A partir de l’hiver 1942, le Centre d’Etudes Régionalistes de Limoges[1], récemment créé, édite Notre Province, revue dont l’ambition est affirmée dès le début par son directeur de publication, Paul Brousse, dans un éditorial-manifeste : « Le Maréchal voit dans la restauration de la vie provinciale une des meilleures forces du relèvement national. Aussi dès ses premiers messages, a-t-il affirmé sa volonté de faire revivre les provinces (…) La province doit être un organisme vivant, affirmant son existence particulière dans tous les domaines de l’activité nationale. Notre Province (…) veut être l’expression de la vie d’une province fière d’un grand passé, héritière de magnifiques traditions auxquelles elle reste attachée et qu’elle tient à continuer (…) Notre Province veut être aujourd’hui le centre de rayonnement de cette civilisation. » Et d’annoncer des articles littéraires (y compris dans le « patois savoureux de nos paysans »), intellectuels, mais également ouvert sur la vie économique. Le projet politique est clair : les temps sont « troubles », « les anciennes démocraties étaient devenues insensiblement des gouvernements de vieillards » (heureusement, Pétain a rajeuni tout ça…). La revue prend activement sa part, à la suite du Maréchal Pétain, à la réflexion sur ce que doit être concrètement la nouvelle région : « faire œuvre administrative basée sur le présent et orientée sur l’avenir ; conditionnée par les nécessités vitales du pays. »
Dès la troisième page du 1er numéro, le maréchal est photographié par Pierre Coiffe, accueilli à Saint-Léonard-de-Noblat par une jeune fille en costume traditionnel. Au faîte de la collaboration d’Etat avec le régime nazi, Paul Brousse affirme que la IIIème République « donnait depuis longtemps des signes de décrépitude » et que « la France ne peut se sauver que par une Révolution Nationale. » L’objectif de la revue, imprimée en 2 000 exemplaires par A. Bontemps à Limoges, est de recréer un « esprit provincial », base du nouvel Etat. Elle souhaite, annonce son directeur, que « tous les patriotes » de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Corrèze, de la Dordogne, de l’Indre, de la Charente et de la Vienne, veuillent bien la considérer comme leur organe. Dans ses vœux pour l’année 1942, Paul Brousse vante la nouvelle Charte du Travail et souhaite que « nos artistes et nos littérateurs fassent des œuvres belles, saines et vraiment françaises[2]. Si tous font ainsi courageusement et simplement leur devoir, fidèles aux directives du Chef, la France sera sauvée. » Jusqu’au corps, qui doit être régénéré, comme l’explique Jean Malaud : le maréchal ayant confié à Jean Borotra[3] la mission de « redonner à la France meurtrie une jeunesse plus belle, plus enthousiaste et surtout mieux éduquée » : « En quelques semaines, la nouvelle machine française était en marche, et, dès la fin de 1940, le sport français était sauvé. » Cela passe, en Limousin, par le rugby, le foot, le basket et l’athlétisme, dont les jeunes pratiquants forment la « jeunesse Nouvelle France ». Jeunesse dont les mouvements tiennent des réunions dans les villes limousines, le but général étant « de relever la France », de « dresser » les jeunes au « Service et à des vues neuves. » Henri Marre rappelle l’importance de la famille et du travail, note que « l’ordre nouveau[4] commande l’accrochage au sol, la décentralisation dans tous les ordres, insiste sur la nécessité du « retour à la terre » – le but étant de mettre fin à l’exil : « la vie provinciale aura retrouvé son charme et sa vigueur, la petite patrie gardera ses enfants, plus fiers encore de son avenir que de son passé. » Il salue encore – en septembre 1942 – la naissance à venir d’une Europe unie, après avoir fait « table rase pour la construction de l’ordre nouveau » – ordre qui doit être « énergiquement imposé ». On appelle ailleurs à la « liaison organique entre régionalisme et patriotisme » ; on réfléchit à « ce que seront demain nos provinces » et l’on souhaite desserrer « l’étau d’une centralisation qui a pu être nécessaire, que les progrès des moyens de communication et les exigences de la vie moderne font apparaître comme illogique et, parfois, tyrannique. » Et lorsque Guy Pétiniaud présente une conférence du Comte de Saint-Aulaire – descendant de l’Académicien –, il écrit sur le régionalisme comme « clef de voûte d’un ordre social régénéré. » Dans la rubrique des livres, en 1943, on rend compte d’un ouvrage du recteur Alengry à propos de la Philosophie sociale et politique du Maréchal Pétain (Charles-Lavauzelle et Cie), dont une partie était parue dans la revue Corrèze. A la fin de cette année, il est fait mention de la venue à l’Institut d’Etudes Corporatives de Limoges de Georges Lefranc, qui prononce un discours à propos du mouvement ouvrier et fait l’éloge de la Charte du travail.
