1955 : une « année théâtre » à Limoges
Lire Le Populaire du Centre de l’année 1955 – où écrit avec talent la critique Gabrielle Soulier – permet de se rendre compte de l’activité théâtrale foisonnante et variée à Limoges et en Limousin au XXème siècle. On constate ainsi qu’en janvier, la salle des fêtes de la Maison du Peuple accueille le Club amateur artistique pour un spectacle avec des comiques, des comédiens, des clowns et d’autres artistes (avec une séance gratuite pour les pauvres). Au cirque-théâtre, Pierre Brasseur, Jacques Varennes, Hélène Baron, le jeune José Artur et Yvonne Roussel se produisent dans Kean d’Alexandre Dumas. A la mi-janvier, on annonce le 2ème Festival d’art dramatique de Bellac. On donne Le Malade imaginaire au cirque-théâtre, L’Anglais tel qu’on le parle de T. Bernard. Place de la République est inaugurée la Brasserie du Théâtre par Raoul François. La troupe de Jean Dorsannes fait une tournée avec Les Vignes du Seigneur de Robert de Flers et Francis de Croisset (adaptée au cinéma avec Fernandel trois ans plus tard) dans un but de vulgarisation théâtrale. En février, Le Grenier de Toulouse présente L’Illusion comique de Corneille au cirque-théâtre. La Compagnie du Centre-Ouest présente Un inspecteur vous demande, une pièce policière de J.B. Priestley à Chateauponsac, Bessines, Saint-Sulpice-les-Feuilles, Bussière-Poitevine, Saint-Junien puis Saint-Yrieix-la-Perche. Limoges reçoit Lestelly, Gina Manes, Henri Marchand et la troupe du Palais-Royal pour une comédie, La Bêtise de Cambrai, signée Jean de Létraz. Le même mois, les tournées France-Monde proposent La Maison de la nuit de Thierry Maulnier, avec Michel Vitold, Pierre Vanek, Robert Bazil : c’est un succès. En mars, Maurice Clayaud de l’Odéon et une certaine Bernadette Laffon sont à l’affiche du Bourgeois gentilhomme au cirque-théâtre. La comédienne Marie-Rose Carlié, « ravissante de fraîcheur et d’aisance » déclame des poèmes au cinéma Le Paris, à l’occasion d’un concert des J.M.F. Au printemps, Jean Valcourt, de la Comédie-Française, interprète L’Impromptu de Versailles de Molière avec la Compagnie Jean Deninx ; Jean Richard se produit dans Demeure chaste et pure d’Axehod (tournées France-Monde). Le Grenier de Toulouse revient avec Malatesta d’H. de Monterlant, avec André Thorent. Mais au Lycée Gay-Lussac aussi, on fait alors du théâtre ! A l’occasion de la fête de l’établissement, M. Chatelain, professeur de grammaire, dirige les élèves qui jouent Le commissaire est bon enfant, pièce en un acte de Courteline et Les Fourberies de Scapin de Molière ; le soir : Une pièce de Chambertin, de Labiche. Jean-Marie Rousseau est à la régie et il semble bien que l’on se produise dans la vénérable chapelle. En mai, ce sont les élèves de la promotion sortante de l’Ecole Normale d’Instituteurs de Bellevue qui s’amusent à interpréter Monsieur de Pouceaugnac de Molière. A la Maison du Peuple, dans le cadre de la foire-exposition, le groupe théâtral André-Bernier propose Les Trois jours heureux, comédie de Claude-André Puget. En juin, au cirque-théâtre, François Périer et Marie Daems jouent Le Ciel de lit de Jan de Hartog dans une mise en scène de Pierre Fresnay. Le Populaire du Centre propose à ses lecteurs la vie de Jean Marais en feuilleton… L’Alliance française organise à la Maison du Peuple une conférence dialoguée par Gilbert Gil et Blanchette Brumoy sur Courteline, puis ils interprètent La Peur des loups, Le Gora, La Lettre chargée et Monsieur Badin. La grande affaire théâtrale en juillet, c’est Bellac ! Le festival – dirigé par messieurs Cluzeau et Moreau – invite, par un temps magnifique, Jean-Pierre Giraudoux, fils de l’écrivain. La Comédie du Centre-Ouest, composée de « moins de 30 ans » (son élément le plus actif étant André Steiger et le décorateur Georges Osterberger) interprète La Farce des joyeuses commères de Shakespeare, avec une musique originale d’Yves Claoue, devant un millier de personnes ; Mariana Pineda de Lorca – représentation enregistrée par la Radio Télévision Française – appréciée par 1 200 spectateurs. Le bulletin de liaison des Amis du Festival de Bellac, Les Tréteaux du Centre-Ouest voit le jour cette année-là, avec la participation de Jean Blanzat, Robert Margerit, Georges-Emmanuel Clancier, Bernard de Vergèze et d’autres. Le même mois est inauguré un théâtre de verdure au Château des Bayles à Isle, par Robert Laucournet et Léon Betoulle. Ce même été 55, un Cercle Musique Théâtre est créé pour le développement de la musique populaire et des spectacles en général, pour un théâtre d’avant-garde ; trop souvent, précisent les fondateurs dans le journal, « on entend dire que Limoges est une ville morte ou sans activité artistique valable ». En octobre, au Paris, a lieu le début de saison des J.M.F. avec Le jeu de l’amour et du hasard par la Compagnie Henri Doublier. La Comédie du Centre-Ouest joue Kleist et Brecht dans plusieurs départements du Centre-Ouest, dont la Haute-Vienne et la Creuse. Le même mois, le Cirque Théâtre accueille La main passe de Feydeau dans une mise en scène de Jean Meyer (décors de Cocteau) avec Jean Marchat et Jacqueline Delubac.
