21 Mar

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (11): Régionalisme

Le théâtre s’est aussi épanoui, dans l’entre-deux-guerres, dans le milieu régionaliste. Samuel Gibiat l’a souligné, « le félibrige a constitué, pendant plusieurs années, un vecteur privilégié de cette lutte exemplaire pour une reconnaissance de l’identité culturelle régionale. »1 Les écoles félibréennes (parfois rivales) se développent notamment en Haute-Vienne et en Corrèze – l’école de Brive dès 1893 –, relayées à Paris par les associations d’originaires de la région.

Ainsi, le 15 août 1929, à l’occasion de la Fête de l’Eglantine, qui a lieu à Saint-Germain-les-Belles dans le sud de la Haute-Vienne, après d’autres communes les années précédentes, reprend-on la pièce de René Farnier qui connut précédemment le succès à Limoges lors de la Pentecôte 1928 : Lou gru que lèvo, un plaidoyer en faveur du retour à la terre qui enthousiasme près de 3 000 spectateurs2. C’est l’Eicola dau Barbichet, le plus ancien groupe folklorique limousin, qui l’interprète. Fondé à Limoges le 23 mars 19233 par trois fervents régionalistes : René Farnier, Jean Rebier et Albert Pestour, ce groupe d’art et de traditions populaires du Limousin, s’est attaché à défendre et à exalter la langue limousine par une troupe de théâtre populaire, jouant un répertoire en langue d’oc4. Pendant de très nombreuses années, l’Eicola dau Barbichet a été une troupe de théâtre itinérante qui a fait entendre la langue limousine à travers les textes écrits notamment par les fondateurs. Le groupe a également fait partie des fondateurs de la Confédération nationale des groupes folkloriques français et de la Fédération Limousin-Marche. Puis, la danse, les chants et la musique sont venus compléter la troupe de théâtre.

Le 25 décembre 1933, c’est au tour de l’Eglantino do Lemouzi – autre groupe traditionnel fondé cette année-même – d’annoncer une grande soirée régionaliste à Limoges. L’Eglantine du Limousin aime promouvoir la musique traditionnelle, mais aussi les gnorles, de l’occitan nhòrla –, blague ou histoire drôle souvent pleine d’esprit, parfois crue, se moquant des petits travers de chacun, en prose ou en vers.

 

1 « Le félibrige et l’identité limousine », Le Limousin, pays et identités, sous la direction de J.Tricard, P. Grandcoing et R.Chanaud, Pulim, 2006, p.239.
2 La Vie limousine du 25 septembre 1929.
3 La Sainte-Estelle, fête majeure de tous les félibres, qui s’est tenue à la Pentecôte en 1923 au Puy, a vu l’école s’affilier au Félibrige sous la présidence du Capoulié de l’époque, Marius Jouveau.
4 https://eicoladaubarbichet.jimdofree.com/

24 Fév

La belle et juste adaptation d’A la ligne de Joseph Ponthus par Michel Bruzat à Limoges

Le Théâtre de La Passerelle accueille depuis toujours des textes de poètes. Il sert magnifiquement les puissants Feuillets d’usine de l’écrivain disparu il y a un an et le public apprécie.

Le metteur en scène a fait le choix, en adaptant le livre, de privilégier les pages à propos des usines de poisson et autres fruits de mer, plutôt que celles sur l’abattoir, ce qui n’enlève rien à l’esprit du texte, parfaitement servi par les comédiens Pierre-Yves Le Louarn et Fabiana Medina. En transformant en dialogue le monologue initial, Bruzat le rend plus théâtral et donne aussi à entendre la voix des ouvrières. Ceux qui – comme moi – connaissaient à la fois l’auteur et le texte avant d’avoir vu ce spectacle ne peuvent que saluer la manière dont il donne à entendre (et à voir) ce poème-récit, texte poétique et politique, comment il en révèle la force, la beauté, la profondeur, l’émotion et l’humour. Le parti pris de faire entendre quelques chansons interprétées par les comédiens et l’excellent accordéoniste Sébastien Debard est particulièrement à propos, pour au moins deux raisons : que ce soit le work song des esclaves noirs d’Amérique ou les chants des penn sardin de Douarnenez ou de Port-Louis (que connaissait bien Joseph), la musique a toujours accompagné les travaux difficiles et aidé les travailleurs à tenir (d’ailleurs, Ponthus montre comment le fait de ne plus pouvoir chanter est une défaite). Ici, Johnny Hallyday, Véronique Sanson (superbement chantée par Fabiana), Barbara, et surtout Charles Trénet, sauvent littéralement. Comme la littérature et la poésie, fréquentées assidument par Joseph depuis hypokhâgne : Aragon, Rabelais, Thierry Metz, Apollinaire, Hugo, Alexandre Dumas, La Bruyère et tous les autres. Ponthus n’hésite pas à comparer le travail à l’usine à la guerre des tranchées et les ouvriers aux gueules cassées de 14, peintes par Otto Dix. Et tandis que Guillaume Apollinaire rêvait à Lou, Joseph songe à son amour, Krystel (et à leur chien Pok-Pok), qu’il a rejointe à Lorient – ville où il n’a pas trouvé de travail dans ses cordes, ce qui l’a obligé à rejoindre les lignes de production. Bruzat sait montrer cet amour avec délicatesse, le temps d’une danse douce (sur La mer) ou d’une étreinte une rose à la main. Mourir d’aimer, est-il écrit sur un mur… Omnia vincit amor écrivait Virgile.

Cette mise en scène judicieuse – accompagnée par les lumières pertinentes de Franck Roncière – donne à entendre la critique violente de Ponthus de la cadence imposée (le terrible égouttage du tofu), de l’emploi intérimaire, de l’autoritarisme patronal, du travail qui brise les corps et l’esprit (quand on ne peut décrocher même pendant les courtes pauses ou le week-end), et peut conduire à une quasi folie ou à l’alcoolisme, à l’abus de tabac ou de drogue. Pas étonnant que Bruzat envisage la montée vers le plafond des cirés nécessaires (c’est humide et il fait froid) comme celle des habits des mineurs du Nord. Germinal n’est pas loin. Ni même les fabriques de porcelaine limougeaudes de 1905. Mais la beauté est aussi présente, celle du texte et des images, les gants de travail se transformant en poissons – grenadiers ou chimères au nom décidément poétique. L’esthétique du spectacle semble parfois sortie de la peinture montrant la Bretagne, si riche et si variée : l’océan de Maxime Maufra à la Pointe de Beg-an-Hébrellec, Sardinerie à Concarneau par Peter Kröyer, Débarquement du thon par Alfred Guillou, ou si moderne Débarquement de la sardine par Fernand Daucho en 1967. Mais, à aucun moment, Bruzat ne tombe dans la « bretonnerie ».

L’auteur a de la tendresse pour ses camarades de galère, qu’il n’exonère pas de leurs faiblesses – parfois du racisme, parfois de l’homophobie, parfois du syndicalisme « grande gueule », de l’excès de rhum ou de la volonté d’en faire moins. Mais l’écrivain sauve tout le monde par son humanisme et sa compréhension de la condition ouvrière. Accompagné par des notes d’accordéon parfois stridentes, parfois discrètes mais le soulignant, le texte de Joseph Ponthus apparaît dans toute sa poésie acérée. Bruzat le montre d’ailleurs écrivant, tel qu’il était, avec sa grande carcasse et sa marinière, la clope au bec. Il souligne aussi sa grande dignité : ne pas choquer les camarades en arrivant en taxi quand on est en retard, se réjouir en se comparant aux nobles marins-pêcheurs, ne pas critiquer le copain qui l’irrite car lui aussi, sans doute, a irrité dans son existence… Il sous-entend la solidarité. Il montre enfin Ponthus en route vers une « rédemption », débarrassé de la psychanalyse et des médicaments, peut-être par le travail manuel, sans doute par l’amour.

