29 Nov

Le Limoges du photographe Fabrice Variéras

Fabrice Variéras, Limoges remarquable, La Geste, 2021

J’apprécie depuis plusieurs années le travail photographique de Fabrice Variéras, que ce soit à la faveur de ses publications ou de ses expositions. Cette année, il livre aux éditions La Geste un bel ouvrage grand format de près de 240 pages, intitulé Limoges remarquable. On pourrait s’étonner que cet artiste né à Tulle et amoureux de la Corrèze décide de consacrer une série photographique à Limoges, mais c’est la ville où il travaille et vit depuis plus de vingt ans, au lycée Gay-Lussac que l’on retrouve dès la couverture avec les clochetons de sa chapelle jésuite ou avec sa façade la nuit ; et puis Limoges n’est heureusement pas la propriété des Limougeauds ! Il est même particulièrement intéressant d’observer le regard que peut porter sur elle quelqu’un qui n’en est pas originaire. D’ailleurs, dès les premières pages (car il écrit aussi, avec un ton plutôt gouailleur), Variéras saisit fort justement l’âme limougeaude, entre humilité et fierté rentrée, tant on a rabaissé l’indigène au fil des décennies, en inventant par exemple le mot « limogeage ».

Fabrice l’arpenteur promène son objectif dans de nombreux quartiers, y compris périphériques, des lieux emblématiques aux moindres recoins méconnus ou oubliés, et livre de belles photos en noir et blanc ou en couleur, selon l’inspiration et le rendu. Son travail sur les lumières et les ombres, les couleurs, les ciels et les eaux, le jour et la nuit, les reflets, la neige ou la pluie parfois si présente, permet de brosser des tableaux originaux, parfois éphémères, de Limoges, et en fait une ville de beautés, de mystères, pleine d’attrait. Il a incontestablement su en saisir l’intimité, les gloires et la poésie, mais aussi les aspects les plus prosaïques et quelques laideurs – en particulier architecturales – jusqu’à une voiture brûlée au bas d’un immeuble de banlieue, le spleen d’un caddie renversé, ou un panneau publicitaire de grande surface. Le géographe qu’il est ne laisse en effet rien passer des tares ou des bienfaits de l’urbanisation. Tout ici est subjectif, chacun appréciant ou non ce qu’il nous révèle et se confrontant à son regard de photographe expérimenté. Après tout, les couchers de soleil peuvent être beaux et faire rêver aussi bien au-dessus d’une Z.U.P. qu’au-dessus de la cathédrale.

Presque tout Limoges est donc saisi ici, avec ses monuments et ses espaces tutellaires : la cathédrale, les églises, l’hôtel de ville, les ponts – avec leurs arches, leurs piles, leurs pavés séculaires -, la rue de la Boucherie, les Halles, le Verdurier, les gares (et l’on connaît la tendresse particulière de Fabrice Variéras pour celle des Bénédictins), les parcs et jardins et leurs arbres et bancs publics, parfois noyés par une crue, le vaste cimetière de Louyat, les murs colorés ou qui s’effritent, les colombages retrouvés, les octrois de jadis. Tout cela confronté à l’électrique et à la modernité : entremêlement de fils de trolleys, voies de chemin de fer, architecture du palais des sports, de la BFM, objets hétéroclites dignes d’un inventaire à la Prévert, le tout ponctué de tags et d’inscriptions publicitaires et vieilles enseignes ; accompagné aussi d’une pointe d’humour photographique, de clins d’oeil et de quelques jeux de mots. Si la prise de vue et les procédés sont plutôt classiques, un peu de flou, d’humidité, ou certains angles introduisent de la fantaisie.

Dans la ville de Fabrice Variéras, les êtres humains ne tiennent pas la première place, même si on les devine, plutôt de dos ou passant, à pied, à vélo ou en canoë, attendant le bus, discutant sur un banc, ou jouant à la pétanque sur les bords de Vienne. Limougeauds depuis de nombreuses générations ou de passage, ils contribuent cependant à faire de Limoges autre chose qu’une « belle endormie ». Chacun sait en effet que c’est à la fois une ville de solidarités, de sociabilités, qui s’expriment aussi bien dans les confréries et les syndicats, les bandes de jeunes, le travail (Variéras montre quelques assiettes de porcelaine), les associations, les clubs de sport, les cérémonies religieuses, une ville de luttes sociales et de résistance. Le photographe s’amuse à saisir les évolutions et les contrastes, des vitraux aux tags, des vieilles statues aux mannequins des boutiques, mais aussi des gourmandises des Halles ou de la Frairie des Petits Ventres aux boucheries halal. Fabrice Variéras réussit ainsi à nous montrer l’immortalité et les variations infinies d’une ville qui nous est chère. Son pari est donc réussi.

03 Nov

Knock ou le Triomphe de la médecine

Le 14 décembre 1923, Jules Romains produit la pièce Knock ou le Triomphe de la médecine à la Comédie des Champs-Élysées. Louis Jouvet a conçu la mise en scène de la pièce et qu’il joue le rôle principal, le docteur Knock. Le comédien, dont le grand-père était originaire de Cosnac en Corrèze, fut baptisé à Brive-la-Gaillarde en 1888. Romains déclare alors au Figaro : « Knock, qui voudrait être la, ou plus modestement, une comédie de la médecine moderne, n’a rien d’une inoffensive plaisanterie ni d’une satire légère. Ce ne sont ni les petits travers ni les ridicules extérieurs des médecins d’aujourd’hui qui sont raillés. Ne vous attendez ni à des pointes, ni à des mots, ni à de menues égratignures. N’espérez pas davantage un tableau malicieux du monde médical actuel, rehaussé d’allusions transparentes. Non, c’est plus grave que cela. Je ne crois pas qu’un médecin puisse assister à Knock sans avoir, en sortant, une petite méditation intérieure, ni sans se poser quelques questions inquiétantes. Et je ne crois pas qu’un client des médecins, fût-ce le plus satisfait et le plus soumis, puisse assister à Knock sans éprouver un plaisir soulagement et de secrète revanche ». Le formidable Louis Jouvet se révèle dans cette pièce et donne plus de 1 500 représentations devant un public enthousiaste. Devant ce triomphe théâtral, le comédien décide en 1933 de transposer la pièce au cinéma. Elle est adaptée par Roger Goupillères avec Louis Jouvet dans le rôle-titre. La mise en scène, sacrifiant à la formule cinématographique, consentit quelques extérieurs: un village qui n’est point de carton, son marché achalandé en clients cocasses, ses logis aux seuils usés, caressés d’une lumière qui ne doit rien aux volts des « sunlights », mais tout aux rayons du soleil» analyse Jean Laury dans Le Figaro du 7 novembre 1933. L’historien Jean-Marc Ferrer écrit : « Uzerche (en Corrèze, NdA) accueille le tournage et Louis Jouvet y séjourne pour l’occasion. Tombant sous le charme de la ville, plusieurs témoignages attestent qu’il y revint régulièrement, s’installant alors au fameux Hôtel Chavant. »[1]

 

[1] Pays d’Uzerche rayonnement d’une ville-paysage, Les Ardents Editeurs, 2008, p. 122.

26 Oct

Notes pour l’histoire du théâtre en Limousin (9) André Antoine un Limougeaud directeur d’un célèbre théâtre parisien

André Antoine photographié par Charles Reutlinger, vers 1900

André Antoine naît à Limoges le 31 janvier 1858, dans une famille de condition modeste. Aîné de six enfants, il arrête l’école très jeune, travaille à la Librairie Firmin-Didot puis à la Compagnie du Gaz à Paris. Il accomplit ensuite son service militaire en Tunisie de 1878 à 1883. Se passionnant très tôt pour le théâtre, il échoue à un examen du Conservatoire. Dans ses Souvenirs, il écrit : « Mes premières impressions de théâtre datent de Ba-ta-clan, où ma mère me conduisait parfois, avec certaines cartes vertes, que je vois encore ; pour cinquante centimes, on avait droit à une place et à des cerises à l’eau de vie ! Heureux temps ! On y jouait de petites comédies, des opérettes (…) Dans ce Marais que nous habitions, il y avait aussi le Théâtre Saint-Antoine, boulevard Richard-Lenoir, minuscule scène (…) Mais ce furent certaines représentations, à Beaumarchais, qui firent sur ma cervelle de gosse la plus profonde impression ; j’y revois très bien Taillade, jouant l’ancien répertoire de Frédérick Lemaître, des mélos étonnants ». Il est figurant sur scène le soir après son travail, ce qui lui permet d’apprendre les classiques du répertoire dans les coulisses. Après avoir beaucoup lu (les livres des bouquinistes assidument visités), fréquenté les peintres et vu bon nombre de pièces, il devient comédien dans une troupe d’amateurs.

La Vie limousine illustrée du 1er mai 1914 (n°1) consacra un petit article aux « Débuts d’Antoine » :

« Antoine était pauvre alors, trimant pour un maigre salaire chez un agent d’affaires de la rue des Bons-Enfants. Il y frottait le parquet, astiquait des plaques de cuivre, et, tout en colportant chez les clients et les victimes des feuilles de papier timbré, — recouvrements, contentieux, — rêvait déjà théâtre. Il confiait ses aspirations et ses regrets à un gamin de son âge, appelé Wisteaux, qui devait plus tard se faire connaître sous le nom de Mévisto.

– Veux-tu venir au Théâtre-Français?

lui dit Wisteaux.

– Mais je n’ai pas le sou, s’écria Antoine.

– Il ne s’agit pas de donner de l’argent, mais d’en toucher.

– Comment cela?

 

– On a besoin de deux figurants pour la première de Jean Dacier[1] ; je connais le régisseur, nous allons nous présenter.

– Tu crois qu’on nous prendra?

– Pourquoi pas ? Nous ne sommes pas plus mal tournés que les autres.

– Et nous verrons Coquelin[2] ?

– Non seulement nous le verrons, mais nous pourrons lui parler.

