C’est le défaut ou le privilège de l’historien : se promener à travers les rues et repenser à ceux qui nous y précédèrent… Me promenant au cœur de l’ancienne ville du « Château », près de la place de la Motte, je repense à ce qu’elle était au Moyen Âge.
Je sais à peu près à quoi ressemblait ce « Château », avec sa variété de population (qui aimait se revendiquer « bourgeoise »), de quartiers, de rues et de ruelles, ses places (celle des bancs charniers était la plus importante, avec sa trentaine d’étals, et le pilori au sud), ses étangs près de la motte, ses fontaines, ses multiples cris et bruits, ses sons de cloches. Les maisons (« meygos ») avec parfois leurs jardins.
Les différents métiers exercés : bouchers, boulangers, couteliers, ceinturiers, charpentiers, argentiers, maçons, manouvriers, couturiers, forgerons, orfèvres, émailleurs, juponiers, coiffeurs, fromagers, drapiers, cordonniers, cubertiers, valets… et puis les clercs, les chanoines, les notaires, écrivains publics et même, à la fin du Moyen Âge, un imprimeur, Jean Berton. Parmi la production locale des tisserands : la limogiature – une étoffe de luxe rayée soit d’or soit de rouge, vendue en partie à l’extérieur du Limousin. Il y avait tous les petits marchands, aussi, comme Mariota Ourissona, vendeuse de châtaignes. Dans cette ville, les pauvres assistés s’occupaient de l’entretien des vergers.
Les consuls devaient agir pour le bien en écartant le mal, la haine, la malveillance et le favoritisme. Ils avaient la garde de la ville, des droits de justice et police. Ils veillaient à la conservation des finances publiques, protégeaient les veuves et les orphelins. Ils avaient à s’occuper du bon état de la forteresse et des armes communes, du pavement des rues, de l’entretien des étangs, de l’installation des bancs sur les places et aux carrefours, de la plantation d’arbres et de la bonne qualité des produits fabriqués et vendus au Château. Ils devaient rendre des comptes à la fin de leur consulat.
L’affluence des pèlerins vers l’abbaye Saint-Martial attirait les marchands. Une colonie vénitienne établit très tôt un entrepôt dans la ville, que l’on imagine très odoriférant : les commerçants de la Sérénissime vendaient le poivre et les épices du Levant à travers toute l’Europe occidentale. Les clous de girofle, la noix de muscade, la cannelle imprégnaient les viandes et les poissons dans la plupart des recettes ; sans doute pour masquer la salinité de ces produits – le sel étant le conservateur – mais surtout parce que leur attractivité gustative et imaginaire était fort prisée par ceux qui avaient les moyens de les acheter.
Limoges, qui occupait un site de carrefour, était un important lieu de commerce et sa bourgeoisie marchande y tenait une place influente et enviée. Les bourgeois étaient propriétaires immobiliers et fonciers, plaçaient leur argent, faisaient prospérer leur patrimoine, faisaient des dons à l’Eglise, pratiquaient la charité…
Mais je vous rassure, l’historien est aussi de son temps, et je finis toujours par échapper à mes rêveries pour me replonger dans l’animation de la ville d’aujourd’hui et me mêler sans déplaisir à mes contemporains.