On invite à la souscription pour l’érection d’une statue de Jeanne d’Arc (M. Mauratille et la banque Tarneaud récoltent les dons). Edmond Blanc s’enthousiasme avec lyrisme pour la « bergère immortelle » dont la statue est réalisée par le sculpteur d’Action Française Maxime Réal del Sarte, avant de recevoir la visite de Charles Maurras pour l’inauguration, qui prononce une conférence au Faisan. Bien entendu, le lecteur de la revue suit les déplacements de Pétain, par exemple à La Courtine et en Corrèze, ou saluant les Compagnons de France du Berry et du Limousin, ou les manifestations comme la fête des moissons à Saint-Germain-les-Belles en septembre 1942, à l’occasion de laquelle le secrétaire d’Etat à la jeunesse, Georges Lamirand, déclare : « Il n’y a plus chez nous de place que pour les types épatants » – d’ailleurs, depuis 1940, sur cette commune, au lieu-dit Bagatelle, on a construit un camp de neuf baraquements pour « indésirables », sur un terrain appartenant à un certain Peyrinet[5]. En juin 1944, une photographie montre la nombreuse délégation de Flore et Pomone – la Société d’horticulture de la Corrèze – offrant au Maréchal des produits du pays « brivois » en octobre 1941.
Dans la revue, on admire les Chantiers de la Jeunesse et on s’émerveille, en ces temps difficiles, de la fabrication de l’alcool de topinambour à la distillerie de Lapeyrouse. Raybaud peut conclure son éditorial du numéro de Noël 1942 par : « Pour la France, Vive le Maréchal notre Chef. Vive la Légion ![6] » En février-mars 1943, Notre Province se fait l’écho de la création de la Milice, supplétive de la Gestapo pour traquer les résistants et les Juifs, en présence des autorités limougeaudes – on lit ce commentaire : « les bons Français commencent à se révolter contre les manœuvres odieuses et insultantes des agents de Moscou et à mesurer en revanche les services rendus par ceux qui les combattent. » Le même numéro salue l’exposition de la Famille Française à l’Hôtel-de-Ville de Limoges et une conférence de Georges Claude, membre de l’Institut, qui « a exposé en toute franchise l’intérêt qui s’attache à une réconciliation franco-allemande pour la paix de l’Europe. » En mai 1943, Edmond Blanc rend compte d’une intervention de Paul Creyssel, secrétaire général à la Propagande, tenue au Cirque-Théâtre sur le thème : « où en sommes-nous ? » : la politique de la collaboration « était et reste quoi qu’il arrive la politique de la sagesse et de la raison françaises » ; « la dureté de l’Armistice fut de beaucoup inférieure à nos craintes », etc. Lorsque la Résistance passe à l’action – et plus particulièrement les maquisards de Georges Guingouin, qui pratiquent le dynamitage de botteleuses et de batteuses, en limitant les prélèvements pour le Reich, ce qui leur assure des soutiens paysans – la réaction de Notre Province est sans ambigüité : « La haine court les chemins et la Folie collective annonce des heures noires. Des criminels, armés par l’étranger, incendient les récoltes et détruisent les batteuses. Ils veulent, cet hiver, affamer les enfants. Forfait sans nom. Attentat CONTRE LE PAIN, auquel l’Autorité ne peut répondre que par des exécutions capitales immédiates »[7]. En février 1944, alors qu’il est fait mention de l’assassinat du docteur Thouvenet à Nieul, on lit : « Ne voyez-vous pas le danger intérieur, plus grave que le danger extérieur ? » et d’ajouter cette citation de Philippe Henriot : « La France ne peut pas périr. »