C’est un spectacle à la fois sombre et joyeux, poétique et musical, politique lorsqu’on voudrait nous faire croire que la classe ouvrière n’existe plus, qui montre des hommes et des femmes parfois cassés mais aspirant à rester debout, qui va de pair avec le prix Eugène Dabit du roman populiste qu’obtint l’auteur parmi d’autres. Une nouvelle fois à La Passerelle, c’est un spectacle qui illustre parfaitement ce que doit être le théâtre : ce qui nous émeut, nous émerveille et nous fait penser.

 

Laurent Bourdelas, RCF Limousin. 24 février 2022.

29 Nov

Le Limoges du photographe Fabrice Variéras

Fabrice Variéras, Limoges remarquable, La Geste, 2021

J’apprécie depuis plusieurs années le travail photographique de Fabrice Variéras, que ce soit à la faveur de ses publications ou de ses expositions. Cette année, il livre aux éditions La Geste un bel ouvrage grand format de près de 240 pages, intitulé Limoges remarquable. On pourrait s’étonner que cet artiste né à Tulle et amoureux de la Corrèze décide de consacrer une série photographique à Limoges, mais c’est la ville où il travaille et vit depuis plus de vingt ans, au lycée Gay-Lussac que l’on retrouve dès la couverture avec les clochetons de sa chapelle jésuite ou avec sa façade la nuit ; et puis Limoges n’est heureusement pas la propriété des Limougeauds ! Il est même particulièrement intéressant d’observer le regard que peut porter sur elle quelqu’un qui n’en est pas originaire. D’ailleurs, dès les premières pages (car il écrit aussi, avec un ton plutôt gouailleur), Variéras saisit fort justement l’âme limougeaude, entre humilité et fierté rentrée, tant on a rabaissé l’indigène au fil des décennies, en inventant par exemple le mot « limogeage ».

Fabrice l’arpenteur promène son objectif dans de nombreux quartiers, y compris périphériques, des lieux emblématiques aux moindres recoins méconnus ou oubliés, et livre de belles photos en noir et blanc ou en couleur, selon l’inspiration et le rendu. Son travail sur les lumières et les ombres, les couleurs, les ciels et les eaux, le jour et la nuit, les reflets, la neige ou la pluie parfois si présente, permet de brosser des tableaux originaux, parfois éphémères, de Limoges, et en fait une ville de beautés, de mystères, pleine d’attrait. Il a incontestablement su en saisir l’intimité, les gloires et la poésie, mais aussi les aspects les plus prosaïques et quelques laideurs – en particulier architecturales – jusqu’à une voiture brûlée au bas d’un immeuble de banlieue, le spleen d’un caddie renversé, ou un panneau publicitaire de grande surface. Le géographe qu’il est ne laisse en effet rien passer des tares ou des bienfaits de l’urbanisation. Tout ici est subjectif, chacun appréciant ou non ce qu’il nous révèle et se confrontant à son regard de photographe expérimenté. Après tout, les couchers de soleil peuvent être beaux et faire rêver aussi bien au-dessus d’une Z.U.P. qu’au-dessus de la cathédrale.

Presque tout Limoges est donc saisi ici, avec ses monuments et ses espaces tutellaires : la cathédrale, les églises, l’hôtel de ville, les ponts – avec leurs arches, leurs piles, leurs pavés séculaires -, la rue de la Boucherie, les Halles, le Verdurier, les gares (et l’on connaît la tendresse particulière de Fabrice Variéras pour celle des Bénédictins), les parcs et jardins et leurs arbres et bancs publics, parfois noyés par une crue, le vaste cimetière de Louyat, les murs colorés ou qui s’effritent, les colombages retrouvés, les octrois de jadis. Tout cela confronté à l’électrique et à la modernité : entremêlement de fils de trolleys, voies de chemin de fer, architecture du palais des sports, de la BFM, objets hétéroclites dignes d’un inventaire à la Prévert, le tout ponctué de tags et d’inscriptions publicitaires et vieilles enseignes ; accompagné aussi d’une pointe d’humour photographique, de clins d’oeil et de quelques jeux de mots. Si la prise de vue et les procédés sont plutôt classiques, un peu de flou, d’humidité, ou certains angles introduisent de la fantaisie.

Dans la ville de Fabrice Variéras, les êtres humains ne tiennent pas la première place, même si on les devine, plutôt de dos ou passant, à pied, à vélo ou en canoë, attendant le bus, discutant sur un banc, ou jouant à la pétanque sur les bords de Vienne. Limougeauds depuis de nombreuses générations ou de passage, ils contribuent cependant à faire de Limoges autre chose qu’une « belle endormie ». Chacun sait en effet que c’est à la fois une ville de solidarités, de sociabilités, qui s’expriment aussi bien dans les confréries et les syndicats, les bandes de jeunes, le travail (Variéras montre quelques assiettes de porcelaine), les associations, les clubs de sport, les cérémonies religieuses, une ville de luttes sociales et de résistance. Le photographe s’amuse à saisir les évolutions et les contrastes, des vitraux aux tags, des vieilles statues aux mannequins des boutiques, mais aussi des gourmandises des Halles ou de la Frairie des Petits Ventres aux boucheries halal. Fabrice Variéras réussit ainsi à nous montrer l’immortalité et les variations infinies d’une ville qui nous est chère. Son pari est donc réussi.

03 Nov

Knock ou le Triomphe de la médecine

Le 14 décembre 1923, Jules Romains produit la pièce Knock ou le Triomphe de la médecine à la Comédie des Champs-Élysées. Louis Jouvet a conçu la mise en scène de la pièce et qu’il joue le rôle principal, le docteur Knock. Le comédien, dont le grand-père était originaire de Cosnac en Corrèze, fut baptisé à Brive-la-Gaillarde en 1888. Romains déclare alors au Figaro : « Knock, qui voudrait être la, ou plus modestement, une comédie de la médecine moderne, n’a rien d’une inoffensive plaisanterie ni d’une satire légère. Ce ne sont ni les petits travers ni les ridicules extérieurs des médecins d’aujourd’hui qui sont raillés. Ne vous attendez ni à des pointes, ni à des mots, ni à de menues égratignures. N’espérez pas davantage un tableau malicieux du monde médical actuel, rehaussé d’allusions transparentes. Non, c’est plus grave que cela. Je ne crois pas qu’un médecin puisse assister à Knock sans avoir, en sortant, une petite méditation intérieure, ni sans se poser quelques questions inquiétantes. Et je ne crois pas qu’un client des médecins, fût-ce le plus satisfait et le plus soumis, puisse assister à Knock sans éprouver un plaisir soulagement et de secrète revanche ». Le formidable Louis Jouvet se révèle dans cette pièce et donne plus de 1 500 représentations devant un public enthousiaste. Devant ce triomphe théâtral, le comédien décide en 1933 de transposer la pièce au cinéma. Elle est adaptée par Roger Goupillères avec Louis Jouvet dans le rôle-titre. La mise en scène, sacrifiant à la formule cinématographique, consentit quelques extérieurs: un village qui n’est point de carton, son marché achalandé en clients cocasses, ses logis aux seuils usés, caressés d’une lumière qui ne doit rien aux volts des « sunlights », mais tout aux rayons du soleil» analyse Jean Laury dans Le Figaro du 7 novembre 1933. L’historien Jean-Marc Ferrer écrit : « Uzerche (en Corrèze, NdA) accueille le tournage et Louis Jouvet y séjourne pour l’occasion. Tombant sous le charme de la ville, plusieurs témoignages attestent qu’il y revint régulièrement, s’installant alors au fameux Hôtel Chavant. »[1]

 

[1] Pays d’Uzerche rayonnement d’une ville-paysage, Les Ardents Editeurs, 2008, p. 122.

