme » du Grand Théâtre (…) Quand le mime Marceau ou Laurent Terzieff, par exemple, arrivent péniblement à remplir à moitié seulement le Grand Théâtre, on peut se poser un certain nombre de questions. En voulant tendre vers la qualité, limiterait-on fatalement l’auditoire ? On peut le croire (…) pourquoi ne pas aborder le vrai problème, celui du manque d’intérêt manifesté par les « masses » pour la chose dite culturelle. C’est une affaire d’éducation. Education dans les établissements scolaires, mais aussi à domicile ».
En mai, le club théâtral du lycée Gay-Lussac de Limoges, animé par M. Conejero, professeur d’espagnol, propose un spectacle consacré à l’humour, avec des textes de Feydeau, Guy Bedos et Sophie Daumier, mais aussi Coluche (qui vient d’ailleurs à Limoges cette année-là). Quant aux élèves de Jean Pellotier au conservatoire, ils se produisent à l’auditorium du théatre.
A Brive, le Théâtre du Cri, fondé en 1971, donne Ok-Oc, mettant en scène un vieux paysan nostalgique et son fils qui voudrait rester à la terre mais pas à n’importe quel prix. Une thématique tout à fait d’actualité ces années-là où le slogan occitan à la mode est Volem Viure al Païs.
Le journal fait aussi mention de l’existence du Théâtre de l’Ecale depuis 1974, qui se produit en Limousin et joue des spectacles pour les adultes et la jeunesse.
En mai, Odette Joyeux est de passage à Limoges pour signer ses livres et se souvient de Jean Giraudoux qui la fit débuter et de ses passages au Cirque-Théâtre pour interpréter Salacrou ou Jean-Paul Sartre.
A la Visitation, le Théâtre Panique de Norbert Dahman et Dominique Gorse propose un spectacle de café-théâtre, avec des textes de Prévert et Vian. Le Cercle théâtral du Dorat, qui se produit chaque année dans la petite ville, est invité par le C.T.L. à la Visitation, où il joue La Barque sans pêcheur, comédie en trois actes d’Alejandro Casona.
Peuple et Culture, réseau d’éducation populaire1 présent à Limoges, propose un séjour au festival d’Avignon, avec spectacles, rencontres avec des metteurs en scène et tourisme.
Le 22e Festival de Bellac est annoncé pour le 21 juin avec une ouverture consacrée à la danse avec diverses chorégraphies et des danseuses étoiles de l’Opéra de Paris, comme Claude Bessy et Claire Motte. On y annonce aussi la création d’Intermezzo à Mortemart par Jean-Pierre Laruy et sa troupe. Gabrielle Soulier, qui couvre l’évènement, écrit dans Le Populaire : « Tête d’affiche, Jean Paredès participe pour la première fois au festival de Bellac et en est très heureux. Il a déjà joué du Giraudoux et nous explique : Quand j’avais 16 ans, j’ai créé, dans Ondine, un petit rôle, celui du poète ; je faisais alors mes études et c’est Bernard Blier qui m’avait recommandé à Louis Jouvet. J’ai connu Jouvet et Jean Giraudoux, j’ai eu le privilège et la joie de déjeuner en leur compagnie, près de l’Athénée. Giraudoux était la gentillesse même, un homme adorable, amusant, humoriste. Jouvet montait Giraudoux comme un oratorio, il accordait les voix, ainsi il disait : « Le poète, c’est une petite flûte » et m’avait confié le personnage parce que j’avais la voix qui correspondait au personnage. » La représentation est à la fois appréciée par le public, qui applaudit longuement, et par la critique. Gabrielle Soulier évoque « l’excellente diction des interprètes, leur intelligence du texte [qui] fait apprécier la richesse d’esprit, l’humour, la poésie qu’il contient. »
Différents lieux du Limousin accueillent des représentations théâtrales, ainsi, en juillet, à Fresselines, un festival populaire estival – qui a déjà douze ans d’existence – propose, après George Sand l’année précédente, avec les habitants, La Terre de Zola adaptée par Bernard Pinet, assisté de Jean-Claude Certon. « L’idée de Bernard Pinet trouva des échos favorables parmi les villageois très sensibles aux problèmes de la terre et aux idées avancées du grand romancier. Et Zola n’est pas un inconnu au pays de Rollinat où s’est installée depuis longtemps une solide tradition socialiste. » (Le Populaire). 3 600 spectateurs assistent aux représentations : un record d’affluence. A Magnat-l’Etrange, également en Creuse, la troupe du Théâtre sur la Place donne Le Barbier de Séville, un an après Georges Dandin. Composée de comédiens chevronnés, elle a participé au Festival du Marais et à celui de Valence. Les répétitions se succèdent autour de l’église.
Le samedi 19 juillet, dans Le Populaire, Jean Thévenet brosse le portrait de l’acteur de cinéma Bernard Lajarrige, qui possède une maison à au village de Boisse, près de Treignac (son père médecin était de Chamboulive), où il passe ses vacances et déclare se plaire. Il revient sur sa carrière, qui débuta avec 1 300 représentations des J3 de Roger Ferdinand, après la guerre.
