15 Oct
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05 Sep
Un ancêtre de l’épouse du Premier Ministre Michel Barnier est décédé à Limoges
L’épouse de Michel Barnier, Isabelle Altmayer, avocate de formation, est l’arrière-petite-fille du général Victor-Joseph Altmayer, qui se distingua lors de la guerre de 1870, général de division, commandeur de la Légion d’honneur, né à Saint-Avold le . Ses affectations furent:
- 18/05/1895 – 14/08/1900 : commandant de la 46e brigade d’infanterie et des subdivisions de région d’Angoulême et de Magnac-Laval en Haute-Vienne.
- 14/08/1900 – 30/06/1906 : commandant de la 33e Division d’Infanterie et des subdivisions de région d’Agen, de Marmande, de Cahors et de Montauban.
- 30/06/1906 – 01/12/1908 : commandant du 12e Corps d’Armée. Le 12e corps d’armée était un corps d’armée de l’armée de terre. Il rassemblait les unités de la 12e région militaire qui comprenait les départements de la Haute-Vienne, de la Corrèze, de la Creuse, de la Dordogne et de la Charente. Son quartier général était situé place Jourdan à Limoges où il a été récemment démilitarisé et rénové.
Voir ici son parcours détaillé: http://military-photos.com/altmayer.htm
Il est mort le à Limoges. Il fut inhumé à Allichamps en Haute-Marne.
La photographie le représente en grande tenue modèle 1872. Il porte le bicorne à plumes noires avec galon de soie or au pourtour. Il porte la tunique brodée à une seule rangée de broderies au col et aux manches. Il porte les épaulettes avec deux étoiles sur les plateaux supérieurs. Il porte le ceinturon porte-épée de couleur bleu et or avec l’épée à clavier à laquelle est suspendue une dragonne à deux étoiles. Par dessus, il porte la ceinture de grande tenue bleu et or avec deux étoiles de part et d’autre des glands d’extrémité. On peut distinguer ses décorations : Officier de la Légion d’Honneur, Officier d’Académie, Chevalier de l’Ordre de Saint Grégoire Le Grand du Vatican, Officier de la Couronne de Prusse, Commandeur du Nicham Iftikar de Tunisie. (Source: Musée des Officiers Généraux Français Armes & Services).
Le général comptait parmi ses parents Mgr Altmayer, dominicain et évêque: http://cteparstbenoit.free.fr/altmayer/monseigneur_altmayer_vf.html
24 Mar
Anne Rouffanche: « Le cahier marron » et le « cahier vert » de Joseph Rouffanche : travail de thèse et réflexion poétique
Anne Rouffanche (c) L. Bourdelas
Je suis très heureuse de participer à cette journée d’hommage qui célèbre le centenaire de la naissance de Joseph Rouffanche, mon grand-père. Je remercie Laurent Bourdelas pour son invitation chaleureuse et sa confiance et Michel Bruzat qui a accepté d’accueillir cet hommage dans son théâtre.
Je tiens à préciser que je ne suis pas spécialiste de la poésie, ni de l’œuvre de Joseph. J’ai hérité de manière indirecte de son amour de la littérature et de son goût pour la recherche, et je me suis inscrite dans cet héritage à travers mes études de lettres, l’enseignement de la littérature et par mon travail de thèse, que j’entreprends cinquante ans après lui. Malgré ces points communs et cette filiation évidente, je n’ai jamais eu l’occasion de parler de littérature ou de poésie avec Joseph, car les années ont joué contre nous et le grand-père que j’ai connu était livré tout entier à un combat perdu d’avance contre le grand âge et la mort. J’avais une dizaine d’années au moment où sa santé a commencé à décliner, au début des années 2000, et quand, adolescente, je me suis passionnée pour la littérature, il s’en détachait comme, petit à petit, de tout ce qui constituait le cœur de son existence. On s’est donc croisés dans la vie, et c’est notre tragédie, mais j’ai la chance inouïe de pouvoir le retrouver dans la littérature et dans les textes qu’il a laissés. Textes publiés et textes inédits, car la mort s’accompagne souvent de redécouvertes.
Quand mon père Dominique et mon oncle Francis ont vidé le bureau de la maison de Landouge, ce bureau avec vue sur les vaches limousines que Joseph partageait avec ma grand-mère Yolande, et où ma mémoire resitue spontanément son image, ils ont découvert, parmi les volumes de livres, les photographies et la correspondance intime, des documents inédits. J’ai pu consulter deux cahiers recouverts de la petite écriture soignée de mon grand-père, qui étaient probablement restés intouchés entre leur rédaction et la lecture que j’en ai faite ces derniers mois. Dernière petite-fille de Joseph, je suis l’une des seules personnes ici à n’avoir jamais véritablement échangé avec le poète, ou même avec l’homme ; je suis donc particulièrement heureuse d’instaurer, grâce à ces cahiers, un dialogue avec lui par-delà la mort.
Les deux cahiers ont été écrits entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, principalement entre 1978 et 1983, c’est-à-dire dans la seconde moitié de la préparation de sa thèse d’état, entamée en 1971 et soutenue en 1985, sous le titre « Espace du cœur et passion du temps dans l’œuvre poétique de Jean Follain ». Ces cahiers consacrés au travail préparatoire de thèse sont désignés par Joseph « le cahier marron » et « le cahier vert » ; ceux-ci prenaient place dans un ensemble de cahiers auxquels Joseph renvoie ponctuellement dans les deux que j’ai consultés. Ces cahiers fournissent des informations précieuses sur l’élaboration de la réflexion de Joseph et sur ses méthodes de travail mais révèlent aussi un regard sur l’œuvre de Follain et sur la poésie qui en disent long sur le critique et le poète. Les cahiers mêlent notes de lectures critiques, analyses de poèmes de Follain, mise en place d’un discours conceptuel cohérent sur l’œuvre du poète et réflexions plus larges sur la littérature et la poésie, et l’on reconnaît tour à tour le lecteur, l’enseignant, le critique et le poète. J’ai bien conscience que mon propos, parce qu’il s’appuie sur le travail préparatoire de thèse de Joseph, reprend en partie ce qui a déjà été dit sur les rapports entre son travail académique et sa création poétique[1]. Mais il me semble que ces brouillons sont riches d’enseignement à deux niveaux : d’abord parce qu’ils représentent une somme de lectures et de réflexions qui dépassent le cadre d’une thèse et représentent en quelque sorte la partie immergée de cet iceberg qu’est la thèse, et ensuite parce que leur nature de brouillons non destinés à la lecture leur confère une plus grande liberté de ton et autorise un investissement personnel plus marqué. Avec toute l’humilité qui est la mienne devant cette œuvre que je découvre encore, mon propos consistera donc à présenter ces cahiers et à proposer quelques pistes d’étude et de réflexion. Après avoir présenté rapidement le format et le contenu des cahiers, je montrerai qu’ils permettent de retracer l’élaboration de la réflexion de Joseph sur l’œuvre de Follain, réflexion menée dans une démarche critique nourrie par le regard du poète.
- Présentation des cahiers
Contextualisation
En 1971, à la mort de Jean Follain dont Joseph admirait l’œuvre, il décide de lui consacrer une thèse. Les pages de ses cahiers de thèse sont souvent datées ; c’est ainsi que l’on sait que les cahiers vert et marron, écrits simultanément, couvrent la seconde moitié du travail de thèse, de 1978 à 1983, avec une majorité de passages écrits entre 1979 et 1981. Trois exceptions toutefois : dans le cahier marron, un feuillet intitulé « Lecture de l’œuvre » qui s’intéresse aux motifs se rapportant au « plaisir de l’espace » et au « plaisir du temps » est daté du 21 décembre 1977. Dans le même cahier, figure l’inscription « relecture mai 85 » sur un intercalaire consacré aux « structures temporelles complexes », écrit le 7 janvier 1981. Il s’agit donc d’une ultime relecture avant la soutenance qui a eu lieu cette même année 1985. Toujours dans le cahier marron, l’intercalaire 5 du feuillet intitulé « L’aventure des motifs », inséré dans les premières pages, est daté du 10 octobre 1990, ce qui montre que la réflexion s’est prolongée bien au-delà de la soutenance.
Sur certains intercalaires, la précision de la datation est telle qu’on suit le travail de Joseph quasiment au jour le jour. C’est ainsi qu’un feuillet du cahier vert, consacré au temps, permet de constater l’évolution du travail pendant le mois de juillet 1979, les intercalaires étant datés du 3, 7, 9, 13 et 15 juillet.
Composition et organisation des cahiers
Le cahier marron et le cahier vert sont des cahiers Clairefontaine 17×22 impressionnants par leur volume, à cause des nombreuses feuilles insérées entre les pages, que Joseph appelle des « intercalaires ». La plupart sont des feuilles volantes recouvertes entièrement de l’écriture de Joseph ; on trouve aussi des feuilles dont le recto est tapuscrit (poème tapé à la machine à écrire) et dont le verso a servi de brouillon, des pages de manuel annotées, des coupures de journaux, ainsi que des brochures et des publicités sans rapport avec le travail de thèse mais abandonnées là.
Les deux cahiers présentent une table des rubriques détaillée au début, écrite à quelques jours d’écart en juillet 1980, qui permet de naviguer dans les cahiers et de comprendre l’organisation de la réflexion (voir Annexes, document 1 et 2). Les tables des rubriques montrent que le contenu des cahiers correspond à plusieurs moments que l’on retrouve dans la thèse achevée : ces brouillons ont servi de base à la première moitié de la deuxième partie intitulée « La passion du temps », consacrée au devenir, à « l’évolution du sentiment de l’existence », à « l’auteur révélé » et à la question du lyrisme ; ils sont aussi repris dans la quasi totalité de la troisième partie, également intitulée « La passion du temps », qui traite de « l’usage du temps du poète » et étudie la mise en place d’une poétique du temps destinée à « jouir et faire jouir du temps dans le poème ».
Les pages et les intercalaires reprennent les titres des rubriques et sont numérotés avec une pagination très précise. Les pages blanches laissées entre les différentes sections des cahiers montrent que Joseph travaillait simultanément à plusieurs rubriques et qu’il laissait de la place pour d’éventuels développements. Les intercalaires apparaissent comme une sorte de brouillon de ce brouillon de thèse que sont les cahiers : leur écriture semble avoir précédé celle du cahier à proprement parler car les pages des cahiers reprennent souvent de manière synthétique le contenu des intercalaires. Les intercalaires présentent une calligraphie et une syntaxe propres au brouillon : écriture moins soignée qui révèle l’urgence de retranscrire la réflexion, mots clés jetés sur la page, puis reformulés dans une phrase souvent elle-même reprise et développée dans les pages du cahier. L’encre de différentes couleurs qu’utilise Joseph permet d’identifier les ajouts et les corrections étalés dans le temps. Les cahiers fonctionnent donc sur le mode de la juxtaposition (de feuillets traitant d’un même thème ou concept), de l’insertion, et de l’approfondissement. Leur structure arborescente représente bien le travail de thèse, fait d’approfondissements successifs et de constante mise en relation.
