27 Août

Histoire de La Jonchère et de son arboretum (11)

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De la fin du XIXe siècle à la Seconde Guerre mondiale

Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, deux habitants de La Jonchère, incorporé dans le 71e mobiles, trouvent la mort : Selin Blaise, âgé de 24 ans – mort sans doute de ses blessures, puisqu’à Limoges – et Léonard Valade, 22 ans.[1] En 14-18, quarante-cinq « morts pour la France » ont leur décès transcrit à La Jonchère dont trente natifs de la commune[2]. Un monument aux morts leur rend hommage place de l’Eglise, une colonne surmontée d’un coq en fonte (fondeur : Durenne). L’ouvroir du Queyroix est transformé par ses propriétaires en hôpital militaire bénévole (d’origine privée) n° 14 bis, du 10 août 1914 au 1er avril 1919, avec 26 lits et une unité de chirurgie de la cavité buccale[3]. En effet, face à l’afflux de blessés dès le début de la guerre, les hôpitaux permanents, militaires ou civils, sont rapidement saturés et des établissements temporaires ouvrent sur tout le territoire pour fournir des lits supplémentaires. A proximité de La Jonchère, un hôpital bénévole existait aussi à Ambazac.

Au début du siècle, passant par La Jonchère, Ardouin-Dumazet observe : « Que de débits d’alcool et de vins ! Presque chaque maison en a un, portant comme inscription le mot buvette. (…) Quincaillers, épiciers, boulangers, charcutiers, ont tous ce mot fatidique : en lettres d’or, peint, même écrit à la craie. Il y en a plus de quarante. »[4] Comme le note l’historien Michel Kiener, « les gens de bien » peuvent déplorer les « dépenses futiles au café », mais il s’agit aussi d’un lieu de sociabilité important, notamment pour les paysans venus au bourg.

Le 16 novembre 1910, dans ses « Variétés », Le Courrier du Centre publie un petit article où il est dit que le bourg est « assez terne aujourd’hui (…) Sous l’influence de M.M. de Léobardy, de grands progrès agricoles se sont réalisés et se réalisent tous les jours à La Jonchère (…) Le développement du réseau d’Orléans et la création d’une station non loin (…) ont surtout contribué au relèvement économique de La Jonchère, en facilitant l’écoulement des produits du pays : grains, denrées, bois, terre à porcelaine, plants d’arbres (…) La Jonchère est appelée à un agrandissement appréciable – commencé déjà – ayant pour causes le voisinage de cette localité par rapport à Limoges et le mouvement très en progrès, qui met journellement en rapport les Limogeois (sic) et les habitants de La Jonchère. » A-t-il raison ? Observons les chiffres de la population : en 1790, 533 habitants ; en 1861 : 682 ; en 1876 : 1173 ; en 1891 : 1407 ; en 1906 : 1343 ; en 1921 : 1195 ; en 1946 : 1149 ; en 1968 : 990 ; en 1975 : 975.[5]

Dans les années 1920, la description faite par H. Pailler évoque huit fontaines et quatre lavoirs publics ; une école libre (Saint Joseph) fondée par les sœurs de la Croix en 1854 sur un terrain donné par la famille de Léobardy et deux écoles communales, celle des garçons et celle des filles ; des patronages de garçons et de filles ; un dispensaire qui soigne gratuitement les pauvres. Vingt-deux villages ou hameaux sont sur le territoire de la commune : les Grands et Petits Marmiers, le Mas, les Petites Maisons, la Malissin, le Vignaud, les Vignes, le Buisson, le Puy-Bernard, Chez-Perrière, les Chevailles, l’Hermont, les Fondelles, les Batilles, le Thibard, Laborie, Chez la Dame, le Verger, les Adoux, les Combes, le Cheyroux, le Gouteil. Les jeunes écoliers parcourent les chemins à pied pour aller en classe, en groupes, les galoches aux pieds – le premier arrivé doit allumer le poêle si nécessaire. Parfois, les responsables de l’école privée démarchent les parents chez eux[6]. L’éclairage public (35 lampes) fait son apparition en 1923.

En février 1924, Léon Brandy est autorisé à exploiter une tuerie particulière près de la gare. Le centre d’abattage ferma au début des années 1960.

