Doit-on remonter jusqu’à l’Antiquité dans un ouvrage sur le théâtre en Limousin ? Peut-être se souvenir que dans la ville gallo-romaine d’Augustoritum, deux monuments d’envergure étaient destinés aux divertissements. D’abord le grand amphithéâtre, au nord-ouest de la ville, visible de loin par les voyageurs. Il pouvait accueillir environ 25 000 spectateurs assis, ce qui le classerait au 4ème rang en Gaule. On ne sait malheureusement rien de précis sur les spectacles et les fêtes qui s’y déroulaient. Les archéologues ont néanmoins trouvé certains objets où sont représentés un lion, des gladiateurs. De l’autre côté de la ville, au débouché du pont et à l’entrée du cardo maximus, se situait le théâtre antique, d’un diamètre d’au moins 82 mètres. On imagine la population venant y applaudir l’atellane (courte farce), le mime ou la pantomime, la fabula.
Mais c’est au Moyen Âge, aux abords de la magnifique et active abbaye Saint-Martial de Limoges que se développe le théâtre. Ainsi a-t-on mention, en mai 1290 et juin 1302, de représentations de miracles dans le cimetière, près de la croix en pierre – les auteurs étant cadurciens. Il y a surtout les mentions du Sponsus ou Mystère des vierges sages et des vierges folles, drame liturgique anonyme bilingue (40 vers en occitan, 47 vers en latin) du XIème siècle qui provient de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Il semblerait que ce soit la première manifestation de la dramaturgie en langue vernaculaire. Le texte, s’inspirant de la parabole des vierges sages et des vierges folles (Evangile de Matthieu, XXV, 1-13), est composé de strophes de types variés, avec ou sans refrain, accompagnées d’un jeu de mélodies. Il montre les habitudes du milieu aquitain, partagé entre monde latin et monde occitan. Nadine Henrard a mené l’enquête à propos de ce spectacle inspiré de la parabole des dix vierges qui exhorte à la vigilance dans l’attente du Jugement ; elle note qu’il est « hasardeux » d’affirmer que le Sponsus a été représenté dans l’église, lors d’un office. Dans le drame, ce sont les mercatores (les marchands) qui s’expriment en langue vulgaire ; par ailleurs, « le Sponsus offre également la première diablerie du répertoire […] Cette intervention des diables suppose une forme de mise en scène et elle impliquait probablement l’utilisation d’un décor adéquat. » Après avoir été « redécouvert », le mystère fut interprété le 26 avril 1984 en l’église Saint-Michel-des-Lions de Limoges par l’ensemble Organum et ce fut une grande émotion pour tous les spectateurs.
Selon le chanoine Arbellot, « à l’époque de la Renaissance, le goût des représentations théâtrales se répandit en Limousin. Mais alors on ne représentait sur la scène que des sujets religieux, choisis presque toujours dans l’Évangile et la Bible ou dans la vie des saints. C’étaient des sermons mis en action, dont les formes dramatiques intéressaient vivement le peuple, toujours avide d’émotions et de spectacles. A Limoges en particulier et à Saint-Junien on s’intéressait vivement à ces pieuses représentations, et quelquefois, surtout dans le principe, les chanoines des deux collégiales de Saint-Martial et de Saint-Junien figuraient parmi les acteurs. Ces représentations avaient lieu surtout aux années d’ostension, où une foule immense d’étrangers accourait pour vénérer les saintes reliques. »[1] Il indique encore qu’en 1521, on permit aux chanoines de Saint-Junien d’aller à Limoges pour voir jouer le mystère de la passion, « il y avoit plusieurs années, dit le P. Bonaventure, qu’on avoit pris la coutume à Limoges de représenter sur des théâtres, sous les arbres de Saint-Martial, des histoires saintes qui excitoient le peuple à dévotion. Or cette année I521, le 2e dimanche d’aoust, 11e jour du mois on commença à représenter en figure le Mystère de la passion de Noire-Seigneur Jésus-Christ, avec solennité et magnificence, durant les fêles jusqu’au second dimanche de septembre. Le sieur Fouschery, chanoine de Saint-Estienne, qui y assista, assure que les vestements, joyaux et autres choses nécessaires à ces Actes furent si riches et si précieuses, que plusieurs Parisiens, Poitevins, Xaintongeois, Tolosains, Lyonnois et autres qui en furent les spectateurs, seigneurs, nobles, hommes et femmes confessoient unanimement qu’on n’avoit jamais vu rien de plus magnifique. Maitre Antoine de la Chassaigne, Limosin, recteur de Villeréal, licencié endroit, homme docte et dévot, représenta en ce Mystère la personne du Sauveur avec grande piété et humilité. » Ces représentations durèrent 22 jours. En 1539, c’est un libraire (bibliopola), nommé Claude Cheyrou, qui demanda au chapitre