1955 à Limoges, c’est aussi – surtout ? – l’année Jean Vilar. En effet, en octobre, au cirque-théâtre, avec le parrainage de l’U.N.E.S.C.O., le T.N.P. propose Don Juan (avec Vilar dans le rôle principal, Daniel Sorano dans celui de Sganarelle, Monique Chaumette dans celui d’Elvire) ; Macbeth ; L’Etourdi. Le public, composé d’adultes et d’adolescents, est nombreux et enthousiaste. Vilar déclare que « le T.N.P. qui joue à Limoges est le même que vous pourriez applaudir à Chaillot (…) l’accueil que nous a réservé la population limousine a ravi mes camarades et moi. Quelle foule compréhensive, vivant avec nous ce Don Juan de notre immortel Molière (…) L’Etourdi, c’est pour nous une création mais Limoges mérite un tel honneur, nous avons retrouvé ici le même engouement qu’à Paris ou encore à l’étranger où, vous le savez, nous sommes particulièrement choyés. » La troupe est reçue par le maire Léon Betoulle et d’autres personnalités à l’occasion d’une réception à la Taverne du Lion d’or.
En novembre, les comédiens des Trois Baudets sont sur les planches du Cirque Théâtre qui accueille également Les Carnets du major Thompson de Pierre Daninos, mis en scène par Yves Robert. Les Galas France-Monde proposent une comédie policière de Jean-Pierre Conty : Affaire vous concernant. Mais surtout, le 19 novembre, s’appuyant sur le succès de la venue du T.N.P., Léon Betoulle peut annoncer la construction d’un nouveau théâtre par la ville.
Opéra-Théâtre – plafond mobile (09.05.2009) – Photo P. Colmar
En 1955, le conseil municipal de Limoges se penche sur la question du cirque-théâtre jugé désuet : « « Sa forme hexagonale, la disposition de ses sièges et la défectuosité de son acoustique, ne remplissent pas les normes et les qualités exigées d’un public rendu difficile par la fréquentation, à Paris ou d’autres grandes villes, d’établissements confortables et modernes. On a soutenu avec pertinence que l’absence d’une bonne salle de théâtre était responsable pour large part de la désaffection manifestée depuis longtemps par le public limousin ». Trois solutions s’offrent alors : construire un « Théâtre Cinéma » de 1500 places avec auditorium de 450 sur l’emplacement du Théâtre municipal / Salle Berlioz, rénover le Cirque-Théâtre, ou construire un bâtiment neuf à l’emplacement de celui-ci. C’est cette dernière solution qui est retenue. La démolition du Cirque-Théâtre commence en 1958 pour faire place à l’actuel Opéra de Limoges, conçu par Pierre Sonrel (casino de Boulogne-sur-Mer, théâtres de Strasbourg et de Rouen). « La salle, si son côté « stalinien » soulève plus d’un sourcil de détracteur à son inauguration, est appréciée des artistes (Nougaro, Bécaud, Brel), et sera la seule en Europe à être équipée d’un plafond mobile, pour passer de 939 à 1484 places. »1
Grand Théâtre – 1er directeur (Lafforgue) (c) P. Colmar
Grand Théâtre – inauguration (1963) (c) P. Colmar
Les directeurs successifs sont présentés sur le site de l’Opéra-Théâtre : René Laforgue : « reste six mois » ; André Portelli : « une vision plus populaire du théâtre lyrique, les opéras sont présentés en français » ; Georges-François Hirsch : « ex-directeur de l’Opéra de Paris et du Théâtre des Champs-Elysées, il a 27 ans lorsqu’il devient directeur. Il entame la tradition de modernisme dans le choix du répertoire qui est maintenant un des piliers de la renommée de l’Opéra de Limoges » ; Gabriel Couret : « chanteur lyrique, il fait venir Montserrat Caballé, José Carreras ou encore Mady Mesplé, et fait découvrir un répertoire encore peu connu à l’époque (Pelléas et Mélisande de Debussy, Méphistophélès de Boito) » ; Guy Condette : « l’opéra se dote d’un solide orchestre symphonique et améliore les conditions de production » ; Alain Mercier : « parvient à poursuivre cette apparente antinomie de « tradition d’innovation », avec la mise en valeur de sphères musicales peu explorées, de mises en scènes modernes et la mise en collaboration de toutes les forces artistiques de la région, offrant ainsi très régulièrement au public de Limoges, en plus des productions invitées, des créations artistiques originales, audacieuses et locales. »
Une exposition « Molière 1673-1973 » à Limoges
De juin à août 1973 est organisée une exposition « Molière 1673-1973 » dans les vitrines de la Bibliothèque municipale, rue Turgot à Limoges. Celle-ci est alors dirigée par Mme Marie-Madeleine Erlevint. Les vitrines thématiques proposent des ouvrages divers, des peintures, des eaux fortes, des mises en relation avec d’autres artistes (comme Lully) et écrivains, des photos, des livres et études à propos de la possible venue du dramaturge à Limoges, etc. Quatre dessins évoquant quelques personnages de Molière complètent l’illustration des vitrines ; ils ont été exécutés par une étudiante de l’Ecole des Arts Décoratifs de Limoges. Un catalogue analytique de l’exposition, au format A4, est réalisé. Il comprend 8 pages dactylographiées agrafées.
Grand Théâtre – L’Arlésienne 04 – Fransined – J. Angelin – 04 ou 05.1963 (c) P. Colmar
Grand Théâtre – L’Arlésienne 09 – équipe technique – R. Lafforgue – J. P. Frémont – 04 ou 05.1963 (c) P. Colmar
1 http://www.operalimoges.fr/fr/un-peu-dhistoire Texte de Christophe Dilys.