Le dimanche 23 décembre 1929, l’Eicola dau Barbichet, continuant sa tournée de « propagande », donna à La Jonchère-Saint-Maurice, dans la salle des Ecoles, une grande matinée limousine qui obtint un très gros succès. « Un public nombreux et enthousiaste, où les jeunes paysans dominaient, a applaudi chaleureusement les diseurs et les chanteurs de l’Eicola dau Barbichet et les excellents artistes de sa troupe théâtrale qui ont interprété avec leur maîtrise habituelle La Pena de chauzir et Carnavar en Eiti, les deux amusantes comédies limousines de R. Farnier. Au début de cette représentation qui avait été organisée à la perfection par M. Gérardin, avoué à Limoges, conseiller municipal, et. par M. Courtaud, le sympathique instituteur de La Jonchère, le majoral R. Farnier avait indiqué dans une allocution très applaudie les principes directeurs du Félibrige. »[7]

En 1931, la revue Lemouzi évoque également un divertissement dans le bourg : « la troupe théâtrale de l’Eicola dau Barbichet a prêté son concours à la Grande Kermesse organisée à La Jonchère-Saint-Maurice le dimanche 27 juillet, et qui a obtenu un plein succès. Les danses limousines, exécutées au son de la vielle, ont été fort goûtées du public. Le soir, dans une vaste grange transformée en théâtre, pleine à craquer, on a joué « Lou Bose de las Surpresas », qui a déchaîné le rire des spectateurs.»[8]

En mai 1937, le Dr Bompeix, président des sections de l’Union Fédérale des Anciens Combattants de La Jonchère-Saint-Maurice, assiste au XXIe Congrès national à Aix-les-Bains et écrit par la suite: « nous avons eu le sentiment d’être à notre tour l’expression du monde combattant ligué tout entier contre la guerre, et d’affirmer par notre accord la certitude de notre confiance mutuelle dans la durabilité de la Société des Nations. Une dernière réception nous réunit ensuite au Bureau International du Travail ; tous ces hommes, qui avaient quitté, pour quelques jours, le bureau, l’usine, l’atelier, le chantier ou les champs, se sentaient chez eux dans le Temple du Travail ; ils savaient que la Société des Nations a pour but d’établir la paix universelle et qu’elle a pour complément logique ce Bureau International où soixante-deux Nations se sont donné pour mission l’organisation et la défense du travail. »[9] Malheureusement, les rêves pacifistes furent balayés par le nouveau conflit mondial.

Dès le début du  XXe siècle, La Jonchère est signalée dans les guides touristiques. Ainsi, par exemple, dans le Guide national et catholique du voyageur en France édité à Paris en 1900.  Dans Villégiature-tourisme dans le Limousin, le Quercy, le Périgord, Creuse, Corrèze, Dordogne, Haute-Vienne, Lot…, édité par la Fédération des syndicats d’initiative, Limousin, Quercy, Périgord en 1929, on peut lire : « Jolie localité au pied des Monts du Limousin. A proximité, pèlerinage célèbre à Sauvagnac. Ascension du Puy de Sauvagnac. Hôtel de la Gare. — M. Raoul FRANÇOIS, propriétaire. Onze chambres : cinq à 1 lit ; six à a lits. Prix des chambres : de 8 à 15 fr. Electricité. Garage. Téléphone n° 1. Prix du repas : 12 fr. Pension par grande personne : «5 fr. par jour ; une voiture Renault fait les voyages de l’hôtel et un service d’autobus La Jonchère-Bourganeuf. Membre du S. I. » En 1930, le bourg est d’ailleurs incorporé à un circuit de découverte estival dans le Limousin, au départ de Limoges les dimanches, assuré par les autobus départementaux : Limoges (dép. 8 h.), La Crouzille-Saint-Silvestre, Grandmont, Saint-Léger-la-Montagne, Sauvagnac, La Jonchère, Saint-Goussaud, Châtelus-le-Marcheix (déjeuner), Saint-Martin-Sainte-Catherine, Le Pont-du-Dognon, Saint-Martin-Terressus, Saint-Priest-Taurion, Limoges (retour vers 19 h.). — Prix du transport par place : 45 francs. »[10] Le 20 juin 1937, c’est la Société archéologique de Limoges, présidée par Franck Delage, qui organise une excursion passant par La Jonchère ; en effet, après avoir visité l’église d’Ambazac, les visiteurs, font une halte au Vignaud, reçus par le colonel de Léobardy et ses filles, qui leur font les honneurs du château et du parc.[11] La première automobile – une Peugeot cinq chevaux – est mentionnée dans le bourg vers 1928 : c’est celle de M. Dégorceix[12]. En 1938, c’est le « chemin de grande communication n° 50 » qui passe par le bourg. Ses abords et caniveaux sont entretenus par le Conseil général et la commune[13].

Les témoignages parlent de « petite rivalité » entre quartiers (« ceux de la gare, il ne fallait pas leur dire qu’ils étaient du bourg »), mais aussi entre ceux de l’école privée et ceux de l’école laïque. Certains évoquent des « bagarres de garçons » : « S’il y en avait un de la gare qui s’attardait après l’école, il fallait qu’il se dépêche pour rentrer, sinon il passait à la casserole ! » (et inversement) – la guerre des boutons à La Jonchère ![14]

 

