19 Fév

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin, les temps anciens (2)

Doit-on remonter jusqu’à l’Antiquité dans un ouvrage sur le théâtre en Limousin ? Peut-être se souvenir que dans la ville gallo-romaine d’Augustoritum, deux monuments d’envergure étaient destinés aux divertissements. D’abord le grand amphithéâtre, au nord-ouest de la ville, visible de loin par les voyageurs. Il pouvait accueillir environ 25 000 spectateurs assis, ce qui le classerait au 4ème rang en Gaule. On ne sait malheureusement rien de précis sur les spectacles et les fêtes qui s’y déroulaient. Les archéologues ont néanmoins trouvé certains objets où sont représentés un lion, des gladiateurs. De l’autre côté de la ville, au débouché du pont et à l’entrée du cardo maximus, se situait le théâtre antique, d’un diamètre d’au moins 82 mètres. On imagine la population venant y applaudir l’atellane (courte farce), le mime ou la pantomime, la fabula.

Mais c’est au Moyen Âge, aux abords de la magnifique et active abbaye Saint-Martial de Limoges que se développe le théâtre. Ainsi a-t-on mention, en mai 1290 et juin 1302, de représentations de miracles dans le cimetière, près de la croix en pierre – les auteurs étant cadurciens. Il y a surtout les mentions du Sponsus ou Mystère des vierges sages et des vierges folles, drame liturgique anonyme bilingue (40 vers en occitan, 47 vers en latin) du XIème siècle qui provient de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Il semblerait que ce soit la première manifestation de la dramaturgie en langue vernaculaire. Le texte, s’inspirant de la parabole des vierges sages et des vierges folles (Evangile de Matthieu, XXV, 1-13), est composé de strophes de types variés, avec ou sans refrain, accompagnées d’un jeu de mélodies. Il montre les habitudes du milieu aquitain, partagé entre monde latin et monde occitan. Nadine Henrard a mené l’enquête à propos de ce spectacle inspiré de la parabole des dix vierges qui exhorte à la vigilance dans l’attente du Jugement ; elle note qu’il est « hasardeux » d’affirmer que le Sponsus a été représenté dans l’église, lors d’un office. Dans le drame, ce sont les mercatores (les marchands) qui s’expriment en langue vulgaire ; par ailleurs, « le Sponsus offre également la première diablerie du répertoire […] Cette intervention des diables suppose une forme de mise en scène et elle impliquait probablement l’utilisation d’un décor adéquat. » Après avoir été « redécouvert », le mystère fut interprété le 26 avril 1984 en l’église Saint-Michel-des-Lions de Limoges par l’ensemble Organum et ce fut une grande émotion pour tous les spectateurs.