C’est ainsi qu’Antoine qui est originaire de Limoges, fut admis à débuter chez Molière. »

 

Autodidacte, il désire innover et rompre avec les normes bourgeoises du théâtre alors apprécié (notamment le théâtre de boulevard, Dumas fils, Victorien Sardou…) et fonde en 1887 le « Théâtre Libre » (nom inspiré de Théâtre en liberté d’Hugo), au départ d’inspiration naturaliste – c’est d’ailleurs un proche de Zola, qu’il adapte  – ouvert à de nouveaux dramaturges, y compris étrangers comme le Suédois August Strindberg.

Il monte alors quelque 150 pièces en dix ans. Il poursuit dans la même voie en créant le Théâtre Antoine après avoir dirigé l’Odéon en 1896, qu’il retrouve de 1906 à 1914. Il donne une nouvelle importance au metteur en scène (la locution « mise en scène » ne date d’ailleurs que de 1874) et à la troupe plus qu’à la « vedette ». Avec lui, les comédiens doivent vivre leurs personnages, il veut libérer le jeu d’acteur pour aller vers plus de simplicité et moins d’artifice. De même qu’il modernise décors (à l’époque on jouait devant des toiles peintes sans unité avec la pièce) et costumes. Il réfléchit à une scène visible par tous les spectateurs, y compris les plus mal placés. Il sait utiliser l’éclairage, avec des jeux de lumière jamais vus, adoptant même l’obscurité pour la salle. La présence de vrais morceaux de viande pour Les Bouchers de Fernand Icres le 19 octobre 1888 fait scandale : l’action se déroulant dans une boucherie, Antoine avait, par souci de réalisme, suspendu à des crocs deux vraies carcasses de moutons écorchés.

A partir de son installation, en 1897, dans la salle des Menus-Plaisirs, le Théâtre Antoine devient à la mode.

Féru de cinéma, il accepte, en 1914, la proposition de la SCAGL (Société Cinématographique des Auteurs et Gens de Lettres) et de la firme Pathé visant à le faire accéder à la réalisation de films. De 1915 à 1922, André Antoine adapte au cinéma des œuvres, de la littérature ou du théâtre. Les différentes techniques cinématographiques qu’il utilise lui permettent, là aussi, d’être un novateur.

Antoine meurt le 19 octobre 1943 au Pouliguen. Il repose au cimetière de Camaret-sur-Mer.

En 2009, les éditions Du Lérot (16 140) ont réédité Mes souvenirs, ouvrage publié par André Antoine en 1921, alors qu’il est âgé de soixante-trois ans – une édition captivante établie et annotée par Patrick Besnier, qui montre les débuts d’Antoine, son travail et constitue une belle galerie de portraits.

 

En septembre 1900, on peut lire ceci dans Limoges illustré : « La représentation du Théâtre Libre, organisée par M. de Chirac, a été pour tous les spectateurs une désillusion profonde. Au lieu d’œuvres vraiment intéressantes, il nous a été servi de petites et de grosses malpropretés, d’autant plus difficilement acceptables qu’elles sont pour la plupart dépourvues de tout esprit. »

 

[1] Drame de Charles Lomon représenté à la Comédie-Française en avril 1877.

[2] Coquelin aîné (1841-1909) interprétait Jean Dacier. Premier Prix de Comédie du Conservatoire de Paris, Sociétaire de la Comédie-Française, c’est une célébrité du théâtre d’alors. C’est lui qui créa le rôle de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1897.

 

 

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (8) Le cirque-théâtre municipal de Limoges

A gauche et à droite: photothèque Paul Colmar. Au centre: collection L. Bourdelas

 

Le Cirque de Limoges est un « cirque stable » bâti en 1925. Les travaux avaient commencé en 1911, mais ils avaient été ralentis par la guerre. Son architecte est Émile Robert. La coupole se trouve à 18,75 mètres au-dessus de la piste, d’un diamètre de 13 mètres. Le cirque dispose de 1 860 places assises. L’intérieur est décoré de toiles marouflées (collées sur les parois) de David Widhopff (une partie d’entre elles est conservée au Musée des Beaux-Arts). Cet ensemble se répartit entre la salle qui comprend quinze panneaux historiés dont treize fixés à son pourtour, au faîte des gradins, et l’entrée qui en présente huit. Au total, la surface peinte est impressionnante : quelques 150 m² sans compter, dans la salle, les panneaux ornementaux décorés de guirlandes feintes que scandaient des colonnettes dorées ainsi que la frise ponctuée d’étranges mascarons. Cette composition monumentale, commandée à la fin de 1923, datée de 1924 et livrée au cours de l’été 1925, évoque un monde chimérique et réel où grouillaient acrobates, personnages mythologiques et de la commedia dell’arte, types sociaux truculents et cocasses, évocations de songe…[1] Né en 1867 à Odessa (Crimée), David Ossipovitch Widhopff avait intègré l’Académie royale des beaux-arts de Munich après avoir été diplômé de l’Académie impériale d’Odessa. À l’âge de 20 ans, il arriva à Paris puis partit diriger une école d’art au Brésil, avant de revenir s’installer à Montmartre. « Widhopff fut loué tant pour la diversité de ses moyens d’expression qui lui permettaient de manier à la fois le crayon pour des dessins subtils et la brosse pour de larges compositions vigoureuses, que pour sa physionomie expressive qui associait conquête de la couleur et humour. »

En 1928, la salle est aménagée afin qu’elle puisse aussi recevoir des spectacles de théâtre.

 

Plan du Cirque-Théâtre et programme. Collection L. Bourdelas

 

La Vie limousine salue comme il se doit l’inauguration de ce nouveau lieu de spectacle dans un article qui fourmille de précieuses informations : « Enfin ! « les trois coups sont frappés, Le Cirque inauguré, vient de devenir nôtre ». – Et l’on n’entendra plus la scie vieillie mais toujours lancinante : Ouvrira, – N’ouvrira pas, — Ra, — Ra pas.

Mais que ceux qui se montrèrent impatients veuillent se bien rappeler que la guerre, la maudite guerre, est passée par là aussi. — Commencé, en effet, sous la municipalité d’Antony, en 1909-10, le Cirque municipal se terminait sous la municipalité Betoulle de 1910 à 14, avec M. Blanc comme architecte, lorsqu’ « il y eut la guerre ». Et dès lors commencent les tribulations qui viennent de se terminer fort heureusement en cette -, véritable apothéose que fut l’ inauguration du 16 octobre.

Tout d’abord, les travaux furent repris par la municipalité pour enrayer une menace de chômage. Puis les travaux sont encore arrêtés : le Cirque a été réquisitionné pour y loger les réfugiés venus d’un peu partout à Limoges. Ensuite, il est occupé par les services du ravitaillement, et cela a bien duré jusqu’en 1920.

Cette première crise passée, une autre commence. La municipalité ne peut pas songer à exploiter elle-même le Cirque, et se préoccupe de trouver un directeur responsable. On sollicite des offres de divers côtés, et un instant même on fut près d’aboutir : un projet de convention était déjà établi, prêt à signer, lorsqu’au dernier moment on ne put plus s’entendre. De palabres en palabres, on était arrivé en octobre 1922, et le Cirque était toujours en instance d’achèvement lorsque commencèrent les négociations avec le sympathique directeur du Théâtre municipal, M. Cazautets. D’une part, la municipalité savait à qui elle avait affaire, et M. Cazautets pouvait, d’autre part, évaluer en connaissance les risques de l’entreprise qu’il assumait. Sur ces bases de confiance et de sympathies réciproques, l’accord fut vite conclu, sans modifier ou presque le projet de convention déjà élaboré par la mairie. M. Cazautets devenait concessionnaire du Cirque municipal suivant un bail à loyer, moyennant une somme annuelle de 60.000 francs. On estimait en outre, à 240.000 francs,

Vision fugitive

Et bientôt démentie! (air d’Hérodiade)

la somme nécessaire à l’achèvement du Cirque, et M. Cazautets versait immédiatement cette somme à la ville, qui devait la lui rembourser, par annuités, au prorata du loyer, sans intérêts. Mais on avait compté sans la crise du change, la baisse du franc, la hausse des salaires et du coût des matériaux. D’autre part, on n’avait prévu qu’un cirque, et l’on eut l’heureuse idée de faire ce qu’on a si bien réalisé : « le seul établissement en France pouvant donner dans la même salle, tous les genres de spectacles (théâtre, music-hall, cirque, cinéma, voire même grande salle de conférences ou de réunion). — D’où, deux conséquences :

1° Le bâtiment, construit d’abord pour un cirque, devait être transformé presque complètement : il fallait une scène, à établir dans le ciment armé de l’ enceinte primitive, et cela donna le cauchemar à nos architectes; il fallait un plancher sur la piste primitive pour y loger le parterre ou les fauteuils, et ce plancher devait être amovible comme les sièges pour pouvoir, à l’ occasion, user de la place en tant que piste ; — il fallait transformer, du même coup, à peu près toute l’installation du chauffage.

2° Qu’étaient devenus, à travers ces transformations successives, les pauvres petits 240.000 francs prévus pour l’achèvement du Cirque? Ils s’étaient tout naturellement enflés eux aussi jusqu’à atteindre le coquet total de 700.000 francs que M. Cazautets à avancés à la ville, qui doit les lui rembourser. Mais le même M. Cazautets, désireux de justifier la confiance mise en lui et de meubler luxueusement une salle qui devait être splendide, y a mis pour 350.000 francs de décors, accessoires, et meubles divers qui sont sa propriété, sans compter les aménagements qui s’imposent encore pour le cinéma et le cirque proprement dit, comme pour l’amélioration de l’acoustique. Mais si la municipalité de Limoges et le directeur M. Cazautets ont droit, ainsi que leurs collaborateurs, architectes, entrepreneurs, de tout ordre, et artistes de la décoration, à toutes nos félicitations, ils se sont acquis aussi des droits à notre appui constant. Il faut aller au Cirque, et y revenir : on ne s’en lassera pas. »

  

Collection Paul Colmar

            Au Cirque, on donne aussi bien Polyeucte « dont la grandiloquence cornélienne remplit sans effort la salle »[2], que Province du limougeaud Edouard Michaud, proposée par L’Ecole de Limoges, cercle littéraire très actif, « un succès, un évènement et une surprise (…) applaudissements nombreux et enthousiastes »[3]. On peut même assister à des « piécettes » enlevées interprétées par des amateurs à l’occasion du gala de la presse ou assister des conférences comme celle de M. Duviols, professeur agrégé de lettres au lycée Buffon à Paris, à propos de « Don Juan, sa légende, ses incarnations »[4] ou de Me Charrière, avocat, sur « Le comique de Courteline ». La saison 1929-1930, pour ne citer qu’elle, les spectateurs peuvent assister à Topaze[5], Marius[6], Rose-Marie[7], Tip-toes[8], etc. et les scolaires à Cyrano de Bergerac[9] et l’Aiglon[10].

