31 Mar

Le rabbin Abraham Deutsch et la communauté juive pendant la guerre

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Le rabbin Abraham Deutsch, réfugié d’Alsace, âgé de 37 ans, fait de sa résidence à Limoges un centre de résistance. Tout laisse d’ailleurs à penser que la population limougeaude n’est guère gagnée par l’antisémitisme. Aux environs et après la grande guerre, quelques familles séfarades de Grèce et de Turquie s’étaient établies dans la ville ; avant guerre, la communauté était présidée par Léon Goetschel, fabricant de chapeaux rue du Clocher – en mai 2014 est sorti le documentaire (France 3 Limousin/Leitmotiv Production) que Pierre Goetschel a consacré à la mémoire de ses grands-parents à partir des objets familiaux et diverses archives. La Seconde Guerre vit affluer des centaines de familles d’Alsace et de réfugiés juifs d’autres régions. On trouva un local 18 rue Manigne (une ancienne imprimerie) qui servit d’abord de synagogue, puis pour les offices de la semaine et les cours du Talmud-Thora. Au printemps 1940 fut établie une seconde synagogue 5 rue Cruveilhier. Le rabbin – entouré de laïcs comme Henry Bloch, Julien Wolff, Jules Bollack, Edouard Bing – réussit l’ouverture, à Limoges, d’un petit séminaire, école secondaire du deuxième cycle, qui devait préparer ses élèves à l’école rabbinique, alors dans la banlieue de Clermont-Ferrand. Peu de ces élèves devinrent rabbins, mais parmi eux certains furent plus tard les leaders du judaïsme français comme éducateurs, universitaires et enseignants. Abraham Deutsch, secondé par son épouse Marguerite, essayait d’accueillir et d’aider ceux qui, alors nombreux, étaient en difficultés (y compris en participant au sauvetage des enfants avec l’O.S.E. et ses pouponnières clandestines, par exemple celle de Germaine May dans le quartier Varlin). En revenant d’un office à la synagogue – d’autres disent après un enterrement – Abraham Deutsch fut arrêté par la Gestapo, avec son ministre-officiant. Il fut libéré le lendemain et poursuivit sa tâche comme auparavant. Les choses étaient devenues très difficiles avec la grande rafle des Juifs étrangers en août 1942 – à Limoges, certains, prévenus par le rabbin mis au courant par le président de la Croix Rouge, purent se mettre à l’abri. Dans la région de Limoges, beaucoup furent néanmoins arrêtés, détenus au camp de Nexon avant d’être transférés à Drancy. Au moment de « l’aryanisation » des biens juifs, 200 entreprises furent recensées comme juives. Les choses devinrent encore plus dangereuses avec l’implantation de la kommandantur à partir du 11 novembre, secondée par les collaborateurs et les miliciens. En juin 1944, la milice vint arrêter le rabbin à son domicile et il fut interné dans un camp de la région jusque quelques jours avant la libération où le maquis vint délivrer les prisonniers. Il rentra en Alsace en 1945 et finit ses jours à Jérusalem.

Lire à Limoges 2017

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Si vous souhaitez que nous parlions de l’histoire de la ville, je serai à Lire à Limoges 2017 chaque après-midi vendredi 31 mars (Page et plume), samedi et dimanche (France Bleu Limousin).

Je vous attends avec plaisir…

22 Mar

Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale, 2

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Jean Filliol Le Populaire, organe du Parti socialiste (SFIO), n° 5448, 14 janvier 1938.

En novembre 1942, les Allemands entrent à Limoges et installent la Kommandantur place Jourdan, la gestapo investit une villa à l’angle de l’impasse Tivoli et du cours Gay-Lussac (parmi ses séïdes, une quinzaine de Français). L’Ordrugs Polizei s’installe rue Montalembert. Les Etats-Majors et services investissent le Central Hôtel, l’Hôtel Moderne, l’Hôtel de Bordeaux. La répression s’intensifie, le Service du Travail Obligatoire est mis en place, les pénuries s’accroissent – impression de désolation accentuée par un hiver très rude. Face aux importantes restrictions alimentaires, la presse a donné depuis longtemps des recettes pour utiliser les déchets : feuilles vertes des choux, feuilles de salsifis, de betteraves ou de radis, etc. Les habitants font la queue devant les boutiques lorsqu’un arrivage est annoncé, ils économisent tout ce qu’ils peuvent : vêtements, crayons, papier. Dans les cours et les jardins, on élève des poulets ou des lapins, on cultive un potager. Ceux qui peuvent partent en tramway ou à vélo s’approvisionner à la campagne. Les véhicules fonctionnent surtout au gazogène, des voitures à cheval circulent à travers la ville.

