La saison théâtrale du début des années 30 vue par Robert Margerit (1)
Joseph Cazautets (c) P. Colmar
La crise théâtrale n’est pas seulement une répercussion de la crise économique que nous subissons actuellement; elle procède surtout de motifs autonomes. Dès que l’on parle de théâtre, il faut faire la distinction entre le théâtre à Paris et le théâtre en province. Les causes de la crise, à Paris, ne sont pas les mêmes que celles de la crise en province.
En province, et particulièrement à Limoges, le théâtre est avant tout lyrique, — le théâtre proprement dit n’étant guère représenté que par les tournées Baret, — et le théâtre lyrique attire toujours du monde, car le cinéma ne s’est pas encore emparé de ce domaine (à part quelques très rares films comme « Le Vagabond Roi »). Il se peut cependant que le public se lasse de certaines pièces trop souvent données, et je crois que le meilleur moyen de remédier à l’indifférence des spectateurs dans certains cas, comme pour Madame Butterfly par exemple, serait de renouveler le répertoire, non pas tant par des créations qu’en variant le choix des pièces.
Si le public boude parfois le théâtre, c’est qu’actuellement, avant de dépenser la somme assez importante que représentent une ou plusieurs places dans un établissement comme notre cirque, il est juste d’hésiter. Au lieu d’aller entendre vingt pièces dans la saison, beaucoup aiment mieux n’en entendre que dix, et les choisir de qualité, soit par les artistes auxquels on a fait appel, soit par leur rareté au répertoire. Madame Butterfly ne fait pas recette mais Le Trouvère attirera du monde. Pourquoi ? Parce que la première est souvent donnée, et la seconde rarement.
Par ailleurs, la crise théâtrale tient à la crise économique. L’argent devient difficile à gagner, on le dépense moins facilement ; et à cela nul remède tant que les plaies dont nous souffrons ne seront pas guéries… mais ceci est une autre histoire.
Au cours de cette saison, M. Cazautets, en directeur averti, a fait tout ce qui était humainement possible pour donner au public limousin des nouveautés susceptibles de l’intéresser, et il y a souvent réussi. Rappelons le succès des grandes soirées de gala avec M. Pedro La Fuente. En ce moment le succès ne semble plus répondre aussi sûrement à ses efforts. Mais c’est un fait que j’observe à peu près tous les ans depuis pas mal de temps. Vers le mois dé janvier, la salle du cirque semble délaissée de ses habitués. L’opérette ne jouit plus de la faveur première. Que faire ? Mais tout simplement, je crois, appel à un autre public : celui du théâtre proprement dit, celui des tournées Baret ; monter quelques pièces en vogue aux titres connus, avec de bonnes troupes qui seraient heureuses de venir de Paris, si j’en crois ce que me disait dernièrement une personnalité du théâtre parisien. Il est vraisemblable que bien des Limousins seraient satisfaits de voir à Limoges ce qu’ils n’ont pas toujours le loisir d’aller voir dans la capitale. Il me semble que l’on pourrait faire dans cette voie quelques essais.
La Vie limousine, 25 janvier 1933.
1 Journaliste et écrivain (1910-1988), Prix Renaudot pour Le Dieu nu (1951) et Grand prix du roman de l’Académie française pour La Révolution (1963-1968).