Manifestation d’agriculteurs devant le Cirque-Théâtre (c) P. Colmar

 

 

[1] Site Géoculture – y compris les informations sur le peintre.
[2] La Vie limousine, 25 novembre 1925.
[3] Idem, 25 décembre 1925.
[4] Résumé complet dans La Vie limousine du 25 février 1929.
[5] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 octobre 1928.
[6] Pièce de Marcel Pagnol, créée à Paris le 9 mars 1929.
[7] Il s’agit sans doute de l’opérette jouée à Broadway en 1924 sur une musique de Rudolf Friml et de Herbert Stothart et du livret de Otto Harbach et d’Oscar Hammerstein II.
[8] Tip-Toes, comédie musicale américaine des frères George et Ira Gershwin, créée à Broadway en 1925.
[9] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 28 décembre 1897.
[10] Pièce d’Edmond Rostand, créée à Paris le 15 mars 1900.

08 Oct

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (7) La question du théâtre municipal de Limoges

L’adjudication d’une partie des locaux de l’annexe du théâtre de Limoges a lieu le jeudi 14 décembre 1905 à l’hôtel de ville. Elle a donné les résultats suivants : le premier lot, comprenant un magasin et plusieurs appartements, sis au deuxième étage, a été adjugé à M. Tharaud, négociant, au prix de 2 510 francs. La mise à prix était de 1 800 francs. Le deuxième lot, comprenant les locaux du premier étage et plusieurs appartements au deuxième, a été loué par le Cercle d’études commerciales au prix de 2 020 francs, sur la mise à prix de 2 000 francs.

Avec l’augmentation de la population limougeaude, le théâtre municipal s’avère trop petit dès 1880 environ. Dans Le Limousin littéraire du 9 mai 1886, on signale néanmoins que la salle « est entièrement remise à neuf » (M. Duriez est le directeur). Pourtant, « au début du XXe siècle, il focalisait les critiques : « dans un état lamentable (murs effrités, escaliers vermoulus) », « peu confortable, dépourvu de toute sécurité », « acoustique déplorable, fournaise pestilentielle, scène trop exigüe »… »[1].

Le 31 décembre 1906, dans un article du Courrier du Centre consacré aux débats à propos du budget au conseil municipal de Limoges (présenté par J.B. Marquet), on peut lire quelques propos intéressants à propos du théâtre, signés par un certain A.M. – même si l’argumentaire évoque en partie la musique. Après le départ d’Emile Labussière, le nouveau maire est François Chénieux, chirurgien, « républicain progressiste », situé à droite.  C’est un « humaniste cultivé lisant les auteurs latins comme les avancées littéraires de son époque. Ayant beaucoup voyagé en Europe et en Afrique, c’était un conteur admiré au cercle Turgot. Ses poèmes étaient pleins de charme comme celui de «Vision du couchant sur le Nil » écrit en 1906 lors d’un voyage en Égypte. »[2]

« Votre rapporteur ne s’affecte pas de la décision prise par le conseil d’Etat et qui a trait à la non-édification du cirque, car lui-même s’était permis quelques critiques de la même nature que celles formulées par le conseil d’Etat. Ce n’est, en effet, que respectueux des délibérations des conseils antérieurs, et soucieux de voir aboutir enfin les projets élaborés par ses devanciers qu’il s’est rallié à l’édification de ce monument; et, messieurs, il m’a été permis de constater que beaucoup parmi vous partageaient mon sentiment à ce sujet. Peut-être commettons-nous une erreur, et, certainement, si l’on envisage la chose au point de vue de l’esthétique, il n’est pas douteux qu’à la sortie de la gare, un cirque en planches bornant l’horizon, détruisant la perspective des boulevards aboutissant à l’hôtel de ville est d’un très mauvais effet. A un autre point de vue, cette décision entraînera une perte de travail, travail sur lequel comptait une partie de notre population. Mais je ne pense pas qu’il soit dans vos intentions d’abandonner dans l’emprunt la somme affectée à l’édification du cirque ; je vous demande, au contraire d’en faire état en partie pour l’agrandissement du théâtre. Vous donnerez ainsi satisfaction au travail; vous en donnerez une non moins grande au public, à ce public qui aime le théâtre, et qui ne peut y avoir accès faute de places en rapport avec ses moyens. Ici, messieurs, je vous dois une explication de laquelle découlera la reprise d’une proposition que je vous présentai en son temps, c’est-à-dire lors de la discussion de la subvention théâtrale. Je fus l’adversaire acharné de cette subvention, à tel point que quelques critiques s’étant mépris sans doute sur les motifs de ma protestation, prétendirent et écrivirent même que je n’aimais pas le théâtre. Ils préjugeaient mal, et si j’avais eu quelque goût pour la polémique, si je n’avais craint de les encombrer de ma prose je leur aurais dit, qu’habitué pendant de longues années de l’odorant et confortable « poulailler », j’avais fait là mon éducation théâtrale sans pose, bien entendu, avec les moyens dont je disposai à ce moment. De ce superbe point de vue si bien disposé à la propagation des maladies, fussent-elles pestilentielles, j’ai pu constater que, même avec la subvention, on ne pourrait donner aucune satisfaction au public et, quelle que soit la subvention que vous accordiez, je persiste à penser que nous faisons surtout des mécontents. Un moyen s’offre donc de satisfaire la population limousine : c’est d’agrandir le théâtre de créer un grand nombre de places dites populaires, à un prix abordable pour les familles. Que se passe-t-il en ce moment, vu l’exiguité de notre théâtre ? Une grande partie de la population, désireuse d’assister à une représentation, les familles surtout, se présentent au guichet pour prendre des places et invariablement, on leur répond : « II ne reste plus à prendre que des fauteuils, des loges ou des balcons ». Ce qui prouve, une fois encore, que malgré la subvention, serait-elle décuplée, vous n’accorderiez qu’une faible satisfaction à ce public qui seul en supporte la contribution. Donc l’agrandissement du théâtre s’impose, soit par une transformation partielle, soit par une réédification générale.  Eh bien Messieurs ! Il ne suffit pas de détruire la cage, il faut aussi élever l’oiseau qui doit y chanter. Permettez-moi cette figure peut-être banale, mais qui reproduit bien l’expression de ma pensée. En effet, si pour une scène et une salle comme celles que nous possédons, l’orchestre est suffisant, il n’en sera plus de même lorsque vous aurez un plus grand espace.

Je ne prétends pas que nos artistes soient insuffisants comme valeur, mais ils le seront certainement comme nombre et à part quelques exceptions, il ne vous sera pas permis de composer l’orchestre nouveau avec les seuls artistes que vous posséderez à Limoges. Aussi messieurs, j’émets le vœu que la proposition que je vous soumettais l’an dernier soit mise à l’étude sans délai. C’est, je crois, l’un des moyens les meilleurs de faire revivre à Limoges la musique, cet art si apprécié, et qui cependant paraît bien délaissé. Les causes nous les rechercherons plus tard.

Ces conclusions de l’honorable rapporteur, qui traduisent avec un certain humour non dépourvu de charme l’impression personnelle de M. J.-B. Marquet, seront aussi les nôtres.

Il ne nous déplaît pas de voir un membre de la municipalité, autrefois hostile à la subvention théâtrale, convenir loyalement, après expérience faite, que la population limousine aime le spectacle, même tel que peuvent le lui offrir des directions dont les ressources sont pourtant limitées.

Cela, nous le savions, et c’est ce qui motiva la campagne entreprise par nous, il y a deux ans, en faveur du théâtre, campagne qui eut pour résultat de faire ouvrir des portes fermées depuis trop longtemps, à la grande satisfaction du public en général, et de ceux mêmes ou tout au moins de plusieurs de ceux qui continuent à se dire les adversaires irréductibles de notre scène.

Ces derniers se sont facilement convaincus, en maintes occasions, qu’en dépit des conditions forcément modestes dans lesquelles peuvent avoir lieu les représentions d’opéra-comique ou d’opérette, l’initiative hardie d’un directeur rempli de bonne volonté est heureusement secondée par ceux qu’il prétend intéresser et distraire.

Les salles sont en général bien garnies et les recettes sont assurées.

Voilà pourquoi, à défaut d’une proposition ferme ayant pour objet la reconstruction du théâtre, ce qui entraînerait notre ville à des sacrifices que son budget ne lui permet pas, hélas ! en dépit du « bon état de ses finances », que doit constater tout rapport qui se respecte, — et celui de M. Marquet est de ce nombre. — voilà pourquoi, disons-nous, le projet d’agrandissement du théâtre est de ceux dont, nous voudrions voir la réalisation prochaine.

Nous n’avons pas à développer les motifs nombreux qui militent en sa faveur. M. Marquet les a exposés en bons termes; nous nous bornerons donc, sans nous faire trop d’illusions, d’ailleurs, à joindre nos vœux à ceux du rapporteur, bien inspiré dans la circonstance. »

 

 Salle Berlioz, Rêve de Valse – matinée gratuite – foule (05.11.1911) – Photothèque P. Colmar

 

Quelques travaux sont finalement effectués en 1908 et 1911. Après la construction du Cirque-Théâtre, il devient la salle Berlioz, détruite en 1953 après une longue période de désaffectation.

[1] J.L. Dutreix et J. Jouhaud, Fêtes et spectacles à Limoges à la Belle Epoque 1900 1914, Editions Flânant, 2003, p. 112.
[2] P.  Vayre, « Trois directeurs de l’école de médecine de Limoges. Professeurs de clinique chirurgicale. Anciens internes des hôpitaux de Paris », Annales de chirurgie, Volume 129, n° 1, 2004, p. 52-56.