26 Oct

Notes pour l’histoire du théâtre en Limousin (9) André Antoine un Limougeaud directeur d’un célèbre théâtre parisien

André Antoine photographié par Charles Reutlinger, vers 1900

André Antoine naît à Limoges le 31 janvier 1858, dans une famille de condition modeste. Aîné de six enfants, il arrête l’école très jeune, travaille à la Librairie Firmin-Didot puis à la Compagnie du Gaz à Paris. Il accomplit ensuite son service militaire en Tunisie de 1878 à 1883. Se passionnant très tôt pour le théâtre, il échoue à un examen du Conservatoire. Dans ses Souvenirs, il écrit : « Mes premières impressions de théâtre datent de Ba-ta-clan, où ma mère me conduisait parfois, avec certaines cartes vertes, que je vois encore ; pour cinquante centimes, on avait droit à une place et à des cerises à l’eau de vie ! Heureux temps ! On y jouait de petites comédies, des opérettes (…) Dans ce Marais que nous habitions, il y avait aussi le Théâtre Saint-Antoine, boulevard Richard-Lenoir, minuscule scène (…) Mais ce furent certaines représentations, à Beaumarchais, qui firent sur ma cervelle de gosse la plus profonde impression ; j’y revois très bien Taillade, jouant l’ancien répertoire de Frédérick Lemaître, des mélos étonnants ». Il est figurant sur scène le soir après son travail, ce qui lui permet d’apprendre les classiques du répertoire dans les coulisses. Après avoir beaucoup lu (les livres des bouquinistes assidument visités), fréquenté les peintres et vu bon nombre de pièces, il devient comédien dans une troupe d’amateurs.

La Vie limousine illustrée du 1er mai 1914 (n°1) consacra un petit article aux « Débuts d’Antoine » :

« Antoine était pauvre alors, trimant pour un maigre salaire chez un agent d’affaires de la rue des Bons-Enfants. Il y frottait le parquet, astiquait des plaques de cuivre, et, tout en colportant chez les clients et les victimes des feuilles de papier timbré, — recouvrements, contentieux, — rêvait déjà théâtre. Il confiait ses aspirations et ses regrets à un gamin de son âge, appelé Wisteaux, qui devait plus tard se faire connaître sous le nom de Mévisto.

– Veux-tu venir au Théâtre-Français?

lui dit Wisteaux.

– Mais je n’ai pas le sou, s’écria Antoine.

– Il ne s’agit pas de donner de l’argent, mais d’en toucher.

– Comment cela?

 

– On a besoin de deux figurants pour la première de Jean Dacier[1] ; je connais le régisseur, nous allons nous présenter.

– Tu crois qu’on nous prendra?

– Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas plus mal tournés que les autres.

– Et nous verrons Coquelin[2] ?

– Non seulement nous le verrons, mais nous pourrons lui parler.

C’est ainsi qu’Antoine qui est originaire de Limoges, fut admis à débuter chez Molière. »

 

Autodidacte, il désire innover et rompre avec les normes bourgeoises du théâtre alors apprécié (notamment le théâtre de boulevard, Dumas fils, Victorien Sardou…) et fonde en 1887 le « Théâtre Libre » (nom inspiré de Théâtre en liberté d’Hugo), au départ d’inspiration naturaliste – c’est d’ailleurs un proche de Zola, qu’il adapte  – ouvert à de nouveaux dramaturges, y compris étrangers comme le Suédois August Strindberg.

Il monte alors quelque 150 pièces en dix ans. Il poursuit dans la même voie en créant le Théâtre Antoine après avoir dirigé l’Odéon en 1896, qu’il retrouve de 1906 à 1914. Il donne une nouvelle importance au metteur en scène (la locution « mise en scène » ne date d’ailleurs que de 1874) et à la troupe plus qu’à la « vedette ». Avec lui, les comédiens doivent vivre leurs personnages, il veut libérer le jeu d’acteur pour aller vers plus de simplicité et moins d’artifice. De même qu’il modernise décors (à l’époque on jouait devant des toiles peintes sans unité avec la pièce) et costumes. Il réfléchit à une scène visible par tous les spectateurs, y compris les plus mal placés. Il sait utiliser l’éclairage, avec des jeux de lumière jamais vus, adoptant même l’obscurité pour la salle. La présence de vrais morceaux de viande pour Les Bouchers de Fernand Icres le 19 octobre 1888 fait scandale : l’action se déroulant dans une boucherie, Antoine avait, par souci de réalisme, suspendu à des crocs deux vraies carcasses de moutons écorchés.

A partir de son installation, en 1897, dans la salle des Menus-Plaisirs, le Théâtre Antoine devient à la mode.

Féru de cinéma, il accepte, en 1914, la proposition de la SCAGL (Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres) et de la firme Pathé visant à le faire accéder à la réalisation de films. De 1915 à 1922, André Antoine adapte au cinéma des œuvres, de la littérature ou du théâtre. Les différentes techniques cinématographiques qu’il utilise lui permettent, là aussi, d’être un novateur.

Antoine meurt le 19 octobre 1943 au Pouliguen. Il repose au cimetière de Camaret-sur-Mer.

En 2009, les éditions Du Lérot (16 140) ont réédité Mes souvenirs, ouvrage publié par André Antoine en 1921, alors qu’il est âgé de soixante-trois ans – une édition captivante établie et annotée par Patrick Besnier, qui montre les débuts d’Antoine, son travail et constitue une belle galerie de portraits.

 

En septembre 1900, on peut lire ceci dans Limoges illustré : « La représentation du Théâtre Libre, organisée par M. de Chirac, a été pour tous les spectateurs une désillusion profonde. Au lieu d’œuvres vraiment intéressantes, il nous a été servi de petites et de grosses malpropretés, d’autant plus difficilement acceptables qu’elles sont pour la plupart dépourvues de tout esprit. »

 

[1] Drame de Charles Lomon représenté à la Comédie-Française en avril 1877.

[2] Coquelin aîné (1841-1909) interprétait Jean Dacier. Premier Prix de Comédie du Conservatoire de Paris, Sociétaire de la Comédie-Française, c’est une célébrité du théâtre d’alors. C’est lui qui créa le rôle de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1897.