Selon le chanoine Arbellot, « à l’époque de la Renaissance, le goût des représentations théâtrales se répandit en Limousin. Mais alors on ne représentait sur la scène que des sujets religieux, choisis presque toujours dans l’Évangile et la Bible ou dans la vie des saints. C’étaient des sermons mis en action, dont les formes dramatiques intéressaient vivement le peuple, toujours avide d’émotions et de spectacles. A Limoges en particulier et à Saint-Junien on s’intéressait vivement à ces pieuses représentations, et quelquefois, surtout dans le principe, les chanoines des deux collégiales de Saint-Martial et de Saint-Junien figuraient parmi les acteurs. Ces représentations avaient lieu surtout aux années d’ostension, où une foule immense d’étrangers accourait pour vénérer les saintes reliques. »[1] Il indique encore qu’en 1521, on permit aux chanoines de Saint-Junien d’aller à Limoges pour voir jouer le mystère de la passion, « il y avoit plusieurs années, dit le P. Bonaventure, qu’on avoit pris la coutume à Limoges de représenter sur des théâtres, sous les arbres de Saint-Martial, des histoires saintes qui excitoient le peuple à dévotion. Or cette année I521, le 2e dimanche d’aoust, 11e jour du mois on commença à représenter en figure le Mystère de la passion de Noire-Seigneur Jésus-Christ, avec solennité et magnificence, durant les fêles jusqu’au second dimanche de septembre. Le sieur Fouschery, chanoine de Saint-Estienne, qui y assista, assure que les vestements, joyaux et autres choses nécessaires à ces Actes furent si riches et si précieuses, que plusieurs Parisiens, Poitevins, Xaintongeois, Tolosains, Lyonnois et autres qui en furent les spectateurs, seigneurs, nobles, hommes et femmes confessoient unanimement qu’on n’avoit jamais vu rien de plus magnifique. Maitre Antoine de la Chassaigne, Limosin, recteur de Villeréal, licencié endroit, homme docte et dévot, représenta en ce Mystère la personne du Sauveur avec grande piété et humilité. » Ces représentations durèrent 22 jours. En 1539, c’est un libraire (bibliopola), nommé Claude Cheyrou, qui demanda au chapitre de Saint-Martial l’autorisation de faire représenter une pièce inspirée par le fils prodigue dans le cimetière (devenu plus tard la place de Dessous les Arbres). Toujours selon le chanoine Arbellot, en 1540 (année d’ostension), des représentations théâtrales eurent lieu à Limoges et à Saint-Junien, évoquant l’Assomption de la Sainte-Vierge et la Passion de Jésus-Christ. Mais la représentation de Jacob, à Limoges, donna lieu à divers incidents que rapporte le P. Bonaventure, qui empêchèrent de jouer le mystère de Job, qu’on avait préparé. « L’an 1540, dit cet annaliste, le 28 d’avril on fit l’ostention du chef de saint Martial et des autres saints du Limosin. Elle dura jusqu’au pénultième[2] jour de may, et tout ce temps fut fort doux et serein. Ceux qui avoient coutume chaque année de représenter sur le théâtre quelque histoire sainte pour réjouir le peuple et l’exciter à dévotion commencèrent leur jeu sur celle de Jacob, sous les arbres, au jour de la pentecôte, quoy que le peuple y répugnât (à mon avis, à cause de la solennité de ce jour, qui exigeoit l’assistance aux divins offices). Cependant le temps se changea, les tonnerres grondoient dans l’air, et le peuple courut à Saint-Pierre pour sonner les cloches et dissiper cet orage. Le lieutenant criminel et le juge de la ville allèrent pour faire cesser celte sonnerie, ce que le peuple ne voulut faire. Le samedy après, on représenta cet acte, et on acheva tout au sarmedy suivant. Il y eut grand tonnerre le mardy prochain, et il tomba une gresle si furieuse, que des trois quarts des vignes, les deux en furent frappées, et devinrent sans feuilles comme à Noël quoy qu’elles fussent bien avancées ; et dans quelques paroisses les herbages furent aussi fracassés par cette tempeste, qui dura dix jours, et à diverses reprises, gâtant tantôt une paroisse, tantôt une autre du Limosin; et on oyoit les diables heurler en l’air comme autheurs de ce ravage. En la paroisse des Eglises tomba une pierre plus grosse qu’un baril, et entra dans la terre à la profondeur de deux aulnes, laquelle on tira avec des barres de fer : il y eut d’autres pierres de gresle de la grosseur des oeufs. La populace, croyant que ces représentations susdites estoient la cause de ces malheurs, empêchèrent ces acteurs de jouer l’Histoire de Job, qu’ils avoient préparé. »

Les choses se passèrent avec plus de calme à Saint-Junien. En 1540, le Chapitre de Saint-Junien permit à deux chanoines de représenter le mystère de l’Assomption de la sainte Vierge. « Au mois de mai de cette année, on exempta de l’assistance au chœur ceux qui voulurent représenter le mystère de la Passion. » L’affluence des étrangers qui vinrent à l’ostension des reliques devait rendre ces représentations plus brillantes ou du moins plus nombreuses.

A l’ostension suivante (1547), poursuit le chanoine, il n’y eut pas de représentation à cause de la peste, qui fit périr à Limoges et aux environs six à sept mille personnes, comme nous le voyons par le passage suivant des Registres consulaires : « En l’an mil cinq cens quarante sept, tant en l’an précédent que durant ledict temps, moururent en ladicte ville, faulx bourgs, cité et autres lieux adjacents, le nombre de six à sept mille personnes, desquelz Dieu veuille avoir les âmes. »

Le 25 juillet 1596, la Tragédie de Monsieur Saint Jacques, de l’avocat Bernard Bardon de Brun, est représentée à Limoges par les confrères pèlerins du saint. La pièce, inspirée de la Légende de saint Jacques par Jacques de Voragine est une œuvre de la reconquête catholique : elle dénonce les huguenots et exalte le catholicisme d’inspiration hispanique qui avait les faveurs des ligueurs.