 

22 Sep

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin, le XIXe siècle, suite (n°6).

Il existe, dans les années 1880, un journal dont le siège est 10 rue des Grandes Pousses à Limoges, Le Limousin littéraire (artistique, scientifique, industriel, agricole & commercial) paraissant le dimanche. Quelques chroniques théâtrales y sont signées par un certain « Nothing », qui nous renseignent parfois sur la programmation, les comédiens et la salle. Ainsi, le 26 septembre 1886, écrit-il : « M. Duriez, le sympathique Directeur de notre théâtre, dont on a pu déjà apprécier les louables efforts, nous revient avec une troupe intelligemment choisie, autant que nous en pouvons juger quant à présent. Nous retrouvons avec satisfaction de vieilles connaissances de l’an dernier, qui ont laissé un excellent souvenir parmi nous : MM. Fontenelle, premier comique, Durnany, comique, et Mme Marie Lermil, ingénuité, que le public limousin sera heureux d’applaudir encore. Nous ne doutons pas que pareil succès ne soit assuré aux autres artistes déjà applaudis sur d’autres scènes. Nous ne pourrions assez féliciter M. Duriez de l’heureux choix qu’il a fait des Danicheff pour l’ouverture de notre saison théâtrale fixée au jeudi 30 courant et nous lui souhaitons de grand cœur tout le succès qu’il mérite. » Les Danicheff est une comédie en quatre actes par Pierre Newski, représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Odéon, le 8 janvier 1876. Le 3 octobre, le critique renchérit : « si le public Limousin a eu lieu d’être satisfait des débuts de la saison théâtrale sur notre scène, M. Duriez, notre sympathique directeur, ne doit pas moins s’estimer heureux du succès qui, dès le premier jour, a couronné ses louables efforts. Les Danicheff, interprétés d’une façon très convenable, ont pleinement satisfait la salle qui était comble, et nous n’hésitons pas à affirmer qu’avec la réduction du prix des places adoptée par la direction, il en sera ainsi tant que M. Duriez saura, comme il nous y a déjà accoutumés, choisir avec discernement les pièces qui conviennent à son public et les acteurs chargés de les interpréter. Hier, comme jeudi, la salle était comble, avec Bigame, pièce en trois actes de P. Billaut et A. Barré[1]. Ce soir, la Salle sera encore trop petite, car tous voudront assister à la représentation brillamment préparée de La Closerie des Genêts, drame en 7 actes[2]. » Le journal dominical nous apprend que l’on joue aussi Victor Hugo à Limoges, en 1886 toujours : « il semble qu’on ne pourra, bientôt, plus dire que les grandes pièces du répertoire des maîtres soient le privilège exclusif des Parisiens; et comme obéissant à un désir de décentralisation artistique dont nous voulons tout d’abord lui adresser nos meilleures félicitations, M. Duriez a eu le louable courage de nous servir l’un des chefs-d’œuvres de Victor Hugo. C’était beaucoup oser que de vouloir présenter sur notre scène et avec les ressources que l’on sait, Ruy-Blas (…) Le bel enchaînement à la fois philosophique et poétique du drame s’est déroulé devant nous d’une très bonne façon et l’importance du sujet avait réellement pénétré nos artistes qui, nous n’hésitons pas à le dire, se sont tous surpassés. »

   

Isle – château Val d’Enraud – Photothèque P. Colmar

 

Le 1er août 1914, alors que la France et le monde vont basculer dans une guerre meurtrière, on lit dans Limoges illustré : « Une nouvelle et dernière représentation de la Comédie-Française au Val-d’Enraud aura lieu le 2 août. Elle comprendra l‘Aventurière, la célèbre comédie en 4 actes d’Emile Augier, une des plus belles du répertoire de la Comédie Française. Mlle Marcelle Gémiat incarnera l’héroïne de la pièce, Dona Clorinde. Ce sont là des attractions hors pair que nous devons à M. Cazautet[3], le distingué et dévoué créateur de notre théâtre de la Nature limogeois. » Les derniers feux, sans doute, de la « Belle époque ».

 

[1] Il s’agit d’un vaudeville de 1886. L’orthographe du nom de l’un des auteurs étant plutôt Bilhaud.

[2] Drame de Frédéric Soulié (1846).

[3] Il dirigea le Cirque-Théâtre municipal.

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin. Le XIXe siècle, suite (5).

 

Marie Colombier contre Sarah Bernhardt, un scandale

 

 

Edouard Manet Portrait de Marie Colombier @ wikipédia

 

Anne Marie Thérèse Colombier est née à Auzances, en Creuse, sur les terres verdoyantes et vallonnées de la Combraille, entre Auvergne et Limousin, le 28 novembre 1844[1]. Fille d’un officier réfugié en France nommé Pablo Martinez, elle rejoint sa mère à Paris à l’âge de sept ans. À quinze ans, elle part pour la Belgique avec le fils de l’artiste lyrique Maria Malibran et prend des leçons d’Art dramatique avec le Directeur du Théâtre de La Monnaie à Bruxelles, Jean-Baptiste Quélus (Adolphe Grognier). De retour en France en 1862, elle entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique dans la classe de Regnier où elle obtient en 1863 un 1er prix de tragédie et un 2ème prix de comédie.

Marie Colombier débute au Théâtre du Châtelet le 26 mars 1864 dans le rôle de Paolo dans La jeunesse du Roi Henri. En 1870, elle est repérée par George Sand qui la fait embaucher pour jouer sa pièce L’Autre dont le rôle principal est tenu par Sarah Bernhardt, au Théâtre de l’Odéon. En 1880, Sarah Bernhardt l’emmène pour une tournée théâtrale de huit mois aux États-Unis et au Canada, qui finit mal, les relations s’étant dégradées au cours des sept mois de vie commune, Sarah ayant refusé de payer ses appointements à Marie au retour. Marie Colombier en tire deux pamphlets : Voyage de Sarah Bernhardt en Amérique en 1881, puis Les Mémoires de Sarah Barnum en 1883. Sylvie Jouanny, dont il faut lire l’ouvrage qui évoque cette affaire et analyse les écrits de la comédienne-femme de lettres, évoque un « réalisme satirique » avec lequel Marie Colombier ridiculise la grande comédienne[2] ;  il s’agit bien de livres à charge. Le scandale est énorme, la presse et quelques hommes de lettres s’en donnent à cœur-joie. Octave Mirbeau, proche de Sarah Bernhardt, provoque en duel le préfacier du livre, Paul Bonnetain, et le blesse légèrement. Sarah Bernhardt entraîne son fils et le poète Jean Richepin dans une expédition punitive pour saccager l’appartement de Marie Colombier, rue de Thann. Dans la presse, cela donne : « Une après-midi froide et brumeuse de la fin de décembre 1883, le quartier aristocratique qui avoisine le parc Monceau était mis en émoi par une rumeur éclatante. Une horde de malfaiteurs, déguisés en gens du monde, s’étaient introduits dans une maison de la rue de Thann, trompant la vigilance du concierge, et, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire (est-ce assez Gaboriau?) avaient saccagé le coquet entresol habité par une actrice bien connue dans le monde artistique et littéraire, Mme Marie Colombier. »

On peut découvrir cela avec intérêt dans l’Affaire Marie Colombier Sarah Bernhardt Pièces à conviction paru en 1884 à Paris. On y lit par exemple aussi ce témoignage de Marie : « Je n’ai jamais fait allusion qu’avec une discrétion absolue à toutes ces blessures intimes. Aujourd’hui, l’on m’accuse de trahir l’amitié, et les moralistes en appellent à l’opinion ; que celle-ci prononce ! Oui, des années, de longues années durant, j’ai été la camarade, la confidente, l’amie dévouée de celle pour qui on me prête aujourd’hui une haine de peau-rouge. Longtemps mon amitié s’est montrée infatigable, comme celle que l’on a pour une sœur d’adoption. Pour Sarah, j’ai lassé mes relations, combattu les hostilités, courtisé la critique, employant sans mesure les amis que m’avait valu le hasard de brillants débuts. A l’époque où l’artiste était discutée, niée, la femme détestée, je l’ai défendue, aidée sans compter, affrontant les quolibets sur ma naïveté, bravant la calomnie. J’ai mis bien du temps à renoncer à cette camaraderie, dont ma simplicité faisait tous les frais, me bouchant les yeux pour ne pas voir qu’on me prenait pour dupe… La question des gros sous ! »

Marie Colombier est condamnée pour « outrage aux bonnes mœurs» en 1884, le livre est retiré de la vente bien qu’il ait déjà connu 92 éditions en France. Elle renonce peu à peu au théâtre et publie plusieurs romans et plusieurs volumes de ses mémoires, avant de disparaître en 1910.

 

[1] Eléments biographiques sur le site wikipédia, qui livre quelques pistes bio-bibliographiques.
[2] L’actrice et ses doubles, Figures et représentations de la femme de spectacle à la fin du XIXe siècle, Droz, 2002.

 

Le 9 novembre 1862, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, annonce qu’on élève, place Fitz-James, une grande baraque sur la façade de laquelle se lit déjà : « Folies parisiennes ». Et plus bas : « Chemin de la Croix. » « Est-ce une épigramme? Pas le moins du monde, car la sublime Folie de la Croix que donne la troupe de M. Bachenet (ainsi se nomme le directeur), est la représentation en tableaux vivants du drame qui a régénéré le vieux monde. Aux tableaux plastiques que figurent les artistes de M. Bachenet, d’après les tableaux de nos grands maîtres, sont joints différents exercices : danses, poses, trapèzes, suspensions éthéréennes , etc., etc. Une belle pantomime, dans le genre de celles de Debureau , terminera chaque soirée. M. Bachenet, l’émule du célèbre funambule, remplit le rôle de Pierrot. Il va sans dire que les Folies parisiennes de la place Fitz-James ne sont pas de celles qui blessent la morale, et que la fille la plus modeste peut sans rougir les montrer à sa maman. »

 

A propos du jeune premier

 

L’autre jour, un monsieur dont les larges épaules

Incommodaient très fort deux ou trois spectateurs,

Se plaignait que quelques acteurs

Sont… Comment dirons-nous?… Un peu mûrs pour

[leurs rôles,

Mûrs, c’est le mot. Il est lâché. Ma foi, tant pis!

