11 Mai

Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (17): le théâtre à Tulle (et à Brive) dans la 1ère moitié du XIXème siècle

En 1906, dans le Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze, paraît l’étude de René Fage, « Un demi-siècle de théâtre à Tulle (1800-1850) ». J’en tire les informations qui suivent ; il m’a semblé qu’il était important de se remémorer son minutieux travail.

Il n’apparaît pas qu’avant le XIXème siècle le théâtre ait tenu une place importante à Tulle. Une Société dramatique, fut fondée en l’an III (1794-1795) par des notables de la ville, le président Villeneuve, le juge Lacombe, MM. Mougenc de Saint-Avid, de Saint-Priest, Sage, Barthélémy, Floucaud, Larnore de Lamirande, Leyx et Melon, pour jouer la comédie sur un théâtre installé dans l’ancien réfectoire du Collège. Elle donna, en 1795, cinq représentations. La troupe se composait des sociétaires cités ci-dessus, de quelques autres amateurs, et de Mmes Dulignon, Duperret, Leyx, Fourcroix, Brival et Berger. Ils jouèrent Les Étourdis ou le Mort supposé, comédie en 3 actes, en vers, d’Andrieux ; Le Revenant ou les Deux Grenadiers, comédie en deux actes, en prose, par M. X.; Les Intrigants ou Assaut de Fourberies, comédie en trois actes, en prose, par Dumaniant ; Le Somnambule, comédie en un acte, en prose, par Pont de Veyle; Ruse contre ruse ou Guerre ouverte, comédie en trois actes, en prose, par Dumaniant ; L’Heureux Quiproquo, comédie de Patrat ; Le Sourd ou l’Auberge pleine, comédie en deux actes, en prose, par Desforges ; La Nuit aux Aventures ou les Deux Morts, comédie en trois actes, en prose, par Dumaniant ; enfin, deux pièces dans le goût du jour, de Louis-Benoît Picard, Les Deux Postes ou le Conteur, comédie en trois actes, en prose, qui avait été jouée pour la première fois, le 4 février 1793, à la Comédie-Française, et La Perruque blonde, comédie en un acte, en prose, montée le 12 novembre 1794 au Théâtre de la République.

Jean-François Bonnet-Beauval, né à Paris en 1752, joue à Limoges depuis 1802 lorsqu’en 1808 il est nommé « directeur privilégié » du 9ème arrondissement (Corrèze, Dordogne, Haute-Vienne). Il écrit alors au préfet, le général Milet-Mureau[1] : « La ville de Tulle, n’a point de salle de spectacle. Il dépend de vous, Monsieur le Préfet, de faire destiner un local propre aux représentations théâtrales. J’ose espérer de votre bonté et de votre goût pour les arts que vous voudrez bien me protéger à cet égard. Ce n’est que lorsque j’aurai la certitude d’y pouvoir donner des représentations, que je pourrai déclarer dans quelle partie de l’année j’y ferai conduire la troupe. Je vous prie, Monsieur le Préfet, de me faire connaître vos intentions. Je me ferai un devoir de m’y conformer tant qu’il sera en ma puissance. » On décide de la construction d’une salle dans l’ancienne église du collège, mais en attendant, il faut jouer dans une salle provisoire. Bonnet-Beauval voudrait aussi conduire sa troupe à Brive ; mais, ajoute-t-il, des religieux y ont prêché une mission et il craint qu’ils aient préparé un état d’esprit qui éloigne du théâtre. Son répertoire, cependant, « n’a rien qui puisse effaroucher les esprits timorés ». On y trouve l’Orphelin anglais – on l’a vu, joué par la troupe de Limoges en 1775 – et les Fausses infidélités, comédie en un acte de Nicolas-Thomas Barthe. Les recettes tullistes ne sont toutefois pas formidables. En quittant Figeac où elle avait donné quelques représentations, la petite troupe de Deresmond – troupe « secondaire » de Bonnet-Beauval – s’arrête à Tulle et y séjourne du 25 juillet au 28 septembre 1813. Son répertoire est au goût du public. Elle joue successivement des drames comme Clémence et Waldemar ou le peintre par amour, de Pelletier de Volméranges ; des comédies en prose ou en vers, comme Claudine, de Pigault-Lebrun ; Le Barbier de Séville, de Beaumarchais ; Bruis et Palaprat, d’Etienne; des comédies mêlées d’ariettes et des opéras-comiques. Molière n’est pas oublié. Deresmond monte les Fourberies de Scapin, les Précieuses ridicules et l’Ecole des maris. Ving-et-une représentations en tout, qui rencontrent le succès et remplissent les caisses. Deux autres saisons suivent, cette fois avec moins de spectateurs. En juin 1820 Bonnet-Beauval expose au préfet qu’il a envoyé plusieurs fois des troupes à Tulle à l’époque des foires, qu’il n’a eu comme local qu’une vieille église tombant en ruines et que le produit des représentations ne l’a pas indemnisé de ses frais. Ensuite, ajoute-t-il, il a constitué une « troupe courante qui a joué dans une très petite salle faisant partie d’une auberge tenue par un nommé Bastid, près du pont de Clermont, et cette troupe, quoique peu nombreuse, ne trouve point à s’alimenter. » Il termine en disant qu’à moins de lui faire disposer une salle dans les dépendances du Collège, on ne doit pas compter sur lui. Il abandonne ensuite définitivement la ville.