Tout est donc dit, tout est donc clair. Le programme est fixé, et tous ceux qui participeront à cette aventure de deux ans le feront en toute connaissance de cause ou avec une grande ingénuité – motivés, on imagine, pour certains, par le désir impérieux d’être publiés[8]. D’ailleurs, l’éditorial du n°3 affirme : « la critique inconsidérée, ignorante des réalités, doit faire face à la compréhension d’un travail écrasant ». Les annonceurs publicitaires sont les premiers à entendre le message : bien entendu, le très officiel Secours National – dont les activités sont largement chroniquées –, mais aussi les entreprises locales, par exemple les porcelainiers Haviland, Bernardaud, G. Dumas et fils, R. Letourneur, les Nouvelles Galeries, l’agence Havas, la Banque Tarneaud, la Société Générale, la Banque Populaire du Centre, le Crédit lyonnais, les déménageurs Bardon, divers commerçants comme A. Dony ou la librairie Duverger, les laboratoires Romey, les chaussures Heyraud, les cinémas de Limoges, la manufacture de pantoufles Raoul Lalet, les produits Massabielle, et même Les Coopérateurs – à qui la revue rend d’ailleurs hommage en 1942 ! Même en juin 44, les annonceurs sont toujours aussi nombreux : l’usine Perrier & Dardanne, les bières Mapataud, l’agence Havas et tant d’autres, guère regardants sur le contenu éditorial. On note par ailleurs des encarts pour La gerbe, journal collaborationniste d’Alphonse de Chateaubriant – violemment anticommuniste, antirépublicain et antisémite, prenant pour modèles idéologiques le fascisme et surtout le nazisme.
Le contenu de la revue – méconnu de nos jours – est cependant varié, souvent intéressant, si l’on fait abstraction – ce qui est en fait impossible – du projet politique affirmé. Jérôme[9] et Jean Tharaud, académiciens limousins (qui se qualifient de « deux vieilles châtaignes »), font l’éloge de « Notre Limousin » et suggèrent même qu’il faut éviter de s’engager sur la « voie dangereuse » d’un « esprit de galoubet et de farandole, de vielle et de barbichet » et affirment : « Nous autres Limousins, essayons à notre tour de découvrir nos Îles d’Or. Retrouvons ces valeurs de notre âme qui ont fait, un moment, de notre terre la contrée la plus courtoise, la plus fine du monde, ces valeurs que, soit dit sans vouloir nous offenser nous-mêmes, nous avons laissé trop longtemps sommeiller dans les ruines de quelque château perdu, dont il nous faut retrouver le chemin. » Du coup, un certain Clitandre de Pourceaugnac (faisant fi de la moquerie de Molière) propose ses estampes limougeaudes : « sous la lune rougeâtre, j’ai laissé mon cœur se reprendre au charme de ce coin de ma province auquel me lie je ne sais laquelle de ces affinités qui nous enchaînent sans retour. » D’ailleurs, même un agrégé bordelais, Pierre Dupouy, ancien camarade de khâgne de Brasillach, s’interroge sur un sujet de dissertation proposé par un de ses collègues aux élèves du lycée de Limoges : « Mauriac, dans Commencements d’une vie, analyse l’influence de Bordeaux, sa ville, sur sa formation et sa vie intérieure. Essayez de démêler quelle a été sur vous l’influence de Limoges et de l’atmosphère limousine. » Et de préciser dans son article que « c’est à l’âme que s’intéresse François Mauriac et, c’est l’âme la plus secrète d’une ville, d’une région, qui doit passer dans ses livres. La plus secrète… », tout en s’interrogeant sur ce thème toujours captivant : « Pour quelle part le Limousin entre-t-il » dans la grandeur des écrivains limousins ; « comment ont-ils subi et exprimé l’empreinte de ce pays ? ». Justement, parmi ceux qui participent à la revue : Robert Margerit, qui donne des critiques d’art, comme sur l’exposition du peintre limousin-parisien Charles Blanc dans son atelier de la rue Jean Jaurès, ou des nouvelles comme