Le dimanche 28 février 1943 a lieu à Limoges l’assemblée constitutive de la Milice, pour la Haute-Vienne et les parties non occupées de la Charente et de la Vienne. Les formations des miliciens se regroupent place de la Cathédrale puis gagnent le cirque-théâtre où le public est nombreux. En guise de décor, un immense portrait du fondateur Joseph Darnand et une banderole : « Contre le communisme, la Milice ». Les miliciens chantent leur hymne et même La Marseillaise ; ils défilent ensuite au square de la Poste puis les autorités et personnalités se retrouvent dans le hall des jardins de l’Evêché pour partager le déjeuner des miliciens. Parmi ceux qui sont favorables au mouvement, le médecin Verger, dont le fils s’engagea dans la Milice, et dont la femme tenait des propos extrêmes – la rumeur locale lui prêtait même le désir d’un « sac à main en peau de maquisard ». En 1944, Jean de Vaugelas est à la tête du mouvement dans la région (mais il a aussi autorité sur la Garde mobile, les G.M.R. et la gendarmerie). Avec lui, Jean Filliol, cofondateur de La Cagoule, est chargé de la Franc-garde et du renseignement. Il a investi, avec ses séïdes, le Petit Séminaire, près de l’Hôtel de Ville : les tortionnaires opèrent au deuxième étage du bâtiment B, chambre 19. Entre deux beuveries, avec acharnement, ils cravachent, frappent à coups de gourdins, de matraques, de nerfs de bœuf, brûlent à la cigarette, lardent de coups de couteau. Parmi les victimes, un Juif meurt défenestré, le résistant Louis Cacaly succombe à une hémorragie interne, des femmes sont violées. On fusille des résistants dans la cour de la prison, place du Champ de Foire. A la fin de la guerre, la Milice s’installe au Petit Quartier du lycée Gay-Lussac. Dans la biographie qu’il a consacrée à l’écrivain limousin Robert (Bob) Giraud, auteur du célèbre Le vin des rues, Olivier Bailly a raconté comment celui-ci, âgé de 23 ans, maquisard, est arrêté en juin 1944 par un ancien camarade du lycée, milicien, et envoyé au Petit Séminaire où il est torturé. Il croise là et réconforte André Schwarz-Bart (futur Prix Goncourt 1959), adolescent résistant lui aussi torturé. Les prisonniers sont sauvés d’une mort certaine par la libération de la ville.

A suivre…

12 Mar

Quand l’écrivain Pierre Bergounioux se souvient de son passage en hypokhâgne au lycée Gay-Lussac

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Editions Gallimard

« Rien n’a plus compté dans mon existence que le passage par Gay-Lussac. Jusqu’au printemps de l’année du bac, j’envisageais de devenir instituteur dans la campagne voisine. C’est à quoi tout me poussait, l’isolement, l’arriération, l’indigence de la Corrèze natale. A quelques semaines de l’examen, mon professeur de lettres a rendu visite à mes parents pour les presser de m’inscrire en hypokhâgne, à Limoges. Je n’avais pas dix-sept ans. Je ne croyais pas avoir mon mot à dire et me suis rangé, la mort dans l’âme, au décret des adultes.

    Gay-Lussac fut, l’espace d’une quinzaine, la négation de la vie champêtre, rétrograde, rêveuse que j’aurais menée sous le béret noir et la blouse grise légendaires des maîtres d’école. Je porte la blouse grise, mais c’est celle des internes en classe préparatoire. Et puis je m’avise très vite, au contact de mes petits condisciples, de l’ignorance morne à laquelle le désert vert dont je sors, réduit ses occupants. J’ai franchi, à mon insu, les seuils géographique, démographique, donc social, scolaire qui sépare une métropole de cent mille habitants des chétives sous-préfectures de l’arrière-pays rural, Tulle, Guéret. Après les cours, dont la teneur a changé, plus élaborée, plus exigeante, je parle librement avec de délurés compatriotes, au fond de la grande cour fermée, dans les réduits, sous les combles. Ils vont se charger de m’édifier. C’est là, grâce à eux, que j’ai accédé à l’univers second, merveilleux, de la culture lettrée. Mieux, que j’ai reçu les premiers éléments d’une conscience politique dont rien n’a plus modifié les contours ni l’orientation.