- Le travail de thèse
Généalogie d’une réflexion
Les dates sont de précieux indices pour mesurer l’évolution du travail de Joseph. Les cahiers révèlent des inflexions parfois significatives dans le travail mené jusqu’alors, notamment dans un dialogue que l’on devine avec le directeur de thèse, autour des références (le directeur de thèse insiste visiblement sur l’importance de comparer le traitement de l’espace et du temps chez Follain à celui qu’en font d’autres auteurs) et autour de l’étude de l’espace. À la page 8 du cahier vert figure un brouillon de message à un interlocuteur qui ne peut être que le directeur de thèse, Louis Forestier :
Vous concevez que moyennant 1 remaniement de mon étude de l’espace – dont je demeure d’accord qu’elle est indispensable – j’entreprenne la rédaction de mon étude du temps et de l’espace – par la force des choses conjuguée
Concevoir le travail sur l’espace comme une ouverture comme les fondations d’1 réflexion sur l’espace temps dans l’œuvre en vers de J. F[2].
Joseph s’interroge ainsi sur les modalités de l’intégration de l’étude de l’espace dans un travail principalement consacré au temps. C’est donc probablement à la fin des années 1970, alors que le travail est déjà bien entamé, qu’il décide d’étudier ensemble le temps et l’espace, dans une étude « par la force des choses conjuguée », qu’il présente dans l’introduction de sa thèse comme la seule manière convaincante de traiter son sujet.
Comme dans tout travail de recherche, les interrogations sont le point de départ de la réflexion. C’est ainsi qu’on trouve à la page 10 du cahier marron une série de questions qui ont guidé la réflexion à propos de l’espace :
« J’ai conçu l’étude de l’espace dans l’œuvre en vers de la façon suivante :
1/ que devient l’espace normand ?
2/ ds quelle mesure s’enrichit-il dans l’œuvre en vers ?
3/ quel autre espace intervient ?
[…] »
Enfin, certains passages révèlent les incontournables doutes et remises en question sur le travail effectué. On peut ainsi lire dans le cahier marron :
L’espace que l’on célèbre
n’ai-je pas parfois confondu ?
L’espace où l’on célèbre
Ces doutes, qui font partie de la réflexion et obligent à revenir sans cesse au sujet, contribuent à affiner la méthode de travail.
La méthode : les grandes étapes de la réflexion
Les cahiers sont en effet le lieu de l’élaboration d’une méthode de travail, comme le montre la première page numérotée du cahier marron qui s’intitule « En vue méthod. Thèse » (voir Annexes document 3), l’abréviation laissant supposer que le mot tronqué est « méthodologie ». Un crochet rassemble les différents points de cette première rubrique : « raisons personnelles », « diffic. de l’entreprise » (point que l’on retrouve à l’ouverture de la thèse achevée) et « type de critique utilisée ». À la ligne, une série de tirets énumère les « raisons personnelles » :
– rencontres Follain
– réfl. personnelle : j’aimerais entreprendre un travail universitaire sur votre œuvre
– moi fils vieilli d’1 génér. déjà ancienne
[…]
– entre le sujet moi et l’objet Foll.
entre nos deux œuvres poet des relations d’intersubjectivité dont agencement des parties ds le tout du poème.
Le terme de « rencontres » attire l’attention et peut être riche de sens : au-delà des trois rencontres qui ont eu lieu entre Jean Follain et Joseph Rouffanche et que ce dernier raconte dans l’avant-propos de sa thèse, on peut voir à travers ce mot un sens plus métaphorique qui renverrait aux rencontres des œuvres, ce que corrobore l’expression de « relations d’intersubjectivité » entre les deux œuvres poétiques, illustrée par un exemple concret concernant la structure des poèmes. Cette notion d’intersubjectivité reprend le « sujet moi », où le regard est plutôt celui du chercheur qui s’affirme comme subjectivité face à un objet d’étude. L’adresse directe à Follain (« votre œuvre ») a de quoi surprendre si l’on considère que Follain est déjà mort au moment où Joseph entame son travail de thèse ; il faut y voir l’indice d’un projet mûri de longue date, et même discuté avec l’intéressé, comme le révèle Joseph dans l’avant-propos de sa thèse : « Un démon me poussa à dire que son œuvre m’attirait – quoique je ne la connusse encore que très superficiellement – au point que si j’écrivais un jour une thèse, j’aimerais que ce fût sur elle ». À travers cette adresse directe, un dialogue s’instaurer au-delà de la mort de Follain, marqué d’office par le passage du temps avec cette auto-désignation comme un « fils vieilli d’une génération déjà ancienne », qui tend à faire de Joseph l’héritier d’un autre temps. Cette forte présence du « je » du critique et du poète dès les premières pages du cahier révèle tout l’investissement personnel de Joseph Rouffanche dans ce travail de thèse entrepris sur un poète qui était à la fois un aïeul et un frère en littérature.
Le cahier vert s’ouvre sur une exposition des raisons de ce travail et sur les buts poursuivis (voir Annexes document 4) :
Il est sûr que j’ai voulu :
1/ Faire savourer un plaisir du texte par la catégorie de l’espace
2/ Démontrer le rôle joué par l’espace conté de l’o.a.p. [œuvre antérieure en prose] ds l’ œuvre en vers.
Pourquoi cela ?
Non en raison d’1 antériorité de l’o.a.p relativemt à l’œuvre en vers – je sais bien que les créations sont parallèles voire simultanées –
Mais parce que l’espace de l’o.a.p. se calque directement sur l’expé. vécue
Au présent du début du cahier marron répond ce passé composé (« j’ai voulu ») qui suppose un certain recul vis-à-vis du travail déjà accompli. Joseph se concentre ici sur les raisons qui l’ont poussé à analyser l’espace dans les œuvres en prose de Follain, étude qui a constitué un apport précieux aux travaux sur la poésie de Follain, comme l’a souligné Elodie Bouygues[3].
Si le début des cahiers s’intéresse aux raisons qui ont motivé le travail de thèse et aux buts poursuivis, ce qui correspond logiquement à l’une des premières étapes de la réflexion, d’autres pages portent sur des étapes cruciales de la réflexion et de la rédaction : le choix d’exergues, la recherche d’un titre, l’écriture de la conclusion. La page 92 du cahier vert, intitulée « Exergues possibles », présente une liste de citations choisies, dont une tirée du Paysan de Paris d’Aragon, une de Thomas Mann, ce grand écrivain de la mémoire, d’autres de Rilke et Hölderlin. Ce choix d’exergues s’intègre dans la recherche d’« un art d’agréer de la thèse », dans le but de « cultiver le plaisir du texte », ainsi qu’il l’écrit en haut de la page. À la date du 21 mars 1980, qui montre que cette réflexion sur le choix des exergues a été entreprise longtemps avant la fin de la thèse, il écrit :
pourquoi pas 2 exergues : citation d’un autre auteur, citation de Follain au regard l’une de l’autre.
ou citation F. faisant écho à la fin du dvelt d’exergue empruntée à 1 autre
Toujours dans le cahier vert, en haut de la page 95, sous les mots « Titre thèse ? », on peut lire à l’encre noire :
De l’espace du cœur à l’espace orphique
Du temps vécu dans l’Eternel à la passion du temps
temps vécu dans l’éternel et passion du temps
Ajoutées en-dessous au crayon de papier figurent ces expressions :
« Espace du Cœur. Espace orphique.
Temps vécu dans l’Eternel. Passion du temps. »
Deux d’entre elles seront finalement retenues, en 1981 si l’on en croit ce qu’écrit Joseph dans l’avant-propos de la thèse : « En 1981 nous tenions notre synthèse dont voici l’intitulé : espace du cœur et passion du temps dans l’œuvre poétique de Jean Follain ». Cette date coïncide avec l’époque d’écriture des cahiers.
À la page 51 du cahier marron est inséré un dossier intitulé « En vue conclusion thèse », écrit en octobre 79 qui propose un plan d’ensemble de la thèse et des idées de conclusion.
Les grandes étapes de la réflexion sont donc représentées dans ces cahiers qui font aussi une large place à un élément incontournable de l’étude littéraire : l’analyse de texte.
L’analyse de vers
Le travail de thèse suppose bien évidemment de nombreuses analyses approfondies des œuvres, à toutes les étapes du développement, et les cahiers présentent plusieurs analyses de poèmes. Dans le cahier vert, inséré à la page 11, un brouillon de lettre montre que Joseph a demandé de l’aide à Michel Boy, un ami professeur de philosophie, pour l’interprétation de deux passages de poèmes (voir Annexes document 5) :
Quel sens donnes-tu au mot ‘métaphysique’ dans ce poème de Follain :
Métaphysique
Quand ils l’aperçoivent
au fond des chaumières
ses maris soutenant
le bol à fleurs bleues
devant ses seins tendres
ils sentent l’ardeur
puis tout s’évapore
du décor fragile
pour laisser flotter
la seule odeur nue
de métaphysique.
x
Comment comprends-tu les 4 derniers vers de cet autre poème du même J. F.
Structures du temps
[…]
Selon le dire d’Héraclite
le temps semble un enfant qui joue
les beaux jours aux chants d’oiseaux
passent vite à l’éternité
Je ne voudrais pas abuser de ta gentillesse, de ton si amical et précieux concours, mais je ne suis guère philosophe et n’entends pas le grec.
On retrouve une analyse des deux derniers vers cités, « les beaux jours aux chants d’oiseaux /passent vite à l’éternité » dans le feuillet « De l’esthétisme » inséré à la page 15 du cahier vert, dont plusieurs intercalaires présentent des analyses de vers (voir Annexes document 6 et 7). L’intercalaire 16, composé de deux feuilles, et daté du 24 février 1980, permet de retracer l’évolution du travail. Sur la première feuille, qui porte le numéro 25, Joseph a recopié les deux vers, sans guillemets et sans indiquer le texte d’où ils proviennent, puis il propose une interprétation :
Les beaux jours aux chants d’oiseaux
passent vite à l’éternité
peut aussi vouloir dire
qu’ils sont beaucoup trop courts
bien
- les fillettes qui jouent et ne
se rendent pas compte que la nuit
tombe que déjà les feuilles sont
noires.
que c’est une époque si brève
que ce temps vécu ds l’Eternel, l’enfance,
est une époque si brève.