L’humble vie quotidienne. Ses livres font d’ailleurs également l’objet de compte-rendus par Raymond d’Etiveaud (qui présente aussi Clancier). Dans Limoges ville close, Margerit écrit notamment : « Limoges exerce sur ceux qui la connaissent bien une séduction (…) un charme qui a un goût de mystère et la saveur défendue d’un secret. »[10] Néanmoins, lorsqu’il rédige une notice biographique en 1950, l’écrivain ne mentionne pas sa participation occasionnelle à Notre Province : « En 1941, je me retire complètement à Thias et, dans cet isolement, reprends L’île des perroquets sous la forme d’un roman d’aventures classique et Phénix comme exercice de style. Puis j’écris Mont-Dragon qui paraîtra à la Libération et obtiendra des voix au Renaudot, une petite pièce de théâtre : Les loups-garous, Le vin des vendangeurs, deux romans non publiés, des nouvelles, et une histoire de Limoges parue en articles dans L’Appel du Centre. »[11] La collection complète de Notre Province conservée à la Bibliothèque Francophone Multimédia de Limoges est un don de la famille Margerit. L’écrivain la lisait-il in extenso ? Georges-Emmanuel Clancier se pose la même question à propos de L’Appel, le journal maréchaliste s’étant substitué au Populaire du Centre (avec les mêmes équipes), auquel Margerit donnait des critiques artistiques et littéraires : « lisait-il les informations du nouveau quotidien ? Sans doute. Du moins celles concernant faits divers et vie locale, car elles pouvaient nourrir en lui l’ardente imagination du romancier. »[12]
Le numéro de Noël 1942 consacre deux pages anonymes à Marcel Jouhandeau, accompagnées d’un portrait photographique. Dans le numéro de décembre 1943, il est fait largement mention de la thèse soutenue par Yvonne Clancier-Gravelat – l’épouse de Georges-Emmanuel Clancier – à propos de Quelques manifestations de la mentalité primitive en Limousin comme, par exemple, la croyance dans les loups-garous. Guy Pétiniaud salue d’ailleurs la parution de Quadrille sur la tour, de Clancier, et Raymond d’Etiveaud de Le Paysan céleste. Marcelle Tinayre livre quant à elle un billet à propos du sentiment maternel chez la femme mûre, sur le bouquet blanc des communiantes, le danger de vouloir connaître l’avenir ou une étude sur les vieux quartiers de Tulle. Germaine Kellerson évoque Eugène Le Roy, « chantre du Périgord ». La revue rend hommage au briviste Albéric Cahuet, critique littéraire de L’Illustration en publiant « L’auberge de Béthune » où se rencontrent Vigny et Lamartine, ou La Justice dans la Littérature. En février 1944, plusieurs hommages sont rendus à Jean Giraudoux. En mai 1944, on publie en éditorial le discours de Franck Delage[13] à l’Hôtel de Ville de Bellac et un grand dossier. Jean Cocteau dessine l’écrivain sur son lit de mort et livre un hommage : « Ta perte est irréparable. Les armes de l’esprit sont les seules qui nous restent. La France avait besoin de toi. » Marcel Jouhandeau – dont quelques textes furent publiés dans la revue – achève le sien par ces mots : « à nous la nécessité d’affronter sans lui l’heure du monde la plus atroce. » Est également publié le long discours de Charles Silvestre lors des obsèques : « Honorons sa gloire. Il est pour nous l’admirable jardinier qui sauve du monstrueux incendie de Sodome et Gomorrhe une rose de Bellac, une rose de France. » Notre Province précise l’envoi à la cérémonie, par Philippe Henriot, Secrétaire d’Etat à l’Information, de son collaborateur M. Falleur. » Mention est aussi faite que Giraudoux, qui repose à Montmartre, avait acheté près de Sornac, sur le plateau de Millevaches, un peu de terre pour y être enterré : « On l’y ramènera, dès que cela se pourra, car il a demandé de reposer dans sa petite patrie. Il a voulu rester des nôtres. »[14]