 

 

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (8) Le cirque-théâtre municipal de Limoges

A gauche et à droite: photothèque Paul Colmar. Au centre: collection L. Bourdelas

 

Le Cirque de Limoges est un « cirque stable » bâti en 1925. Les travaux avaient commencé en 1911, mais ils avaient été ralentis par la guerre. Son architecte est Émile Robert. La coupole se trouve à 18,75 mètres au-dessus de la piste, d’un diamètre de 13 mètres. Le cirque dispose de 1 860 places assises. L’intérieur est décoré de toiles marouflées (collées sur les parois) de David Widhopff (une partie d’entre elles est conservée au Musée des Beaux-Arts). Cet ensemble se répartit entre la salle qui comprend quinze panneaux historiés dont treize fixés à son pourtour, au faîte des gradins, et l’entrée qui en présente huit. Au total, la surface peinte est impressionnante : quelques 150 m² sans compter, dans la salle, les panneaux ornementaux décorés de guirlandes feintes que scandaient des colonnettes dorées ainsi que la frise ponctuée d’étranges mascarons. Cette composition monumentale, commandée à la fin de 1923, datée de 1924 et livrée au cours de l’été 1925, évoque un monde chimérique et réel où grouillaient acrobates, personnages mythologiques et de la commedia dell’arte, types sociaux truculents et cocasses, évocations de songe…[1] Né en 1867 à Odessa (Crimée), David Ossipovitch Widhopff avait intègré l’Académie royale des beaux-arts de Munich après avoir été diplômé de l’Académie impériale d’Odessa. À l’âge de 20 ans, il arriva à Paris puis partit diriger une école d’art au Brésil, avant de revenir s’installer à Montmartre. « Widhopff fut loué tant pour la diversité de ses moyens d’expression qui lui permettaient de manier à la fois le crayon pour des dessins subtils et la brosse pour de larges compositions vigoureuses, que pour sa physionomie expressive qui associait conquête de la couleur et humour. »

En 1928, la salle est aménagée afin qu’elle puisse aussi recevoir des spectacles de théâtre.

 

Plan du Cirque-Théâtre et programme. Collection L. Bourdelas

 

La Vie limousine salue comme il se doit l’inauguration de ce nouveau lieu de spectacle dans un article qui fourmille de précieuses informations : « Enfin ! « les trois coups sont frappés, Le Cirque inauguré, vient de devenir nôtre ». – Et l’on n’entendra plus la scie vieillie mais toujours lancinante : Ouvrira, – N’ouvrira pas, — Ra, — Ra pas.

Mais que ceux qui se montrèrent impatients veuillent se bien rappeler que la guerre, la maudite guerre, est passée par là aussi. — Commencé, en effet, sous la municipalité d’Antony, en 1909-10, le Cirque municipal se terminait sous la municipalité Betoulle de 1910 à 14, avec M. Blanc comme architecte, lorsqu’ « il y eut la guerre ». Et dès lors commencent les tribulations qui viennent de se terminer fort heureusement en cette -, véritable apothéose que fut l’ inauguration du 16 octobre.

Tout d’abord, les travaux furent repris par la municipalité pour enrayer une menace de chômage. Puis les travaux sont encore arrêtés : le Cirque a été réquisitionné pour y loger les réfugiés venus d’un peu partout à Limoges. Ensuite, il est occupé par les services du ravitaillement, et cela a bien duré jusqu’en 1920.

Cette première crise passée, une autre commence. La municipalité ne peut pas songer à exploiter elle-même le Cirque, et se préoccupe de trouver un directeur responsable. On sollicite des offres de divers côtés, et un instant même on fut près d’aboutir : un projet de convention était déjà établi, prêt à signer, lorsqu’au dernier moment on ne put plus s’entendre. De palabres en palabres, on était arrivé en octobre 1922, et le Cirque était toujours en instance d’achèvement lorsque commencèrent les négociations avec le sympathique directeur du Théâtre municipal, M. Cazautets. D’une part, la municipalité savait à qui elle avait affaire, et M. Cazautets pouvait, d’autre part, évaluer en connaissance les risques de l’entreprise qu’il assumait. Sur ces bases de confiance et de sympathies réciproques, l’accord fut vite conclu, sans modifier ou presque le projet de convention déjà élaboré par la mairie. M. Cazautets devenait concessionnaire du Cirque municipal suivant un bail à loyer, moyennant une somme annuelle de 60.000 francs. On estimait en outre, à 240.000 francs,

Vision fugitive

Et bientôt démentie! (air d’Hérodiade)

la somme nécessaire à l’achèvement du Cirque, et M. Cazautets versait immédiatement cette somme à la ville, qui devait la lui rembourser, par annuités, au prorata du loyer, sans intérêts. Mais on avait compté sans la crise du change, la baisse du franc, la hausse des salaires et du coût des matériaux. D’autre part, on n’avait prévu qu’un cirque, et l’on eut l’heureuse idée de faire ce qu’on a si bien réalisé : « le seul établissement en France pouvant donner dans la même salle, tous les genres de spectacles (théâtre, music-hall, cirque, cinéma, voire même grande salle de conférences ou de réunion). — D’où, deux conséquences :

1° Le bâtiment, construit d’abord pour un cirque, devait être transformé presque complètement : il fallait une scène, à établir dans le ciment armé de l’ enceinte primitive, et cela donna le cauchemar à nos architectes; il fallait un plancher sur la piste primitive pour y loger le parterre ou les fauteuils, et ce plancher devait être amovible comme les sièges pour pouvoir, à l’ occasion, user de la place en tant que piste ; — il fallait transformer, du même coup, à peu près toute l’installation du chauffage.

2° Qu’étaient devenus, à travers ces transformations successives, les pauvres petits 240.000 francs prévus pour l’achèvement du Cirque? Ils s’étaient tout naturellement enflés eux aussi jusqu’à atteindre le coquet total de 700.000 francs que M. Cazautets à avancés à la ville, qui doit les lui rembourser. Mais le même M. Cazautets, désireux de justifier la confiance mise en lui et de meubler luxueusement une salle qui devait être splendide, y a mis pour 350.000 francs de décors, accessoires, et meubles divers qui sont sa propriété, sans compter les aménagements qui s’imposent encore pour le cinéma et le cirque proprement dit, comme pour l’amélioration de l’acoustique. Mais si la municipalité de Limoges et le directeur M. Cazautets ont droit, ainsi que leurs collaborateurs, architectes, entrepreneurs, de tout ordre, et artistes de la décoration, à toutes nos félicitations, ils se sont acquis aussi des droits à notre appui constant. Il faut aller au Cirque, et y revenir : on ne s’en lassera pas. »

  

Collection Paul Colmar

            Au Cirque, on donne aussi bien Polyeucte « dont la grandiloquence cornélienne remplit sans effort la salle »[2], que Province du limougeaud Edouard Michaud, proposée par L’Ecole de Limoges, cercle littéraire très actif, « un succès, un évènement et une surprise (…) applaudissements nombreux et enthousiastes »[3]. On peut même assister à des « piécettes » enlevées interprétées par des amateurs à l’occasion du gala de la presse ou assister des conférences comme celle de M. Duviols, professeur agrégé de lettres au lycée Buffon à Paris, à propos de « Don Juan, sa légende, ses incarnations »[4] ou de Me Charrière, avocat, sur « Le comique de Courteline ». La saison 1929-1930, pour ne citer qu’elle, les spectateurs peuvent assister à Topaze[5], Marius[6], Rose-Marie[7], Tip-toes[8], etc. et les scolaires à Cyrano de Bergerac[9] et l’Aiglon[10].

Manifestation d’agriculteurs devant le Cirque-Théâtre (c) P. Colmar

 

 

[1] Site Géoculture – y compris les informations sur le peintre.
[2] La Vie limousine, 25 novembre 1925.
[3] Idem, 25 décembre 1925.
[4] Résumé complet dans La Vie limousine du 25 février 1929.
[5] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 octobre 1928.
[6] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 mars 1929.
[7] Il s’agit sans doute de l’opérette jouée à Broadway en 1924 sur une musique de Rudolf Friml et de Herbert Stothart et du livret de Otto Harbach et d’Oscar Hammerstein II.
[8] Tip-Toes, comédie musicale américaine des frères George et Ira Gershwin, créée à Broadway en 1925.
[9] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 28 décembre 1897.
[10] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 15 mars 1900.