Il est remplacé par la troupe Luguet qui arrive à Tulle le 22 décembre 1822, où le maire met à sa disposition l’ancien local de la cour d’assises, dans les bâtiments dépendant autrefois de l’abbaye Saint-Martin[2]. Sur cet emplacement, on construit en 1828 les Immeubles de la Comédie, avec une salle de spectacle spécialement aménagée, comprenant un rez-de-chaussée, des avant-scènes et deux étages de loges. Luguet et sa femme partirent ensuite pour Saint-Etienne et Lyon. Pendant leur séjour à Tulle était née leur fille Marie qui, à l’âge de 20 ans, joua Lucrèce à l’Odéon, épousa le chanteur Laurent et illustra le nom de Marie Laurent sur les scènes de l’Odéon, de l’Ambigu et de la Porte-Saint-Marlin. Elle  traversa deux fois le Limousin au cours de ses tournées, donnant Thérèse Raquin[3] à Limoges et Athalie à Brive. La famille Luguet avait tenu près du restaurant Fournaud, un café à Tulle, où se réunissaient régulièrement des avocats et avoués lettrés, des fonctionnaires, des jeunes gens, dont certains s’enflammèrent pour le romantisme et publièrent dans des journaux locaux. Parmi eux, un certain Vauzanges publia une série de saynètes, de dialogues, de petites comédies, avant de partir à Paris où il devint l’un des pionniers des assurances-vie.

La troupe (familiale) Bouvaret prend la succession des Luguet, reprenant des pièces à succès de l’Opéra-Comique, de l’Odéon, des Variétés et du Gymnase.

Du 6 au 15 février 1828, Mlle George et sa troupe donnent à Tulle six représentations. René Fage écrit : « La célèbre actrice était dans l’épanouissement de son talent et la splendeur de sa gloire. Née en 1787, elle allait avoir sa 41ème année. Ses débuts à l’Odéon, en 1803, avaient soulevé un tel enthousiasme, que dès l’année suivante elle était sociétaire de la Comédie-Française. Eblouissante de beauté, elle avait un geste et un jeu de physionomie admirables. Sa diction simple et naturelle, comme celle de Talma, était servie par une voix merveilleusement timbrée. Elle était douée d’une sensibilité communicative qui n’excluait pas l’énergie. Artiste jusque dans les moelles, elle apportait à la préparation de ses rôles le soin le plus minutieux, s’appliquant aux moindres détails de la coiffure et du costume. » Elle joua également à Brive et à Argentat.

 

Le passage mouvementé de Mlle George à Argentat

 