La Seconde Guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre mondiale, en dehors des victimes de l’Exode de 1940, environ quatre cent cinquante habitants du village de Keskatel, en Alsace, sont réfugiés à La Jonchère. Bien entendu, les choses ne sont pas faciles, d’autant plus que les uns parlent plus volontiers le dialecte alsacien et les autres l’occitan. Au final, seules six familles sont restées durant toute l’Occupation. Certains Alsaciens travaillèrent la terre, d’autres dans les mines de kaolin, d’autres enseignèrent. Des Juifs – comme Mme Moët (famille du Champagne Moët et Chandon ?) ou le Dr Loewy et sa fille Nicole – et des réfractaires au Service du Travail Obligatoire ont été cachés. Parmi les réfugiés : Pascal Bastia (nom de plume de Pascal Simoni, 1908-207), installé avec son frère – dessinateur – et sa mère à l’hôtel Saint-Maurice jusqu’à la fin de la guerre. Fils du chansonnier-parolier-acteur-chanteur et cinéaste Jean Bastia, mort en 1940, c’était un compositeur d’opérettes qui avait connu le succès dès 1933 avec Dix-neuf ans, spectacle jazzy et la chanson Je tire ma révérence, tirée de Le Groom s’en chargera, fut un véritable tube, chanté par Jean Sablon. « Il avait fait descendre de Paris sa troupe (…) Ils donnaient leurs représentations à la salle paroissiale et ensuite, il avait acheté un vieux car pour partir faire des séances dans les communes environnantes. »[15] Il a vraisemblablement composé, à La Jonchère : La Star et le Champion (1941), et Quel beau voyage ! (1942)[16].  La Jonchère vit à l’heure de la guerre comme les autres communes de France, en particulier lorsque la zone non occupée est envahie : des hommes prisonniers, les restrictions et la pénurie, le marché noir, l’écoute discrète de Radio Londres, mais aussi les bals clandestins dans les granges. En juin 1941, Philippe Pétain vient au château de Valmath, en extérieur, où l’on demande aux jeunes de chanter Maréchal nous voilà. Certains accrochent des portraits du maréchal chez eux, des commerçants dans leurs vitrines[17]. Des artisans lui offrent des cadeaux, on oblige les enfants à lui offrir des dessins. La Résistance se met cependant progressivement en place aux alentours (Grandmont, Saint-Sylveste, Saint-Sulpice-Laurière…) et les échanges existent entre les habitants et les résistants. Les maquisards de Georges Guingouin font quelques opérations dans le secteur : le 9 janvier 1944, ils font dérailler un train de matériel et de soldats allemands entre Saint-Sulpice et La Jonchère, sur la ligne Limoges-Châteauroux : vingt wagons sont détruits, le trafic est interrompu plus d’une journée ; le 1er février, ils détruisent une locomotive et cinq wagons par sabotage de la voie.[18] La veille du massacre d’Oradour-sur-Glane, une section nazie passe par le bourg puis par Ambazac. Le 18 août 1944, les miliciens limougeauds qui s’enfuient avec leurs familles, font une halte à La Jonchère. Lorsqu’ils repartent, ils sont pris à parti par les maquisards à la sortie du Puy Courty, au lieu-dit Chez Cornard. Il y a des blessés et des morts (trois miliciens sont enterrés au cimetière). Appelés à la rescousse, les Allemands encerclent le bourg mais il n’y a pas d’attaque[19].

 

[1]                      Comte de Couronnel, La garde mobile de la Haute-Vienne, Limoges, 1897, p. 139.

[2]                      L. Fessemaz, La base des Morts pour la France de Haute-Vienne construite par Canopé Limoges, site Canopé, 2014.

[3]                      G. Dumont, La Jonchère…, vol. 2, déjà cité, p. 28.

[4]             Cité par M. Kiener, in « Du rural à l’urbain », Paysage et environnement en Limousin de l’Antiquité à nos jours, sous la direction de P. Grandcoing, PULIM, 2010, p. 249.

[5]             I. Empereur-Bissonnet, Paroisses et communes de France, Dictionnaire d’histoire administrative et démographique Haute-Vienne, C.N.R.S., 1981, p. 162.

[6]             C. Barat, Racontez-moi La Jonchère, La Veytizou, 2008, p. 15.

[7]                      Lemouzi, organe mensuel de l’E̛cole limousine félibréenne, 1929, p. 17.

[8]                      Lemouzi : organe mensuel de l’E̛cole limousine félibréenne, Brive, t. 301, p. 173.

[9]                      Le Combattant du Limousin, juillet-août 1937.

[10]                    La Revue limousine, 15 janvier 1930, p. 15.

[11]                    La Revue limousine, 25 juillet 1925, p. 109.

[12]           C. Bariat, déjà cité, p. 94.

[13]                    Rapports et délibérations … / Conseil général de la Haute-Vienne, Limoges, 1938, p. 41.

[14]           C. Bariat, déjà cité, p. 27.

[15]           C. Bariat, déjà citée, p. 57.

[16]           http://www.operette-theatremusical.fr

[17]           C. Bariat, déjà cité, p. 54.

[18]           D. Lormier, La Résistance pour les nuls, Editions First-Gründ, 2013.

[19]           C. Bariat, p. 70.