20 Fév

Limoges et la « Grande guerre » (1914-18)

02-D - Hôpitaux 02-1 - hôpital n° 2 - lycée Gay-Lussac - salle d'opération (02.01.1915) - Phototh

Hôpital militaire au lycée Gay-Lussac, Limoges

(c) Paul Colmar et L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

02 A - 63e RI - départ 01-1 A - drapeau et garde - Champ-de-Juillet (05.08.1914) Photothèque Paul

Départ du 63ème R.I., Champ de Juillet, août 1914

(c) Paul Colmar et L. Bourdelas, Histoire de Limoges, Geste Editions, 2014

A la veille de la Grande Guerre, Limoges compte 93 000 habitants. Le 1er août 1914, dans une chaleur étouffante, ceux qui sont en âge de partir au combat sont mobilisés. La majorité de la population semble acquise à l’idée du conflit, une position confortée par l’Union sacrée. Le maire de Limoges, Léon Betoulle déclare : « Une seule chose importe maintenant : défendre le sol national, sauvegarder la République. Nous verrons ensuite.» Ceux qui partent au combat sont acclamés à la gare. Un passant ayant crié « A bas la guerre » est passé à tabac par la foule. Le Populaire se met à publier la liste des tués et blessés socialistes. Néanmoins, le 31 juillet, Jean Jaurès a été assassiné. Le 6 août, dans Le Populaire du Centre, Paul Faure écrit qu’il faut maudire la guerre, « de toutes nos douleurs et de toutes nos larmes de demain. » Il rédige bientôt des articles hostiles à la guerre sous le pseudonyme de Pax. Sous son influence, la fédération S.F.I.O. de la Haute-Vienne est gagnée par les idées pacifistes, défendues aussi par le député Adrien Pressemane. Le 1er mai 1916, le petit-fils de Karl Marx, Jean Longuet, assure à Paris la direction d’un journal imprimé à Limoges, le Populaire-Revue, où s’exprime cette tendance. Par la suite, certains limougeauds demeurent sensibles à ces idées, lors des grèves de 1917, de la conférence de Stockholm – dont les parlementaires Parvy, Betoulle, Pressemane et Valière rendent compte devant 5 000 personnes – ou encore des manifestations de permissionnaires.

Le XIIème corps d’armée (45 000 hommes), qui comprend notamment les trois départements limousins, est placé sous le commandement du général Roques, en garnison à Limoges. On y trouve le 63ème régiment d’infanterie de Limoges, deux bataillons du 78ème également dans la capitale régionale, le 20ème dragons et le 21ème chasseurs à cheval. Le XIIème corps d’armée est envoyé dans la Marne, non loin de Verdun, pour percer le front allemand, ce qu’il ne peut faire, subissant de lourdes pertes. Les régiments limousins combattent à Verdun, dans la Somme, en Champagne, au Chemin des Dames, en Italie. Ils sont mis à dure épreuve, avec leurs tués, blessés, gazés, disparus – parfois ensevelis par une explosion sans qu’on les retrouve ou que leurs camarades ont juste le temps de sauver, comme le ponticaud Emile Bourdelas. Pour le Limousin, la différence entre les recensements de 1911 et 1921 est de – 108 537 personnes. 40 000 soldats sont morts pour la France. Beaucoup sont aussi devenus des « gueules cassées ». A l’automne 1918, la pandémie de la grippe espagnole frappe aussi la population limousine et donc limougeaude.

A la fin août 1914, Joseph Joffre prend la décision de sanctionner environ 150 officiers ayant été jugés inefficaces. Parmi ceux-ci, quelques-uns sont envoyés à Limoges. Dans ses souvenirs parus en 1937, Adolphe de Messimy, ministre de la guerre en 1914, a revendiqué l’invention du limogeage : « … Le général Michel, pour la deuxième fois « limogé » – le mot n’existait pas encore, puisque c’est moi qui en ait enrichi la langue française… ». Il poursuit : « Il fallait aviser à ne pas laisser se créer, dans la capitale, un centre d’intrigues contre le chef de nos armées. Guillaumat, d’après mes ordres, leur enjoignit de quitter Paris (…) Il me fallait opter : Limoges fut choisi. Cette belle ville du Sud-Ouest a dû à ce choix non seulement un supplément passager de garnison, mais une célébrité qui a survécu à la guerre : le verbe « limoger » est entré définitivement dans le vocabulaire français. » C’était là un moindre mal pour les exilés, puisque Messimy avait proposé la peine capitale à Joffre pour les officiers en question.