Luc Estang – de son vrai nom Lucien Bastard, écrivain catholique, directeur littéraire de La Croix, journal replié sur Limoges – livre une étude à propos de « parisianisme et régionalisme », qui ose affirmer (ce que conteste la revue, qui salue plus tard l’obtention par le poète d’un prix de l’Académie Française et publie des poèmes en mars et juin 1944) qu’il ne croit pas à une décentralisation intellectuelle et artistique[15]. A propos de ce journaliste et auteur, Georges-Emmanuel Clancier écrit qu’ « il était évident pour nous que la poésie, en ces temps de détresse, demeurait liée au rejet du nazisme et de ses alliés. »[16]
D’autres écrivains participent à Notre Province, comme André Thérive, qui exalte la poésie des paysages du Limousin, par exemple avec La bruyère parure du Limousin : « on comprend alors l’attrait que la solitude fleurie peut exercer sur une âme lasse de vivre parmi les hommes et surtout pour eux. » Jeanne Labesse livre des contes et divers écrits, Paul Brousse des fables et contes « patois » ou un hommage à Mistral. Dans le n°5 (été 1942), trois pages sont consacrées à l’émail offert à Pétain par le maître Paul Bonnaud (Saint Léonard délivrant les prisonniers, de circonstance…), accompagné par un médiocre poème de Charles Silvestre, L’épreuve du feu : « Monsieur le Maréchal (…) Bien plus grand qu’à Verdun, au feu de la souffrance,/Vous retracez ainsi la face de la France ;/Votre bâton conduit l’étoile de l’espoir (…) Que votre souvenir nous guide et nous domine/Il y a tant d’aurore, ô chef dans votre soir ! ». Notre Province publie par ailleurs ses contes Le Renard, La chèvre, L’été s’avance la couvée, Noël aux champs – éditorial du numéro de Noël 1943
Divers poètes sont publiés dans la revue, en français ou langue d’Oc. Bien entendu, le poète monarchiste d’Action Française Albert Pestour est aussi à l’honneur, Jean Rebier ou le poète, moraliste et félibre tulliste Joseph Roux. Paul Daunis salue le troubadour périgourdin Giraut de Borneil, Jean Faucher fait de même avec Bernard de Ventadour. Henri Troyat, prix Goncourt 1938, rend hommage à Tulle la ville qui défie l’injure du temps. On découvre dans le numéro de Noël 1942 un poème de Michel Peyramaure : « Automne » et Paul Brousse fait l’éloge du premier recueil de ce jeune auteur : Sèves (Imprimerie Nouvelle de Brive). Brousse présente également le général limousin Mariaux, « poète et chansonnier », gouverneur des Invalides et directeur du Musée de l’Armée, ancien combattant de 14-18, rencontré en 1930 au 435ème dîner du Bon Bock, regroupant des artistes et littérateurs montmartrois, qu’il salue comme « un poète très délicat, à l’inspiration fine et nuancée, d’une exquise sensibilité ». Joseph Durieux brosse le portrait de Maître Nadaud (de Saint-Astier), notaire et chansonnier (1803-1872), qui « aspirait au notariat, et rimait tout en étant clerc. » Paul Brousse consacre un long article à Pierre Fanlac, éditeur et auteur périgourdin, âgé en 1943 de vingt-quatre ans, dont la revue publie Le colporteur. Charles Chalmette évoque Emile Montégut et Régis Rohmer les félibres d’Argentat. Georges Fourest est présenté au lecteur, tout comme George Sand. Joseph Durieux présente le poète aveugle Lafon-Labatut (1809-1877), du Périgord – du Bugue, sur les bords de la Vézère. Après sa mort, Jules Claretie préfaça l’un de ses recueils, Hugo envoya une lettre de Guernesey, Sainte-Beuve le mentionna. G.M. Richardeau propose un poème inspiré par Les vieux ponts de la Vienne.
