04 Juil

Notices pour servir à l’histoire du théâtre à Limoges et en Limousin (18): le théâtre en 1945

J’ai eu l’idée et l’envie de choisir trois années, 1945, 1955 et 1975 afin de rechercher comment se portait alors le théâtre, en Limousin et à Limoges – capitale régionale. C’est un peu procéder comme l’archéologue ou le scientifique qui prélèvent une « carotte » dans le sol ou la glace pour l’analyser. Bien entendu, si la place le permettait, il serait captivant d’étudier toutes les années ; mais ce « sondage », cette jauge sur trois ans est toutefois bien significative.

1945 : divertissements d’après-guerre

 

L’après-guerre suscite d’incontestables envies de divertissement, il est vrai plus souvent lyrique (opérette, opéra, revues diverses) que théâtral. En janvier 1945, les spectacles ont repris au Cirque-Théâtre : les productions Fernand Laly présentent « la grande vedette de la scène et de l’écran » Raymond Cordy avec Serge Rolla et Madeleine Geromet, dans un sketch : Six heures Chaussée d’Antin1 ; il est suivi de diverses animations. Au théâtre Berlioz, les tournées de Germain proposent Le tampon du Capiston, vaudeville militaire en trois actes, d’Alfred Vercourt, Jean Bever et André Mouëzy-Éon (1926) avec Fernand Dorbel, Gaby Ducher, L. Barjacs, Annick France, Madeleine Lamour et Mado Matheis. A Radio-Limoges, samedi 6 janvier à 20 h 30, la troupe de comédie interprète Le Noël sur la Place ou les enfances de Jésus, jeu en trois parties écrit dix ans plus tôt par le dramaturge catholique (et cofondateur de la N.R.F.) Henri Ghéon (1875-1944). A la salle Berlioz, on indique une soirée de musique de chambre et de poésie, sans plus de précision. En ce même lieu, le 15 janvier en soirée, André Roussaux, critique littéraire du Figaro prononce une conférence payante à propos de Giraudoux, organisée par le cercle Jean-Traversat. Selon Le Populaire du Centre, plusieurs aspects du dramaturge sont envisagés : « l’érudit qui a donné une nouvelle jeunesse aux héros grecs, le provincial d’Intermezzo « cet alcool parfumé de la province », l’héroïque et le sage de Siegfried et de la Guerre de Troie n’aura pas lieu, le poète de la jeune fille. Toute l’œuvre de Giraudoux n’est qu’une comédie de l’aube : un intermezzo où le spectre est un arc-en-ciel humain, la mort une fleur et la haine jamais cruelle. Ainsi, Giraudoux a remplacé « l’ordre des rapports humains » par une ouverture sur l’ordre des rapports célestes. »

Le 15 juin 1949, Conferencia Les Annales, le journal de l’Université des Annales, publie Knock, une passionnante conférence de Louis Jouvet. Il y déclare : « Si, aujourd’hui, nous n’avions à produire qu’un témoignage de l’existence d’un règne ou d’un zodiaque dramatique, c’est à la pièce de Jules Romains que nous aurions recours. S’il en fallait trois, Siegfried et Electre seraient les deux autres. S’il en fallait davantage, c’est à Jules Romains, à Jean Giraudoux et à Paul Claudel que nous les demanderions, à leurs œuvres. »

A Limoges, on programme aussi dans les salles de spectacle des comiques, des clowns, des médiums, des fakirs, des chanteurs (comme Charles Trénet), du cirque, des danseurs fantaisistes, des musiciens, des chansonniers (comme Jaboune – Jean Nohain), des illusionnistes et même des contorsionnistes ou des catcheurs ! En décembre, Mistinguett propose Vive Paris.