« Le 28 février, je me suis trouvé sur le port, avec quelques-uns de mes amis, pour voir passer Mademoiselle George, célèbre actrice, qui voyageait avec plusieurs artistes distingués des deux sexes du Théâtre-Français. Au moment où sa voiture étoit prête à entrer dans le bac, est arrivé un homme à cheval, courant beaucoup. A peine est-il dans la barque que M. Lacombre est venu nous dire : Voyez cet individu, il cherche dispute à un acteur qu’il nomme, qui est bien l’homme le plus doux et le plus honnête ; il les agonise de sottises ; n’est-ce pas bien mal ? — Nous nous avançons vers la barque où entrait la voiture de Mademoiselle George, plus occupés de regarder une femme célèbre par son beau talent et sa beauté que des propos grossiers que nous entendions. Plusieurs personnes m’ont assuré que cet homme avait dit : « Je ne veux point attendre ici pour une catin de comédienne », et que l’acteur lui avoit répondu : « Vous êtes un malhonnête et un soulo, » et qu’à la suite ce même individu avoit répondu : « Je vais vous attendre de l’autre côté, et c’est là que vous m’en rendrez raison. » « En effet tout passe dans la même barque. Arrivé de l’autre côté, je remarque un homme sortir au galop un des premiers; il paroit qu’il dépose son cheval. Et dans le temps que la troupe et la voiture sortent, il revient avec une canne ou un bâton, escorté d’un autre individu, demander ce qu’il appelle raison. Les deux acteurs, qui se trouvoient en avant, veulent passer outre. Mais on leur barre le chemin. C’est alors que deux autres acteurs, qui venoient derrière, voyant leurs camarades aux prises, s’avancent pour les secourir. Dans le même instant plusieurs individus de sur le port accourent, tombent sur les comédiens, les assoment de coups. Ce ne fut plus que cris, coups et hurlemens sur les deux rives. Les actrices se mêlent à la foule. Mademoiselle George, elle-même, saute de sa voiture et va courageusement porter secours. « Nous étions restés sur la rive opposée, spectateurs terrifiés de l’horrible scène. Cependant elle durait toujours. Nous vîmes un acteur que l’on trainoit à l’eau. On crie : « Portez secours ! passons, passons ! » Quelques personnes généreuses passent avec M. le Maire. Je ne pus passer que dans le second bateau. Arrivé de l’autre côté, la scène change. Ce ne fut plus des coups. Ils étaient protégés. Mais le danger existoit; et ils furent abreuvés d’insultes.

« Témoin occulaire, je continue. J’arrive devant la maison Dicham, suivi de beaucoup de gens du peuple et notamment d’un individu à large épaule qui criait : « Il faut finir de les assomer. » Je me retourne et lui dis : « Tais-toi, malheureux ! «. Quelqu’un veut sortir ; je crois que ce sont les employés des droits réunis ; je saisis l’instant et j’entre. Je remarque beaucoup d’agitation, toutes les figures effarées. Dans le même instant un cri de terreur se fait entendre ; un individu est remarqué, le couteau à la main, avec des accents de rage. On lui crie : « Malheureux ! que veux-tu faire? « Les acteurs et actrices étaient mêlés avec ceux qui les avoient frappés. Mademoiselle George paroissoit indignée. Sa belle figure, qui sait si bien peindre la passion, exprimoit l’indignation. Elle s’avance vers l’individu qui avoit été l’agresseur et lui dit : « Retire-toi, barbare ! » La femme de l’auberge où nous étions, chez qui les étrangers auraient dû trouver protection, s’écrie : «Pour des catins de comédiennes, vaut-il la peine de faire tant de bruit. » Je fus indigné de cette grossièreté et le témoignai hautement. « Tas de canailles ! m’écriai-je, c’est donc ainsi que vous protégez les étrangers ! » Mademoiselle George se lève de sur sa chaise, et, s’avançant théâtralement vers la cabaretière, lui parla avec un accent inexprimable. Je la prends par le bras, en lui faisant observer qu’elle ne devoit pas se mettre aux prises avec une femme d’auberge. C’est cette, même femme qui répondit, lorsque M. Lestourgie demanda un appartement pour panser les blessés : « Je n’ai que l’écurie à vous offrir. » Plusieurs acteurs étoient blessés. Mademoiselle George paroissoit prendre beaucoup d’intérêt à eux. J’eus occasion de rester près de deux heures avec cette belle et célèbre actrice ; elle me parut fière et altière ; elle paraissoit indignée. Plusieurs acteurs étoient blessés ; on les pansa. Mademoiselle George poussoit des soupirs et demandoit justice»

M. Eusèbe Bombal, qui nous a signalé cette aventure, l’avait entendu raconter par M. le docteur Lestourgie ; il ajoute au récit qu’on vient de lire un curieux détail. Un forgeron, qui s’était signalé parmi les agresseurs les plus violents de la troupe, homme aux épaules carrées, taillé comme un hercule, s’était précipité sur les acteurs en brandissant une barre de fer ou un marteau. Mademoiselle George marcha vers lui, dans une attitude théâtrale, l’arrêta d’un-geste et lui jeta à la face une tirade de son répertoire où il était comparé à un cyclope. Terrifié, le forgeron laissa tomber son marteau.

 

Récit de M. Jean-Paul Testut-Delguo, Archives de M. le docteur Morély, d’Argentat, cité par René Fage, Petites notes historiques, Tulle, 1901.