    Le régime auquel nous étions soumis, en 1967, restait celui, spartiate, carcéral, des lycées du Premier Empire. Mais – me croira-t-on?-, dès l’instant où m’est révélée la rayonnante perspective de la connaissance approchée, savante, les grandes salles austères, le triste réfectoire, l’immense dortoir, les sonores et froids corridors changent de signe. Ils deviennent le cadre nécessaire, heureux, bienfaisant où travailler sans relâche ni cesse à dépouiller l’âme ombreuse, anachronique que m’avait faite la vieille Corrèze pour devenir, s’il se peut, le contemporain de mon âge, être au monde, en conscience, vivre au présent.

    Parce que les gens du Ministère de l’Education, rue de Grenelle, à Paris, nous tiennent toujours pour une ethnie grossière, disgraciée, inégale aux vertus et capacités nationales – des « escholiers limozins »-, il n’y a pas de khâgne, à Limoges. C’est un maître d’internat dont le nom me reste, M. Berthelemot, qui nous en parle, un soir de juin, dans la salle d’eau. Le lendemain, à la première heure, je frappe à la porte du bureau du proviseur. On me donne un dossier d’inscription. La rentrée suivante me trouvera à Bordeaux.

    Mais tout ce qui a pu m’arriver, par la suite, se déduit des dix mois passés à Gay-Lussac. Je n’ai plus rien fait que transférer, si loin que mes pas m’aient conduit, les habitudes contractées, une bonne fois pour toutes, entre ses quatre murs. Si quelque chose m’amuse et m’effraie, les deux, c’est de voir le vieux monsieur que je suis devenu obéir aveuglément à l’injonction qu’un adolescent lui adresse, de Limoges, du fond du temps. »

 

(c) L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014.

 

05 Mar

Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale (1)

03-B - Occupation - Denis-Dussoubs (pl) 01-2 - blockhaus (photo Lascaux) - Photothèque Paul Colma

Blockhaus pendant l’Occupation, place Denis Dussoubs

(c) P. Colmar et Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

Le 3 septembre 1939, c’est la déclaration de guerre au IIIème Reich. Ceux qui sont mobilisés le sont sans joie – le souvenir de 14-18 hante encore les mémoires. La « drôle de guerre » commence. Progressivement, les réfugiés d’Alsace et de Lorraine arrivent à Limoges, le plan d’évacuation des régions frontalières le prévoyant depuis avant le conflit. A Brachaud, quatre canons de 75 sont installés pour assurer une éventuelle défense anti-aérienne. Rue Jules Noriac, on prévoit la distribution de masques à gaz, qui n’a finalement pas lieu. On attend.