08 Oct

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (7) La question du théâtre municipal de Limoges

L’adjudication d’une partie des locaux de l’annexe du théâtre de Limoges a lieu le jeudi 14 décembre 1905 à l’hôtel de ville. Elle a donné les résultats suivants : le premier lot, comprenant un magasin et plusieurs appartements, sis au deuxième étage, a été adjugé à M. Tharaud, négociant, au prix de 2 510 francs. La mise à prix était de 1 800 francs. Le deuxième lot, comprenant les locaux du premier étage et plusieurs appartements au deuxième, a été loué par le Cercle d’études commerciales au prix de 2 020 francs, sur la mise à prix de 2 000 francs.

Avec l’augmentation de la population limougeaude, le théâtre municipal s’avère trop petit dès 1880 environ. Dans Le Limousin littéraire du 9 mai 1886, on signale néanmoins que la salle « est entièrement remise à neuf » (M. Duriez est le directeur). Pourtant, « au début du XXe siècle, il focalisait les critiques : « dans un état lamentable (murs effrités, escaliers vermoulus) », « peu confortable, dépourvu de toute sécurité », « acoustique déplorable, fournaise pestilentielle, scène trop exigüe »… »[1].

Le 31 décembre 1906, dans un article du Courrier du Centre consacré aux débats à propos du budget au conseil municipal de Limoges (présenté par J.B. Marquet), on peut lire quelques propos intéressants à propos du théâtre, signés par un certain A.M. – même si l’argumentaire évoque en partie la musique. Après le départ d’Emile Labussière, le nouveau maire est François Chénieux, chirurgien, « républicain progressiste », situé à droite.  C’est un « humaniste cultivé lisant les auteurs latins comme les avancées littéraires de son époque. Ayant beaucoup voyagé en Europe et en Afrique, c’était un conteur admiré au cercle Turgot. Ses poèmes étaient pleins de charme comme celui de «Vision du couchant sur le Nil » écrit en 1906 lors d’un voyage en Égypte. »[2]

« Votre rapporteur ne s’affecte pas de la décision prise par le conseil d’Etat et qui a trait à la non-édification du cirque, car lui-même s’était permis quelques critiques de la même nature que celles formulées par le conseil d’Etat. Ce n’est, en effet, que respectueux des délibérations des conseils antérieurs, et soucieux de voir aboutir enfin les projets élaborés par ses devanciers qu’il s’est rallié à l’édification de ce monument; et, messieurs, il m’a été permis de constater que beaucoup parmi vous partageaient mon sentiment à ce sujet. Peut-être commettons-nous une erreur, et, certainement, si l’on envisage la chose au point de vue de l’esthétique, il n’est pas douteux qu’à la sortie de la gare, un cirque en planches bornant l’horizon, détruisant la perspective des boulevards aboutissant à l’hôtel de ville est d’un très mauvais effet. A un autre point de vue, cette décision entraînera une perte de travail, travail sur lequel comptait une partie de notre population. Mais je ne pense pas qu’il soit dans vos intentions d’abandonner dans l’emprunt la somme affectée à l’édification du cirque ; je vous demande, au contraire d’en faire état en partie pour l’agrandissement du théâtre. Vous donnerez ainsi satisfaction au travail; vous en donnerez une non moins grande au public, à ce public qui aime le théâtre, et qui ne peut y avoir accès faute de places en rapport avec ses moyens. Ici, messieurs, je vous dois une explication de laquelle découlera la reprise d’une proposition que je vous présentai en son temps, c’est-à-dire lors de la discussion de la subvention théâtrale. Je fus l’adversaire acharné de cette subvention, à tel point que quelques critiques s’étant mépris sans doute sur les motifs de ma protestation, prétendirent et écrivirent même que je n’aimais pas le théâtre. Ils préjugeaient mal, et si j’avais eu quelque goût pour la polémique, si je n’avais craint de les encombrer de ma prose je leur aurais dit, qu’habitué pendant de longues années de l’odorant et confortable « poulailler », j’avais fait là mon éducation théâtrale sans pose, bien entendu, avec les moyens dont je disposai à ce moment. De ce superbe point de vue si bien disposé à la propagation des maladies, fussent-elles pestilentielles, j’ai pu constater que, même avec la subvention, on ne pourrait donner aucune satisfaction au public et, quelle que soit la subvention que vous accordiez, je persiste à penser que nous faisons surtout des mécontents. Un moyen s’offre donc de satisfaire la population limousine : c’est d’agrandir le théâtre de créer un grand nombre de places dites populaires, à un prix abordable pour les familles. Que se passe-t-il en ce moment, vu l’exiguité de notre théâtre ? Une grande partie de la population, désireuse d’assister à une représentation, les familles surtout, se présentent au guichet pour prendre des places et invariablement, on leur répond : « II ne reste plus à prendre que des fauteuils, des loges ou des balcons ». Ce qui prouve, une fois encore, que malgré la subvention, serait-elle décuplée, vous n’accorderiez qu’une faible satisfaction à ce public qui seul en supporte la contribution. Donc l’agrandissement du théâtre s’impose, soit par une transformation partielle, soit par une réédification générale.  Eh bien Messieurs ! Il ne suffit pas de détruire la cage, il faut aussi élever l’oiseau qui doit y chanter. Permettez-moi cette figure peut-être banale, mais qui reproduit bien l’expression de ma pensée. En effet, si pour une scène et une salle comme celles que nous possédons, l’orchestre est suffisant, il n’en sera plus de même lorsque vous aurez un plus grand espace.

Je ne prétends pas que nos artistes soient insuffisants comme valeur, mais ils le seront certainement comme nombre et à part quelques exceptions, il ne vous sera pas permis de composer l’orchestre nouveau avec les seuls artistes que vous posséderez à Limoges. Aussi messieurs, j’émets le vœu que la proposition que je vous soumettais l’an dernier soit mise à l’étude sans délai. C’est, je crois, l’un des moyens les meilleurs de faire revivre à Limoges la musique, cet art si apprécié, et qui cependant paraît bien délaissé. Les causes nous les rechercherons plus tard.

Ces conclusions de l’honorable rapporteur, qui traduisent avec un certain humour non dépourvu de charme l’impression personnelle de M. J.-B. Marquet, seront aussi les nôtres.

Il ne nous déplaît pas de voir un membre de la municipalité, autrefois hostile à la subvention théâtrale, convenir loyalement, après expérience faite, que la population limousine aime le spectacle, même tel que peuvent le lui offrir des directions dont les ressources sont pourtant limitées.

Cela, nous le savions, et c’est ce qui motiva la campagne entreprise par nous, il y a deux ans, en faveur du théâtre, campagne qui eut pour résultat de faire ouvrir des portes fermées depuis trop longtemps, à la grande satisfaction du public en général, et de ceux mêmes ou tout au moins de plusieurs de ceux qui continuent à se dire les adversaires irréductibles de notre scène.

Ces derniers se sont facilement convaincus, en maintes occasions, qu’en dépit des conditions forcément modestes dans lesquelles peuvent avoir lieu les représentions d’opéra-comique ou d’opérette, l’initiative hardie d’un directeur rempli de bonne volonté est heureusement secondée par ceux qu’il prétend intéresser et distraire.

Les salles sont en général bien garnies et les recettes sont assurées.

Voilà pourquoi, à défaut d’une proposition ferme ayant pour objet la reconstruction du théâtre, ce qui entraînerait notre ville à des sacrifices que son budget ne lui permet pas, hélas ! en dépit du « bon état de ses finances », que doit constater tout rapport qui se respecte, — et celui de M. Marquet est de ce nombre. — voilà pourquoi, disons-nous, le projet d’agrandissement du théâtre est de ceux dont, nous voudrions voir la réalisation prochaine.