Fin janvier, on apprend que, comme chaque année, M. Georges Héritier, directeur-fondateur des Tréteaux d’Art de Paris, a donné, à la mairie, une conférence aux enfants des écoles communales et des cours complémentaires. Il s’est efforcé de faire comprendre aux enfants tout ce qu’il y a de simple et de vrai, de noble et de pathétique dans les œuvres de La Fontaine, Corneille, Racine, La Bruyère, Victor-Hugo… Les élèves emportèrent de cette séance qui débuta par une note patriotique (Hymne aux morts, de Victor Hugo) en plus d’une meilleure connaissance des auteurs, une leçon de dictionnaire. Le 30 janvier, Le Cid est représenté au Cirque-Théâtre par la troupe de Mme Elmire Veutier. Le même jour a lieu l’unique représentation de la revue d’esprit de Roger Salardène, du Canard Enchaîné : Hip ! Hip! Hurrah!, revue en deux actes et dix-huit tableaux. Le 22 février, au même endroit, sont proposés la comédie de Molière : L’Avare, donnée par la compagnie Le Regain, « dans des décors et costumes spécialement créés pour cette Tournée », mais aussi des poèmes de Hugo, Saint-Pol-Roux, Max Jacob, Rimbaud, Jean Vengeur, André Chénevière, Jean Tardieu, Michel Loiris, Percales, Paul Eluard, Aragon, la dernière lettre de Guy Mocquet et Jacques Decour, lus par des acteurs résistants. Le Populaire est conquis : « Audace de mise en scène, d’interprétation. Depuis longtemps nous n’avions vu une interprétation aussi brillante et aussi sympathique. Voilà enfin une troupe homogène et… sans vedette. Espérons que cette magnifique et plaisante leçon donnera à certains l’audace qui leur manque. Pourquoi ces artistes n’ont­-ils pu dire à la radio quelques poèmes de la Résistance ? Pendant la saison, la troupe du Regain interprétera à Limoges « L’annonce faite à Marie », de Paul Claudel ; « Le barbier de Séville », de Beaumarchais, et « Hamlet », de Shakespeare. Avec la création des Jeunesses Musicales, la reprise des Soirées Limousines, l’organisation des tournées du Regain dans notre ville, doit être le prélude d’un renouveau artistique que Limoges réclame. » En mars, au Cirque-Théâtre, les spectateurs peuvent assister au Sexe fort, comédie en 3 actes de Tristan Bernard, interprétée par une troupe parisienne présentée par les Galas Montcharmont. Le Théâtre des Enfants de Paris, de Roland Pilain, donne Les Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur, un mardi à 17 heures, après les classes. Fondé par Pierre Humble en 1919, cette troupe avait fait la réouverture du Théâtre Antoine, malheureusement délaissé durant la deuxième guerre mondiale. Le Théâtre privilégiait la représentation d’œuvres destinées aux enfants et à un public familial. C’est ainsi qu’ont été mis en scène des spectacles adaptés de contes, des adaptations de classiques de la littérature enfantine (Le bon petit diable, Le général Dourakine), des pièces de la Comtesse de Ségur (Les Malheurs de Sophie, Les petites filles modèles), de Molière (Le Tartuffe, Les femmes savantes…) et des pièces de Shakespeare (Le songe d’une nuit d’été)2. Et alors que fin mars L’Annonce faite à Marie, de Paul Claudel, avec Jean Gosselin, Janine Clairval, etc., est jouée au Cirque-Théâtre, le groupe théâtral de la Section limousine du Parti Socialiste propose Prête-moi ta femme, comédie en deux actes à la salle Berlioz. On ne sait s’il s’agit de l’adaptation du film de Maurice Cammage, sorti en 1936, avec notamment Pierre Brasseur, dans lequel Gontran est tenu de se marier s’il veut bénéficier de l’héritage de sa tante. Pour convaincre cette dernière à la faveur d’une visite, il fait appel à la femme d’un ami qui joue le rôle de la future épouse. Une manœuvre qui provoque de nombreux quiproquos. En avril, au même endroit, une représentation ou conférence ( ?) ayant pour titre : « Le théâtre au service de l’amitié franco-russe ». Au Cirque-Théâtre, le même mois : Mon curé chez les riches, avec René Forval, créateur du rôle de l’abbé Pellegrin au Théâtre de la Renaissance, Robert Hast­, le célèbre comique ; Mary Martys, May Chartrettes, Maurice Tricard. Chape. Danielle Merange, Roger Laby, Deschamps, Luce Gavorit, et le chien « poilu ». Sans doute l’adaptation du roman à succès de Clément Vautel (1876-1954), paru en 1923 (également adapté au cinéma) et inspiré d’un père rédemptoriste que l’auteur connut sur le front pendant la Première Guerre mondiale. On donne Ruy Blas, de Victor Hugo, mais aussi L’Ecole des faisans, comédie en 3 actes de Paul Nivoix (qui avait travaillé avec Pagnol), inspirée par les affairistes du marché noir, représentée pour la première fois au Théâtre de l’Avenue en 1943. La distribution n’est pas mentionnée ; celle de la création comprenait René Dary, Jean Mercanton, Raymond Bussières, Eliane Charles, Noëlle Norman. Au printemps, la troupe radiophonique interprète Les Mystères de Paris.