de Saint-Martial l’autorisation de faire représenter une pièce inspirée par le fils prodigue dans le cimetière (devenu plus tard la place de Dessous les Arbres). Toujours selon le chanoine Arbellot, en 1540 (année d’ostension), des représentations théâtrales eurent lieu à Limoges et à Saint-Junien, évoquant l’Assomption de la Sainte-Vierge et la Passion de Jésus-Christ. Mais la représentation de Jacob, à Limoges, donna lieu à divers incidents que rapporte le P. Bonaventure, qui empêchèrent de jouer le mystère de Job, qu’on avait préparé. « L’an 1540, dit cet annaliste, le 28 d’avril on fit l’ostention du chef de saint Martial et des autres saints du Limosin. Elle dura jusqu’au pénultième[2] jour de may, et tout ce temps fut fort doux et serein. Ceux qui avoient coutume chaque année de représenter sur le théâtre quelque histoire sainte pour réjouir le peuple et l’exciter à dévotion commencèrent leur jeu sur celle de Jacob, sous les arbres, au jour de la pentecôte, quoy que le peuple y répugnât (à mon avis, à cause de la solennité de ce jour, qui exigeoit l’assistance aux divins offices). Cependant le temps se changea, les tonnerres grondoient dans l’air, et le peuple courut à Saint-Pierre pour sonner les cloches et dissiper cet orage. Le lieutenant criminel et le juge de la ville allèrent pour faire cesser celte sonnerie, ce que le peuple ne voulut faire. Le samedy après, on représenta cet acte, et on acheva tout au sarmedy suivant. Il y eut grand tonnerre le mardy prochain, et il tomba une gresle si furieuse, que des trois quarts des vignes, les deux en furent frappées, et devinrent sans feuilles comme à Noël quoy qu’elles fussent bien avancées ; et dans quelques paroisses les herbages furent aussi fracassés par cette tempeste, qui dura dix jours, et à diverses reprises, gâtant tantôt une paroisse, tantôt une autre du Limosin; et on oyoit les diables heurler en l’air comme autheurs de ce ravage. En la paroisse des Eglises tomba une pierre plus grosse qu’un baril, et entra dans la terre à la profondeur de deux aulnes, laquelle on tira avec des barres de fer : il y eut d’autres pierres de gresle de la grosseur des oeufs. La populace, croyant que ces représentations susdites estoient la cause de ces malheurs, empêchèrent ces acteurs de jouer l’Histoire de Job, qu’ils avoient préparé. »
Les choses se passèrent avec plus de calme à Saint-Junien. En 1540, le Chapitre de Saint-Junien permit à deux chanoines de représenter le mystère de l’Assomption de la sainte Vierge. « Au mois de mai de cette année, on exempta de l’assistance au chœur ceux qui voulurent représenter le mystère de la Passion. » L’affluence des étrangers qui vinrent à l’ostension des reliques devait rendre ces représentations plus brillantes ou du moins plus nombreuses.
A l’ostension suivante (1547), poursuit le chanoine, il n’y eut pas de représentation à cause de la peste, qui fit périr à Limoges et aux environs six à sept mille personnes, comme nous le voyons par le passage suivant des Registres consulaires : « En l’an mil cinq cens quarante sept, tant en l’an précédent que durant ledict temps, moururent en ladicte ville, faulx bourgs, cité et autres lieux adjacents, le nombre de six à sept mille personnes, desquelz Dieu veuille avoir les âmes. »
Le 25 juillet 1596, la Tragédie de Monsieur Saint Jacques, de l’avocat Bernard Bardon de Brun, est représentée à Limoges par les confrères pèlerins du saint. La pièce, inspirée de la Légende de saint Jacques par Jacques de Voragine est une œuvre de la reconquête catholique : elle dénonce les huguenots et exalte le catholicisme d’inspiration hispanique qui avait les faveurs des ligueurs.
En Creuse
Amédée Carriat, dans son Dictionnaire des auteurs creusois, imagine que La Souterraine fut à l’époque médiévale un lieu de représentation de miracles et de mystères mais il précise qu’aucun document ne l’atteste. « Les siècles suivants sont à peine moins laconiques : passage d’un certain Muguet à Guéret en 1601, de la troupe de La Chappe à La Souterraine en 1612, du comédien-archéologue Beaumesnil à Aubusson en 1747 et à Guéret en 1770 ; représentation, par des amateurs, du Légataire universel à Jarnages en 1770. A Guéret, l’ancienne chapelle des Pénitents de la place Vacillas devient, en 1798, « Salle de la Comédie » puis cède la place à un Théâtre municipal (1837-39 : architectes Boullé et Fabre ; Aubusson n’aura le sien qu’en 1935). Aucun renseignement notable sur les troupes locales ou de passage qui s’y produisent. »
A suivre…
[1] Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques. Section d’histoire et de philologie, 1893 (N2), p.-p. 236-240.
[2] Avant-dernier.