Nous n’avons pas à développer les motifs nombreux qui militent en sa faveur. M. Marquet les a exposés en bons termes; nous nous bornerons donc, sans nous faire trop d’illusions, d’ailleurs, à joindre nos vœux à ceux du rapporteur, bien inspiré dans la circonstance. »

 

 Salle Berlioz, Rêve de Valse – matinée gratuite – foule (05.11.1911) – Photothèque P. Colmar

 

Quelques travaux sont finalement effectués en 1908 et 1911. Après la construction du Cirque-Théâtre, il devient la salle Berlioz, détruite en 1953 après une longue période de désaffectation.

[1] J.L. Dutreix et J. Jouhaud, Fêtes et spectacles à Limoges à la Belle Epoque 1900 1914, Editions Flânant, 2003, p. 112.
[2] P.  Vayre, « Trois directeurs de l’école de médecine de Limoges. Professeurs de clinique chirurgicale. Anciens internes des hôpitaux de Paris », Annales de chirurgie, Volume 129, n° 1, 2004, p. 52-56.

 

22 Sep

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin, le XIXe siècle, suite (n°6).

Il existe, dans les années 1880, un journal dont le siège est 10 rue des Grandes Pousses à Limoges, Le Limousin littéraire (artistique, scientifique, industriel, agricole & commercial) paraissant le dimanche. Quelques chroniques théâtrales y sont signées par un certain « Nothing », qui nous renseignent parfois sur la programmation, les comédiens et la salle. Ainsi, le 26 septembre 1886, écrit-il : « M. Duriez, le sympathique Directeur de notre théâtre, dont on a pu déjà apprécier les louables efforts, nous revient avec une troupe intelligemment choisie, autant que nous en pouvons juger quant à présent. Nous retrouvons avec satisfaction de vieilles connaissances de l’an dernier, qui ont laissé un excellent souvenir parmi nous : MM. Fontenelle, premier comique, Durnany, comique, et Mme Marie Lermil, ingénuité, que le public limousin sera heureux d’applaudir encore. Nous ne doutons pas que pareil succès ne soit assuré aux autres artistes déjà applaudis sur d’autres scènes. Nous ne pourrions assez féliciter M. Duriez de l’heureux choix qu’il a fait des Danicheff pour l’ouverture de notre saison théâtrale fixée au jeudi 30 courant et nous lui souhaitons de grand cœur tout le succès qu’il mérite. » Les Danicheff est une comédie en quatre actes par Pierre Newski, représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 8 janvier 1876. Le 3 octobre, le critique renchérit : « si le public Limousin a eu lieu d’être satisfait des débuts de la saison théâtrale sur notre scène, M. Duriez, notre sympathique directeur, ne doit pas moins s’estimer heureux du succès qui, dès le premier jour, a couronné ses louables efforts. Les Danicheff, interprétés d’une façon très convenable, ont pleinement satisfait la salle qui était comble, et nous n’hésitons pas à affirmer qu’avec la réduction du prix des places adoptée par la direction, il en sera ainsi tant que M. Duriez saura, comme il nous y a déjà accoutumés, choisir avec discernement les pièces qui conviennent à son public et les acteurs chargés de les interpréter. Hier, comme jeudi, la salle était comble, avec Bigame, pièce en trois actes de P. Billaut et A. Barré[1]. Ce soir, la Salle sera encore trop petite, car tous voudront assister à la représentation brillamment préparée de La Closerie des Genêts, drame en 7 actes[2]. » Le journal dominical nous apprend que l’on joue aussi Victor Hugo à Limoges, en 1886 toujours : « il semble qu’on ne pourra, bientôt, plus dire que les grandes pièces du répertoire des maîtres soient le privilège exclusif des Parisiens; et comme obéissant à un désir de décentralisation artistique dont nous voulons tout d’abord lui adresser nos meilleures félicitations, M. Duriez a eu le louable courage de nous servir l’un des chefs-d’œuvres de Victor Hugo. C’était beaucoup oser que de vouloir présenter sur notre scène et avec les ressources que l’on sait, Ruy-Blas (…) Le bel enchaînement à la fois philosophique et poétique du drame s’est déroulé devant nous d’une très bonne façon et l’importance du sujet avait réellement pénétré nos artistes qui, nous n’hésitons pas à le dire, se sont tous surpassés. »

   

Isle – château Val d’Enraud – Photothèque P. Colmar

 

Le 1er août 1914, alors que la France et le monde vont basculer dans une guerre meurtrière, on lit dans Limoges illustré : « Une nouvelle et dernière représentation de la Comédie-Française au Val-d’Enraud aura lieu le 2 août. Elle comprendra l‘Aventurière, la célèbre comédie en 4 actes d’Emile Augier, une des plus belles du répertoire de la Comédie Française. Mlle Marcelle Gémiat incarnera l’héroïne de la pièce, Dona Clorinde. Ce sont là des attractions hors pair que nous devons à M. Cazautet[3], le distingué et dévoué créateur de notre théâtre de la Nature limogeois. » Les derniers feux, sans doute, de la « Belle époque ».

 

[1] Il s’agit d’un vaudeville de 1886. L’orthographe du nom de l’un des auteurs étant plutôt Bilhaud.

[2] Drame de Frédéric Soulié (1846).

[3] Il dirigea le Cirque-Théâtre municipal.

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin. Le XIXe siècle, suite (5).

 

Marie Colombier contre Sarah Bernhardt, un scandale

 

 

Edouard Manet Portrait de Marie Colombier @ wikipédia

 

Anne Marie Thérèse Colombier est née à Auzances, en Creuse, sur les terres verdoyantes et vallonnées de la Combraille, entre Auvergne et Limousin, le 28 novembre 1844[1]. Fille d’un officier réfugié en France nommé Pablo Martinez, elle rejoint sa mère à Paris à l’âge de sept ans. À quinze ans, elle part pour la Belgique avec le fils de l’artiste lyrique Maria Malibran et prend des leçons d’Art dramatique avec le Directeur du Théâtre de La Monnaie à Bruxelles, Jean-Baptiste Quélus (Adolphe Grognier). De retour en France en 1862, elle entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique dans la classe de Regnier où elle obtient en 1863 un 1er prix de tragédie et un 2ème prix de comédie.