Je suis un peu de cet avis,

N’en déplaise à Monsieur Bessière.

Le gros homme, en parlant, troublait la salle entière.

Or, à ce moment,

Justement,

Le débutant nouveau venait d’entrer en scène,

Et, grâce à ce monsieur, on l’entendait a peine.

– D’ailleurs, se trouvaient là bon nombre de gens

[durs

D’oreille. — « Paix ! le diable vous emporte !

Cria quelqu’un, assis tout auprès de la porte.

On n’a pas tous les jours des acteurs de la sorte.

Ce sont des fruits peut-être un peu trop mûrs.

Mais, s’ils ne TOMBENT pas, qu’importe ! »

 

VOX DE TURBA, Le Grelot, Journal hebdomadaire de Limoges, 28 décembre 1862

 

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin… au XIXe siècle, suite (n°4).

Le conseil municipal de Limoges, dans sa séance du 21 février 1835, fixe définitivement la délimitation du terrain concédé pour l’édification d’un théâtre. « Voilà les dimensions du bâtiment : L’ensemble du bâtiment, sur une longueur de 217 pieds en façade, d’un côté sur la place Royale[1], et de l’autre sur la rue Saint-Martial, en alignement du mur de soutènement actuel, aura en largeur sur la partie occidentale 33 pieds, et sur celle orientale 14 pieds. Le théâtre, placé au centre, sur une longueur de 85 pieds, sera flanqué de deux ailes destinées aux constructions particulières. Dans l’une, celle à l’orient, seront : Au rez-de- chaussée, un vaste local pour café, ayant double salle sur la place et la rue, glacière et appartements aux entresols, et quatre grands magasins, ayant également logement aux entresols. Au premier étage, un local destiné au cercle. Ce local sera composé d’une salle de bal de 60 pieds sur 30, desservie par cinq grandes pièces de plain-pied, cabinets de service, vestiaire, etc. ; aux étages supérieurs, appartements particuliers. Dans l’autre aile, celle à l’occident, seront : Au rez-de-chaussée, huit grands magasins, dont quatre sur la place et quatre sur la rue, ayant tous logements aux entresols. Au premier étage et étages supérieurs, appartements particuliers ; Quant à la distribution intérieure de la salle, elle sera ainsi réglée: stalles d’orchestre, parterre assis, baignoires (loges grillées), première galerie, premières loges, loges des secondes, amphithéâtre des secondes, galeries des troisièmes. Les prix de ces différentes places et la séparation des loges par six et quatre places laisseront aux sociétés privées, comme aux familles, la possibilité d’être chez elles quoique au milieu d’un public nombreux. » Les Annales de la Haute-Vienne précisent le 3 juillet 1835 que « des couloirs spacieux et cinq issues, aboutissant à deux rues ou places différentes, facilitent l’entrée et la sortie du public, ce qui est un immense avantage pour les cas trop fréquents d’incendie ou de tumulte au spectacle qui font encombrer les issues par des spectateurs trop pressés de sortir. »

Le théâtre municipal (future salle Berlioz) – Photothèque Paul Colmar

Le 6 décembre 1836, le conseil municipal de la ville (le maire étant Jean-Juge Saint-Martin) précise qu’un théâtre sera construit par l’architecte du département, Boullé – Sechan s’occupant du décor intérieur. Celui-ci est inauguré le 29 mars 1840 et c’est la création de la première troupe sédentaire (les différents directeurs, d’origines diverses, sont souvent accompagnés par une troupe permanente). L’historien Jean-Marc Ferrer, qui a étudié le fonctionnement de ce théâtre, a noté que si l’on y donne des comédies, des tragédies et des drames romantiques, le public semble préférer le lyrique : l’opéra, l’opéra-comique et l’opérette. Le public, irrégulier, est surtout populaire (l’élite ouvrière des typographes et porcelainiers, commis, étudiants et même « lorettes »), la « bonne société » se répartissant les places de premières (deux belles grandes loges étant réservées au maire et au préfet) – la bourgeoisie étant cependant peu assidue. 803 places accueillent les spectateurs parmi lesquels, aussi, des militaires en garnison à Limoges. Les ouvriers fréquentent également les cafés-concerts durant la seconde moitié de l’Empire.

Le chanoine Arbellot indique qu’aux ostensions de 1820 et 1827, la corporation des bouchers donnait un spécimen de la Passion : le Christ portant, sa croix tombait sous les coups des bourreaux : Véronique s’approchait et essuyait avec un linge la face ensanglantée du Sauveur. Aux ostensions de 1849 et de 1854, fut représenté le drame en vers du martyre de sainte Félicité, où figuraient, avec l’empereur romain et l’impératrice, sainte Félicité et ses sept enfants.

Limoges appartenait au 13ème arrondissement théâtral. Deux troupes ambulantes s’y produisaient, à Angoulême, Poitiers, Châtellerault, Loudun, Cognac, Limoges et Tulle. L’ordonnance royale de décembre 1824 régissait l’activité théâtrale et la contrôlait très sévèrement – un contrôle assoupli à partir de 1864.

 

« Depuis longtemps, on voit avec plaisir l’artisan limousin chercher les amusements les moins bruyants et les plus capables de développer son intelligence. Au premier rang nous devons placer l’amour qu’il montre pour le théâtre. C’est avec une sorte de contentement qu’on a vu quelques-uns d’entre eux se réunir en société pour jouer la comédie, et parvenir à la jouer d’une manière très satisfaisante pour des amateurs (…) Nous n’oublierons pas que, si nous ne devons, dans leur salle, rien dire de capable de les décourager, nous leur devons des conseils au dehors ; et c’est pour cela que nous ne saurions trop leur recommander de profiter de leurs moments de loisir pour aller à ce théâtre [municipal], pourvu de plusieurs sujets distingués, y apprendre à jouer encore avec plus d’ensemble, à mieux dire la phrase, à ne pas confondre une sorte de hardiesse avec ce qu’on appelle aplomb dramatiquement parlant, et voir tout ce qui leur manque du côté de la tenue théâtrale.

            Ce serait aussi avec peine que nous les verrions, se jetant dans les pièces à grands fracas, aller déterrer tous ces vieux mélodrames aussi mal digérés que mal pensés et mal écrits, capables enfin de corrompre le goût et de nuire à l’esprit : il existe tant de petites comédies, tant de petits vaudevilles pleins de sel et d’esprit qu’ils trouveront toujours à choisir.

            (…)

            Le conseil que nous donnons ici à nos artisans acteurs, nous nous le permettrons aussi à l’égard de nos acteurs militaires qui ont, de leur côté, établi un théâtre à la caserne.

            (…)

            Nous croyons devoir terminer cet article en rapportant le mieux qu’il nous sera possible les paroles d’un haut fonctionnaire qui a honoré l’un de ces théâtres de sa présence : J’aime à voir, disait cet homme respectable, j’aime à voir les ouvriers se délasser par de tels amusements : cela les détourne de ces jouissances grossières capables de nuire à leur santé et à leur intelligence ; et d’ailleurs ce sont des plaisirs desquels au moins leurs femmes et leurs jeunes enfants peuvent profiter. »

            Annales de la Haute-Vienne, Journal administratif, politique, littéraire, commercial et agronomique, Feuille d’annonces et avis divers, vendredi 6 mars 1835.

 

En 1837, dans L’Arédien, journal littéraire et d’annonces de Saint-Yriex-La-Perche, on peut lire qu’il « a rempli ses engagements avec le passé, il est en mesure pour l’avenir. Mais ce n’était pas assez pour lui d’avoir ouvert une arène où pussent lutter les talents faits avec ceux qui ne demandaient qu’à naître. A côté des fruits du sol natal, il fallait mettre les riches productions du pays fertile par excellence, de cette terre promise où coulent tant de ruisseaux de lait et de miel ; l’ARÉDIEN en ne voulant plus que sa patrie fut traitée en paria de l’intelligence , n’a pas prétendu secouer le joug de la métropole où trônent les maîtres ; il a senti au contraire le besoin de se rapprocher d’eux, afin d’être réchauffé et vivifié par les rayons de leur gloire… » A côté des « récits qui charmeront, mais qui ne pourraient remplir les longues soirées d’hiver », il annonce « une suite de proverbes, artillerie légère dont la marche vive et le feu roulant, viendront égayer, on nous l’a promis de Paris, les réunions de nos jeunes filles, maintenant que la danse a cessé d’être une frénésie, et ne se mêle plus que dans une proportion raisonnable à des plaisirs plus vrais. Les auteurs de ces petits drames, choisiront autant que possible des données qui permettent, après une lecture amusante, de doubler la jouissance, par une représentation dont un parevant fera tous les frais. »

Alain Corbin a analysé l’activité théâtrale[2], notant que « de la fin de la Monarchie de Juillet jusqu’au triomphe de la IIIème République, l’activité théâtrale connut dans la région des fortunes diverses mais jamais elle ne fut très prospère. » A Guéret (salle de 470 spectateurs) et Aubusson (« théâtre exigu et défectueux » de 360 places), ce n’est guère brillant non plus, les troupes ne connaissant jamais un grand succès ni en Creuse ni en Corrèze. A Saint-Léonard et Rochechouart, en Haute-Vienne, des cafetiers possèdent deux salles (la première de 280 places). Dans la région de Bellac, les artistes de passage se produisent dans les salles de mairie ou de café. « Le personnel des troupes itinérantes est assez misérable, il se compose de six ou sept acteurs des deux sexes ; les directeurs eux-mêmes ne possèdent le plus souvent que peu de fortune ; il s’agit généralement d’anciens acteurs ou d’anciens régisseurs de théâtres parisiens (…) Les salaires sont très bas ; en fait les seuls directeurs qui réussissent à subsister sont ceux qui utilisent les membres de leur famille. » A Limoges, toutefois, les acteurs sont plus nombreux et mieux payés. D’une manière générale, le public des salles limousines est populaire, issue de la classe ouvrière – et c’est le lyrique que préfèrent les spectateurs. Alain Corbin cite un rapport du Conseil municipal de Limoges (1860) observant que le vaudeville, la comédie et le drame laissent le public complètement indifférent. Le répertoire présenté s’en ressent : si la programmation lyrique est de qualité, les pièces classiques ne sont pratiquement jamais jouées à Limoges. Le maire de Guéret écrit en 1861 que « la bourgeoisie boudera encore plus les salles régionales lorsque le chemin de fer permettra de se rendre rapidement dans la capitale. »

L’historien a également étudié le catalogue de l’année 1870 de la Bibliothèque populaire de Limoges. Il comprend 32 œuvres théâtrales de Corneille, Molière, Racine, Ponsard, Voltaire, Diderot, Beaumarchais, E. Augier, C. Delavigne, V. Hugo et Scribe. Selon ses recherches, la Bibliothèque est fréquentée par environ 200 lecteurs mais le théâtre ne semble pas faire partie de leur lecture préférée. Il évoque encore l’apparition progressive d’autres bibliothèques en Limousin, mais ce n’est pas le théâtre qui prime pour ceux qui les fréquentent.