On est bien ici dans le brouillon : l’analyse commence par le deuxième élément d’une alternative dont on ne connaît pas le premier élément (« peut aussi vouloir dire »), la syntaxe est hésitante. Daté du même jour, la deuxième feuille de l’intercalaire, qui porte le numéro 26 et le titre « Explication », reprend cette analyse :
les beaux jours aux chants d’oiseaux
passent vite à l’éternité
car c’est alors que le présent est éternel
(comme tout passe à l’éternité. Jankélévitch
l’expression ne veut-elle pas dire que les beaux
jours passent très vite
thème : mais hélas les beaux jours sont si courts
ou bien : comme ils sont la perfection comme
il(s) ne leur manque rien, alors ils remplissent
la condition de l’éternel selon
- aussi JM. V. curé d’Ars
‘Alors il vivait l’éternité sans appréhender
l’effarant mystère du temps …’
L’analyse est ici approfondie, propose deux niveaux d’interprétation et des références qui devraient permettre d’enrichir le propos. Le travail très riche d’analyse auquel se livre Joseph dans les cahiers lui permet de saisir le fonctionnement interne du poème follainien. « Pourquoi le poème foll[ainien] tient-il ? » : c’est ainsi que s’intitule une des feuilles insérée à la page 39 du cahier marron, laquelle porte sur le poème dans ses rapports au temps :
Pourquoi le poème foll. tient-il ?
N.B. 1 poème peut tenir sans que l’on puisse parler de réussite.
[…]
Comment cela tient-il ? Parce que chaque fragment […] contient 1 image, 1 vérité, 1 psychologie de caractère universel.
[…]
Comment n’eût-il pas eu en horreur le régionaliste lui qui a vocation d’universalité ?
Cette question initiale (pourquoi un poème tient-il ?) intéresse le critique mais aussi et peut-être surtout le poète, dont le regard connaisseur apparaît dans ces lignes (à travers le nota bene). La dernière question soulève une tension entre régionalisme et universalisme qui est au cœur de la réflexion et de la poésie de Joseph, lui a qui a souvent été considéré de manière réductrice comme un poète régional, à cause d’une incompatibilité supposée entre le local et l’universel, alors que la littérature ne cesse de démontrer, comme l’étudie Joseph dans ces cahiers et comme il l’expérimente dans sa poésie, que l’universel naît du local et le général du particulier, tout comme l’éternité naît de l’instant. Ce dernier exemple révèle le regard du poète, qui parcourt les cahiers.
- Un regard de poète
Irruption d’un « moi » poète
De manière attendue et incontournable dans un travail de recherche, le point de vue et le regard du critique (le « moi sujet face à l’objet Follain ») transparaît régulièrement au fil des pages. Il est parfois difficile d’identifier la part du critique et la part du poète dans cette première personne. À certains moments, c’est bien le poète que l’on reconnaît à travers quelques commentaires qui instaurent un dialogue poétique entre deux œuvres et deux visions poétiques. C’est le cas par exemple dans un feuillet inséré à la page 7 du cahier marron, qui fait la liste de motifs spatiaux dans l’œuvre de Follain. Une feuille est intitulée « Notion de paysages, de sites, de lieux, de motifs spatiaux obsédants de tropismes (peut-être) » avec pour sous-titre « Du rayonnement infini d’1 espace fini » et s’intéresse au motif du mur qui s’écroule. Joseph a écrit entre parenthèses :
(pour moi tropisme du lointain, de l’horizon auquel je bute d’où mon envie d’être oiseau. Le ciel terrestre installe la réalité m. de l’impossible, de l’absence)
(pour moi rayonnemt. Le petit pays qui va de l’hiver à l’hiver
Cette irruption de la première personne, à travers la forme tonique « moi », reléguée à un espace entre parenthèses pour signaler la digression ou la pudeur, fait sortir l’analyse du cadre strict de la thèse et fait apparaître à la fois l’individu (impression subjective de buter contre l’horizon) et le poète, à travers des motifs et des thèmes chers à son œuvre, et cette dernière phrase imagée qui ressemble à un vers libre. En l’occurrence, « Et du petit pays qui va de l’hiver à la l’hiver » est un vers du « Poème de l’eau douce » paru dans Élégies limousines en 1958. Si certains vers libres viennent trouer la prose critique, les pages des cahiers donnent aussi à lire de nombreux passages à l’allure aphoristique.
Le goût de l’infime : aphorismes et haïku
De nombreuses phrases des cahiers ressemblent à des aphorismes, par leur caractère synthétique et suggestif, leur portée générale et leur thème (le temps, conformément au sujet de thèse). On peut noter par exemple ces phrases, tirées d’un feuillet intitulé « Existence et lieux » inséré à la page 4 du cahier marron : « Notre vie est du temps tissé par nous sur de l’espace », « Souvenir c’est avoir lieu et occuper de plus en de plus de lieux », dont on trouve une variante au début de la thèse achevée : « Exister c’est durer, donc devenir, en occupant de plus en plus de lieux[4]. » L’une des dernières phrases du même cahier se distingue aussi par son allure aphoristique : « C’est l’imaginaire, c’est le rêve qui peuvent concentrer le lointain vague de la mémoire en l’essence étoilée d’un moment pur. »
En dépit du travail imposant que constitue la thèse et du foisonnement de ces cahiers, ceux-ci révèlent un intérêt tout particulier pour le petit, le mineur, l’infime, intérêt qui est celui de Joseph critique mais aussi et surtout poète. Difficile de ne pas faire le lien entre ces aphorismes qui émaillent la réflexion, condensés de réflexion et d’inspiration poétique, et deux éléments étudiés par Joseph dans sa thèse et présents dans son œuvre : une forme, le haïku, et un thème ou motif, l’infime. On comprend pourquoi Joseph a choisi de consacrer sa thèse à l’œuvre de Follain quand on consulte le dossier consacré aux « profondeurs de l’insignifiant », inséré à la page 3 du cahier marron, où il écrit en petits caractères en haut d’une feuille volante :
Poète qui a entrepris l’exploration
du domaine infini de l’infime
qui en a compris la fécondité
auguré puis
vérifié la portée
La dernière page de ce dossier, daté du 5 septembre 1978, intitulé « L’infime » s’intéresse précisément à l’ombre dans les poèmes de Jean Follain. Éloge de l’ombre placé sous le signe de l’infime qui fait discrètement écho aux nombreuses références à l’art japonais du haïku[5]. Inséré à la page 37 du cahier marron se trouve un dossier sur le haïku, composé d’une page du journal Le Monde sur « L’Empire des signes selon Roland Barthes » datée du 19 avril 1980, de notes prises le 10 mars 1979 sur une anthologie de haïku[6] préfacée par Yves Bonnefoy parue en 1978, et d’analyses de la poésie de Follain à la lumière de cette forme. Une feuille datée du 6 novembre 1979 commence sur ces mots :
(moi : Je suis frappé par la part de
l’élémentaire, du trivial
de tout ce qui a réputation de platitude
que des siècles de poésie française ont honni
et que le haïku érige en absolu.
Cette irruption d’un « je » critique mais aussi et surtout poète (on notera d’ailleurs l’alexandrin blanc de la dernière ligne) ne surprend pas si l’on sait l’intérêt que Joseph a porté à cette forme qu’il a pratiquée dans ses derniers recueils. Il apparaît très clairement que son travail de thèse a enrichi sa propre création littéraire et que ses recherches sur le haïku ont alimenté son œuvre autant que son travail de thèse.
Cette exploration des cahiers s’est inscrite pour moi sous le signe de l’infime et de l’intime, ces deux notions incontournables du travail critique et poétique de Joseph. Expérience de l’infime par ma lecture attentive de ces brouillons foisonnants, parfait reflet du travail à la fois magistral et minuscule qu’est la thèse, fait d’assemblage d’idées et d’analyses poussées à un degré de détail sans égal. Expérience intime comme la conversation qui se noue entre un auteur et son lecteur, d’autant plus quand l’auteur est un être familier.
Dans l’avant-propos de sa thèse, Joseph explique qu’il avait considéré la mort de Follain en 1971 comme l’occasion de tenir la promesse qu’il lui avait faite, un peu à légère, d’écrire une thèse sur son œuvre. Ce magnifique hommage de 800 pages finit sur les mots suivants : « cet Orphée qui ne cesse de chanter dans le ‘piège du temps’ ouvre théoriquement aux poètes, frères du présent et de l’avenir, la voie d’une fécondité infinie[7]. »
Je n’ai fait aucune promesse à mon grand-père du type de celle qu’il avait faite à Follain, mais je suis heureuse de lui rendre aujourd’hui ce modeste hommage.
Anne Rouffanche
ANNEXES
Le « cahier marron » et le « cahier vert »
document 1 : page de rubriques du cahier marron
Document 2 : page de rubriques du cahier vert
Document 3 : « En vue méthod. thèse », page tirée du cahier marron
Document 4 : « Il est sûr que j’ai voulu », page tirée du cahier vert
Document 5 : brouillon de lettre à Michel Boy (page 1/2) tiré du cahier vert
Document 5 : brouillon de lettre à Michel Boy (page 2/2) tiré du cahier vert
Document 6 : « Les beaux jours aux chants d’oiseaux », page tirée du cahier vert
Document 7 : « Explication », page tirée du cahier vert
[1]BOUYGUES, Elodie, « Rouffanche au miroir de Follain : poésie et poétique », dans L’Espace du cœur dans l’œuvre de Joseph Rouffanche, revue Eidôlon n°76, BOUYGUES, E. et PEYLET, G. (dir), 2007, Bordeaux, pp 17-30
[2]Je reproduis dans chaque citation l’écriture en prise de notes utilisée par Joseph dans ses cahiers.