Marie Colombier débute au Théâtre du Châtelet le 26 mars 1864 dans le rôle de Paolo dans La jeunesse du Roi Henri. En 1870, elle est repérée par George Sand qui la fait embaucher pour jouer sa pièce L’Autre dont le rôle principal est tenu par Sarah Bernhardt, au Théâtre de l’Odéon. En 1880, Sarah Bernhardt l’emmène pour une tournée théâtrale de huit mois aux États-Unis et au Canada, qui finit mal, les relations s’étant dégradées au cours des sept mois de vie commune, Sarah ayant refusé de payer ses appointements à Marie au retour. Marie Colombier en tire deux pamphlets : Voyage de Sarah Bernhardt en Amérique en 1881, puis Les Mémoires de Sarah Barnum en 1883. Sylvie Jouanny, dont il faut lire l’ouvrage qui évoque cette affaire et analyse les écrits de la comédienne-femme de lettres, évoque un « réalisme satirique » avec lequel Marie Colombier ridiculise la grande comédienne[2] ;  il s’agit bien de livres à charge. Le scandale est énorme, la presse et quelques hommes de lettres s’en donnent à cœur-joie. Octave Mirbeau, proche de Sarah Bernhardt, provoque en duel le préfacier du livre, Paul Bonnetain, et le blesse légèrement. Sarah Bernhardt entraîne son fils et le poète Jean Richepin dans une expédition punitive pour saccager l’appartement de Marie Colombier, rue de Thann. Dans la presse, cela donne : « Une après-midi froide et brumeuse de la fin de décembre 1883, le quartier aristocratique qui avoisine le parc Monceau était mis en émoi par une rumeur éclatante. Une horde de malfaiteurs, déguisés en gens du monde, s’étaient introduits dans une maison de la rue de Thann, trompant la vigilance du concierge, et, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire (est-ce assez Gaboriau?) avaient saccagé le coquet entresol habité par une actrice bien connue dans le monde artistique et littéraire, Mme Marie Colombier. »

On peut découvrir cela avec intérêt dans l’Affaire Marie Colombier Sarah Bernhardt Pièces à conviction paru en 1884 à Paris. On y lit par exemple aussi ce témoignage de Marie : « Je n’ai jamais fait allusion qu’avec une discrétion absolue à toutes ces blessures intimes. Aujourd’hui, l’on m’accuse de trahir l’amitié, et les moralistes en appellent à l’opinion ; que celle-ci prononce ! Oui, des années, de longues années durant, j’ai été la camarade, la confidente, l’amie dévouée de celle pour qui on me prête aujourd’hui une haine de peau-rouge. Longtemps mon amitié s’est montrée infatigable, comme celle que l’on a pour une sœur d’adoption. Pour Sarah, j’ai lassé mes relations, combattu les hostilités, courtisé la critique, employant sans mesure les amis que m’avait valu le hasard de brillants débuts. A l’époque où l’artiste était discutée, niée, la femme détestée, je l’ai défendue, aidée sans compter, affrontant les quolibets sur ma naïveté, bravant la calomnie. J’ai mis bien du temps à renoncer à cette camaraderie, dont ma simplicité faisait tous les frais, me bouchant les yeux pour ne pas voir qu’on me prenait pour dupe… La question des gros sous ! »

Marie Colombier est condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs» en 1884, le livre est retiré de la vente bien qu’il ait déjà connu 92 éditions en France. Elle renonce peu à peu au théâtre et publie plusieurs romans et plusieurs volumes de ses mémoires, avant de disparaître en 1910.

 

[1] Eléments biographiques sur le site wikipédia, qui livre quelques pistes bio-bibliographiques.
[2] L’actrice et ses doubles, Figures et représentations de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Droz, 2002.

 

Le 9 novembre 1862, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, annonce qu’on élève, place Fitz-James, une grande baraque sur la façade de laquelle se lit déjà : « Folies parisiennes ». Et plus bas : « Chemin de la Croix. » « Est-ce une épigramme? Pas le moins du monde, car la sublime Folie de la Croix que donne la troupe de M. Bachenet (ainsi se nomme le directeur), est la représentation en tableaux vivants du drame qui a régénéré le vieux monde. Aux tableaux plastiques que figurent les artistes de M. Bachenet, d’après les tableaux de nos grands maîtres, sont joints différents exercices : danses, poses, trapèzes, suspensions éthéréennes , etc., etc. Une belle pantomime, dans le genre de celles de Debureau , terminera chaque soirée. M. Bachenet, l’émule du célèbre funambule, remplit le rôle de Pierrot. Il va sans dire que les Folies parisiennes de la place Fitz-James ne sont pas de celles qui blessent la morale, et que la fille la plus modeste peut sans rougir les montrer à sa maman. »

 

A propos du jeune premier

 

L’autre jour, un monsieur dont les larges épaules

Incommodaient très fort deux ou trois spectateurs,

Se plaignait que quelques acteurs

Sont… Comment dirons-nous?… Un peu mûrs pour

[leurs rôles,

Mûrs, c’est le mot. Il est lâché. Ma foi, tant pis!

Je suis un peu de cet avis,

N’en déplaise à Monsieur Bessière.

Le gros homme, en parlant, troublait la salle entière.

Or, à ce moment,

Justement,

Le débutant nouveau venait d’entrer en scène,

Et, grâce à ce monsieur, on l’entendait a peine.

– D’ailleurs, se trouvaient là bon nombre de gens

[durs

D’oreille. — « Paix ! le diable vous emporte !

Cria quelqu’un, assis tout auprès de la porte.

On n’a pas tous les jours des acteurs de la sorte.

Ce sont des fruits peut-être un peu trop mûrs.

Mais, s’ils ne TOMBENT pas, qu’importe ! »

 

VOX DE TURBA, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, 28 décembre 1862

 

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin… au XIXe siècle, suite (n°4).

Le conseil municipal de Limoges, dans sa séance du 21 février 1835, fixe définitivement la délimitation du terrain concédé pour l’édification d’un théâtre. « Voilà les dimensions du bâtiment : L’ensemble du bâtiment, sur une longueur de 217 pieds en façade, d’un côté sur la place Royale[1], et de l’autre sur la rue Saint-Martial, en alignement du mur de soutènement actuel, aura en largeur sur la partie occidentale 33 pieds, et sur celle orientale 14 pieds. Le théâtre, placé au centre, sur une longueur de 85 pieds, sera flanqué de deux ailes destinées aux constructions particulières. Dans l’une, celle à l’orient, seront : Au rez-de- chaussée, un vaste local pour café, ayant double salle sur la place et la rue, glacière et appartements aux entresols, et quatre grands magasins, ayant également logement aux entresols. Au premier étage, un local destiné au cercle. Ce local sera composé d’une salle de bal de 60 pieds sur 30, desservie par cinq grandes pièces de plain-pied, cabinets de service, vestiaire, etc. ; aux étages supérieurs, appartements particuliers. Dans l’autre aile, celle à l’occident, seront : Au rez-de-chaussée, huit grands magasins, dont quatre sur la place et quatre sur la rue, ayant tous logements aux entresols. Au premier étage et étages supérieurs, appartements particuliers ; Quant à la distribution intérieure de la salle, elle sera ainsi réglée: stalles d’orchestre, parterre assis, baignoires (loges grillées), première galerie, premières loges, loges des secondes, amphithéâtre des secondes, galeries des troisièmes. Les prix de ces différentes places et la séparation des loges par six et quatre places laisseront aux sociétés privées, comme aux familles, la possibilité d’être chez elles quoique au milieu d’un public nombreux. » Les Annales de la Haute-Vienne précisent le 3 juillet 1835 que « des couloirs spacieux et cinq issues, aboutissant à deux rues ou places différentes, facilitent l’entrée et la sortie du public, ce qui est un immense avantage pour les cas trop fréquents d’incendie ou de tumulte au spectacle qui font encombrer les issues par des spectateurs trop pressés de sortir. »

Le théâtre municipal (future salle Berlioz) – Photothèque Paul Colmar

Le 6 décembre 1836, le conseil municipal de la ville (le maire étant Jean-Juge Saint-Martin) précise qu’un théâtre sera construit par l’architecte du département, Boullé – Sechan s’occupant du décor intérieur. Celui-ci est inauguré le 29 mars 1840 et c’est la création de la première troupe sédentaire (les différents directeurs, d’origines diverses, sont souvent accompagnés par une troupe permanente). L’historien Jean-Marc Ferrer, qui a étudié le fonctionnement de ce théâtre, a noté que si l’on y donne des comédies, des tragédies et des drames romantiques, le public semble préférer le lyrique : l’opéra, l’opéra-comique et l’opérette. Le public, irrégulier, est surtout populaire (l’élite ouvrière des typographes et porcelainiers, commis, étudiants et même « lorettes »), la « bonne société » se répartissant les places de premières (deux belles grandes loges étant réservées au maire et au préfet) – la bourgeoisie étant cependant peu assidue. 803 places accueillent les spectateurs parmi lesquels, aussi, des militaires en garnison à Limoges. Les ouvriers fréquentent également les cafés-concerts durant la seconde moitié de l’Empire.