La ville s’organise pour accueillir les blessés ; en Haute-Vienne, on compte 65 hôpitaux à la fin de la guerre. On réquisitionne divers bâtiments, casernes (3 000 à 4 000 lits), établissements d’enseignement et même le musée de l’Evêché. L’usine de porcelaine Haviland du Mas-Loubier, des maisons religieuses, se transforment en centres de soins. On opère au lycée Gay-Lussac. Aux côtés des médecins, chirurgiens, étudiants, des infirmières religieuses ou de la Croix Rouge se dévouent pour soigner et réconforter.

Limoges a vu partir ses enfants vers le front. Elle voit parfois arriver des convois de prisonniers allemands, comme celui photographié par Jean Jové (photographe catalan installé dans la ville) en 1914 : il pleut, les hommes en uniformes passent au milieu des limougeauds massés là pour les observer, sous de sombres parapluies. De même voit-elle passer les troupes coloniales en route vers le front, comme ces Indiens voyageant en train de Marseille à Saint-Omer, à qui la population offre en gare des boissons et de la nourriture. Certains blessés des hôpitaux appartiennent d’ailleurs aussi bien aux troupes françaises, des colonies (Afrique Noire et Maghreb, Indochine), ou allemandes. Des habitants de la ville découvrent ainsi d’autres couleurs de peau, physionomies et cultures. En particulier, peut-être, les Américains qui s’y installent de la fin de 1917 à mai 1919, après l’entrée en guerre des Etats-Unis. Si l’Etat-Major s’installe près d’Aixe-sur-Vienne, le nouveau séminaire en construction rue Eugène-Varlin accueille une partie du service de santé américain, ce qui permet l’achèvement rapide de sa toiture ; les Haviland étant d’origine américaine, ils mettent à disposition un espace qui compte 510 lits dans leur usine ; dans le quartier Montjovis, un camp de baraques dépend du 28ème hôpital principal des services de santé américain ; un centre de loisirs s’installe au cinéma-théâtre de la rue Croix-Mandonnaud ; des locaux sont mis par la Ville à disposition pour la Coopérative militaire américaine. D’ailleurs, les Editions Ducourtieux impriment un guide en anglais, avec un drapeau américain sur la couverture, où fleurissent les publicités pour séduire les Sammies. Des histoires d’amour ou d’amitié voient le jour. Le 4 juillet 1918, on organise des jeux et un concert. Lorsque la population limougeaude fête l’armistice, elle défile à travers la ville et passe devant les hôpitaux américains pour faire part aux blessés qui les regardent aux fenêtres de leur reconnaissance.

La guerre affecte l’industrie de la porcelaine qui tourne au ralenti, la clientèle française et étrangère se faisant plus rare, les transports étant désorganisés. Dès 1914, l’entreprise du très patriote Alfred Lanternier – bientôt imitée par d’autres fabriques – se met à produire des têtes de poupées au regard bleu alors qu’avant le conflit, elles étaient toutes allemandes. Les moules sont adaptés à la main-d’œuvre féminine, qui a pris de l’importance après le départ des hommes. La fabrication dura surtout jusqu’au milieu des années 30, parfois 70. Les usines de porcelaine fabriquent aussi des objets patriotiques : ainsi Haviland réalise-t-elle des assiettes où l’on voit un poilu ou un blessé. Lanternier produit une statuette de Clémenceau. La manufacture Jules Teissonnière réalise des couronnes mortuaires en porcelaine. L’industrie, comme partout dans le pays, s’oriente vers la production de guerre : métallurgie avec la confection d’obus, draps pour les uniformes, chaussure avec les commandes de brodequins pour l’armée – ce qui va permettre l’accumulation de capitaux profitables par la suite, la chaussure connaissant son apogée à Limoges dans les années 20.

Suite à l’armistice du 11 novembre 1918, la liesse gagne progressivement la population limougeaude, même si beaucoup déplorent la perte ou les blessures d’un proche. Le 17, Cecilio Charreire, l’organiste de Saint-Pierre-du-Queyroix, interprète La Marseillaise sur les grands jeux de l’orgue, après la messe. Le 14 juillet 1919 revêt une solennité particulière. Par la suite, des cérémonies sont organisées pour accueillir le retour des troupes. Ainsi le 17 août 1919, défilent-elles en passant sous un arc de triomphe de verdure. Des jeunes filles en barbichet leur jettent des fleurs. Ils passent ensuite au Champ de foire puis poursuivent jusqu’à l’hôtel de ville où les attendent les gueules cassées, les veuves et les orphelins. Le mois suivant, la foule se presse à nouveau pour saluer le retour du 63ème régiment d’infanterie.