[1] Actuelle place de la République.
[2] Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, PULIM, 2 000, p.p. 409-417.

15 Sep

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin… De l’Ancien Régime au XIXème siècle (3)

En 1743 à Limoges, un théâtre était installé dans une ancienne et vaste écurie près de la porte Montmailler. L’année suivante, des représentations étaient données dans une salle de l’hôtel de ville. Dès cette époque, Limoges est fréquemment visitée par des troupes bien organisées, ayant à leur tête un directeur et transportant avec elles des décors, des costumes et autres accessoires. Ces troupes, auxquelles le local était fourni gratuitement, se chargeaient de tous les frais qu’exigeaient les représentations et bénéficiaient du produit intégral des entrées1.

En 1772, on a trace d’un projet avorté (faute de moyens) de construction d’une salle de spectacle par Turgot. La troupe de Cizos de Guèrin, séjourne à Limoges de mai à fin juillet 1781 et obtient un véritable succès. A. Fray-Fournier indique que l’intendant Turgot lui-même ne dédaigne pas assister aux représentations, tout en se tenant au courant de ce qui se joue à Paris. Ainsi écrit-il à son ami Condorcet, en 1774 : « Je suis fâché et vraiment surpris du mauvais succès de Sophonisbe. La pièce2 est, en général, très bien écrite et je n’y vois point ces familiarités qui ont fait rire le parterre et que M. de la Harpe doit, dites-vous, retrancher. Je n’y vois pas, non plus, de longueurs sensibles et le cinquième acte me paraît terrible et de la plus grande beauté. Je l’avais même vu représenter à Limoges par des acteurs très médiocres, à l’exception de celui qui jouait Massinissa, et le cinquième acte avait fait sur moi un grand effet. » Les spectacles de théâtre sont assez nombreux, comme l’assistance, mais la vieille Maison du Consulat ne semble plus très propice à leur accueil.

1 Certaines des informations de ce chapitre proviennent d’A. Fray-Fournier, « Le théâtre à Limoges avant, pendant et après la Révolution », articles dans Limoges-illustré parus en 1900.
2 Ecrite par Jean Mairet, revue par J.-F. de la Harpe au Théâtre-Français en janvier 1774.

En 1775, un nommé Besse aménage un local (de jeu de paume) rue Banc-Léger en vue de représentations scéniques. On y voit des comédies, des tragédies, des opéras bouffons, des drames lyriques, des pantomimes et des ballets. La Feuille hebdomadaire de la Généralité de Limoges, dont le bureau se trouve à côté de la nouvelle salle de la Comédie, chez le sieur Chambon1, vis-à-vis les Ursulines2, imprimée par Pierre Chapoulaud, place des Bancs, donne une idée des représentations données. Ainsi, si l’on ne prend que la période allant de mai à septembre 1775, on peut lire précisément la programmation3 de « cette nouvelle troupe » dirigée par un certain sieur Laurent4: le Bourru Bienfaisant, de Carlo Goldoni (quatre ans après sa création à la Comédie-Française, suivi des Deux avares, opéra-comique d’André Grétry ; Beverlay, drame en cinq actes, par Bernard-Joseph Saurin, poète dramatique, suivi des Deux chasseurs et la laitière de Louis Anseaume ; Les Amants généreux de Rochon de Chabannes. « Nous dirons, à la satisfaction du Public & à la gloire des Acteurs, que ces deux pièces ont été supérieurement rendues. Les bornes de notre Feuille ne nous permettent pas d’apprécier les talens particuliers de cette Troupe, les Amateurs en son contens, & jamais Limoges n’avoit été si bien monté en Comédiens. On donne aujourd’hui les Fausses infidélités, Comédie en un acte, suivie de Tom-Jones. » On représente Le Glorieux, de Philippe Néricault Destouches, suivi de Nanette et Lucas (ou La Paysanne curieuse), de Nicolas-Etienne Framery. Samedi, l’Orphelin Anglais, de Charles Henri de Longueil –représenté pour la première fois par les Comédiens ordinaires du Roi, le mercredi 26 février 1769 – suivi du Sorcier, opéra-comique de Poinsinet. Le Dépit Amoureux, comédie en cinq actes et en vers de Molière, suivi du Roi et son Fermier, opéra-comique en 3 actes de Michel-Jean Sedaine. On donne le Tartuffe, créé six ans plus tôt par Molière sur la scène du Théâtre du Palais-Royal, suivi de l’opéra-comique d’ André Grétry, Sylvain. « Mlle Loizeau, qui joue ordinairement dans les Opéras, remplit Dimanche un rôle dans le Dépit Amoureux. Nous ne sommes ici que les échos du public éclairé, & nous osons dire avec raison, que lorsque cette Actrice paroît sur la scene, la reconnoissance publique se manifeste avec éclat. Des manières aisées, un jeu vif le naturel, la voix la plus flexible & la plus douce, sont véritablement les traits qui caractérisent Mlle Loizeau. Le Directeur de cette Troupe, toujours occupé de plaire au Public, se dispose de donner incessamment Zemire & Azor5, orné de tout son spectacle, &

1 Chambon ouvre aussi un cabinet de lecture.
2 La construction des bâtiments, vers le bas de la rue de la Boucherie, fut commencée en 1627. Le couvent fut détruit par l’incendie du 6 septembre 1790.
3 La Feuille n’indique pratiquement jamais le nom des auteurs, c’est moi qui les donne.
4 Fin juin 1775, il se casse le talon d’Achille, en dansant dans l’opéra-ballet Zémire et Azor et doit demeurer alité trois semaines.
5 Un opéra-ballet en quatre actes d’André Grétry, livret du corrézien Jean-François Marmontel, créé devant la cour à Fontainebleau, le 9 novembre 1771.

de tous ses changemens de décorations. » « On a représenté, Mercredi, sur le Théâtre de Limoges , la Comédie du Tartuffe , suivie de Sylvain. Dans cette dernière pièce, le plus jeune des enfans du sieur Laurent, Directeur de la Troupe, a merveilleusement rempli le rôle de Lucette. En excitant l’admiration du Public éclairé, elle a su réunir aux charmes de la jeunesse les grâces de la diction. Nous ne craignons pas d’ajouter que quand on fait des prodiges dans un âge aussi tendre, on ne peut manquer dans la suite, de réunir tous les suffrages. »

« On a donné, Samedi, une première représentation de Zémire & Azor. jamais les Acteurs et les Actrices n’avoient développé leurs talens avec tant d’avantage. On n’avoit jamais entendu une musique plus harmonieuse ni plus expressive. Aussi l’Assemblée était- elle nombreuse, & le Spectacle brillant. On a représenté, Dimanche, le Mercure Galant1, suivi du Milicien, opéra-comique de Louis Anseaume. « Cette Pièce a été très bien rendue. On donnera demain Turquaret2, suivi du Cadi dupé, [un opéra-comique en un acte que Gluck composa sur un livret français de Pierre-René Lemonnier (1761)]. L’art avec lequel Mlle Loiseau ménage sa voix, & l’agrément qu’elle prête à tout ce qu’elle exprime, lui ont sans doute mérité l’hommage qui suit : [suit un poème où figure le vers :] « L’Oiseau devient une jeune beauté. » On représente Le Huron, de Voltaire, précédé du Médecin malgré lui de Molière. On donne L’Écossaise, de Voltaire, suivie d’Annette et Lubin de Marmontel, Le Diable à quatre, opéra-comique de Michel-Jean Sedaine. « On donnera, Mercredi, les Jeux d’amour & du hasard, Comédie en trois actes de Marivaux. Une actrice nouvelle débutera, dans cette Pièce, par le rôle de Silvia. Cette Comédie sera suivie de la Gageure, petite Pièce en un acte, dans laquelle la nouvelle Actrice jouera le rôle de la Marquise de Clainville. On a remis à Jeudi le grand Spectacle de la Fée Urgelle : le Directeur de la Troupe s’étoit proposé de satisfaire plutôt l’attente du public; mais les différentes décorations dont cette Pièce est susceptible, & qu’il a voulu rendre parfaites, ont mis des bornes à son empressement. Une nouvelle Pièce de Méchanique, digne de l’attention des connoisseurs, terminera le dernier acte. » On ne répugne pas de jouer Pourceaugnac, de Molière, suivie de l’opéra-comique d’ Audinot et Quétant Le Tonnelier. L’Ecole des Femmes, la comédie de Molière, est jouée, suivie de Sylvain. « On a représenté, Mercredi, sur le Théâtre de Limoges, La Feinte par Amour3, suivie du Maréchal4. Jeudi, Les Fourberies de Scapin5, comédie, suivie du Soldat

1 Cette pièce d’Edme Boursault fut créée le 5 mars 1683 et met en scène une galerie de personnages ridicules voulant à tout prix faire publier des informations à leur sujet dans Le Mercure galant.
2 Turcaret ou le Financier est une comédie en cinq actes en prose de Lesage représentée pour la première fois à la Comédie-Française le 14 février 1709.
3 Comédie de Claude-Joseph Dorat (1734-1780).
4 Il s’agit sans doute du Maréchal ferrant, opéra-comique de Quétant en 2 actes représenté sur le théâtre de l’Opéra-Comique de la Comédie Italienne et à la Cour en 1765.
5 de Molière, créée au théâtre du Palais-Royal à Paris le 24 mai 1671.