En août, au château de Mainsat dans la Creuse, des comédiens parisiens – Catherine Privat, qui remplace Isabelle Adjani à la Comédie-Française, Eric Marion, Eliezer Mellul, Patrice Keller et Patrick Vallières, qui possède une maison près d’Aubusson – jouent Ruy Blas de Victor Hugo. Ils déclarent vouloir « retrouver le sens du théâtre artisanal » et travaillent et vivent ensemble le temps de cette période estivale. La municipalité de M. Rimareix subventionne à hauteur de 5 000 francs, ce qui permet de louer des costumes. L’objectif est de gagner au théâtre un public qui n’en a pas l’habitude – pas uniquement pour les touristes. La troupe insiste sur l’aspect « social » de la pièce d’Hugo. On parle d’un Festival de Haute-Marche et Combraille dont ce serait l’acte fondateur.
Fin juillet, Jean-Pierre Laruy présente la nouvelle saison du C.T.L. à la presse : « entre le prestige et l’animation, nous avons choisi l’animation. » La politique revendiquée : « amorcer la pompe, susciter les besoins en culture. » S’il est toujours prévu d’intervenir auprès des scolaires, le C.T.L. ambitionne de se déplacer dans les villes qui sont dépourvues d’activité théâtrale. Dans la programmation annoncée : Les Chaises de Ionesco, Les Mystères de Paris, Avron et Evrard, Le Cid avec Michel Le Royer, Le Mille-Pattes déchaussé, création collective dirigée par Frédéric Cerdal, l’Intermezzo avec Jean Parédès, Les Meurtrières de Victor Haim, avec Jacques Dufilho, La Pastorale de Fos par le Théâtre Occitan de la Carriera (succès à Avignon), mais aussi Mystero Buffo dans la rue ou du café-théâtre avec le Théâtre de l’Ecale et une troupe de Brive. En septembre, le C.T.L. propose deux soirées « affiche vivante » où sont joués à la Visitation des extraits de la saison. L’année se révèle toutefois difficile sur le plan financier, un déficit de 90 000 francs étant constaté en novembre. Les collectivités locales, qui subventionnent, décident d’être plus attentives quant à la gestion. Néanmoins, Laruy fait observer que le déficit remonte aux années difficiles de la création et que le C.T.L. est le « Centre le moins subventionné sur le plan national de la décentralisation. »
On mentionne l’existence du Théâtre de la Fête, installé en 1974 à Turenne en Corrèze, où il présenta des interventions théâtrales sur les places et dans les villages de la commune – des ateliers étant ouverts pour les enfants et les jeunes. L’année suivante, les neuf garçons et filles – étudiants et travailleurs originaires de toute la France – s’installent à Châteauneuf-la-Forêt. On improvise d’après des sujets trouvés sur place.
En septembre, après la rentrée des classes du 15 septembre, c’est celle des théâtres. On se félicite du succès de Jean Gagnant, on inaugure un atelier théâtre pour adultes au Centre Culturel de la rue de New-York, on annonce la saison du Grand Théâtre où l’on prévoit Claude Brasseur dans Les Jeux de la nuit, Jacques Fabbri dans La Bande à Glouton, Danielle Darrieux dans Les Amants terribles, la Comédie Française, Jean Marais dans Les Misérables, Madeleine Robinson dans Colombe. Jean Richard est prévu avec Poil de carotte et Le Médecin malgré lui, Robert Lamoureux dans Knock et Jacqueline Maillan dans Croque-Monsieur.
Si la grande affaire du député-maire socialiste Louis Longequeue semble être un festival international de musique militaire, on note l’organisation d’un festival de science-fiction autrement plus attrayant où est prévu la création mondiale d’une pièce de Bradbury.
Le jeudi 16 octobre, le décès de Jacques Charon, victime d’une crise cardiaque à 55 ans, fait la « une » du Populaire avec ce titre : « La seconde mort de Molière ».
Le 6 novembre, le facétieux Bernard Verret, bien connu pour la rubrique « moto » qu’il tient au journal (mais pas uniquement), se plaint avec humour que trois spectacles aient lieu à Limoges le même soir, empêchant les spectateurs d’assister à tous !
En novembre, Saïd, Ryane, Monique et Emile, « Les Compagnons de la Marionnette », se produisent dans diverses écoles primaires de Limoges. Les spectacles sont suivis d’un échange avec les élèves. En décembre, le théâtre des Trois Chardons dirigé par Jean-Pierre Idatt, propose Monsieur le Vent aux élèves des maternelles de Limoges. « monsieur le Vent » y délivre une gentille petite fille prisonnière des nuages massés autour de sa maison.
Théâtre CGT (coll. part.)
Le dimanche 28 décembre, alors qu’un conflit de mineurs de l’uranium se poursuit à Razès, la C.G.T. organise un spectacle de solidarité avec le Théâtre de l’Evènement dans la salle des fêtes d’Ambazac.
1 On lira avec profit, sous la direction de J.-F.Chosson, Peuple et culture 1945-1995, en ligne : http://www.peuple-et-culture.org/IMG/pdf/pec_50_ans.pdf