Claude Viallat (c) Galerie Arset Limoges
L’intérêt pour les arts plastiques et leur enseignement est ancien : en 1881 fut créée L’Ecole Nationale d’Arts Décoratifs, succédant à l’Ecole Municipale d’Art Décoratif. D’abord école pour les peintres sur porcelaine – installée dans les locaux du musée Adrien-Dubouché -, elle a ensuite formé de nombreux étudiants. Pendant l’Occupation, s’y rencontrent des jeunes locaux et réfugiés. Parmi eux et ceux qui les fréquentent ou les croisent à Limoges : Israëlis Bidermanas, plus connu sous son nom de photographe Izis, Claude Chanteraud, Christian Christel, Joseph Ginsburg (le père de Serge Gainsbourg), Robert Giraud, Marcel Mangel (le mime Marceau), Simone Nathan, la poète Marcelle Delpastre, Marie-Thérèse Régerat, René Rougerie ou Boris Weisbrot. En 1943, Georges Magadoux, peintre, émailleur, décorateur d’intérieur, né en 1909, crée la galerie Folklore en bas de la rue Jean Jaurès (puis rue du Consulat). Comme l’écrit Simone Christel : « Pour la première fois à Limoges, l’émail est présenté par un peintre-émailleur, à côté des toiles de Gromaire, Bonnard, Delaunay, Suzanne Valadon, Utrillo, des tapisseries de Lurçat et des céramiques de Picasso. » Elle a consacré en 2013 un ouvrage essentiel aux émailleurs contemporains à Limoges de 1940 à 2010 auquel je renvoie. On y trouve les « novateurs » des années 1950-65, parmi lesquels des autodidactes comme Hubert Martial et des jeunes créateurs issus de l’E.N.A.D., comme Boris Weisbrot, Christian Christel, Bernadette Lépinois, Roger Duban, Henri Chéron et d’autres. Elle raconte également la genèse des Biennales de l’émail (dont Magadoux fut l’inventeur) et qui connurent un grand succès, avec les directeurs Gérard Malabre – petit-fils de Camille Fauré – puis Michel Kiener, exposant des émailleurs du monde entier dans la chapelle du lycée Gay-Lussac, et donnant à voir d’autres œuvres dans divers autres lieux, s’ouvrant par exemple sur le design. Malheureusement, suite notamment à des problèmes financiers, la Biennale disparut en 1994 ; on ne peut que s’étonner qu’elle n’ait pas été relancée par la suite, par exemple par les collectivités locales et l’Etat. En 2007, une Maison de l’Email a été ouverte à Limoges pour enseigner, proposer des stages ; une nouvelle génération d’émailleurs semble voir le jour.
Depuis 1945 et jusqu’à sa mort en 1971, Raoul Hausmann, né en 1886 à Vienne, signataire du manifeste Dada, vit à Limoges. Il est reconnu comme l’un des inventeurs du photomontage et de la poésie sonore. À Limoges, il arpente la ville, multipliant les points de vue. « Sa période limousine est très féconde en activité artistique : il peint, danse, vocifère, colle, assemble, gribouille… » et publie des ouvrages consacrés essentiellement à Dada. Delphine Jaunasse lui a consacré un ouvrage, Raoul Hausmann : L’isolement d’un dadaïste en Limousin, aux PULIM, en 2002.
Le nîmois Claude Viallat fut à Limoges d’octobre 1967 à juin 1972 pour enseigner aux Beaux-Arts. C’est alors un jeune peintre du groupe Supports/Surfaces qui a proclamé : « L’objet de la peinture, c’est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu’à eux-mêmes. » Viallat emploie des matériaux de récupération, toiles de bâche, parasols, tissus divers, corde nouée ou tressée. Il se souvient pour ce livre d’un « pays très vert avec des prairies humides, des gens extrêmement chaleureux… quand on les connait. De nombreux amis avec lesquels j’ai gardé des contacts. L’inoubliable souvenir de Raoul Hausmann, Hedwig Mankiewitz et de Marthes Prévost. » Fin avril 2014, J.C. Hyvernaud a organisé une pertinente exposition intitulée « Autour de Claude Viallat, années 70 Limoges ». Dans le catalogue, Georges Châtain écrit à propos de l’artiste : « sa générosité artistique se traduit par l’organisation de manifestations qui amènent dans la ville les artistes dits d’avant-garde les plus divers. Et lorsqu’en 1973 il quitte le Limousin pour rejoindre son Languedoc natal, il y laisse plus qu’une empreinte : l’éclosion spectaculaire d’une fécondité artistique jusque là souterraine. » L’exposition a montré les travaux de neuf plasticiens de son immédiat entourage – élèves ou amis – : Jean-Pierre Bort, Joël Desbouiges, Serge Fauchier, Joël Frémiot, Dominique Gauthier, Max-Alain Grandjean, Geneviève Jamart, Jean Mazeaufroid, Rémy Pénard. Desbouiges écrit : « Limoges est alors une place incontournable de l’art vivant […] nous exposons partout, tout semble simple, pas de permission à demander, pas d’institution à flatter. » Geneviève Jamart fut quant à elle membre fondateur du Coordination Recherche & Interventions Culturelles en 1979 avec Jacques Bonnaval, Charles Le Bouil et Jean Mazeaufroid – présidente jusqu’en 1982, elle dirigea avec Charles Le Bouil les cahiers du CRIC. Tous ces artistes soulignent l’apport de Viallat – la présence, aussi, d’Hausmann – et la liberté de cette époque qui précéda la mise en place des « institutions culturelles ». Rémy Pénard se souvient que dès « Les Rencontres 70 » à la salle Jean-Pierre Timbaud, Viallat est déjà là. Pénard intervient en divers lieux de province jusqu’en 1979. La galerie 30, rue de Rambuteau à Paris, l’invite à participer aux activités du groupe T,P. dont Mazeaufroid est l’un des cofondateurs. Mais les choses évoluent : « début 80, changement de politique culturelle, mise en place de l’art officiel (FRAC, Centre d’art…), nous sommes mis aux oubliettes […] Cette décennie voit ses acteurs partir, les étudiants partent profs et les autres ailleurs, ils sont aux quatre coins de l’hexagone […] J’entre en résistance. J’ai connaissance du mail art […] je prends contact avec les membres de l’International Union of Mail Artists […] mon travail circule à travers le monde grâce à la Poste, entre 1980 et 2000, je participe à plus de 1 200 mail art shows. » Pénard participe également à la 50ème Biennale de Venise mais n’expose plus à Limoges depuis longtemps. Il se souvient de Mazeaufroid comme compagnon de route, d’Eugénie Dubreuil, Geneviève Jamart, Charles Le Bouil, Max Grandjean. En 1991, ce dernier publia Limoges Bénédictins, Dérives autour d’une gare, un livre de collages et photo-montages, avec une préface de Bonnaval (Paratonnerre), un récit de Patrick Mialon (Railway fiction) et un historique de Georges Châtain (Une construction métaphysique). Dix ans plus tard, il a participé à la création de la revue L’Indicible frontière.
A suivre…