Le chanoine Arbellot indique qu’aux ostensions de 1820 et 1827, la corporation des bouchers donnait un spécimen de la Passion : le Christ portant, sa croix tombait sous les coups des bourreaux : Véronique s’approchait et essuyait avec un linge la face ensanglantée du Sauveur. Aux ostensions de 1849 et de 1854, fut représenté le drame en vers du martyre de sainte Félicité, où figuraient, avec l’empereur romain et l’impératrice, sainte Félicité et ses sept enfants.

Limoges appartenait au 13ème arrondissement théâtral. Deux troupes ambulantes s’y produisaient, à Angoulême, Poitiers, Châtellerault, Loudun, Cognac, Limoges et Tulle. L’ordonnance royale de décembre 1824 régissait l’activité théâtrale et la contrôlait très sévèrement – un contrôle assoupli à partir de 1864.

 

« Depuis longtemps, on voit avec plaisir l’artisan limousin chercher les amusements les moins bruyants et les plus capables de développer son intelligence. Au premier rang nous devons placer l’amour qu’il montre pour le théâtre. C’est avec une sorte de contentement qu’on a vu quelques-uns d’entre eux se réunir en société pour jouer la comédie, et parvenir à la jouer d’une manière très satisfaisante pour des amateurs (…) Nous n’oublierons pas que, si nous ne devons, dans leur salle, rien dire de capable de les décourager, nous leur devons des conseils au dehors ; et c’est pour cela que nous ne saurions trop leur recommander de profiter de leurs moments de loisir pour aller à ce théâtre [municipal], pourvu de plusieurs sujets distingués, y apprendre à jouer encore avec plus d’ensemble, à mieux dire la phrase, à ne pas confondre une sorte de hardiesse avec ce qu’on appelle aplomb dramatiquement parlant, et voir tout ce qui leur manque du côté de la tenue théâtrale.

            Ce serait aussi avec peine que nous les verrions, se jetant dans les pièces à grands fracas, aller déterrer tous ces vieux mélodrames aussi mal digérés que mal pensés et mal écrits, capables enfin de corrompre le goût et de nuire à l’esprit : il existe tant de petites comédies, tant de petits vaudevilles pleins de sel et d’esprit qu’ils trouveront toujours à choisir.

            (…)

            Le conseil que nous donnons ici à nos artisans acteurs, nous nous le permettrons aussi à l’égard de nos acteurs militaires qui ont, de leur côté, établi un théâtre à la caserne.

            (…)

            Nous croyons devoir terminer cet article en rapportant le mieux qu’il nous sera possible les paroles d’un haut fonctionnaire qui a honoré l’un de ces théâtres de sa présence : J’aime à voir, disait cet homme respectable, j’aime à voir les ouvriers se délasser par de tels amusements : cela les détourne de ces jouissances grossières capables de nuire à leur santé et à leur intelligence ; et d’ailleurs ce sont des plaisirs desquels au moins leurs femmes et leurs jeunes enfants peuvent profiter. »

            Annales de la Haute-Vienne, Journal administratif, politique, littéraire, commercial et agronomique, Feuille d’annonces et avis divers, vendredi 6 mars 1835.

 

En 1837, dans L’Arédien, journal littéraire et d’annonces de Saint-Yriex-La-Perche, on peut lire qu’il « a rempli ses engagements avec le passé, il est en mesure pour l’avenir. Mais ce n’était pas assez pour lui d’avoir ouvert une arène où pussent lutter les talents faits avec ceux qui ne demandaient qu’à naître. A côté des fruits du sol natal, il fallait mettre les riches productions du pays fertile par excellence, de cette terre promise où coulent tant de ruisseaux de lait et de miel ; l’ARÉDIEN en ne voulant plus que sa patrie fut traitée en paria de l’intelligence , n’a pas prétendu secouer le joug de la métropole où trônent les maîtres ; il a senti au contraire le besoin de se rapprocher d’eux, afin d’être réchauffé et vivifié par les rayons de leur gloire… » A côté des « récits qui charmeront, mais qui ne pourraient remplir les longues soirées d’hiver », il annonce « une suite de proverbes, artillerie légère dont la marche vive et le feu roulant, viendront égayer, on nous l’a promis de Paris, les réunions de nos jeunes filles, maintenant que la danse a cessé d’être une frénésie, et ne se mêle plus que dans une proportion raisonnable à des plaisirs plus vrais. Les auteurs de ces petits drames, choisiront autant que possible des données qui permettent, après une lecture amusante, de doubler la jouissance, par une représentation dont un parevant fera tous les frais. »

Alain Corbin a analysé l’activité théâtrale[2], notant que « de la fin de la Monarchie de Juillet jusqu’au triomphe de la IIIème République, l’activité théâtrale connut dans la région des fortunes diverses mais jamais elle ne fut très prospère. » A Guéret (salle de 470 spectateurs) et Aubusson (« théâtre exigu et défectueux » de 360 places), ce n’est guère brillant non plus, les troupes ne connaissant jamais un grand succès ni en Creuse ni en Corrèze. A Saint-Léonard et Rochechouart, en Haute-Vienne, des cafetiers possèdent deux salles (la première de 280 places). Dans la région de Bellac, les artistes de passage se produisent dans les salles de mairie ou de café. « Le personnel des troupes itinérantes est assez misérable, il se compose de six ou sept acteurs des deux sexes ; les directeurs eux-mêmes ne possèdent le plus souvent que peu de fortune ; il s’agit généralement d’anciens acteurs ou d’anciens régisseurs de théâtres parisiens (…) Les salaires sont très bas ; en fait les seuls directeurs qui réussissent à subsister sont ceux qui utilisent les membres de leur famille. » A Limoges, toutefois, les acteurs sont plus nombreux et mieux payés. D’une manière générale, le public des salles limousines est populaire, issue de la classe ouvrière – et c’est le lyrique que préfèrent les spectateurs. Alain Corbin cite un rapport du Conseil municipal de Limoges (1860) observant que le vaudeville, la comédie et le drame laissent le public complètement indifférent. Le répertoire présenté s’en ressent : si la programmation lyrique est de qualité, les pièces classiques ne sont pratiquement jamais jouées à Limoges. Le maire de Guéret écrit en 1861 que « la bourgeoisie boudera encore plus les salles régionales lorsque le chemin de fer permettra de se rendre rapidement dans la capitale. »

L’historien a également étudié le catalogue de l’année 1870 de la Bibliothèque populaire de Limoges. Il comprend 32 œuvres théâtrales de Corneille, Molière, Racine, Ponsard, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, E. Augier, C. Delavigne, V. Hugo et Scribe. Selon ses recherches, la Bibliothèque est fréquentée par environ 200 lecteurs mais le théâtre ne semble pas faire partie de leur lecture préférée. Il évoque encore l’apparition progressive d’autres bibliothèques en Limousin, mais ce n’est pas le théâtre qui prime pour ceux qui les fréquentent.

[1] Actuelle place de la République.
[2] Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, PULIM, 2 000, p.p. 409-417.