En Creuse

Amédée Carriat, dans son Dictionnaire des auteurs creusois, imagine que La Souterraine fut à l’époque médiévale un lieu de représentation de miracles et de mystères mais il précise qu’aucun document ne l’atteste. « Les siècles suivants sont à peine moins laconiques : passage d’un certain Muguet à Guéret en 1601, de la troupe de La Chappe à La Souterraine en 1612, du comédien-archéologue Beaumesnil à Aubusson en 1747 et à Guéret en 1770 ; représentation, par des amateurs, du Légataire universel à Jarnages en 1770. A Guéret, l’ancienne chapelle des Pénitents de la place Vacillas devient, en 1798, « Salle de la Comédie » puis cède la place à un Théâtre municipal (1837-39 : architectes Boullé et Fabre ; Aubusson n’aura le sien qu’en 1935). Aucun renseignement notable sur les troupes locales ou de passage qui s’y produisent. »

A suivre…

[1] Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques. Section d’histoire et de philologie, 1893 (N2), p.-p. 236-240.

[2] Avant-dernier.

18 Fév

Notes pour servir à l’histoire du théâtre à Limoges et en Limousin, introduction (1)

Billet pour le Cirque-Théâtre de Limoges (c) Photothèque Paul Colmar

 

« Ici c’est Limoges » vous propose une série de notes pour servir à la riche histoire du théâtre à Limoges et en Limousin. Les sources utilisées sont en partie indiquées ci-dessous et en notes de bas de page. Des citations sont extraites de la presse depuis le XVIIIème siècle, de travaux antérieurs d’historiens et d’érudits, de publications sur divers sites et de témoignages inédits. Si, toutefois, le lecteur repère des sources non explicitement mentionnées, qu’il n’hésite pas à nous le signaler.

On se reportera également avec profit, sur ce blog, à la tentative de recension des auteurs dramatiques limousins et aux publications déjà faites à propos de l’histoire du théâtre à Limoges. Les notes publiées ici sont complémentaires. 

 

Bibliographie complémentaire aux notes de bas de page

BACKES C., Anthologie du théâtre français du 20e siècle, folioplus classiques, Gallimard, 2011.

BOURDELAS L. (Dir.), Analogie, revue d’art et de critique et La Lettre d’Analogie, Limoges, 1985-1998.

BOURDELAS L., Du pays et de l’exil – Un abécédaire de la littérature du Limousin, Les Ardents Editeurs, 2008.

BOURDELAS L., Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.

CARRIAT A., Dictionnaire bio-bibliographique des auteurs du pays creusois et des écrits le concernant des origines à nos jours, Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, Aubusson, 1988 (rééd. de 1964).

Collectif, Corrèze, Christine Boneton, 2017.

Collectif, Creuse, Christine Bonneton, 2007.

CORBIN A., Archaïsme et modernité en Limousin au XIXème siècle, 1845-1880, La rigidité des structures économiques, sociales et mentales, PULIM, 1998.

DUTREIX J.L. et JOUHAUD J., Fêtes et spectacles à Limoges à la Belle Epoque 1900-1914, Editions Flânant, 2003.

FERRER J.M., La vie d’un théâtre de province en France au XIXème siècle. Le théâtre de Limoges de 1840 à 1870, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Limoges, octobre 1985.

HENRARD N., Le Théâtre religieux médiéval en langue d’oc, Droz, Genève, 1998.

JANNOT I. (rédactrice en chef), « Le théâtre et ses auteurs », Machine à feuilles n° 5,

mars 1999.

PRECICAUD M., Le théâtre lyrique à Limoges 1800-1914, Pulim, 2001.

SOUTENET E., Chroniques 1900 Limoges à la Belle Epoque [à propos d’Hemma-Prosbert], Editions Culture & Patrimoine en Limousin, 2012.

YON J.-C. (Dir.), Le Théâtre français à l’étranger au XIXe siècle: Histoire d’une suprématie culturelle, Nouveau Monde Editions, 2008.

 

Sites internet les plus consultés

Bfm Limoges (collections numérisées) ; Ciné-Club de Caen ; L’Empreinte ; Les Francophonies en Limousin ; Le site officiel de l’Académie Giraudoux ; Gallica ; IPNS ; Marchoucreuse ; Masquarades ; Médiapart ; La Montagne ; Le Point ; Le Populaire du Centre ; Scène Nationale Aubusson ; Théâtre Antoine ; Théâtre du Cloître ; Théâtre-Documentation.com ; Théâtre de L’Ecale ; Théâtre de L’Union ; Urbaka ; Théâtre de La Grange ; Théâtre contemporain.net.; Wikipédia (avec recoupements).

 

Remerciements

A Paul Colmar. A tous ceux qui ont témoigné pour ce travail.

Au très précieux Pôle Patrimoine de la BFM de Limoges, à Laure Fabry et à tous les bibliothécaires qui y œuvrent avec compétence et serviabilité.