[3]« Il [Rouffanche] met à jour, par exemple, de façon magistrale que le caractère énigmatique des poèmes provient largement de la méconnaissance de l’œuvre en prose » dans BOUYGUES, E., « Rouffanche au miroir de Follain », art. cit., p21
[4]ROUFFANCHE, Joseph, Espace du cœur et passion du temps dans l’œuvre poétique de Jean Follain, 1985, Lille, Presses universitaires de Lille, p3
[5]Voir à ce sujet MALABOU Maryse, « Le palimpseste d’Instants de plus, ellipses, éclipses … le haïku revisité », dans L’Espace du cœur dans la poésie de Joseph Rouffanche, op. cit., pp 41-50
[6]MUNIER, Roger (dir), Haïku, Paris, Fayard, 1978
[7]ROUFFANCHE, Joseph, Espace du cœur et passion du temps dans l’œuvre poétique de Joseph Follain, op. cit., p812
Le médaillon d’été Hommage par Marie-Noëlle Agniau à Joseph Rouffanche au théâtre de La Passerelle le 24 septembre 2022
Dans En laisse d’infini, Joseph Rouffanche écrit le poème « Croissances » : « Parler du temps qu’il fait / Noircit la page blanche. Ombre courte au zénith / Mange soleil / Et croît. » Avançons d’abord un argument tout personnel : j’ai toujours aimé en tant que poète l’expression « le temps qu’il fait ». Je l’aime sans trop savoir pourquoi mais une chose est sûre, j’y suis attentive, toujours disposée à la reconnaître dans la poésie des autres. Je fus donc heureuse de la retrouver sous la plume de Joseph Rouffanche. Très vite alors, et dans la perspective de cette rencontre, je me suis demandé quel temps fait-il dans les poèmes de Joseph ? Joseph Rouffanche parle-t-il vraiment du temps qu’il fait ? Une météorologie est-elle possible qui montre la carte d’un lieu, la couleur d’un ciel et la température de l’air, la force d’un vent ou même les prévisions des jours à venir ? Prudence pourtant avant de se lancer car parler du temps qu’il fait – c’est encore parler du temps : à l’instar de la vache limousine tant aimée par le poète, nous ruminons.
C’est que le temps est si présent dans cette œuvre (cf Colloque de Mortemart, 2003, Passion du temps) : temps métaphysique des dieux et des anges ; temps phénoménologique d’une conscience qui en mesure un jour « L’Irréparable » de la mort quand il s’agit de la vie humaine. Temps du souvenir et de la nostalgie d’enfance – d’une enfance qui ne savait pas – tout aussi bien temps du poète à l’œuvre dans l’acte d’écrire. Temps météorologique du temps qu’il fait selon les saisons et leur passage. Temps de l’histoire humaine et des guerres du 20ième siècle.
Or ces temps loin d’être séparés constituent bien la pâte même du poème et de toute l’œuvre poétique de Joseph Rouffanche. Il faut pourtant être attentif à chacun d’entre eux. C’est là l’œuvre du commentaire et de toute lecture. Pourtant à mimer la question d’Augustin dans ses Confessions (livre XI), qu’est-ce que le temps ? Pour une fois, allons voir ailleurs : en hébreu, le temps s’écrit « ze man » et signifie « c’est quoi ? » (cf Marc-Alain Ouaknin) – comme si l’être du temps fabriquait une énigme. En japonais, le temps s’écrit « humeur du ciel » – en raison sans doute du passage des nuages et des saisons. Le temps serait donc cet être fait d’impermanence et de mystère. Voyez le drame pour nous qui sommes des êtres de raison. Alors quoi ? Quelle saison fait-il dans les poèmes de Joseph Rouffanche[1] ? Par commodité, je m’intéresserai surtout à la dernière trilogie parue chez Rougerie : L’Avant-dernier devenir publié en février 1988. En laisse d’infini, recueil publié à l’été en 2000. Et Instants de plus suivi de En progrès d’ombre publié en septembre 2004.
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Partons d’un contrepoids : Joëlle Ducos dans une communication[2] intitulée « Où sont les neiges d’antan … » et reprenant ainsi un poème de Joseph Rouffanche, écrit à propos d’une analyse du recueil anthologique Où va la mort des jours : « printemps, automne et plus rarement l’été sont présents … ». Saisons qui n’ont pas, selon elle, l’attrait de l’hiver et de son « mystère ». Elle pose avec raison par ailleurs que Joseph Rouffanche est un « poète de la nature et du temps qu’il fait ». Poète donc de la saison d’hiver et de la neige. Neige de l’enfance et de la Noël – et si je complète, neige de notre enfance à tous puisqu’il semblerait que la neige – même limousine – soit devenue pour nous tous l’image, poétique ou non, d’un souvenir et désormais d’une fiction ( sauf peut-être à aller sur le Plateau).
Or à tourner le regard vers les trois derniers recueils écrits par le poète, il apparait un autre point saillant, un autre sommet : l’été. Certes, ce point saillant n’est pas isolé, il a son « pendant » – précisément l’hiver dont la marque est cette neige d’antan. L’hiver, l’été – saisons[3] du poète Rouffanche quand le printemps et surtout l’automne ont un attrait moindre. A mieux lire même – de l’aveu du poète, l’automne est « délaissé » quand le printemps parce que « immense » semble tirer sur l’été. Comment dès lors comprendre ce nouveau privilège, ce retour en grâce de la « saison dorée » ? Et quel été pour la mémoire de quoi ?
. Si le poète est un « voyant » – il a une préscience ou tout aussi bien la réminiscence d’un savoir ancien quoique longtemps oublié. Dans le poème « Croissances », Joseph Rouffanche se souvient peut-être d’un fait météorologique. Fait que l’on enseignait peut-être à l’école primaire – ou alors, ce fait, il le réinvente à partir de sa propre psyché de poète en quête d’une langue pour dire ce qui fut de cette enfance adorée. Après tout, ciel et cœur ont bien échangé leurs couleurs, ainsi dans le poème « L’arbre du rossignol » (p. 77, ELD). Quel est ce fait ? Aussi bien l’été que l’hiver à midi, les ombres sont plus courtes – l’éclairement et la température au plus haut – au regard de la position au Sud du soleil dans le ciel. Je cite à nouveau le poème : « Parler du temps qu’il fait / Noircit la page blanche. Ombre courte au zénith / Mange soleil / Et croît. » Ombre courte de l’été. Ombre mince pour un soleil de feu – été, saison préférée ? En tout cas, Joseph Rouffanche en cette trilogie institue une sorte de fait poétique, le fait poétique de l’été. Voyons en quoi.
. D’abord quantitativement (recension sur les 3 recueils précédemment cités) : si le terme « saison » est peu employé (une dizaine de fois), par comparaison, les saisons sont – elles – nommées explicitement, « hiver », « printemps », « été », « automne ». Ainsi approximativement, l’hiver est mentionné 46 fois, le printemps 20 fois, l’été 63 fois et l’automne 14 fois. On peut aussi remarquer en plus de ce délaissement des saisons orientales (automne et printemps) – que la mention de l’hiver se fait davantage par les mots associés de « neige » et « décembre ». En revanche, si les mois de « juillet » et « août » sont associés au thème de l’été – il semblerait que ce mot « été » (parfois au pluriel) soit un mot sans équivalent. Une sorte de concrétion sémantique à l’œuvre dans cette trilogie comme densité solaire renvoyant à un état incomparable et sans commune mesure. Comme si ce mot – ou l’état auquel il fait signe – était intraduisible. Comme le Spleen de Baudelaire mais chez Rouffanche, un « spleen » inversé ou l’adjectif irremplaçable dans les poèmes et la prose de Rimbaud (ou sa phrase exclamative).
. Pourtant, cette recension n’est pas suffisante comme n’est pas suffisant le seul niveau de sens explicite. En effet, l’été est aussi une sorte de point aveugle (ou si je cite le poète, un « fond de canicule », ADD, « Ta solitude ») qui permet de construire comme en un tableau, une perspective – dans l’espace et le temps. Ce serait là l’arrière-plan du Poème comme on se lève le matin pour voir le temps qu’il fait et la coloration subjective qu’aura dès lors notre journée. L’été est dans l’ensemble de la trilogie associé à plusieurs éléments et à leur constante : le ciel est habité et habité à différentes échelles par les anges, les oiseaux, les insectes. Une couleur se dégage : le bleu et plutôt un bleu azur. Une dimension : celle de la verticalité – quand le monde de Rouffanche et son univers semble davantage horizontal par l’évocation récurrente de l’étendue (res extensa comme pré, pelouse, jardin, prairie, terre) et souvent d’une étendue en mouvement (mer, eau coulante, rivière, ruisseau, train, chemin, marche, trottoir). Quant à sa durée, l’été de Rouffanche court-circuite le temps lui-même et se hisse au rang de l’éternité – jeune sœur de ce géant qui marche, ainsi le poème « L’Eternité », ADD, p. 29. Paradoxe pourtant : le temps passe, les saisons et ce qui passe affecte l’âme du poète mais quelque chose demeure qui fut pour toujours perdu : l’enfance. Ce qui demeure ne passe pas. Ilot édénique d’un aveu : je fus, dit le poète, « de plein été » (ELD, p. 89, « Election »). A l’arrière-plan d’une vie et peut-être à son terme, il est une lumière éclairante – venue de cette saison dont l’envers fut un jour préféré dans le soleil d’hiver. Nous voilà semble-t-il avec « deux soleils[4] » – d’hiver et d’été, saisons distinctes et comme isolées quand printemps et automne sont au contraire des saisons mêlées. Soit que « novembre soit pondu dans le nid du printemps » soit que le printemps fleurisse dans l’automne. Mais l’été puisque c’est lui qui nous occupe ? L’été est comme pur et impeccable (sans péché !) – un été d’ange peut-être qui n’avait pas encore connu son sexe et celui des autres. L’hiver apparait lui comme « atone », triste, silencieux : il y a moins d’oiseaux dans le ciel. Le mouvement est plutôt descendant et ramène au sol de neige – là où quelque chose, quelque bête hiberne, attend. Comme les poissons sous l’eau gelée des étangs. Le bel été tranche par sa verticalité : vers quelle hauteur fait-il signe ? Vers quel étage désormais inaccessible sauf à l’évoquer par des petits chiffres noirs sur des feuilles de papier ?