Et puis, le 10 mai 1940, c’est l’attaque allemande, la percée du front, L’étrange Défaite, pour reprendre la célèbre expression de Marc Bloch. Des prisonniers originaires de Limoges sont envoyés en Allemagne, pour travailler dans les usines et les champs. Les réfugiés belges, hollandais, français venus du Nord, de Picardie, affluent. La population de Limoges double, ce qui ne va pas sans créer des problèmes et des tensions : on s’installe comme on peut, où l’on peut : square des Emailleurs, certains vivent dans leurs voitures, ailleurs, on couche sous tente ou à la belle étoile. Le 31 mai, sous un chaleureux soleil, Léon Betoulle, le maire, accueille à l’Hôtel de Ville les ministres et parlementaires belges qui fustigent (dans la salle des mariages) la capitulation du roi Léopold III. Ceux-ci – qui étaient environ 170 – se sont retrouvés là, avec femmes, enfants et divers assistants, après bien des vicissitudes ; on leur a concédé des bureaux à la mairie, des locaux dans un casino désaffecté, le président du Sénat occupe à la Préfecture la chambre réservée au Président de la République. On a pavoisé l’Hôtel de Ville avec les drapeaux français et belges. Le 19 juin, trois avions allemands larguent des bombes sur et autour de la gare : trois personnes sont blessées dans la cité des Coutures ; sur un quai de la gare, un sous-officier est tué, d’autres victimes blessées. Le 22, c’est la signature de l’armistice entre l’Allemagne et la France, selon la volonté de Philippe Pétain. Le 25, une cérémonie est organisée à Limoges : à 11 heures, les autorités déposent une gerbe au monument aux morts de 1914-18 encore situé square de la Poste. Le clairon sonne Aux morts. Une délégation de Belges réfugiés est présente, la foule nombreuse. Le 10 juillet, l’Assemblée Nationale (Chambre des députés et Sénat) attribue les pleins pouvoirs constituants au maréchal Philippe Pétain. La nouvelle constitution devant « garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie. » 649 suffrages sont exprimés, dont 80 contre – parmi eux, les corréziens Jean-Alexis Jaubert (Parti radical), François Labrousse (Gauche démocratique), le Haut-Viennois Léon Roche (S.F.I.O.). Léon Betoulle (S.F.I.O.) vote pour, comme d’autres parlementaires limousins et parmi 90 de la S.F.I.O. Beaucoup accueillent l’appel à Pétain – dont les portraits et affiches ornent bientôt la ville – puis l’armistice du 22 juin comme un soulagement, d’autant plus que Limoges se situe dans la zone non occupée par les Allemands. Mais en mars 1941, Vichy substitue à Betoulle le candidat de droite aux municipales d’avant-guerre : André Faure. En visite dans la ville les 19 et 20 juin 1941, le vieux maréchal reçoit un accueil en apparence triomphal de la population, comme le montrent les films tournés à cette occasion, où l’on voit les Limougeauds massés tout au long du parcours (on avait amené par bus des habitants de toute la Haute-Vienne, et les scolaires n’avaient pas le choix…). La propagande peut alors s’en donner à cœur joie, comme dans Le Courrier du Centre du 18 juin (Le Populaire a cessé de paraître), qui affiche un portrait du Chef de l’Etat accompagné d’un « Vive Pétain », et affirme que « La France a enfin un homme à aimer ». Georges Jubin évoque le « miracle Pétain », R. Maroger précise que la corporation des bouchers remettra les clefs de la ville au maréchal, et appelle la population à venir nombreuse : « Que vos clameurs lui montrent que Limoges et le département aspirent à prendre largement et loyalement leur place dans l’organisation de la France nouvelle. » Le programme est annoncé, comprenant les visites des usines Haviland (porcelaine) et Heyraud (chaussures), les associations de jeunesse et professionnelles se mobilisent, les enfants des écoles répètent leurs chansons de bienvenue. Le voyage semble être une réussite. L’avenue qui mène du Champ de Juillet à la place Denis-Dussoubs porte le nom de Maréchal-Pétain. En octobre 1942, c’est l’amiral François Darland qui visite la ville : une foule nombreuse assiste à la prise d’armes au champ de Juillet, tout comme à son arrivée à l’hôtel de ville – mais les commentaires privés, parfois défavorables, vont bon train. Les premiers convois de prisonniers rapatriés commencent à arriver gare des Bénédictins. En 1942 a également été inaugurée, place Fournier, la statue de Jeanne d’Arc, œuvre du royaliste d’Action Française Maxime Real Del Sarte, Grand Prix national des Beaux-Arts en 1921.

Limoges accueille dès l’été 1940 trois quotidiens parisiens : Le Journal et L’Action Française – sur le départ pour Lyon – et La Croix. Ce dernier est de fait dirigé par Alfred Michelin, qui a noué des liens amicaux avec Georges Ardant, le vicaire général de l’évêque Rastouil. Du 15 juillet 1940 au 20 juin 1944, l’imprimerie Charles Lavauzelle permet la parution du journal. Une cinquantaine d’employés sont venus s’installer dans la ville avec leurs familles. La rédaction est installée 3 place de l’Ancienne-Comédie. Il faut souvent jouer avec la censure, exercée à Limoges par Marcel Pays, ancien journaliste du quotidien Excelsior, et remédier à la pénurie de papier. Le 17 janvier 1941, le Ministère de l’Intérieur  supprime Le Populaire du Centre – qui ne renaîtra que le 7 septembre 1944 – et le 7 février, apparaît L’Appel du Centre, favorable au régime, dirigé par Jean Clavaud.

A suivre …