Néanmoins, les collaborateurs de la revue, aiment tout ce qui fait le Limousin et la tradition[17] : le « clac clac des sabots » les enchante ; la confection des gants ; les légendes et coutumes de Saint-Léonard-de-Noblat ; le barbichet, coiffe limousine ; la corporation des bouchers de Limoges ; les Noël limousins ; l’élevage ; l’horticulture ; la culture du tabac ; la forêt limousine et Millevaches ; les bergères, moutons et bergers ; les rivières, vipères et champignons ; les fantaisies du ciel creusois ; la culture du tabac ; les anciennes vignes de la province (étude de Guy de Breix) ; le travail d’ébéniste en Creuse ; les feux de la Saint-Jean ; l’amour de la chasse ; le retour du chanvre ; les cordiers de Limoges ; l’industrie des lampes à Aubusson ; les haras de Pompadour ; la truffe « fille de la terre diamant noir du Périgord » ; Raymond d’Etiveaud – qui livre des contes et nouvelles – accuse le Siècle d’être « si puérilement fier de son équipement scientifique tout neuf » et d’être creux ; Jacques Hérissay vante Sainte Valérie, « la vierge de Limoges » ; l’Abbé Chalmette évoque le Limousin religieux (et salue en chaire à la cathédrale la colonisation), Marie-Josèphe de Lacroix de Lavalette le Noël limousin et Lucien Dumazaud les fées en Limousin ; Léon Jouhaud rend hommage à l’émail limousin ; Jean-François S. à la tapisserie d’Aubusson ; la manufacture d’accordéons Maugein à Tulle est célébrée, ainsi que les mégissiers de Saint-Junien, les Forges de la Cité à Périgueux ; les porcelaines d’art, le décor sur porcelaine, les boiseries du Moutier d’Ahun, les tours de Merle ou le laboratoire de Confolens. Maurice Savreux, son directeur, présente le Musée Adrien-Dubouché à Limoges ; Louis de Nussac celui de Brive ; Georges Janicaud celui de Guéret. On rend hommage aux peintres limousins, de Crozant et d’ailleurs. Alice Millet-Lacombe se souvient de Montaigne en Périgord. Un certain Bazaugour a la nostalgie d’un « village d’autrefois » : Treignac. On se promène à travers Ussel, ses chansons et ses maisons, on visite la forteresse de Crozant, l’église de Saint-Angel, Meyssac, Boussac et ses environs. Des conseils sont prodigués par Antoine Perrier (et Franck Delage) aux instituteurs pour réaliser des monographies locales – pédagogie encouragée par les nouveaux programmes de mars 1942. Il se demande aussi « comment faire aimer aux enfants la petite patrie limousine ? » et L. Timbal livre des conseils pratiques pour l’enseignement de la géographie locale. Pierre Dupouy, agrégé d’histoire et de géographie, raconte la naissance de Limoges et l’histoire locale dans l’Enseignement secondaire. Quant à Henri Lelong, en juin 1943, il met en relation le climat et le « tempérament » limousin, insistant sur la modération, la juste mesure, la mélancolie légère, le côté « artiste plus qu’artisan », « frondeur (mais) ennemi du désordre », les « mœurs austères sans hypocrisie », le courage et la bravoure, « un tempérament de poètes, de héros et d’apôtres qui s’ignorent. » Roger Blanchard parle de la danse (traditionnelle) en Limousin, M. du Muraud se félicite du « savoir-vivre du paysan » : « la campagne est courtoise ». Jean Rebier vante la bréjaude et remarque qu’ « il serait grand temps de procéder à l’inventaire de notre patrimoine gastronomique. » En juillet 1943 est annoncé un film documentaire sur la porcelaine, produit par la Société des Documentaires Lemovix – administrée par M. Salesse-Lavergne – et réalisé par Pierre Duvivier, dont le frère avait notamment signé Pépé le Moko.
Dans le numéro de juin 1944, Lucien Casanova se plaint des calomnies de Prosper Mérimée à propos de la Creuse (« ce malheureux département ») : « Boussac est un horrible trou, la plus hideuse sous-préfecture de France », etc.