Magicien1. Dimanche Ninette à la Cour, ou le Caprice amoureux2, Comédie, précédée du Devin du Village3. Demain la Métromanie4. »

Et ainsi de suite… On note d’ailleurs que les représentations se poursuivent en juillet et en août. Une programmation variée, on le voit, alternant théâtre (surtout des comédies, mais avec quelques auteurs des Lumières comme Marmontel, Rousseau, Voltaire…) et opéra-comique. Pour celui-ci, les scènes chantées alternant avec des dialogues parlés – avec des apartés au public –, pas étonnant que les comédiens y trouvent leur place.

En 1780, de jeunes gens amateurs de théâtre décident de monter sur les planches et obtiennent le succès, avec, par exemple, le Tartuffe ; ils ne convient toutefois que la « bonne société » à leurs représentations. A. Fray-Fournier précise : « M. Roulhac du Cluzeau, que nous voyons tenir ici l’emploi de régisseur, fut souvent chargé des intermèdes. C’était un agréable causeur, d’une verve spirituelle; littérateur élégant, il faisait des petits vers, des couplets, des romances, des impromptus; on le rencontrait au foyer, dans les coulisses, badinant, folâtrant, mais à petit bruit, en sourdine, ainsi qu’il seyait à un procureur du roi au bureau des finances. »

Au début de 1784, une (autre ?) société d’amateurs présente une pièce de théâtre jouée par des membres de la bonne société limougeaude, parmi lesquelles des femmes. Le clergé s’en émeut mais il est accusé de fanatisme. On songe alors à la création d’une salle (par exemple au Collège royal), mais les avis divergent : y accueillir seulement théâtre et concerts ou envisager aussi un restaurant-brasserie, des salles de jeux, une bibliothèque. Finalement, rien n’aboutit.

Au mois de décembre 1784, on trouve aussi un groupe d’artistes se qualifiant « comédiens du roi » qui furent très appréciés. Parfois, des comédiens en renom, comme Fleuri et Larive, quittent les théâtres de Paris et viennent tenir, durant quelques semaines, les premiers rôles. Selon A. Fray-Fournier, « ce fut ainsi que le public limousin connut la comédie de mœurs de Regnard, Dancourt, Dufresny, Gresset, Piron; le drame bourgeois, réformateur et révolutionnaire, de Diderot, Beaumarchais, Saurin; la comédie satirique de Palissot et de Voltaire, c’est-à-dire tous les genres, toutes les formes de l’art dramatique moderne. » Le public qui peut payer le prix des représentations est aristocrate et bourgeois (le

1 Opéra-comique d’Anseaume, 1760.
2 Une comédie en trois actes et en vers, mêlée d’ariettes, de Charles-Simon Favart, représentée pour la première fois le 12 février 1755 au Théâtre-Italien.
3 Intermède (petit opéra) en un acte de Jean-Jacques Rousseau (paroles et musique), représenté le 18 octobre 1752 au château de Fontainebleau devant Louis XV et la cour.
4 Comédie en 5 actes et en vers d’Alexis Piron écrite en 1736 au château du Raincy, domaine du marquis de Livry.

peuple parle des gens « du bel air »). Juge de Saint-Martin écrit : « Le théâtre est devenu, pour la plupart de nous, un besoin; c’est le rendez-vous des gens d’affaires d’un côté, des gens de loisir de l’autre. »

Sa salle étant détruite par un incendie en 1790, Besse achète le couvent des Récollets Saint-François et y établit, dans l’église, un théâtre de 525 places. Notons que pendant la Révolution, le goût pour la théâtralisation s’empare de la rue et les fêtes civiques se multiplient. La Société Populaire fait jouer des pièces à sujets militaires et patriotiques. Toutefois, au mois de mars 1790, la police municipale de Limoges s’oppose à la représentation d’une pièce intitulée la Prise de la Bastille. Le 13 brumaire an 2 (13 novembre 1793), une citoyenne fait, à la tribune du club, la motion d’établir un théâtre où, chaque jour de décadi, la société populaire donnerait au peuple des pièces républicaines, aux frais des aristocrates. Un comité de direction est constitué : Michelin, directeur; Thévenin, vice-directeur; Recoquillé, adjoint; Guibert, trésorier; Devarnet, secrétaire. On utilise la salle de Besse, éclairée par des lustres réquisitionnés à l’Hôtel particulier de Naurissart, directeur de la Monnaie émigré. On alterne représentations gratuites pour les artisans, journaliers, cultivateurs et représentations payantes. Pour l’ouverture, on joue Brutus de Voltaire et L’épreuve villageoise, paroles de Desforges et musique de Grétry. Le Comité révolutionnaire de Limoges surveille attentivement la programmation. Ce fut ensuite le trouble littérateur Guillaume Imbert de Boudeau qui s’en chargea1.

En 1799, la ville de Limoges prend la salle Besse en location – en 1802, la troupe est dirigée par Hébert, à qui succède Nortier Duberneuil puis Mademoiselle Zelmer et Monsieur Beauval. En 1803, Mlle Sainval, tragédienne de la Comédie-Française, donne une série de représentations.

En 1807, les départements de la Haute-Vienne, Corrèze, Dordogne, Charente et de la Vienne forment le 9ème arrondissement théâtral de France. En juillet, Madame et Monsieur François-Joseph Talma, comédiens de l’empereur, fort réputés, se produisent à Limoges. Voici le récit de leur visite par A. Fray-Fournier : « Ils séjournèrent à Limoges du 8 au 19 juillet et donnèrent sept représentations. Pour leurs débuts, ils jouèrent dans Abufar ou la famille arabe, tragédie de Ducis, et l’Acte de naissance. Successivement, ils parurent dans Bayard, tragédie de De Belloy, Andromaque et Iphigénie en Aulide, de Racine. Les trois dernières représentations furent ainsi composées : jeudi 16 juillet, Manlius Capitolinus, tragédie de M. de Lafosse, la fausse Agnès, comédie en trois actes, de Destouches; samedi 18 juillet, Hamlet, tragédie de Ducis; dimanche 19 juillet, Britannicus et la Femme juge et partie,

1 L. Bourdelas, dans Le Noyé des bords de Vienne, Editions Mon Limousin, 2019, en propose un portrait romancé.

comédie en 5 actes, de Montfleury. Est-il besoin d’ajouter que toute la haute société se rendit, chaque fois, à la salle de spectacle? Jamais on ne vit une telle affluence et une assistance aussi choisie. Jamais succès ne fut plus grand, mais aussi jamais on ne déploya autant de talent que le firent les deux grands artistes. L’enthousiasme fut porté jusqu’au délire et, à la dernière représentation, après que Talma et sa femme eurent très gracieusement répondu aux rappels du public, les comédiens qui les avaient secondés se groupèrent autour d’eux sur la scène et leur offrirent des couronnes. La Loge maçonnique fit fête à Talma (qui était de la loge « L’Union », à Paris – NdA) et l’un de ses membres, « l’Ermite de Montjovis », lui adressa des vers d’un lyrisme extravagant ».

Le 11 avril 1807, pour la saison d’été, on annonce que la salle de spectacle, rénovée, sera éclairée « en quinquets » (lampes à huile ou à pétrole). Ce qui rappelle une description de Stendhal : « L’opéra finit, la toile tombe, les spectateurs s’en vont, le lustre s’élève, on éteint les quinquets. L’odeur de lampe mal éteinte remplit la salle. »1

En 1813, dans un courrier au maire, le préfet écrit : « les spectacles sont nécessaires pour occuper les oisifs, imposer le goût des Beaux-Arts et de l’instruction, et surtout pour épurer et l’accent et la langue dans les pays où l’on parle un idiome corrompu ».

Le 1er août 1811, au Théâtre des Variétés (boulevard Montmartre) à Paris est joué Les Sabines de Limoges ou l’Enlèvement singulier, de Oury et Henri Simon, vaudeville héroïque en un acte, imitation burlesque de l’enlèvement des Sabines2.

En décembre 1817, nous apprennent les Annales de la Haute-Vienne, l’administration du théâtre de Limoges, « jalouse de mériter la protection que lui accordent les autorités de cette ville, ainsi que la bienveillance de ses habitants, n’a cru pouvoir leur témoigner la reconnaissance dont elle est pénétrée, qu’en redoublant de zèle pour obtenir la continuation de leurs suffrages. En conséquence, les artistes-sociétaires viennent d’engager mademoiselle Georges, première tragédienne du théâtre français, pour donner quelques représentations Mais les frais extraordinaires que nécessite son séjour en cette ville obligent l’entreprise à augmenter la prix des places, et à porter celui des premières à 3 f. 30, celui des secondes à 1 f. 80 , et celui du parterre à 1 f. 20. Mademoiselle Georges débutera le vendredi 26 décembre par le rôle de Mérope dans la tragédie de ce nom. » En janvier 1818, le même journal s’enthousiasme : « Chacune des représentations données par mademoiselle Georges, a été un triomphe pour elle ; l’enthousiasme qu’elle avait excité en jouant les rôles de Mérope, de Phèdre, dans les tragédies de ce nom, et d’Idamée dans L’Orphelin de la Chine, s’est accru

1 De l’Amour, 1822.
2 http://www.bn-limousin.fr/items/show/2969#

aux représentations suivantes. En effet, il est impossible d’exprimer avec plus de vérité dans l’accent, le geste et le jeu de physionomie les passions violentes de Cléopâtre dans Rodogune; l’amour d’Aménaïde pour Tancrède, et la tendresse maternelle de Clytemnestre pour Iphigénie. »

En octobre 1828, les Annales de la Haute-Vienne se réjouissent de l’augmentation des tournées en province : « C’était autrefois pour les villes du deuxième ou troisième ordre, une bonne fortune, mais bien rare, bien prônée d’avance et achetée au prix d’une longue attente, que la présence de quelque acteur distingué de la capitale. Les théâtres de Paris avaient des prétentions ridiculement exclusives sur les talents qu’ils avaient formés. Ils ne devaient briller nulle part ailleurs : et soit que ce fût un calcul d’intérêt de la part de l’administration, ou une susceptibilité d’amour propre de celle des artistes, ils voyageaient beaucoup moins qu’aujourd’hui. De nos jours les choses s’arrangent un peu mieux : un congé pour parcourir la province est un article essentiel de l’engagement des premiers sujets : et la province reconnaissante des soins qu’on prend de ses plaisirs, ne se montre avare ni de couronnes ni de ces marques d’approbation plus utiles que les couronnes. »

 

A suivre …

19 Fév

Notes pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin, les temps anciens (2)

Doit-on remonter jusqu’à l’Antiquité dans un ouvrage sur le théâtre en Limousin ? Peut-être se souvenir que dans la ville gallo-romaine d’Augustoritum, deux monuments d’envergure étaient destinés aux divertissements. D’abord le grand amphithéâtre, au nord-ouest de la ville, visible de loin par les voyageurs. Il pouvait accueillir environ 25 000 spectateurs assis, ce qui le classerait au 4ème rang en Gaule. On ne sait malheureusement rien de précis sur les spectacles et les fêtes qui s’y déroulaient. Les archéologues ont néanmoins trouvé certains objets où sont représentés un lion, des gladiateurs. De l’autre côté de la ville, au débouché du pont et à l’entrée du cardo maximus, se situait le théâtre antique, d’un diamètre d’au moins 82 mètres. On imagine la population venant y applaudir l’atellane (courte farce), le mime ou la pantomime, la fabula.