Le 14 juillet, Mme Cazautet, directrice du théâtre de Limoges, livre un intéressant témoignage dans Le Populaire du Centre à propos du théâtre en Limousin. Au journaliste qui remarque que « Depuis l’avant-dernière guerre, le théâtre a vu peu à peu ses fidèles, l’abandonner, attirés par le septième art qu’est le cinéma, aux immenses ressources scéniques. Que semble déjà lointaine l’époque où Voltaire pouvait écrire : « Le théâtre instruit mieux que ne le fait un gros livre ! » Il serait faux de croire qu’une règle générale régit les goûts du public pour le théâtre. Telle pièce du genre classique, par exemple, attire la grande foule alors que sa sœur, du même auteur, ne recueillera qu’indifférence. A quoi attribuer ce phénomène ? » Elle répond qu’elle « est persuadée que chaque pièce à son destin, heureux ou malheureux, qui la suit tout au long de sa « carrière ». Et il faut regretter que, parfois ce destin n’ait pas toujours bon goût. Combien de jolies pièces qui n’ont jamais — en argot de métier —« fait d’argent » « Le goût du public pour le théâtre – poursuit le journaliste – diffère pour chaque ville et suivant ses diverses formes. Ainsi, à Limoges, les revues à « grand spectacle » sont peu goûtées; par contre, le « tour de chant », quoique en baisse depuis la guerre, obtient la faveur du public limougeaud. Mais, actuellement, il est incontestable que l’opérette viennoise, genre « Valse de Vienne » ou « Pays du Sourire » attire la grande foule ainsi, d’ailleurs, que l’opérette classique telle que « Les Mousquetaires au couvent ». Par contre, l’opérette moderne est moins goûtée. Mme Cazautet attribue cette différence au manque de chant dans ce spectacle. Le véritable proscrit est certainement le théâtre classique, qu’il s’agisse indifféremment de la tragédie ou de la comédie. Cependant, comme l’exception confirme la règle, quelques pièces — oh ! très rares — font bonne recette; tel est le cas du « Cid ». Le « romantique » ne plaît plus, principalement à la jeunesse et cependant la pièce de Rostand, « l’Aiglon », est toujours favorablement accueillie. Avant 1914, un véritable engouement enthousiasmait les Limougeauds pour le grand opéra. Ce genre de spectacle connut un succès jamais dépassé, surtout dans les classes populaires. A l’époque, les porcelainiers façonnaient la glaise en chantant les airs de « Carmen ». Puis, peu à peu, cet enthousiasme tomba. Mais encore aujourd’hui un opéra tel qu’ « Hamlet » reste assuré d’un grand succès. Le public n’est d’ailleurs pas entièrement responsable de ce changement. La venue régulière de troupes d’opéra entraîne de tels frais que la recette ne les couvre qu’en partie. Cette défection a donc rejeté tout naturellement les Limougeauds vers l’opérette où ils retrouvent le chant, caractéristique du goût local. Et j’en arrive au théâtre moderne. Au risque de m’attirer une réprobation presque unanime, je dirai que dans certaines pièces, il faut voir, trop souvent, autre chose que l’Amour du Beau. » Au cours des nombreuses années d’administration théâtrale,- Mme Cazautet a pu se faire une opinion précise sur le public limousin. Elle connaît ses goûts, devine à 1’avance sa réaction. Le publie est avant tout une clientèle et, par conséquent, il impose ses goûts… commandés parfois par la mode… « un tyran dont on ne peut nous délivrer ».