 

La troupe Stéphany-Ghamarande arrive à Tulle le 19 novembre 1829. Son répertoire comprend des vaudevilles, des comédies et des mélodrames. Lui succède celle de De Garron formée de douze comédiens jouant la comédie, le vaudeville et 1′ « opéra accessoire ». En 1833, c’est la troupe de Mme Mercier qui s’installe dans la préfecture de la Corrèze. A son arrivée, elle propose notamment La Prison d’Edimbourg, paroles de Scribe et musique de Caraffa ; Le Chalet, Le Pré aux Clercs, Le Barbier de Séville, et quelques vaudevilles.

Les troupes Pollin (directeur de la troupe de Limoges) et Bourson (qui joua jadis devant Napoléon et dirigea le théâtre d’Aix) occupent successivement le théâtre de Tulle dans les années 1834-35. Selon René Fage toujours, « les Tullistes prenaient un goût plus vif aux représentations dramatiques (…) En juillet 1835, les frères Ravel passèrent par Tulle et y donnèrent quelques soirées. Leurs spectacles étaient d’un genre tout spécial, qui avait joui d’une certaine vogue à Paris. Mimes, équilibristes, chanteurs, comédiens, ces artistes variaient à l’infini leurs jeux. Le public, piqué de curiosité, se porta « en foule » à leurs représentations, ne leur ménagea pas les applaudissements. »

En 1838, la ville reçoit une troupe insolite : celle de Pellegrin, dont tous les membres appartiennent à la même famille. Ils jouent Louise ou la Réparation, de Scribe, et Jean, de Théaulon, deux vaudevilles. Lors d’autres représentations, la critique note qu’il y a beaucoup de monde dans la salle et dans les loges, une « nuée de dames jolies et élégamment parées ». La pièce de Victor Hugo, Angelo, tyran de Padoue, fait sensation le 27 mai 1838. Dans L’Album de la Corrèze du 11 juin, le critique Favard peut écrire : « J’ai fait comme le public, je me suis abandonné à mes émotions, sans les analyser. Honneur donc au grand poète qui partage avec Lamartine la royauté poétique ! Le nom de Hugo a aujourd’hui un titre de plus, pour être tout à fait populaire dans cette ville et dans ce pays ». Pellegrin revint plus tard.

Le tragédien Lagardère est également de passage à Tulle en 1838. Très populaire, il jouait les grands rôles, comme Cinna, Néron, Vendôme, Oreste. Il était secondé par sa femme qui avait, comme lui, débuté à la Comédie-Française. Quelques acteurs de Paris les accompagnaient. En 1840, Hermant, directeur du théâtre de Rodez, donne quelques représentations de drames, vaudevilles et opéras-comiques.

C’est ensuite au tour de Mme Lefèvre de s’installer à Tulle. Dans l’Album de la Corrèze, du 13 juillet 1840, M. Lafond écrit: « Le théâtre est enfin totalement sorti de sa léthargie et du marasme complet dans lequel il était tombé. La troupe de Mme Lefèvre lui a redonné la vie ; dimanche, la salle était pleine à crouler, phénomène qui se reproduira souvent (…) Les sympathies les plus vives avaient été acquises à une jeune actrice, sémillante, pleine de grâce et d’indicible attrait ; et comme l’arrivée d’une belle actrice à Tulle est quelque chose d’étrange, d’incroyable et d’inouï, qu’on se raconte, Mme Queyrens, qu’on voulait voir et admirer, avait attiré dimanche cette réunion nombreuse ».

 Auguste Hüssener, portait de Rose Chéri, vers 1845

 

En 1841, Jean-Baptiste Chéri-Cizos, fils d’acteurs, qui avait commencé très jeune son métier de comédien, arrive, avec sa troupe, composée en grande partie par des membres de la même famille. Les deux filles du directeur, Rose et Anna Cizos sont remarquées. Rose « Chéri » devait débuter au Gymnase en quittant Tulle et elle y obtint un éclatant succès. « Cette jolie débutante, disait Théophile Gautier, réussit beaucoup parce qu’elle est simplement une jeune fille toute naturelle et n’a pas trop l’air d’une actrice ; c’est le plus rare des talents ». Ils donnèrent Être aimé ou mourir, Yelva ou la Muette russe, La Fiancée du fleuve, Estelle, Les Enfants de troupe, La Grâce de Dieu, La Reine de seize ans, Les Premières armes de Richelieu, L’Ange dans le Monde, Le Page et le Régent, Les Enfants d’Edouard, Les deux Jumelles.