. Une clé biographique (cryptée comme en tout poème) nous est peut-être donnée dans le poème « Comprenez » (ADD, p. 12 / lecture à faire). Clé de ce qu’un autre poème de Joseph Rouffanche nomme « le cher film premier » (« L’enfant le jeu », EDI, p. 41). Une histoire – toujours la même – qui a à voir avec Père et Mère. La douceur du foyer. L’amour sans condition. Temps d’innocence où la seule expérience[5] est d’être le temps, d’en épouser tous les contours, toute la matière et ses gestes quotidiens, « ordinaires » dit ailleurs Rouffanche. Manger la soupe chaude. Ou cette mère qui seule étend le linge et le ramasse. Temps de la coïncidence au point de ne pas savoir que le temps est. Temps pur de la présence et de l’indistinction jusqu’au jour où (mais lequel ?) la conscience mesure combien cette vie intensément haute est vouée à se dégrader. Le sang (et le sang de la bête puisque les anges n’en ont pas) n’est jamais bien loin dans les poèmes de Joseph Rouffanche. La clé du poème « Comprenez » est double : trains d’hiver et soleil d’été. Horizontalité sonore d’une étendue (la flèche du temps peut-être) et verticalité d’un zénith au maximum de l’éclairement – l’enfance semble sise entre ces deux axes. Double tension du souvenir poétique qui en effet court-circuite et l’automne et le printemps. Poids et contrepoids.
Dans cette trilogie, l’été prend aussi la forme d’une cuisine haute – étage sacré et maternel (cf aussi le vers « qu’ils sont bien dans les cuisines / les tout petits enfants », EDI, « Qu’ils sont bien », p. 16). Et en effet, le ciel d’été est toujours haut (même si c’est à hauteur d’enfance). Le ciel d’été est toujours plein (fourmis volantes, martinets, lucanes, papillons, hirondelles, libellules, rossignols) et d’un bleu « sans limites ». La couleur de l’été est de ce ciel quand l’automne manque de bleu (l’hiver est atone par la neige) et le printemps « immense » comme les mois de Mai ou Juin semble déjà à l’été. Ainsi le haut ciel de juillet serait la saison dorée, celle aussi de la tendresse maternelle quand l’hiver – peut-être – est au père (comme la pêche). En ces temps-là donc, le temps ne passait pas. Qu’est-ce qu’un temps qui ne s’écoule pas ? Un Paradis, sans doute. Paradis bleu d’une cuisine chaleureuse et aimante. Paradis de l’enfance dans son ignorance sans faille du temps. Paradis des anges que les adultes – sauf les poètes – ne savent plus voir. Paradis de la bête bleue ruminant son soûl de verdure – quoique vache bien limousine sous le ciel estival. Paradis avant que la bête soit saignée – de manière irréparable. Tous ces paradis ne sont plus atteignables. D’où la nostalgie au goût de gris – et quelque chose comme écrire. Ce bleu solaire et simple, habité et calme, chaud, fait mal : « le soleil au zénith vient calciner le cœur » (ADD, « San Carlos de la Rapita », p. 42). Il fait mal de s’en souvenir car le poète lui sait que le temps s’écoule désormais hors de ce paradis. Il ne peut donc que parodier ce qui fut et si des « étés reviendront parodier nos étés » (ADD, p.59, « Berges d’Orphée ») – il est un été qui ne reviendra jamais. Le savoir ouvre alors une blessure et la possibilité d’un achèvement puisque la mort est un « il faut ». L’enfant – lui – veut jouer encore, lui qui portait un habit de merveille et qui dormait de la sieste des bêtes. Quel temps fait-il alors dans les poèmes de Joseph ?
. Le ciel est pur et haut, d’un bleu déchirant la vision. L’air (il y a sans doute un peu de vent dans les feuilles) est à la chaleur et sent bon. Le ciel est mobile de la mobilité de tout ce qui vole, petit oiseau, ailes d’ange. Le ciel est calme et lumineux comme un cœur d’enfant. Pourtant ce n’est là qu’une image : elle se tient dans une mémoire que hante le passage des saisons et les changements du ciel, la venue du soir et de la mort crépusculaire.
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Ainsi à récapituler comme fait le poète (reprenant et se reprenant lui-même jusqu’à un épurement complet de son œuvre[6]) – il me semble lire une tonalité plus sombre, plus inquiète et troublée dans le recueil En laisse d’infini au regard de L’Avant-dernier devenir et surtout un cœur de cible dans Instants de plus / En progrès d’ombre – cœur de cible imagé par un médaillon solaire : celui de l’été, peut-être bijou porté par la Mère. Reprenons une dernière fois : en poète, je crois à l’aveu qu’il nous fait, aveu final (et dans EDI et EPO) pour un fait premier : « voici, je fus de plein été ». Cette plénitude est celle de l’enfance quand son temps ne se vidait pas. Elle avait aussi un décor intérieur (maison familiale) et extérieur – décor extérieur « bu » par les 5 sens[7] (perception, ouïe, odorat surtout), toujours le même : l’arbre (peuplier / chêne), la rivière ou le ruisseau, l’oiseau (coucou, rossignol, hirondelle, rouge-gorge), le bruit ou tressaillement du vent, le vent dans les feuilles des arbres, l’ombre et sa tension d’un soleil au zénith ou d’une lumière qui baisse en direction de la nuit (en cela, comme chez Rimbaud, les aubes sont toujours tristes et navrantes) – et surtout l’odeur enivrante des fleurs (lis, arums, violettes, roses) et leurs couleurs. Sur fond bleu. Et planant sur tout ce décor – « des nuages clairs bougeant au ciel ». Un calme olympien, celui de la vie des dieux, celui d’une enfance haute et de son « premier pays » pour soi-même mythologique. Comme dit encore le poète, « une terre de vie » qui n’avait pas encore lu les indices, les signes, les présages d’une panne ou les prémisses d’un évidement (comme on évide les entrailles d’une bête ou d’un poisson). L’Ether alors avait des oiseaux qui chantaient. L’été était la saison d’or, la grâce d’une petite fille, la fleur de l’or, la paix d’un domaine. Mais les soleils d’été sont aussi trop radieux. Le soleil trop zénithal, étincelant. Il brûle. Lance ses flammes caniculaires. Ses lasers tranchants comme l’arête d’un silex. Il fait mal de ne pas durer. Il fait mal par les menaces qui veillent et les désordres du temps. Guerres, bourrasques, morts. Heureusement, souvent, les pluies sont fines, « menu fretin ». C’est comme un lot de consolation. Il fait mal aussi de s’en souvenir – saison enchantée dont les bruits, les odeurs, les couleurs furent perdus. Que faire alors ? Il faut chanter – dit le poète – cette lointaine part divine et tendre à nouveau l’oreille au chant du tout petit oiseau. Parler du temps qu’il fait, en effet – et faire de cet été sans pareil un Poème, médaillon d’Infini[8], un « noble ovale » (IDP, p.46) quand tout vieillit et s’use le sang à vivre puisque de toutes les façons, l’ombre va croissante.
Marie-Noëlle Agniau, le 8 septembre 2022
[1] On pourrait faire référence aux WAKA japonais du KOKIN WAKA SHÛ, anthologie impériale japonaise médiévale. Lecture des 2 WAKA (cf notes manuscrites). « Fine est la trame … » et « Mon vêtement » …
[2] cf Actes du colloque « Joseph Rouffanche et la poésie surréaliste : un poète entre Terre et Ciel », revue Eidôlon, 2000.
[3] Contrairement à toute cette tradition poétique japonaise où les saisons les plus spectaculaires sont par leurs couleurs le printemps et l’automne.
[4] L’expression est de Rouffanche dans le poème « Trop de saisons », p. 41, ADD.
[5] Comme dans les chansons de William Blake et son « pré aux sons ».
[6] Je renvoie à la communication de Gérard Peylet sur les raisons de cet épurement.
[7] Ainsi le vers « nos sens y ont bu ce soleil », EDI, p. 49, « Nos bois ».
[8] Y compris sous la forme privilégiée du tercet – haïku du dernier recueil Instants de plus.
21 Mar
Alain Lacouchie: Portait intime et presque superficiel de « mon » Joseph Rouffanche.
Assis au fond: Yolande et Joseph Rouffanche assistant à une lecture poétique
de Jean-Pierre Thuillat et Alain Lacouchie organisée dans le Jardin de l’Evêché à Limoges
par la revue L’Indicible Frontière animée par Laurent Bourdelas
Voici des instantanés, qui, parmi bien d’autres, alimentent mes souvenirs.
En ce qui concerne l’analyse de son œuvre, d’autres, plus qualifiés que moi, s’en chargeront – ou s’en sont déjà chargé.
Je ne les oublie pas ces deux jours où, en solitude, je me suis retrouvé dans ce cimetière de Landouge. L’un et l’autre, je les ai aimés et je les aime encore. Me restent, comme un fil d’Ariane, les souvenirs. Ces souvenirs, d’abord, présents dans l’imposante maison qui se cache derrière les hautes haies.
Souvenirs, donc, de mes nombreuses visites lorsque nous préparions, en mars 2000, une lecture commune à la BFM de Limoges, lecture intitulée « Deux œuvres, deux lectures en regard ». Le rendez-vous était souvent fixé en tout début d’après-midi, chez les Rouffanche. En haut de l’escalier, Mme Rouffanche m’accueillait : « Alain, je vous fais un petit café ? » J’étais toujours impressionné par l’humilité de la maîtresse de maison, par cette douceur qui m’apaisait. Dans le salon, Joseph m’attendait.
En toute discrétion, Madame Rouffanche apportait, dans des tasses en porcelaine, le « petit café » … et des petits gâteaux. Un rite. Puis, elle disparaissait avec un « je vous laisse » ! Je ne comprenais pas pourquoi elle s’éclipsait ainsi. Pourquoi ne souhait-elle pas partager nos conversations ? J’avais envie de lui dire : « Madame Rouffanche, s’il vous plaît, asseyez-vous avec nous ! » Mais c’était comme si une loi tacite, quelque part, stipulait que la poésie était une affaire d’hommes ! Peut-être sa présence m’aurait-elle rassuré ? Mon angoisse, en effet, était de ne pas dire trop de bêtises face à Joseph. Car Joseph aimait la poésie ; il vivait la poésie. Il en parlait comme si elle était une maîtresse. Follement. La poésie était sa passion ; la poésie était son orgueil. Entre douleur et bonheur. Il avait toujours mal aux tripes de la vie. Pour paraphraser Aragon, il aurait pu dire, faisant référence à la poésie : « Je te porte dans moi comme un oiseau blessé … » Car Joseph avait longtemps réfléchi à la poésie. Elle l’habitait. Il en avait une vision précise et donc de solides convictions ; en particulier sur son état, aujourd’hui. Une nostalgie ? Une clairvoyance ? Sans doute aurait-il voulu en débattre plus souvent. Et, lorsqu’il en débattait, il ne rechignait pas à la confrontation. Il faut lire l’introduction à son encyclopédie 12 poètes 12 voix(es), douze poètes limousins, et sa « préface » de 80 pages intitulée Une crise profonde. (Aux éditions Cahiers de Poésie Verte). Joseph avait une conception ouverte de la poésie : s’il a bien voulu écrire une préface à mon recueil Les Rapaces, c’est après en avoir discuté longtemps avec moi, car mes textes étaient bien différents des siens. Cependant, il avait bien voulu leur accorder de la valeur.