En 1925, le conseil municipal décide d’apporter son soutien à un comité constitué afin “d’ériger un monument qui serait non pas une commémoration des souffrances de la guerre, mais un monument à la gloire de la paix”. Ainsi est-il inscrit : « Aux enfants de Limoges morts pour la France et la paix du monde ». La liste des victimes n’apparaît pas. Une femme figure la Paix tandis qu’un dragon terrassé représente la Guerre ; la femme à genoux personnifie la Douleur. De chaque côté, un ouvrier de la porcelaine et un de la chaussure, représentés au travail, rappellent les principales activités de la ville. En 1931, le monument qui a coûté 188 000 francs est inauguré square de la Poste, où il est bien mis en valeur, avant d’être transféré en 1963 place Jourdan. L’architecte en est Henri Vergnolle, le sculpteur André Augustin Sallé. Au lycée Gay-Lussac, face à l’entrée principale, un monument aux morts de diverses guerres rend hommage aux personnels et élèves disparus. Ceux de la guerre de 14-18 sont environ 220. Un bas-relief est réalisé en 1921 : la victoire ailée couronne les orphelins et les veuves, ainsi que le poilu couché. Deux plaques avec les noms l’entourent. Chaque mois de novembre – toujours aujourd’hui – le lycée (représenté par des élèves de classes préparatoires) et l’association des anciens élèves, rendent hommage aux morts lors d’une cérémonie avec dépôt de gerbes.

05 Fév

1870: la guerre oubliée

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Le 18 juillet 1870 éclate la guerre franco-prussienne, dite « guerre de 1870 », qui oppose le Second Empire français au royaume de Prusse et ses alliés. Le conflit, qui dure du 19 juillet 1870 au 29 janvier 1871, et dont les origines sont multiples, marque le point culminant de la tension entre les deux puissances, résultant de la volonté prussienne d’unifier l’Allemagne. Il se termine par une défaite française qui entraîna la chute du Second Empire français et de Napoléon III ainsi que la perte du territoire français de l’« Alsace-Moselle » (appelée parfois Alsace-Lorraine).

Le Limousin et Limoges prennent part à la guerre : un bataillon entier de la garde mobile est constitué dans la ville sous la direction du capitaine Duval. Les engagements volontaires se multiplient, comme celui de M. Etienne, alors âgé de 67 ans ou de Louis Dutour, qui avait 17 ans. Le 23 septembre, les soldats du 71ème Mobiles partent au combat avec seulement 102 cartouches par homme pour tout le conflit, les autres accessoires de la vie des camps lui arrivant peu à peu, tout au long de la campagne. Lorsque le 10ème régiment de Dragons quitte Limoges par le train au petit matin, des habitants nombreux viennent l’encourager. On chante La Marseillaise, on crie : « Vive l’armée ! Vive Limoges ! Vive la France ! Au revoir ! ».

Dans un livre publié en 1897 pour rendre hommage aux soldats, le comte de Couronnel, ancien capitaine, a raconté en détail la tragique épopée. Il indique par exemple qu’aucune carte du département dans lequel le 71ème Mobiles devait opérer n’avait été mis à la disposition des combattants. Il précise que tout manque : les vivres, les ustensiles, les couvertures, les sacs à dos, les chaussures aux bonnes pointures, l’expérience des soldats qui font « partir leurs armes en voulant les charger. » Celles-ci sont d’ailleurs de piètre qualité, d’anciens modèles. Voulant se procurer du bois pour réchauffer la troupe, un homme fait une chute mortelle en tombant d’un arbre. Les bataillons stationnent sans abri plusieurs heures sous la pluie et dans la boue. Ils se couchent parfois sans rien manger. Les ordres reçus par les capitaines sont imprécis. Le 2 décembre, dans un froid glacial, après une nuit passée à faire brûler tout le bois disponible et à marcher pour se donner un peu de chaleur, le 71ème Mobiles est engagé dans la bataille de Loigny (il a été complété par un petit contingent arrivé la veille de Limoges). Pour parvenir au contact de l’ennemi, il faut progresser en ligne de bataille, à travers les champs et les chemins bordés de fossés ; certains s’égarent. Malgré l’enthousiasme initial des Limousins, l’artillerie adverse fait bientôt de gros dégâts, les canons français étant démontés, la plupart des chevaux sont tués ou blessés. « L’impression d’un combat d’artillerie est toujours profonde sur de jeunes troupes, autant à cause du vacarme que des blessures horribles qui en sont la conséquence », remarque le comte de Couronnel. « Nous restions sous une pluie d’obus telle que nos vieux troupiers disaient n’en avoir jamais vu de pareille. » Le lendemain, ce qui reste du bataillon se replie en direction d’Orléans, où des ordres contradictoires sont donnés ; malgré des combats sporadiques, l’armée est en pleine retraite. « La route qu’il nous fallut prendre (…) était encombrée de caissons et de cavaliers de toutes armes (…) Nous étions tous exténués. » Le bataillon est accroché par l’ennemi qui lui envoie une volée d’obus – des victimes tombent à nouveau. La neige vient, les hommes vont nu-pieds en raison de la mauvaise qualité de leurs chaussures, leurs vêtements en lambeaux, ils sont blessés, fatigués. Ils ont faim. Pourtant, il faut repartir vers Chambord d’où les soldats sont chassés par les Prussiens, puis se réfugier à la gare de Salbris, où passent sans interruption des voitures, des fuyards et des blessés. Le 11 décembre, un millier d’hommes environ restant du 71ème Mobiles est dirigé vers Limoges, le voyage en train durant deux jours et deux nuits. Le séjour au chef-lieu du département dure près de trois semaines pendant lesquelles arrivent les blessés transportables ainsi que des soldats ayant pris des chemins différents. Les nouveaux mobilisés sont quant à eux cantonnés au Champ de foire dans un froid toujours exceptionnel qui cause la mort de certains d’entre eux. Le 71ème Mobiles est installé dans une brasserie du faubourg Saint-Martial, puis dans la caserne des Vétérans et au manège de la cavalerie. Le 31 décembre, il est renvoyé vers le Mans où certains contractent la petite vérole. Il faut à nouveau progresser dans la neige, alterner marches et retraites, se contenter pour manger de graisse étalée sur des tranches de pain, jusqu’au 29 janvier où les hommes apprennent l’armistice à Laval avant de regagner enfin leurs foyers. Une ambulance avait suivi les combattants, sous la direction de M. Raymondand, alimentée en dons divers, concentrés à la préfecture, sous la présidence de Mme Vandenmarcq. L’ambulance fut prisonnière des Prussiens, ses fourgons pillés. Certains soldats furent prisonniers des Allemands, parmi eux quelques-uns parvenant à s’échapper, comme le commandant Champcommunal, blessé à la poitrine, qui revêtit un costume de prêtre pour l’occasion.