A Marie-Noëlle Agniau ; Gérard Frugier ; Olivier Bailly ; Chris Dussuchaud ; Pascal Jeanoutot ; Frédérique Meissonnier ; Jean-Louis Roland ; Georges Chatain ; Jean-Philippe Villaret ; Christophe Lagarde ; Pascal Léonard.

 

Contre-marque, Cirque-Théâtre de Limoges (c) Photothèque P. Colmar

 

«  En vérité, s’il y a bien de mauvais auteurs, il faut convenir qu’il y a

encore plus de mauvais critiques. Et quand je pense au dégoût que les poètes dramatiques

ont à essuyer, je m’étonne qu’il y en ait d’assez hardis pour braver  l’ignorance de la

multitude et la censure dangereuse des demi-savants qui corrompent quelquefois

le jugement du public. »

Lesage, Histoire de Gil Blas de Santillane

 

« Nous voulons de la vie au théâtre, et du théâtre dans la vie. »

Jules Renard, Journal

 

« Le théâtre n’est pas un jeu, c’est là ma conviction. »

Albert Camus, Le Malentendu Théâtre

 

 

AVANT-PROPOS

 

           

Dans le Roman de Thèbes, ouvrage écrit à la fin du XIIème siècle à la cour de Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, et inspiré de la Thébaïde – poème épique latin de Stace, composé au Ier siècle –, dont les personnages principaux sont Étéocle et Polynice, les fils d’Œdipe, le mot « théâtre » signifie le « lieu de tournois ». Ce n’est qu’en 1398 qu’on le trouve avec la  signification de « salle de spectacle » et « genre de comédie » et au XVème siècle avec le sens de « lieu dramatique ». Mais, on le sait, théâtre vient du  grec ancien :θέατρον, « theatron », qui désignait également la scène ou le plateau, c’est-à-dire toute la partie cachée au public par le rideau. Selon Aristote, il serait issu du dithyrambe lors des fêtes en l’honneur de Dionysos, dieu du vin, des arts et de la fête, à l’époque archaïque. Le théâtre, c’est le souvenir d’Eschyle, de Sophocle, d’Aristophane ; de Plaute, de Térence, de Sénèque. C’est celui des miracles, des mystères et des farces médiévales. Et puis c’est Shakespeare, Racine, Corneille, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Victor Hugo, Edmond Rostand, et tous ceux qui suivirent. Le théâtre, c’est Calderon, Goldoni, Goethe, Ibsen, Tchékov, Ionesco et tous les autres.

Le théâtre, c’est vivant, polémique – c’est la bataille d’Hernani –, divertissant, intelligent, poétique, émouvant. Le théâtre, depuis toujours, ce sont des femmes et des hommes de talent, passionnés, courageux, des aventuriers à la fabuleuse mémoire qui nous font rire, pleurer et réfléchir, dans toute leur diversité : les comédiens, les metteurs en scène, les régisseurs, mais aussi les éclairagistes, les costumières, les musiciens, les mimes, les décorateurs, les ouvreuses… La plupart vont jusqu’au bout d’eux-mêmes, comme ce 17 février 1673 où Molière s’effondra sur scène en jouant Le malade imaginaire. Ce sont à la fois des fous et des sages. On voudrait citer tant d’auteurs. Lorca : « le théâtre, c’est la poésie qui se lève et se fait humaine. » Barrault : « le théâtre est le premier sérum que l’homme ait inventé pour se protéger de la maladie de l’Angoisse. » Jouvet : « rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre. »

Le public est impatient avant la représentation, comme dans la chanson de Charles Aznavour :

 

« Viens voir les comédiens

Les musiciens

Les magiciens

Qui arrivent ».

 

Le spectateur donne son manteau, prend un programme, cherche sa place, éteint son téléphone (parfois lorsqu’il sonne), écoute, rit, parle, commente, salue ou évite, éternue, se mouche et se racle la gorge, pleure, chante, siffle, applaudit, sort, claque les portes, revient, effleure la main de sa voisine, le spectateur s’ennuie, s’endort, ronfle ou fronce les sourcils ; parfois, il a le texte de la pièce sous les yeux pour vérifier on ne sait trop quoi ; il sort fumer à l’entracte, ou boire un coup, parfois, il ne revient pas ; il fait des ovations ou demeure indifférent ; le spectateur lit des critiques.