Cela dit, en réalité, pour en revenir à la préparation de cette lecture du mois de mars à la BFM, mes visites étaient destinées, au départ, à élaborer un ordre de passage de nos textes. C’était l’intention. Dans les faits, Joseph débordait de poésie. Il disait : le chant, la métaphore, Follain, etc. etc. Deux heures plus tard, j’ignorais toujours qui allait commencer la lecture et à quel moment la violoniste interviendrait, mais j’avais passé deux heures comme un enfant qui écoute un conte. Un enfant de quarante ans ! Fallait-il que je retourne à l’école ou devais-je me rassurer en lisant ces compliments que Joseph avait écrits à propos de ma poésie : « Un poète d’une vigueur exceptionnelle » ou bien « Poursuis ton œuvre poétique admirable » ? Tous ceux qui écrivent savent combien ce genre d’éloges peut faire du bien !
Joseph, je le connaissais bien : il a toujours été présent à mes côtés. Dans le milieu des années 60, déjà attirés par la poésie, Paul-Henri Barillier, David Ranz et moi avions créé un groupe que nous avions baptisé (avec quelle originalité !) Art et Poésie. Notre but était alors de lire des textes d’auteurs, à la demande. Et, bien sûr, charité bien ordonnée commençant par soi-même, nous lisions aussi nos propres textes. Et qui était là, déjà, dans la coulisse, pour nous apporter son soutien ? Evidemment, Joseph !
Dans les années 70, j’ai eu la chance d’être choisi par Joseph pour l’accompagner, dans sa 403, aux réunions que tenait Jean-Claude Valin, à Poitiers et en Charente, entouré de poètes reconnus sur le plan national et dont certains deviendront des amis. Là, entre deux verres, notre maîtresse était la poésie ! Jean-Claude Valin, professeur à la fac de Poitiers, avait beaucoup de charisme, tantôt intellectuel de haut vol, tantôt rabelaisien avec un univers de liberté bien comprise. Avec Joseph, ils avaient peu de points communs, sauf une mutuelle admiration pour leurs écrits.
Enfin, il me faut parler de la belle revue Friches fondée par Jean-Pierre Thuillas et Laurent Bourdelas. Friches, qui vient de s’éteindre avec le décès de son ‘patron’ était une revue reconnue dans le milieu de la poésie. C’était une revue de qualité qui faisait partie du Centre d’Action Poétique dont le président était Joseph. J’ai eu la chance de lui succéder à cette fonction. J’ai eu la chance, aussi, qu’il ait toujours assisté aux réunions de travail et aux manifestations que nous avons organisées.
En conclusion, il me faut mentionner le lauréat du Prix Mallarmé. Ce prix, très prestigieux, publié par Jean-Claude Valin, était (à juste titre) sa fierté, car elle est la reconnaissance de son travail et de son talent. Il permet aussi de mesurer le chemin parcouru par l’écolier interne de Saint-Léonard, un chemin qui court à travers ce Limousin qu’il aimait tant.
Joseph Rouffanche fait indéniablement partie de ma vie. Je lui dois beaucoup.
Alain Lacouchie
24.09.2022
03 Mar
Joseph Rouffanche, Le Marteau lourd – premier recueil
Joseph Rouffanche (c) Famille Rouffanche
En 1951, Joseph Rouffanche – âgé de 31 ans – a publié Les Rives blanches, sept poèmes en prose, dans les cahiers de la Revue neuve, chez René Debresse. Pour l’instant, seul le poème « Fantôme à la rivière » est visible sur le site de Gallica ; il commence ainsi : « Sur les feuillages calcinés,/ Il a posé ses doigts lassés;/Abandonné à la rivière,/Contre l’eau des troncs, sa pensée./Mainte corolle somptuaire/Et de blancs rubis constellée,/Ne lutte plus dans la lumière/contre les flammes de l’été./Parmi les branches éployées/Dont l’ombre triste s’est noyée/Sur les cailloux de la rivière,/ le même fantôme est venu […] ».
En 1954 paraît Le Marteau lourd, n° 387 des Cahiers bi-mensuels « P.S. » – c’est-à-dire Pierre Seghers – publiés par Poésie 54. Les éditions Pierre Seghers étaient installées 228, boulevard Raspail, dans le XIVe arrondissement de Paris. L’Imprimerie Spéciale de l’Edition, à Villiers-le-Bel, a achevé son impression le 4 mai. C’est un livret broché et cousu de format in-12 de 41 pages, avec un frontispice par Ernest Haumesser. La couverture illustrée à rabats est dans les tons rose et crème. Le tirage est limité à 140 exemplaires. Sept ont été imprimés sur Hollande, marqués A à G et cent quarante sur Alfamarais numérotés 1 à 140 – c’est l’édition originale.
Dans 12 poètes, 12 voix(es)[1], Joseph Rouffanche qualifie son illustrateur, lui-même auteur et poète[2], Ernest Haumesser, d’ « ami » (ils se tutoient) et publie des extraits d’une correspondance qui dure avec lui au moins jusqu’à la parution de L’Avant-Dernier Devenir, avec une lettre de 1988. D’ailleurs, l’artiste accompagne, en avril 1955, le recueil la violette le serpent édité par Paragraphes à Paris par douze dessins intitulés « l’intermède des figurines ».
Chaque numéro en édition courante est vendu 100 francs ; en édition de luxe numérotée 350 francs. Aujourd’hui, on trouve quelques exemplaires en vente sur internet, entre 20 et 80 euros. Plus de cinq cents plaquettes furent publiées dans la collection P.S.. Seghers écrivit que « la collection P.S. rassemble ceux qui sont déjà des poètes notoires et ceux qui peuvent le devenir. Elle n’est pas une collection commerciale, mais une chance donnée aux jeunes poètes. »
Dans la même collection, en 1954, paraissent les Chansons à dire de l’écrivain suisse Georges Piroué (1920-2005) ; Que le monde est beau bien-aimée de Daniel-R. Bourgouin, également romancier chez Gallimard, avec notamment Les marches de Saint-Germain, en 1962, à propos de la guerre d’Algérie ; Le droit d’asile d’André de Richaud (1907-1968), écrivain, poète et dramaturge, qui s’était lié avec Seghers au collège de Carpentras ; Tête la Première de Ghislaine Costa de Beauregard (1908-2002), préfacé par Jean Cocteau ; et enfin Corps mémorable de Paul Eluard, réédition du recueil publié en 1948 sous le pseudonyme de Brun, après la mort de son épouse Nusch[3] et illustré par Valentine Hugo. Pierre Seghers avait écrit à Rouffanche, le 29 septembre 1954, à propos de son recueil : « J’aime le ton de votre poésie, elle émerge du langage avec quelque chose de nu et de luxueux à la fois. Il y a au-delà des mots, une vision, un mouvement, une gravité qui ne trompent pas.[4] » Dans une lettre du 29 septembre 1954, Robert Sabatier écrit : « J’aime votre poésie et l’état d’esprit reflété par elle. Tendre, ô combien, dépouillée, intérieure, elle a toutes les qualités que j’aime. C’est chose assez rare et je veux vous le dire, très simplement. Du meilleur cœur.[5]»
Le rabat de la 1ère de couverture propose une photographie en noir et blanc de Joseph Rouffanche, en veste et cravate, les cheveux peignés en arrière, fixant l’objectif. La biographie, que l’on imagine donnée par lui, est celle-ci : « Limousin d’origine et de cœur Joseph Rouffanche est né le 24 septembre 1922 à Bujaleuf (Haute-Vienne). Marié, père de trois enfants, il est professeur de lettres au collège de Chasseneuil (Charente). En poésie, il serait bien embarrassé d’avouer une préférence, toutefois, son admiration pour le Rimbaud des Chansons et des Illuminations surtout, est sans mélange. Il croit devoir beaucoup à Rilke et aux Surréalistes parmi lesquels le meilleur Eluard l’enchante. Il adore Mozart et Beethoven. La vie prend un sens à ses yeux grâce à la poésie éparse dans l’œuvre d’art et dans le monde. Ila conscience d’écrire dans un état de plus grande douceur comme avec cette espèce de gravité et de tendresse qui accompagne l’amour […] ».
Bien entendu, en lisant le titre Le Marteau lourd, on pense tout naturellement au Marteau sans maître de René Char, paru vingt ans auparavant, dans lequel celui-ci écrit :
« Tu es pressé d’écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S’il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. »
Mais le titre vient du second poème dans lequel Rouffanche écrit notamment :
« J’ai […]
Cherché
Le fermoir d’or le marteau lourd […] ».
Et on le trouve encore dans « Il eut fallu », où on lit :
« La porte au marteau lourd m’interdisait l’entrée
Du parloir de l’enfance où j’eus trouvé la clé
Où j’eus trouvé le cœur de cela qui enchante […] ».
Comme Régine Foloppe, je vois dans ce poème un « hymne à l’enfance »[6]. Il n’est pas anodin que Rouffanche y choisisse son titre.
Treize poèmes du Marteau lourd ont été édités dans Où va la mort des jours, choix de poèmes 1954-1965, suivi de Seul pays, chez ORACL-édition à Poitiers en 1983, qui permit à l’auteur d’obtenir le Prix Mallarmé l’année suivante. On imagine que Joseph Rouffanche a choisi ceux des poèmes du recueil qui lui plaisaient le plus vingt-neuf ans plus tard. Le premier d’où est tiré le titre ne fait plus partie de la sélection ; en revanche, « Il eut fallu » persiste.
Les poèmes sont de longueurs et de formes inégales. L’auteur préfère généralement l’assonance à la rime parfaite. Ainsi de pavane et platane, cours, toujours, détour, amour… Certains poèmes ont des titres spécifiques (20), d’autres sont simplement titrés par les premiers mots du premier vers (10). Le dernier n’a pas de titre.
Les thèmes du recueil sont ceux que l’on trouve dans toute l’œuvre de Joseph et qui ont déjà été bien étudiés précédemment. Je vais citer les principaux à mon sens et les éclairer à la lumière de certains travaux déjà édités, dirigés essentiellement par Gérard Peylet.