Les gloires locales, natives ou d’adoption, sont encensées : l’intendant Turgot ; Mme Fouquet exilée à Limoges ; Bugeaud ; Emile Girardin, député de Bourganeuf, qualifié de « Napoléon de la presse » par R. Depelley ; Mademoiselle de Fontanges, maîtresse de Louis XIV ; Maine de Biran ; la pianiste Blanche Selva ; l’aviatrice limougeaude Marie Marvingt ; le général Materre ; Dupuytren par le Dr Léon Delhoume ; André Antoine, fondateur du théâtre libre ; le maréchal Bugeaud, par le lieutenant-colonel Jean Regnault, qui n’hésite pas à comparer le soldat d’Afrique à Pétain : « Nous pouvons regarder l’avenir. En 1940 comme en 1815 la France reste toujours ! » Le poète Maurice Rollinat, habitué du Chat noir, est en couverture en 1943. Louis de Nussac fait le portrait du peintre Edmond Tapissier (1861-1943) ; Jehan Crauffon se demande si Marie Capelle était innocente ou coupable, Gilberte Sadouillet enquête sur Charles de Gontaut-Biron et son château. Jean Issanchou chronique l’exposition Eugène Alluaud à la galerie Jean-Jaurès. Les coins pittoresques du Limousin et au-delà sont salués : comme Solignac ou Brantôme ; Antoine Perrier, professeur agrégé au lycée de Tulle, écrit à propos de « la personnalité régionale du Limousin au cours des âges » (avec un hommage au maréchal) ; le Dr Mazeyrie évoque les portails imagés des églises corréziennes ; Janine Lamarche les « petites églises de nos pays, Guide à l’usage des touristes » ; Mathilde de Henseler vante Uzerche ou fait le portrait de Mme de Genlis – favorite de Philippe-Egalité – en Corrèze; on revient sur la présence des Vénitiens à Limoges au Moyen Âge ; d’Etiveaud brosse le tableau de Limoges « capitale spirituelle d’une province », en concluant : « La restauration de l’autorité, dans le cadre d’une patrie délivrée des occultes influences étrangères, du joug de l’argent, de la séduction des chimères pernicieuses, du snobisme débilitant et des vaines subtilités d’une fausse culture, doit entraîner, parallèlement, la restauration des valeurs provinciales. » Charles Silvestre et E. Alluaud présentent les peintres limousins – une chronique mentionne l’apparition, à la galerie Folklore de Georges Magadoux à Limoges, du jeune artiste Claude Chanteraud. Edmond Blanc raconte la vraie mort de Cyrano de Bergerac mais aussi comment M. d’Arsonval (gloire de La Porcherie) inventa la bouteille thermos, entre autres choses. Joseph Nouaillac évoque le pape Clément VI, Joseph Ballet Pierre de Roziers et Joseph Durieux la figure du comte de Sombreuil, émigré royaliste. On présente une étude d’Ernest Vincent sur les vieilles hôtelleries d’autrefois à Limoges ; Paul Brousse brosse le portrait de Louis Naurissart, financier limougeaud du XVIIIème siècle[18] ; un certain Epistémon s’intéresse aux « escholiers limousins de jadis » ; on se souvient de Charles Gounod à Trasforêt, non loin d’Ambazac ;
On rend même hommage au… tourisme, l’été 1942 : « Voyages ? Vacances ? C’est la saison. Le plein air attire tout le monde. »[19] Le texte d’une conférence d’Henry de Segogne, commissaire général au Tourisme, est publié en juin 1944, qui note au passage qu’en ce qui concerne les hôtels de qualité, « Limoges (…) ne jouit pas d’une brillante réputation ! »
Tandis qu’Andrée Coussière écrit à propos des colifichets et de la mode : « Miracle des étalages d’aujourd’hui et des étalages de toujours ! Ils sont le reflet du goût et de l’esprit français. » Monique Nadaud ne lui cède en rien, avec son article à propos des « Fleurs, chapeaux et coiffures », avec leur « note d’optimisme et d’incohérence absurde si féminine. » Elle écrit aussi, l’été 1943, à propos de « Paris avant les vacances », lorsque les Limousins se pressent à Austerlitz et précise : « on part pour manger un peu mieux ou moins mal. » Fermo (le coiffeur de la place Fournier à Limoges) d’ajouter : « Le vieux monde peut s’écrouler (…) une chose demeurera : le goût de la coquetterie et de l’élégance féminine (…) En Limousin, le nombre des femmes élégantes n’est pas négligeable. »
En 1944 (ou 1945 ?), les Editions du Châtaignier, sises 1, place de l’Ancienne Préfecture (adresse de Notre Province), publient – imprimé par Bontemps, comme la revue – Par Monts et Vallées, un très intéressant supplément de 96 pages, grand format, illustré, de « pages choisies des écrivains régionaux », avec cette précision : « cet ouvrage est envoyé gratuitement aux abonnés de la revue Notre Province en dédommagement des numéros auxquels ils avaient droit en 1944 et qu’ils n’ont pas reçu en raison des circonstances. » Les divers chapitres qui le composent sont consacrés à l’histoire, les arts et la littérature, l’économie et le tourisme, aux contes, nouvelles et légendes, et il comprend diverses « variétés ». Parmi les signatures, on remarque celles de Robert Giraud, qui signe un article à propos du repas en Limousin, dans lequel il écrit notamment : « Un dicton dit « qu’un repas sans vin est un jour sans soleil ». Le Limousin possède bien quelques vignes, mais qui sont hélas ! peu nombreuses. Les récoltes sont en totalité bues par l’habitant. Les crus de nos vignes eurent cependant leur réputation, mais on ne parle plus guère maintenant des crus de Bellac, d’Allassac, de Donzenac et de Syne (tout près de Brive). » La vocation du futur auteur du Vin des rues semble déjà s’affirmer ! En tout cas, Bob ne saurait être soupçonné de maréchalisme : dénoncé par un ancien condisciple de lycée, le milicien André Faucher, arrêté par les nazis, enfermé à la prison du Petit Séminaire de Limoges, il échappa à la condamnation à mort grâce à la libération de la ville par les forces de Georges Guingouin ; en 1944 il devint même rédacteur en chef du journal Unir, issu de la résistance. On peut également lire dans ce supplément des textes de Marcelle Tinayre, de Charles Silvestre et des poèmes de Luc Estang.