Mais c’est au Moyen Âge, aux abords de la magnifique et active abbaye Saint-Martial de Limoges que se développe le théâtre. Ainsi a-t-on mention, en mai 1290 et juin 1302, de représentations de miracles dans le cimetière, près de la croix en pierre – les auteurs étant cadurciens. Il y a surtout les mentions du Sponsus ou Mystère des vierges sages et des vierges folles, drame liturgique anonyme bilingue (40 vers en occitan, 47 vers en latin) du XIème siècle qui provient de l’abbaye Saint-Martial de Limoges. Il semblerait que ce soit la première manifestation de la dramaturgie en langue vernaculaire. Le texte, s’inspirant de la parabole des vierges sages et des vierges folles (Evangile de Matthieu, XXV, 1-13), est composé de strophes de types variés, avec ou sans refrain, accompagnées d’un jeu de mélodies. Il montre les habitudes du milieu aquitain, partagé entre monde latin et monde occitan. Nadine Henrard a mené l’enquête à propos de ce spectacle inspiré de la parabole des dix vierges qui exhorte à la vigilance dans l’attente du Jugement ; elle note qu’il est « hasardeux » d’affirmer que le Sponsus a été représenté dans l’église, lors d’un office. Dans le drame, ce sont les mercatores (les marchands) qui s’expriment en langue vulgaire ; par ailleurs, « le Sponsus offre également la première diablerie du répertoire […] Cette intervention des diables suppose une forme de mise en scène et elle impliquait probablement l’utilisation d’un décor adéquat. » Après avoir été « redécouvert », le mystère fut interprété le 26 avril 1984 en l’église Saint-Michel-des-Lions de Limoges par l’ensemble Organum et ce fut une grande émotion pour tous les spectateurs.

Selon le chanoine Arbellot, « à l’époque de la Renaissance, le goût des représentations théâtrales se répandit en Limousin. Mais alors on ne représentait sur la scène que des sujets religieux, choisis presque toujours dans l’Évangile et la Bible ou dans la vie des saints. C’étaient des sermons mis en action, dont les formes dramatiques intéressaient vivement le peuple, toujours avide d’émotions et de spectacles. A Limoges en particulier et à Saint-Junien on s’intéressait vivement à ces pieuses représentations, et quelquefois, surtout dans le principe, les chanoines des deux collégiales de Saint-Martial et de Saint-Junien figuraient parmi les acteurs. Ces représentations avaient lieu surtout aux années d’ostension, où une foule immense d’étrangers accourait pour vénérer les saintes reliques. »[1] Il indique encore qu’en 1521, on permit aux chanoines de Saint-Junien d’aller à Limoges pour voir jouer le mystère de la passion, « il y avoit plusieurs années, dit le P. Bonaventure, qu’on avoit pris la coutume à Limoges de représenter sur des théâtres, sous les arbres de Saint-Martial, des histoires saintes qui excitoient le peuple à dévotion. Or cette année I521, le 2e dimanche d’aoust, 11e jour du mois on commença à représenter en figure le Mystère de la passion de Noire-Seigneur Jésus-Christ, avec solennité et magnificence, durant les fêles jusqu’au second dimanche de septembre. Le sieur Fouschery, chanoine de Saint-Estienne, qui y assista, assure que les vestements, joyaux et autres choses nécessaires à ces Actes furent si riches et si précieuses, que plusieurs Parisiens, Poitevins, Xaintongeois, Tolosains, Lyonnois et autres qui en furent les spectateurs, seigneurs, nobles, hommes et femmes confessoient unanimement qu’on n’avoit jamais vu rien de plus magnifique. Maitre Antoine de la Chassaigne, Limosin, recteur de Villeréal, licencié endroit, homme docte et dévot, représenta en ce Mystère la personne du Sauveur avec grande piété et humilité. » Ces représentations durèrent 22 jours. En 1539, c’est un libraire (bibliopola), nommé Claude Cheyrou, qui demanda au chapitre de Saint-Martial l’autorisation de faire représenter une pièce inspirée par le fils prodigue dans le cimetière (devenu plus tard la place de Dessous les Arbres). Toujours selon le chanoine Arbellot, en 1540 (année d’ostension), des représentations théâtrales eurent lieu à Limoges et à Saint-Junien, évoquant l’Assomption de la Sainte-Vierge et la Passion de Jésus-Christ. Mais la représentation de Jacob, à Limoges, donna lieu à divers incidents que rapporte le P. Bonaventure, qui empêchèrent de jouer le mystère de Job, qu’on avait préparé. « L’an 1540, dit cet annaliste, le 28 d’avril on fit l’ostention du chef de saint Martial et des autres saints du Limosin. Elle dura jusqu’au pénultième[2] jour de may, et tout ce temps fut fort doux et serein. Ceux qui avoient coutume chaque année de représenter sur le théâtre quelque histoire sainte pour réjouir le peuple et l’exciter à dévotion commencèrent leur jeu sur celle de Jacob, sous les arbres, au jour de la pentecôte, quoy que le peuple y répugnât (à mon avis, à cause de la solennité de ce jour, qui exigeoit l’assistance aux divins offices). Cependant le temps se changea, les tonnerres grondoient dans l’air, et le peuple courut à Saint-Pierre pour sonner les cloches et dissiper cet orage. Le lieutenant criminel et le juge de la ville allèrent pour faire cesser celte sonnerie, ce que le peuple ne voulut faire. Le samedy après, on représenta cet acte, et on acheva tout au sarmedy suivant. Il y eut grand tonnerre le mardy prochain, et il tomba une gresle si furieuse, que des trois quarts des vignes, les deux en furent frappées, et devinrent sans feuilles comme à Noël quoy qu’elles fussent bien avancées ; et dans quelques paroisses les herbages furent aussi fracassés par cette tempeste, qui dura dix jours, et à diverses reprises, gâtant tantôt une paroisse, tantôt une autre du Limosin; et on oyoit les diables heurler en l’air comme autheurs de ce ravage. En la paroisse des Eglises tomba une pierre plus grosse qu’un baril, et entra dans la terre à la profondeur de deux aulnes, laquelle on tira avec des barres de fer : il y eut d’autres pierres de gresle de la grosseur des oeufs. La populace, croyant que ces représentations susdites estoient la cause de ces malheurs, empêchèrent ces acteurs de jouer l’Histoire de Job, qu’ils avoient préparé. »

Les choses se passèrent avec plus de calme à Saint-Junien. En 1540, le Chapitre de Saint-Junien permit à deux chanoines de représenter le mystère de l’Assomption de la sainte Vierge. « Au mois de mai de cette année, on exempta de l’assistance au chœur ceux qui voulurent représenter le mystère de la Passion. » L’affluence des étrangers qui vinrent à l’ostension des reliques devait rendre ces représentations plus brillantes ou du moins plus nombreuses.

A l’ostension suivante (1547), poursuit le chanoine, il n’y eut pas de représentation à cause de la peste, qui fit périr à Limoges et aux environs six à sept mille personnes, comme nous le voyons par le passage suivant des Registres consulaires : « En l’an mil cinq cens quarante sept, tant en l’an précédent que durant ledict temps, moururent en ladicte ville, faulx bourgs, cité et autres lieux adjacents, le nombre de six à sept mille personnes, desquelz Dieu veuille avoir les âmes. »

Le 25 juillet 1596, la Tragédie de Monsieur Saint Jacques, de l’avocat Bernard Bardon de Brun, est représentée à Limoges par les confrères pèlerins du saint. La pièce, inspirée de la Légende de saint Jacques par Jacques de Voragine est une œuvre de la reconquête catholique : elle dénonce les huguenots et exalte le catholicisme d’inspiration hispanique qui avait les faveurs des ligueurs.

En Creuse

Amédée Carriat, dans son Dictionnaire des auteurs creusois, imagine que La Souterraine fut à l’époque médiévale un lieu de représentation de miracles et de mystères mais il précise qu’aucun document ne l’atteste. « Les siècles suivants sont à peine moins laconiques : passage d’un certain Muguet à Guéret en 1601, de la troupe de La Chappe à La Souterraine en 1612, du comédien-archéologue Beaumesnil à Aubusson en 1747 et à Guéret en 1770 ; représentation, par des amateurs, du Légataire universel à Jarnages en 1770. A Guéret, l’ancienne chapelle des Pénitents de la place Vacillas devient, en 1798, « Salle de la Comédie » puis cède la place à un Théâtre municipal (1837-39 : architectes Boullé et Fabre ; Aubusson n’aura le sien qu’en 1935). Aucun renseignement notable sur les troupes locales ou de passage qui s’y produisent. »

A suivre…

[1] Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques. Section d’histoire et de philologie, 1893 (N2), p.-p. 236-240.

[2] Avant-dernier.