 

Laurent Bourdelas collégien au Centre culturel Jean Gagnant de Limoges dans une représentation en russe de L’ours de Tchékhov (c) J.M. Bourdelas

 

Comment m’est venu ce goût immodéré pour le théâtre ? Une propension naturelle et héréditaire, sans doute, à faire le clown, dès mon plus jeune âge. Dès sept ans, en 1969, je mimais les Wallace Collection chantant Daydream, avec un manche à balai pour micro dans l’appartement familial non loin de la cathédrale de Limoges. A peine plus tard, je montai sur la scène de la kermesse paroissiale de Saint-Paul-Saint-Louis, rue Malesherbes. Et il y avait l’épreuve des récitations ! Dès l’école primaire, il fallait apprendre – avec maman – des fables de La Fontaine et d’autres textes, au gré des envies du maître et des instructions ministérielles ; mon sentiment était partagé : j’étais dévoré par le trac mais, une fois désigné et sur l’estrade, je brillais devant mes camarades. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs formidables nous communiquant ce savoir et cette passion du théâtre, dès le collège Donzelot. Ainsi Madame Guillou nous faisant jouer Les Fourberies de Scapin (j’étais Octave) et Knock. Jusqu’en classes préparatoires au lycée Gay-Lussac de la capitale limousine, au pays de Pourceaugnac, je n’eus que d’excellents professeurs de lettres et de latin qui nous enseignèrent les richesses et les subtilités de cet art. Et puis, à la maison, on regardait (religieusement) « Au théâtre ce soir », émission de télévision de Pierre Sabbagh, commençant par les trois coups du brigadier et s’achevant par la célèbre phrase : « les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell ». Je me souviens encore de ma première pièce au Grand Théâtre de Limoges, Les Fourberies de Scapin (aussi !), dépoussiérée par la Comédie Française, à laquelle ma mère m’avait amené. Quelle joie ! J’accompagnai aussi un certain temps un ami de mon père, Jacques Ruaud – par ailleurs compositeur – qui faisait la pige à L’Echo du Centre et m’inculquait quelques rudiments de critique. Plus tard, il y eut Les Séquestrés d’Altona mis en scène par Laruy au Théâtre de la Visitation et puis, surtout, le moment Debauche. J’avais changé de statut ; depuis 1983, j’animais une émission culturelle, Analogie, qui aboutirait à une revue littéraire. Je me formais à la critique théâtrale « sur le tas », et cela devint l’une de mes passions. C’est à cette époque que le comédien Damien Odoul me proposa d’être le vice-président de la Ligue d’Improvisation Théâtrale du Limousin (la Lili), ce que j’acceptai avec enthousiasme. Les matches me procurèrent beaucoup de plaisir. Plus tard, je devais même me livrer à quelques mises en scène, et certains de mes textes furent adaptés sur les planches, tout en étant « compagnon de route » de quelques compagnies ou même du Festival des Francophonies. Le théâtre, une passion, que j’ai aussi essayé de transmettre à mes élèves.

Mais pourquoi écrire sur le théâtre en Limousin ? Début 2014, un comédien parisien sur le retour prononça sur un plateau de télévision ces paroles d’une confondante sottise à propos de Limoges : « C’est LA ville où il ne faut pas aller au théâtre [car les spectateurs] ne viennent pas. » Cela me révolta, comme d’autres Limougeauds. Mais surtout, cela me donna l’envie d’écrire sur ce « Limousin terre de théâtre », de montrer la vivacité théâtrale de cette région et pas uniquement dans la période contemporaine. Car si le théâtre s’est redynamisé après la Seconde Guerre mondiale et encore plus singulièrement dans les années 1970-80, il avait existé, sous diverses formes et avec des succès divers, depuis bien plus longtemps – certes encore plus dans la capitale régionale. J’en donne ici des preuves, exhumant certains articles et informations parfois oubliés. Il suffit – pour se rendre compte de cette activité – de lire les journaux et revues conservés à la Bibliothèque Francophone Multimédia. Déjà, en 2008, écrivant sur les écrivains limousins[1], je m’étais aperçu du nombre relativement important d’auteurs dramatiques.  Mais ce n’est pas exactement ici un travail historique exhaustif. Il n’y aurait malheureusement pas la place de citer tous les comédiens, toutes les troupes. Parfois même, il est difficile de retrouver des traces. J’ai donc pris des exemples, des parcours, illustrés par les témoignages précieux de certains et par quelques critiques que j’ai moi-même pu écrire. A chacun de compléter avec ses propres souvenirs et ses expériences.

 

Le Pompier : Voulez-vous que je vous raconte des anecdotes ?

Mme Smith : Oh, bien sûr, vous êtes charmant.

Elle l’embrasse.[2]

 

A suivre…

 

 

[1] Du Pays et de l’exil, Un abécédaire de la littérature en Limousin, Les Ardents Editeurs, postface de Pierre Bergounioux.

[2] Eugène Ionesco, La cantatrice chauve, Gallimard.