Fin août à la salle Berlioz, la compagnie « Art et Joie », bien connue du public limougeaud, présente « en grand gala », le dernier grand succès du théâtre du Gymnase : Le Maître de son coeur, comédie de Paul Raynal interprétée notamment par la grande vedette Jacques Eyser et Emmire Vautier et présentée dans de beaux décors brossés spécialement par Marcel Decandt. Le 6 septembre, le Cirque-Théâtre accueille Ma Cousine de Varsovie comédie en 3 actes de Louis Verneuil, avec Elvire Popesco, Lucienne Givry, André Varennes, Hubert de Mallet. Lucienne est l’épouse d’Archibald Burel, ancien banquier déprimé à qui son médecin prescrit un traitement « d’homme de lettres », une cure de romans. Lucienne et son amant Hubert Carteret – un intime du ménage – sont dérangés. Aussi la femme infidèle propose-t-elle à une cousine de Varsovie, Sonia, de séduire son mari. En octobre au Théâtre Berlioz, c’est la comédie anglaise en 3 actes et 4 tableaux Peg of my Heart que l’on propose aux Limougeauds – Peg de mon coeur, de J. Hartley Manners (également adaptée au cinéma par King Vidor en 1922) « avec la charmante vedette de la scène et de l’écran, Jacqueline Francell et toute la troupe officielle du Théâtre de la Porte Saint­-Martin. » Peg, est la fille d’un pauvre fermier irlandais et d’une Anglaise de la haute société rejetée par sa famille, qui est envoyée en Angleterre pour vivre chez les Chichester, dont les manières snob lui déplaisent. Elle a pour seul ami Jerry, qui vit dans le domaine voisin. Lorsque Peg apprend que le seul intérêt des Chichester est l’argent payé pour son éducation par son oncle, et que Jerry est en fait Sir Gerald Adair, elle repart déçue en Irlande. Mais Jerry la suit là-bas et la persuade de l’épouser. Le même mois, les amateurs de Jean Racine peuvent aller voir Britannicus au Cirque-Théâtre (avec tarifs spéciaux pour les scolaires), ou Monsieur chasse !, le vaudeville de Feydeau inspiré par l’adultère, avec Jean Guyon, du Palais Royal et Albert Reyval de la Comédie Française, salle Berlioz. La tournée de la Porte Saint-Martin propose la grande comédienne Valentine Tessier, dans : La Femme en fleur, la comédie de Denys Amiel et, qu’elle a créée à Paris. Son partenaire sera Emile Drain, ex pensionnaire de la Comédie Française ; Mlles Evelyne Volney, Suzanne Stanley, Geneviève Bellac ; MM Christian Delaunay, Alex Ryonel et Max Megy. L’Héroïne quadragénaire d’Amiel a une fille âgée de vingt ans, dont l’auteur fait le prototype de la jeune fille moderne. Entre la mère et a fille, en dépit de l’affection naturelle et profonde qu’elles éprouvent l’une pour l’autre, une sorte de rivalité amoureuse s’engage. On joue Monsieur Pistache – « comédie gaie » –, peut-être une adaptation de M. Pistache, ou le Jour de l’an, folie en 1 acte, mêlée de vaudevilles, de Francis baron d’Allarde (1804) ? Et l’on peut aussi aller voir André Bronot dans Cette vieille canaille, la célèbre comédie de Fernand Nozière (adaptée au cinéma en 1933 par Anatole Litvak avec Harry Baur), avec Ariette Méry, Ulric Guttinguer, etc. Un vieux chirurgien y est amoureux d’Hélène, une petite foraine qu’il a un jour soignée. Il lui pardonne ses aventures sentimentales et les encourage même un peu pour la garder près de lui. Hélène commence à s’attacher de plus en plus à un de ses jeunes camarades.

Radio-Limoges – troupe de comédie de Jean Dorsannes – Photothèque Paul Colmar

Troupe théâtre – variétés – Rideau 54 – Photothèque Paul Colmar

Troupe Victor Ervey (Victor Ronzeau) – Photothèque Paul Colmar (ci-dessus et les deux dessous)

Troupe théâtre – variétés – La Nouvelle Compagnie – Photothèque Paul Colmar

Troupe théâtre – variétés – Artistic Coop Limoges – Photothèque Paul Colmar

Troupe José Guy 01-1 – Limoges – Photothèque Paul Colmar

Troupe théâtre – variétés – Club Amateur Artistique 01-1 – Photothèque Paul Colmar

 

 

 

1 Sans doute la comédie en un acte de Roger-Ferdinand (1898-1967).
2 Il existe toujours sous le nom de Théâtre du Petit Monde, dirigé en 2019 par Nicolas Rigas.