La nature limousine, les animaux et les éléments sont partout présents, mais, dans ce recueil, l’hiver et la neige ont une importance particulière. Dans Voici… : « Ici l’hiver fut grottes d’ombre,/Palais de givre aux jours enfuis ». Un poème porte le titre Les neiges de Noël, dont j’extrais les vers suivants : « Enfant perdu des soirs de neige ;/Voici les neiges de Noël,/Les douces neiges éblouies ! » et plus loin : « Paissez mes neiges de Noël,/Mes chastes neiges éblouies ! ». Dans La Ronde, « En le recueillement, la ronde la plus pure/Neige et s’effeuille et neige encore quelques pas. » Plus loin, il est question de « l’azur d’hivers suppliciés. » Dans Il se cueille…, « linge du gel, enfants noués,/Aux jardins, l’hiver taciturne/Fane le givre au pas nocturne. » Dans Rencontres, Rouffanche évoque « Au plus profond de la forêt/Loin des allées/L’annonciation de la neige. » Le mot avalanche est écrit. Dans La Herse d’or, les derniers vers : « Lilas blanc, vainqueur de ma nuit,/Ma neige loue ton existence. » Un poème est titré Il neige [Lecture]. Dans Des Etoiles, « De longs hivers désespérés/Neigeront sur ton oreiller ». Dans Loin de qui, il y a « la neige bruissante » et dans Sous le couvert, « Les rues s’ordonnent pour l’hiver ». Dans Il eut fallu, le poète se souvient du gui de Noël et de l’odeur du sapin de l’enfance. Dans Ame de ronce, les deux premiers vers : « Rossignol long à t’éveiller/Par tant d’hivers désespéré ». Joëlle Ducos a remarqué que la neige en tant que phénomène naturel apparaît comme le thème récurrent du recueil Où va la mort des jours, elle parle d’ailleurs d’une présence obsédante[7]. On vient de constater que c’est le bien le cas dans Le Marteau lourd. On peut suivre Joëlle Ducos dans ses interprétations. La neige est un « symbole du passé », « élément légendaire » ancré dans le monde Limousin dont le poète dit que c’est un « petit pays qui va de l’hiver à l’hiver ». Joëlle Ducos ajoute : « Cette terre ainsi qualifiée est dominée par la saison hivernale qui fait naître tous les rêves d’enfance et de tendresse (…) Inversement, les autres saisons n’ont pas ce pouvoir évocateur qui relève parfois de la féérie. » On passe du paysage limousin à l’univers d’enfance, notamment associé à Noël et au foyer chaleureux. La neige est une « image de pureté et d’intimité, minérale et fondante, immobile et vivante, étoile et terrestre, figure de solitude et d’amour (…) toujours repoussée dans un passé rêvé et révolu, et semble la figure d’un idéal désormais impossible à atteindre » ; il y a « un regret permanent [du] bonheur passé. Neige d’antan, elle représente la pureté de la matière et la source d’inspiration poétique absolue, même si sa rêverie ne peut qu’amener une nostalgie. »
La nostalgie est sans doute celle des temps heureux de l’enfance – « Ô mon enfance protégée ! » écrit le poète, qui évoque l’ « Enfant perdu des soirs de neige » et « l’enfant roux » qu’il était. Dans la « Petite suite d’été », « Un enfant court sur la route » avec « sa chevelure d’été » « Et son regard de bête blonde ». On songe immédiatement à Rimbaud, à son « J’ai embrassé l’aube d’été. » Rouffanche écrit : « L’escalier rencontre le visage tendre de l’aube./Il la retrouve ; ils sont amis. » Rimbaud : « L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. » Rouffanche mentionne aussi « Les belles dames d’autrefois. » Peut-être femmes de ses parages enfantins, peut-être réminiscence de la Ballade des dames du temps jadis de François Villon. Dans « Sous le couvert… », Rouffanche écrit : « Les enfants viennent écouter/Le ruissellement des merveilles » et « Aux devantures immergées/Les enfants font choix de jouets. » Au-delà du mystère, il s’agit bien de l’émerveillement de l’enfance. Comme l’a souligné Régine Foloppe : « une enfance unanimement émerveillée, extasiée « corps et âme »[8]. Dans l’une de ses études, Gérard Peylet a travaillé à propos du passé et de l’enfance dans les proses de Jean Follain et les poèmes de Joseph Rouffanche[9]. Il a notamment montré que « le poète transforme une impression d’être au monde en instant poétique. L’instant devient conscience suraigüe d’un temps à l’état pur, miraculeusement sauvegardé et immobilisé par l’image. » Il ajoute : « nous savons bien que les poèmes de Joseph Rouffanche naissent en partie de la mémoire et qu’ils nous offrent des instants mi-vécus et mi-inventés ». Et, bien entendu, que la nostalgie nourrit la poésie de Rouffanche, puisque l’enfance est un temps achevé, vécu et peut-être rêvé, que le poète essaie de retrouver. Mais le temps passe inexorablement, il est « porteur de chaînes » dans le poème « Demi-Saison » et les « passe tendrement » à l’auteur, en s’éloignant avec un sourire. Dans « Voix fertiles », Joseph Rouffanche annonce : « Il va falloir quitter les rives/De l’enfance et de la mémoire ». Gérard Peylet parle de la tentative de combler un vide existentiel. On se souvient alors de Charles Baudelaire, dans Moesta et errabunda :
« Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie (…)
– Mais le vert paradis des amours enfantines,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,
Est-il déjà plus loin que l’Inde et que la Chine ?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voix argentine,
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ? »
Dans Le Marteau lourd, c’est Il eût fallu qui livre une possible clef :
« La porte au marteau lourd m’interdisait l’entrée
Du parloir de l’enfance où j’eus trouvé la clé
Où j’eus trouvé le coeur de cela qui enchante »,
avec la convocation d’impressions parfois fugitives – de connotations, pour reprendre l’expression de Georges Mounin, « tout ce que peut évoquer, suggérer, exciter, impliquer de façon nette ou vague… la valeur d’un terme… chez chacun des usagers individuels de ce terme » – pour tenter de partir à la recherche du temps perdu. C’est sans doute l’un des principaux travaux d’écriture de Joseph Rouffanche – qui convoque aussi l’absence, les absents (comme les doux chercheurs de champignons effacés) et les morts qui se plaignent de l’oubli ; sa poésie deviendrait en quelque sorte un memento mori. On se souvient de ce que se demande le narrateur du Temps retrouvé de Marcel Proust : « si tous les gens que nous regrettons de ne pas avoir connus parce que Balzac les peignait dans ses livres […] ne m’eussent pas paru d’insignifiantes personnes, soit par une infirmité de ma nature, soit qu’elles ne dussent leur prestige qu’à une magie illusoire de la littérature ». Il en va de même des personnes, des détails, des objets, convoqués par la poésie de Rouffanche : « Vieillards tombés en songerie/Au banc tiédi de l’habitude », « promeneuse de jadis », « mufles des bêtes », « ythme étrange de la ronde », « Aux jardins, l’hiver taciturne », « l’écluse encombrée », « tous les hommes dans un seul village » ou « les belles dames d’autrefois ». Ses souvenirs nous en rappellent d’autres.
Le Marteau lourd est aussi un recueil de la tendresse, plusieurs fois mentionnée. j’ai cité le temps qui passe tendrement des chaînes – c’est donc ici une tendresse quasi mortifère. Mais dans « Mon silence », « La tendresse est l’allée de mon plus beau château », écrit le poète. Ailleurs, il est dit : « Tu deviendras mon tilleul tendre » ou « la tendresse se lève », ou bien encore « D’aussi loin que je me souvienne/voltigent les libellules d’une tendresse sans bornes ». Et puis, il y a l’ « Hymne à la tendresse ». Il s’agit là d’une quête, où la nostalgie une fois encore est de mise et même citée. Elle est prétexte à de nombreuses images qui font poésie et semble anihiler le temps : « Pour toi le temps n’a d’existence ! » Et c’est bien de tendresse dont il s’agit, qui demeurera, écrit Rouffanche, « Quand j’oublierai la maison de l’amour/Quand je perdrai les traces de l’amour ! ». On songe ici à Pierre Reverdy, dont un poème s’intitule « Tendresse », où il écrit : « Il y a le temps roulé sous les plis de la voûte/Et tous les souvenirs passés inaperçus » et plus loin : « Je n’ai plus assez de lumière/Assez de peau assez de sang/La mort gratte mon front ». La tendresse, dernière consolatrice, peut-être.
Comme, surtout, la poésie – si présente, si belle – dans ce premier recueil, qui place déjà Joseph Rouffanche parmi ceux qui comptent, comme en témoigneront au fil du temps ses pairs, les critiques et les universitaires qui l’auront lu. Une poésie, pour reprendre l’expression de Claire Meyrat-Vol, « qui ouvre sur l’infini et touche à la splendeur du monde »[10] car, pour reprendre un vers du poète, « il ne saurait être « aveugle à la beauté des choses ». Je retiens quelques images dans Le Marteau lourd : « l’espace où la forêt/A la rivière fait offrande,/Où la solitude et la paix/Viennent s’unir dans l’or des brandes. » Ce dernier mot rappellant le titre du recueil de Maurice Rollinat. Et puis encore : « La lune aux seins mauves s’effeuille », « La route où la beauté/Retrouve le mystère », « Mon silence est d’azur, de places et de plages », « Et fanèrent et s’épanouirent dans l’eau claire et les jardins en terrasses,/Les corolles de magnolia », « Aux lacs, les carpes d’ombre/Humaient l’azur, avec lenteur », on serait tenter de dire, toujours en citant le poète, tout un « ruissellement des merveilles ».
Ce sont toutes ces merveilles qui sont présentes dans Le Marteau lourd comme elles le seront dans les autres œuvres de Joseph et c’est leur présence qui font que j’aime sa poésie.
[1] Joseph Rouffanche, 12 poètes, 12 voix(es), Cahiers de Poésie Verte, 1997, p. 428 et suivantes.
[2] Par exemple publié par La Tour de Feu de Pierre Boujut.
[3] Annie Coppermann, Corps mémorable, de Paul Eluard, Les Echos, 31 déc. 1996 (en ligne).
[4] Joseph Rouffanche, 12 poètes, 12 voix(es), op. cit., p.432.
[5] Joseph Rouffanche, 12 poètes, 12 voix(es), op. cit., p 432.
[6] L’émerveillement dans l’œuvre poétique de Joseph Rouffanche, in « Joseph Rouffanche », Analogie, 1991, p.31.
[7] « Mais où sont les neiges d’antan… », « Joseph Rouffanche et la poésie post-surréaliste : un poète entre Terre et Ciel », Eidôlon, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, Septembre 2000-56, p. 136.