Notre précieuse source, René Fage, mentionne aussi le passage à Tulle en 1841 d’un marionnettiste, le mécanicien Bugny, qui avait occupé un petit théâtre dans le passage de l’Opéra à Paris. Il y dirigeait une troupe de marionnettes qu’il qualifiait de « figures mécaniques marchant en plein théâtre et agissant comme une personne ». Quelques comparses, cachés dans la coulisse, se donnaient la réplique, pendant que les bonshommes articulés faisaient les jeux de scène. Il donna La Belle au Bois dormant, folie-vaudeville en trois actes, qui connut un grand succès.

C’est ensuite la troupe de Tony Blondel – qui jouerait plus tard au Gymnase avec son frère Antoine – qui vient à Tulle et propose Lazare le Pâtre[4], Hariadan Barberousse[5], et des vaudevilles parmi lesquels: Bruno le Fileur[6], qui avait tenu longtemps l’affiche du Palais-Royal ; Le Confident, de Scribe et Melesville ; Clermont ou une Femme d’artiste, de Scribe et Vander-Burch ; Le Cabaret de Lustucru, de Jaime et Arago. Antoine Blondel, chanteur de chansonnettes, se fait entendre dans les intermèdes.

En 1845 puis en 46, Fleury-Ducommun monte sur les planches tullistes. Sa troupe ne comprend pas moins de dix-sept comédiens, sans compter le maître de musique, le magasinier et le souffleur. Le directeur remplit les premiers rôles. Au fil des représentations, on peut applaudir, entre autres pièces, un drame : Gaspard le Pêcheur[7] ; une comédie : Manche à Manche[8] ; un vaudeville : 99 Moutons et un Champenois[9] ; une bouffonnerie : L’aveugle et son Bâton[10].

Dans son article, René Fage évoque aussi des représentations données par des artistes amateurs, organisées dans un but charitable, pour grossir la caisse de secours des pauvres de la ville ou pour parer, à une infortune déterminée. Il conclut par ces mots : « les troupes secondaires envoyées par le directeur privilégié de Limoges, les troupes ambulantes du XIIIème arrondissement théâtral et les compagnies qui faisaient des tournées en province, avaient ouvert les esprits aux choses de l’art dramatique, vulgarisé les principales œuvres du répertoire. Le public avait appris à aimer le théâtre où il trouvait une source, toujours renouvelée, d’émotions et de plaisirs. La salle de spectacle était incommode, froide l’hiver et chaude l’été, meublée de banquettes mal rembourrées; mais les acteurs l’animaient par leur entrain, s’ingéniaient à bien faire, cherchaient à s’attirer des sympathies. Ces troupes dramatiques, composées souvent des membres d’une même famille, avaient de l’ensemble et une bonne tenue. Elles gagnaient à peine de quoi vivre, étaient peu exigeantes, se montraient satisfaites de l’accueil qui leur était fait. »

 

Le théâtre de Tulle

Pendant plus de soixante ans et jusqu’en 1890, les tullistes applaudirent les pièces en vogue dans une salle de spectacle construite dans une partie du bâtiment de l’abbaye Saint Martin, mais le bâtiment n’était guère pratique. L’idée de la construction d’un théâtre est à attribuer à Jean-Baptiste Tavé (1856-1925), avocat et député radical. Dès son élection à la mairie en 1892, il souhaita la mettre en œuvre[11]. Durant la séance du 30 novembre 1894, le conseil municipal de Tulle approuve le principe de cette construction. Il est édifié de 1899 à 1902 quai de la République, sur l’emplacement de l’église désaffectée du collège, par deux architectes, Joseph Auberty et Anatole de Baudot, récent architecte du lycée de Tulle – également restaurateur, à la suite de son professeur Eugène Viollet-le-Duc qui le considérait comme son élève préféré. Pour éviter les risques d’incendie, Baudot propose une structure innovante en ciment armé (du procédé de construction de Paul Cottancin). C’est le premier théâtre au monde réalisé avec une structure en ciment armé. Sur le plan fonctionnel, le théâtre est constitué d’une salle à l’italienne avec trois balcons étroits et un hall surmonté d’un foyer. Le céramiste étant Alexandre Bigot, spécialiste des céramiques architecturales et représentatif de l’Art nouveau.

