27 Mai

la peste noire à Limoges

De tous les fléaux épidémiques du Moyen Âge, la peste « noire » est le plus impressionnant, parce qu’il se répand de façon foudroyante et très meurtrière. L’exemple le plus significatif est celui de l’épidémie de 1346 à 1353. Venant d’Asie, la maladie frappe l’Europe occidentale sous-alimentée et fait des ravages effrayants. Cette peste pulmonaire, dix fois plus meurtrière que la peste bubonique, a une propagation dix fois plus rapide. Elle gagne rapidement de ville en ville et, en quelques mois, elle atteint presque toute la France. Cette peste aurait tué 25 millions d’Européens – le quart de la population – et l’on voit en elle l’un des cavaliers de l’Apocalypse. Il faut relire le grand écrivain italien Boccace qui, dans Le Décaméron la décrit et l’analyse avec un effrayant talent. Bientôt, on va peindre des danses macabres, sarabandes qui mêlent morts et vivants.

En 1348, après le départ des Anglais, les corps étant épuisés par la guerre et la famine, la peste frappe à Tulle. Elle s’étend à Brive, à Saint-Junien… Elle fait des apparitions à Limoges en 1348 (venant de Bordeaux), 1371, 1382, 1389, 1395 et 1399. 1/6e de la population limousine serait morte. La contagion par les contacts de peau à peau aurait été accélérée, en une période plus froide, par le fait qu’en l’absence de vêtements chauds et du combustible nécessaire pour chauffer les lieux d’habitation, notamment chez les pauvres, le seul moyen de conserver la chaleur du corps consistait, surtout la nuit, à se serrer les uns contre les autres. Conjugué à la sous-alimentation chronique, à la présence de rats et de puces dans des habitations insalubres, ce comportement favorisa les épidémies.

Devant la peste, les Limousins fuient leurs maisons mais, bien souvent contaminés, ils meurent sur les chemins, sans secours. On veille sur les remparts pour éviter toute communication avec le dehors. On s’isole, on se replie sur soi, on rejette l’étranger ou le malade. Dans les églises remplies, ce ne sont que larmes, lamentations et prières. A Tulle, on dit que l’épidémie s’arrête après une procession avec l’image de saint Jean-Baptiste. Partout, on prie saint Sébastien et saint Roch pour éloigner le mal. A Limoges, une dent du premier est vénérée comme relique à Saint-Martial, l’un de ses ossements l’est aussi à Saint-Pierre-du-Queyroix, dans un reliquaire de cuivre surdoré. Certains charlatans proposent des recettes et des élixirs sensés préserver de la peste, on rédige des oraisons pour se protéger.

Les soins pratiqués ne sont donc ni adaptés, ni efficaces. On trouve parfois même des boucs-émissaires qui font les frais de cette incompétence :les Juifs, les mendiants, les marginaux de toutes sortes. Il n’y a pas de politique sanitaire mise en place par le pouvoir royal, ce sont donc souvent les consuls qui, souvent aidés par les nombreuses confréries limougeaudes, essaient tant bien que mal de porter assistance aux pauvres et aux malades. huit hôpitaux ou léproseries existent dans la ville, parmi lesquels l’hôpital Saint-Gérald et l’hôpital Saint-Martial. Les Annales Manuscrites de Limoges n’évoquent la peste dans la ville qu’à partir du XVIe siècle et montrent les consuls établissant un capitaine ayant pour mission de garder les lieux, un médecin et un prêtre – tandis que les habitants qui le peuvent se retirent à la campagne. En France, d’une manière générale, il faudra attendre pratiquement le XVIIIe siècle pour voir les premiers programmes d’hygiène publique, si ce n’est le choléra de 1832.

 

(post également publié dans Le Populaire du Centre)