Temps révolutionnaires à La Jonchère
En février 1790, M. de Léobardy du Vignaud, trésorier de France du bureau des finances de la Généralité de Limoges, est nommé (premier) maire de La Jonchère (il fut ensuite administrateur du district de Bellac et juge de paix de Laurière). M. Raby du Chéron et M. Raby des Bastilles sont nommés échevins et M. Gérardin procureur syndic. M. de Valeyze est élu secrétaire-greffier[1]. Une garde nationale de la paroisse, constituée de cinquante volontaires, est constituée. Le 14 juillet, on se réunit avec tambour et drapeau pour prêter le serment à la loi et au roi. On dit la messe sur un autel en planches construit sur la place de Laurière[2].
Juste avant la Révolution, en février 1789, Jean Richard (salué pour son éloquence), âgé de 40 ans, issu d’une famille de cultivateurs de Bersac, est nommé curé de la paroisse. Il assiste à l’assemblée du clergé pour la nomination des députés aux Etats Généraux. En 1791, il est prêtre réfractaire (et reçoit la protection de Gérardin et de Valeyze). C’est un certain Gabriel Lafont qui lui succède, mais les paroissiens le mettent en quarantaine et rappellent son prédécesseur qui organise un lieu de culte à la Tantolie. Raby des Bastilles, maire de la commune, tente de l’intimider, ainsi que ses fidèles, avec des hommes de la garde nationale. En 1793, le prêtre est finalement obligé de s’exiler en Espagne. Le 5 mars, le Registre de la Commune de La Jonchère donne une liste de « suspects », privés de particule pour l’occasion : la citoyenne Jeanne Brie, veuve Savignac, et son fils Léonard (en 1794, elle fut conduite en charrette à Limoges puis à la Conciergerie) ; Guillaume Léobardy, la citoyenne Catherine Verthamont son épouse et Thérèse, leur fille ; Léonard Gérardin et son épouse Anne Gay Delage ; la citoyenne Pierre Valize (90 ans), Magdeleine Valeize (80 ans) et Marguerite Valeize (72 ans). Le 24 novembre, les cloches de l’église sont descendues pour être fondues à Limoges et faire des canons pour la défense de la République. Le 30 novembre, on plante un arbre de la liberté avec feu de joie place de l’église, et l’on fait brûler les titres de rentes dues aux Sgr de Vaux et au Sgr du Vignaud. Le 17 décembre, des commissaires révolutionnaires font un discours anticlérical à l’église et renversent des croix sur leur chemin. Durant la Terreur révolutionnaire, un certain Raby du Sirieix, lieutenant criminel à Limoges, fut emprisonné pour « faits d’aristocratie ». Deux membres de cette famille, Joseph et Pierre-Louis Raby du Sirieix, de La Jonchère, émigrèrent en 1791[3]. En 1794, le tribunal criminel de la Haute-Vienne condamne François Rivière, instituteur à La Jonchère, pour avoir recelé des effets nationaux provenant de la maison des enfants émigrés de Françoise de Brie, veuve Savignac.[4] La même année, on ordonne de détruire des tours au Vignaud, car elles sont considérées comme des emblèmes féodaux. Notons que le 26 août 1796, le presbytère fut vendu comme bien national au sieur Raby (le maire ?), pour la somme de 1 440 livres[5]. Une autre personnalité de La Jonchère connut un destin particulier. Martial de Savignac, né au château de Vaux en 1758, prêtre réfractaire de la paroisse de Vaiges, en Mayenne, devint aumônier des chouans à la demande de Jacques Bruneau de La Mérousière, avant de rejoindre le chef chouan Michel Jacquet dit Taillefer. Le jour de Pâques, 27 mars 1796, Martial de Savignac dit la messe à Bazougers devant toute la division. Les Bleus[6] parurent. Le curé se trouva au milieu des combats, jusqu’au moment où deux hommes le dégagèrent et le conduire à l’écart. Malgré les avertissements qu’on lui donna alors de s’éloigner, il revint le 29 avril à Bazougers pour son ministère. Mais il fut surpris dans un verger, lisant son bréviaire, arrêté et conduit à Meslay, puis à Laval. Ses amis, aidés même par des patriotes qui admiraient le curé de Vaiges, mirent tout en œuvre pour sauver sa vie. Un premier jugement, le 7 mai 1796, porta la peine à 15 ans de fers. Des témoins étaient venus déposer que le prêtre leur avait sauvé la vie, et lui-même jura qu’il n’avait eu d’autre désir que de procurer la paix, d’arrêter l’effusion du sang et qu’il n’avait prêché que le pardon. Le général républicain Chabot ordonna la révision du procès, qui fut cassé, et le 9 mai 1796 fut formée une nouvelle commission militaire devant laquelle Martial de Savignac parut sans illusions. En entendant la sentence de mort à 5 heures du soir, il ne dit que ces mots en levant les yeux au ciel : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum[7]. Il fut fusillé le mardi 10, à midi, sur la place du Gast à Laval[8]. Ses deux frères, Léonard et Joseph de Savignac avaient participé à l’expédition de Quiberon. Organisé afin de prêter main-forte à la Chouannerie et à l’armée catholique et royale en Vendée, le débarquement des émigrés espérait soulever tout l’Ouest de la France afin de mettre fin à la Révolution française et de permettre le retour de la monarchie. Il fut repoussé le 21 juillet 1795 et échoua. Les frères Savignac furent fusillés le 28 août et le 1er septembre 1795, parmi 748 autres condamnés. Leur mère Françoise de Brie de Soumagnac (1724-1801) fut emprisonnée à Limoges[9].
Lorsque les derniers religieux furent sortis de l’abbaye de Grandmont, Mgr d’Argentré fît distribuer aux paroisses du diocèse les reliques et les reliquaires de son trésor. Une partie des richesses qui le composaient, a pu, grâce à leur éparpillement sur tous les points du diocèse, échapper au vandalisme révolutionnaire. Ainsi furent réservées pour La Jonchère des reliques de deux compagnons de saint Maurice, martyrs, sans reliquaire.[10]
Un document publié par Jacques de Léobardy indique qu’une épidémie a tué trente personnes dans la force de l’âge à La Jonchère, entre septembre 1796 et janvier 1797. En 1797, la récolte des foins et des blés s’est levée sans une goutte d’eau. L’été 1798 est particulièrement sec et les fontaines n’ont plus d’eau. La même année, la récolte de châtaignes est particulièrement abondante et en décembre 1799, on cueille encore des roses dans le jardin du Vignaud[11].
[1] Peut-être s’agit-il de Pierre Candide de Valeyze, né vers 1736 et mort après 1793, fils de Pierre (chirurgien) mentionné comme « milicien, tailleur d’habits Chez-Brouillaud » ? (source : site Geneanet).
[2] J. de Léobardy, Une histoire de famille, auto-édition, Lavauzelle-Graphic (Panazol), 1998, p. 112.
[3] B.S.A.H.L., t. 75, 1934, p.31.
[4] B.S.A.H.L., t. 45, 1897, p. 539.
[5] A. Lecler, Dictionnaire historique…, déjà cité, p. 393.
[6] Républicains.
[7] Ô Seigneur, entre tes mains je remets mon esprit.
[8] « Martial de Savignac », dans Alphonse-Victor Angot, Ferdinand Gaugain, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, Goupil, 1900-1910.
[9] A. Lecler, Dictionnaire historique…, déjà cité, p. 395.
[10] B.S.A.H.L., t. 60, 1910, p. 437.
[11] Une histoire de famille, déjà cité, p. 132.