Dans ses Mémoires 1935-1947, Georges-Emmanuel Clancier, qui ne participa jamais à Notre Province et ne la mentionne pas, raconte en revanche sa résistance « littéraire » avec la revue Fontaine et il rappelle aussi combien certaines revues firent le choix d’un esprit de résistance, regroupant « les œuvres nouvelles d’aînés déjà célèbres et de cadets qui auraient pu être leurs fils. » Rien de tel, on l’aura compris, avec Notre Province. Si l’on a vu la liste fournie de ceux qui, de près ou de loin, y écrivirent, on peut chercher ceux qui ne le firent pas : Clancier, donc, qui était à Limoges et connaissait aussi bien d’Etiveaud que Margerit ou Luc Estang. Jean-Amédée Paroutaud, également, écrivain débutant et jeune avocat au cabinet de Gaston Charlet (lui-même arrêté par la Gestapo). De même, évidemment, que Jean Blanzat, originaire de Domps, en Haute-Vienne, instituteur à Paris, déjà auteur de plusieurs beaux livres, Grand Prix de l’Académie Française, résistant du Groupe du Musée de l’Homme, membre du Comité national des écrivains.
[1] Liste du Bureau dans le n° 8, novembre 1942, p. 273.
[2] Souligné par l’auteur de ce livre.
[3] En déplacement à Limoges en 1942.
[4] « L’ordre nouveau » est le titre d’un message aux Français de Philippe Pétain le 11 octobre 1940.
[5] G. Perlier, Les camps du bocage, Editions du Bocage, 2009, p. 120.
[6] Légion Française des Combattants, dont il préside la section de Limoges.
[7] N° 17, août 1943.
[8] Je n’ai pas trouvé mention de rémunération pour les contributeurs.
[9] Qui donne une conférence sur Barrès en 1942, à l’Hôtel-de-Ville, devant un public nombreux, en présence du maire André Faure, mis en place par Pétain.
[10] N° 9, décembre 1942, p. 276.
[11] Biographie, Robert Margerit et son œuvre, Site des Amis de Robert Margerit.
[12] Le temps d’apprendre à vivre Mémoires 1935-1947, Albin Michel, 2016, p. 237.
[13] Président du Centre d’études régionalistes de Limoges, président de la Société archéologique et historique du Limousin (en 1945).
[14] Cependant, il a été transféré au cimetière de Passy ; son fils Jean-Pierre (1919-2000), résistant, ancien député, repose aussi dans le caveau.
[15] Après une période initiale « d’apathie et d’incertitude », celui qui méprisait avant guerre la démocratie « bourgeoise » s’engagea aux côtés des communistes dans le Front national du Limousin.
[16] Le temps d’apprendre à vivre Mémoires 1935-1947, Albin Michel, 2016, p. 188.
[17] Comme l’écrit Jeanine Lamarche en juin 1943 à propos du folklore : « l’avenir est incertain, mais le passé nous reste. »
[18] Son ancien hôtel est aujourd’hui le siège de la Banque de France à Limoges.
[19] On a du mal, rétrospectivement, à ne pas faire le lien avec la déportation des Juifs officialisée quelques mois auparavant par la conférence de Wannsee ; d’autant plus que, comme l’a montré Guy Perlier, des camps sont installés dans la campagne limousine pour y enfermer les « indésirables » et que cette mise à l’écart est visible.