En 1932, la municipalité décide de la rénovation du théâtre et de sa transformation en cinéma : « l’Eden », qui fonctionna jusqu’en 1988. L’architecte parisien Dubreuil supprime les trois balcons pour laisser place à deux gradins plus larges et plus profonds. La toiture voûte d’origine en ciment armé est alors recouverte sous une toiture plus classique en ardoises, celle visible aujourd’hui.

En 1994 les architectes Larrouy, Sicre et David ainsi que le scénographe Bernard Guillaumot rendent au bâtiment sa vocation première. L’édifice est vidé des aménagements intérieurs réalisés en 1932 et une nouvelle structure béton y est installée en respectant l’image extérieure du bâtiment non modifié depuis Anatole de Baudot. Les deux gradins sont modifiés pour ne laisser place qu’à un seul dans toute la largeur de l’espace. L’ouverture de scène qui était de 6 m par 6 m en 1988 est portée à 11 m par 8 m de haut avec une profondeur de 13 m autorisant presque tous les types de spectacles. Le théâtre a porté le nom des « 7 collines » qui sont celles qui dominent la rivière Corrèze. Il est le premier théâtre français à obtenir le statut de Scène conventionnée (en 1999). Dans son ouvrage Mélancollines, Fabrice Variéras écrit, en 2008 : « La première fois où je me suis rendu dans la nouvelle configuration du théâtre, je fus saisi d’une réticence qu’il m’était à la fois impossible d’expliquer et de récuser (…) Surtout lorsque je m’aperçus qu’ils avaient disparu… En le mutilant de ses balcons façon Belle Epoque, on me dépossédait quelque part des belvédères magiques de mon enfance (…) Souvent je me suis demandé ce qu’étaient devenus ces fauteuils rouge framboise (…) Ces fauteuils, si inconfortables hier, qui revêtaient aujourd’hui la couleur surannée du passé (…) me revenait le goût des caramels et des chocolats achetés pendant l’entracte et qui nous collaient aux dents jusqu’au générique final (…) cette salle de cinéma improvisée. C’était l’Eden… » .

 

[1] Député suppléant aux Etats généraux (en 1789). Général de brigade, puis de division. Ministre de la guerre (en 1799). Préfet de la Corrèze (1802-1810).
[2] On visite encore, de nos jours, le cloître, magnifique édifice gothique du XIIIe siècle, qui formait autrefois avec l’église, le cœur de l’abbaye bénédictine Saint-Martin de Tulle. On peut y admirer ses arcades gothiques, et il abrite une très belle salle capitulaire recouverte de peintures murales datant du XVe siècle.
[3] Première pièce d’Emile Zola, créée en 1873 au Théâtre de la Renaissance à Paris.
[4] Drame en 4 actes de Joseph Bouchardy, 1840. Un dramaturge qui était aussi un graveur.
[5] Mélodrame en 3 actes, livret de L. A. Lamarque de Saint-Victor et Labenette,1809.
[6] Des frères Cogniard, 1837.
[7] Drame en 4 actes de Joseph Bouchardy, 1837.
[8] De Joseph Bernard Rosier,1841.
[9] De Vanderbuck.
[10] De Charles Varin et Laurencin, 1841.
[11] Wikipédia, « Les 7 collines (Tulle) ».

Le théâtre de Brive

Au milieu du XIXème siècle, des représentations théâtrales se déroulaient dans des lieux privés tels que le Théâtre Majour ou dans une vieille grange proche de l’actuel collège d’Arsonval. En 1848, un dénommé Roux écrit au maire pour plaider en faveur d’une salle de théâtre digne de ce nom, mais ce n’est qu’en juin 1853, que l’édification d’un théâtre est approuvée en conseil municipal et son emplacement déterminé. Ce sera « la place triangulaire du champ de foire où est élevée la statue du maréchal Brune »1. Mais il faut attendre 1887 pour que le projet de l’architecte Henri Clapier soit retenu. Le bâtiment, dont les travaux débutent dès 1888 et s’achèvent en 1890, ne comporte qu’un seul étage. Ce n’est qu’en 1912 que l’architecte François Macary construit un second étage. L’édifice est en partie occupé par Le Grand Café du Théâtre, dont l’intérieur, « composé de stucs rococo avec de grandes glaces, est spacieux. De grandes baies cintrées donnent sur une terrasse dominant l’avenue de Paris. Établissement très chic en ce début du XXe siècle, il accueille une clientèle bourgeoise et constitue un lieu approprié pour les rendez-vous d’affaire. Il fermera dans les années 1970. »

1 « Le Théâtre municipal une histoire en plusieurs actes », site des Archives Municipales de Brive.