Camille Leymarie a souligné combien les Limougeauds avaient été solidaires des soldats, les soignant, leur envoyant même des bonnets tricotés ou des chaussettes : « Je pourrais citer les noms de quelques femmes mortes de la variole contactée en donnant des secours à de malheureux soldats frappés par la terrible maladie. » Des centres de soins furent installés à Limoges, en particulier par la Loge maçonnique des Artistes Réunis : 44 lits rue Gaignolle, sous la direction du docteur Mandon, une infirmerie à la gare pour les premiers soins. Diverses souscriptions furent ouvertes durant la guerre au profit des soldats mobilisés, des prisonniers et de l’ambulance, une loterie dotée par les industriels et commerçants de la ville pour offrir des mitrailleuses, des dons furent faits pour acheter une épée d’honneur au maréchal de Mac-Mahon. Au total, ce sont environ 40 000 souscripteurs qui se manifestèrent à ces diverses occasions – les dons en nature étant très nombreux.

Parmi les morts du Limousin, on compte 79 Limougeauds. En 1892, un comité se constitue pour honorer les deux bataillons du 71ème Mobiles de la Haute-Vienne morts pour la défense de la patrie. Au mois d’avril, une souscription (laborieuse) est ouverte sous le patronage des autorités publiques, relayée par les instituteurs. En août 1899, c’est la mise en place des sculptures en bronze d’Adolphe Thabard, à l’angle de la place Jourdan et de l’avenue de la Gare, et le 1er octobre, l’inauguration en présence des ministres socialistes Alexandre Millerrand, ministre du Commerce, de l’Industrie, des Postes et télégraphes et de Baudin, ministre des Travaux publics, invités par le maire radical-socialiste Emile Labussière, ce qui ne plut pas aux conservateurs. Une figure féminine rappelant Marianne personnifie la Haute-Vienne, avec ses sabots et sa coiffe (barbichet), entraînant les soldats au combat dans un mouvement très dynamique. A ses pieds, le blason de Limoges. On peut lire sur le piédestal : « A la mémoire des enfants de la Haute-Vienne morts pour la défense de la patrie en 1870-1871 ». Au lycée Gay-Lussac, une plaque de marbre noire où sont gravés en lettres d’or les noms des anciens élèves morts pour la France, encastrée dans un monument mettant en parallèle les études au lycée et la mort violente sur le champ de bataille, est réalisée par Gardien et Champrenet, d’après des dessins d’Alfred Charles, directeur de l’Ecole municipale de Limoges. L’ancien aumônier du lycée, l’abbé Rousier, qui connaissait les disparus, célèbre la messe d’inauguration dans la chapelle décorée pour la circonstance, en présence des anciens et actuels élèves et des familles des disparus.