[8] L’émerveillement dans l’œuvre poétique de Joseph Rouffanche, op.cit., p. 15.
[9] L’horizon poétique de Joseph Rouffanche, études réunies et présentées par Elodie Bouygues, PULIM, 2011., p.p. 35-48.
[10] « La splendeur du monde », Ibid., p. 113.
Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (39): Philippe Lars , comédien et chanteur, raconte son parcours théâtral
Philippe Lars (c) Yann Brisson
« Ma première expérience de théâtre, si l’on exclut le rôle de petite souris en maternelle (qui m’avait tout de même procuré quelques émotions mais dont je ne me souviens guère), fut en CM1. Le remplaçant de l’instituteur nous avait proposé de jouer quelques saynètes de Pagnol. J’avais été choisi pour interpréter César dans la célèbre partie de cartes issue de Marius. Le plaisir que j’ai eu alors de faire rire les autres et de jouer à être quelqu’un d’autre tout en affirmant ma personnalité ne m’a plus jamais quitté. Au collège, à Firmin Roz, vite désireux de retrouver ces sensations, j’ai intégré le club théâtre mené par Jean Louis Roland. En parallèle en classe de français (avec Mme Daudet) je me distinguais en jouant des extraits de Molière à toutes les sauces…. Accents, pitreries faisaient encore rire à l’époque, et oui Michel Leeb était passé par là. Avec M. Roland les choses étaient plus construites. Nous apprenions des sketches de Bedos, les diablogues de Dubillard, du Queneau etc.. Une représentation annuelle était organisée en fin d’année scolaire. Grand moment de réalisation de soi, de trac, de rires joyeux ou nerveux. La petite salle de Jean Moulin était comble à craquer. Mes frères me félicitaient, ce qui était quand même une performance. Même mon père s’y amusait. Me mère, qui refusait que l’on fasse alors du sport ou de la musique (à cause de sa religion/secte les témoins de Jéhovah), acceptait que je fasse du théâtre car elle-même jeune fille avait été la star du collège pour son interprétation d’un curé dans je ne sais plus quelle pièce… Au lycée j’ai donc recommencé l’expérience du club théâtre avec Catherine Lejean comme animatrice. Nous avions joué des textes de témoignages de tribunal et également un collage de textes de Shakespeare. Le théâtre prenait une dimension autrement plus intellectuelle. Il ne s’agissait plus seulement de faire rire mais de créer de l’émotion, de faire réfléchir. De fracasser les consciences comme dirait l’autre !
Arrivé à la fac j’ai trouvé sans vraiment chercher une troupe de théâtre à laquelle je suis resté longtemps attaché, la troupe universitaire nommée la Balise. De mémoire c’est Mohamed Maach qui l’avait créée. Elle était depuis longtemps endormie avant d’être réveillée par des étudiants de médecine notamment. Deux d’entre eux étaient Frédérique Meissonnier et un peu plus tard Jean Philippe Villaret. Je travaille d’ailleurs toujours avec ce dernier qui est l’éclairagiste de mes spectacles de théâtre ou de musique. A la Balise, ma conscience du collectif s’est accrue. Nous sommes partis à Avignon dans un combi Volkswagen, nous avons construit une petite salle de spectacle à Limoges (Le Caf’teur). C’est l’époque aussi où j’ai commencé à chanter de plus en plus (auparavant disons que je criais plus, je faisais du métal). Ce qui m’a valu en 1998 d’être sélectionné pour le printemps de Bourges. Mais c’est un tout autre parcours !
Revenons au théâtre. Sur les conseils de mon frère Simon, j’ai passé le concours du conservatoire d’Art Dramatique. La classe était menée alors par Michel Bruzat, metteur en scène bien connu ici et ailleurs. Simon avait de l’admiration pour cet homme et m’a convaincu que cela ne pourrait que m’améliorer dans mes désirs de vie artistique. J’ai donc passé trois ans dans la classe de Michel et obtenu un diplôme de fin d’étude d’Art Dramatique qui doit bien traîner quelque part chez moi. Michel m’a ensuite confié des rôles dans plusieurs de ses productions (C’est beau une ville la nuit de Bohringer, un clown dans Cabaret Dimey). C’est évidemment auprès de lui que j’ai le plus progressé et ce, dans tous les domaines artistiques que je pratique. Je suis parti à Avignon avec lui aussi pour y jouer le cabaret Dimey, mais cette fois-ci nous avions la chance d’être rémunéré pour cela. Il m’a également conseillé pour plusieurs de mes spectacles de chansons. Bref, un homme important s’il en est dans le parcours qui est le mien.
J’ai participé aussi à d’autres créations depuis 20 ans. Je ne pourrais les citer toutes. Les plus récentes (2019) sont : Le Silence de la Mer de Vercors avec la Compagnie Les pieds dans les étoiles, mise en scène de Pascale Colombeau, rôle de Werner Von Ebrenach et le Limoges Opéra Rock de Pascal Chamoulaud où j’incarne des rôles chantés sur la ville qui m’a vu naître et qui a été donné à l’Opéra de Limoges. J’ai par ailleurs joué dans des fictions tels que le Village français (rôle de Sorbier) et tourné dans des projets vidéos avec notamment Koox Productions. J’oublie bien d’autres projets auxquels j’ai participé…
Le théâtre et la musique se mêlent souvent dans les projets que je choisis. Ce qui me convient très bien ! »
21 Jan
Notice pour servir à l’histoire du Limousin (38): Le témoignage de Jean-Pierre Descheix
Jean-Pierre Descheix, formidable dans Montaigne mis en scène par Michel Bruzat à La Passerelle (c) F. Roncière
Après des études de chant et d’art dramatique au C.N.R. de Limoges, le talentueux Jean-Pierre Descheix mène une double carrière de comédien et de chanteur . Au théâtre, principalement avec la troupe de La Passerelle, il a interprété – avec toujours un grand talent – notamment les rôles d’Oronte dans Le Misanthrope de Molière, du Philosophe dans Le Neveu de Rameau de Diderot, de Bougrelas dans Ubu Roi de Jarry, etc. Au cinéma, on a pu le voir dans La Cérémonie de Chabrol (1995). Le théâtre musical étant son domaine de prédilection, il apparaît dans nombre de spectacles mêlant chant et comédie, y compris en tant que chanteur soliste. Je me souviens l’avoir vu au festival de Saint-Céré avec beaucoup de plaisir. C’est lui qui a pris la suite de Michel Bruzat comme enseignant au C.N.R. de Limoges.
« D’après mes lectures et discussions avec mes congénères comédiens de tous poils, il semblerait que le virus du théâtre remonte à chaque fois et presque à coup sûr à la petite enfance. D’où vient ce virus ? Je n’ai jamais réussi à le déterminer. Il ne me vient pas de mes ascendants qui étaient tous peu ou prou dans le monde agricole. Bien sûr, mon père était projectionniste de cinéma dans la campagne dordognaise dont je suis issu. Il avait fait figure de pionnier en délaissant la terre pour acheter un appareil de projection au tout début des années 50 et monter ce qu’il avait intitulé « La Tournée des Fidèles », une petite épopée hebdomadaire qui le menait soir après soir dans des villages de la région Périgord Vert pour « passer » un Tarzan ou autre Fernandel. Je me souviens (même si je n’étais pas né !) que sa première séance, la « fétiche », avait été consacrée à Knock avec Louis Jouvet. Mon père était très investi dans cette activité et y trouvait un plaisir évident. Je ne suis pas certain que ce soit la passion toute entière pour le 7ème art qui ait guidé son choix mais sûrement aussi l’envie très forte de ne pas être un « glébeux » et certainement encore l’attrait d’un filon en pleine expansion, donc rémunérateur. J’ai donc, tout de même, baigné dans les films très tôt et en ai vus et revus, certains plusieurs fois. Les photos des acteurs me fascinaient. Les affiches dessinées de l’époque aussi. Voilà pour le biotope.
D’autre part, on m’a toujours dit que, déjà tout petit, ma grande passion était d’imiter les gens de mon entourage – avec un certain talent de vérité, paraît-il. Je me vois encore mimer toute la messe, un peu plus tard, à faire pisser de rire ma grande sœur. Je me rappelle aussi passer le plus clair de mes récréations, en primaire, à organiser des représentations de théâtre…et en être le principal acteur, bien sûr ! De passer mon temps libre à me déguiser, à entraîner un copain et une copine choisis pour faire encore et toujours du théâtre, partout, dans mon grenier, sur la scène de la salle des fêtes (mon père détenait la clé), dans la rue, en famille, etc. Nous n’avions pas la télé pourtant et ne l’avons eue qu’en 1973. Evidemment ! Elle avait tué le cinéma. Solidarité familiale ! J’allais la regarder ailleurs et, bien sûr, il y a eu ce fameux « Au Théâtre ce soir » pour lequel j’éprouvais une vraie passion…comme à peu près tout le monde ! Il faut dire que j’étais estampillé « bon en récitation » depuis l’école primaire et que ma prestation était attendue régulièrement par mon professeur de français qui s’en délectait à l’avance. Je me souviens précisément de sa mine gourmande quand il m’invitait à me lever pour livrer mon dernier texte appris. Je m’aperçois qu’il a donc fallu que ce virus soit très fort pour m’atteler, en 4ème, à monter et à jouer –je n’aurais laissé à personne le droit d’incarner le garçon aux cheveux roux ! – une adaptation de Poil de Carotte que j’avais faite et ronéotypée moi-même à partir du roman de Jules Renard (je n’ai su que plus tard que la pièce existait, écrite de sa main même). Je me souviens avoir écrit des fragments de pièce très inspirée du plus plat vaudeville, puis plus tard des livrets d’opéras plus tard encore des parodies stylistiques de Tchekhov ou de Gombrowicz.
Tout naturellement, je me suis inscrit, à 17 ans, au cours d’Art Dramatique du conservatoire de Limoges dans la classe de Jean Pellottier qui a su très vite faire éclore ma dilection pour les rôles dits de « caractère ». Avec lui, j’ai appris les bases du théâtre classique, l’importance de la diction (il m’a fallu perdre mon accent du sud, peu fait, semblait-il, pour Molière ou Racine), la scansion de l’alexandrin, l’exigence de la poésie, la compréhension des œuvres, la rigueur mais aussi la fantaisie, la joie d’être sur scène et même d’y cabotiner un brin. Ce fut un maître à sa manière et même s’il nous expliquait souvent la différence entre les deux façons d’aborder le jeu, la catharsis et la distanciation brechtienne, j’ai gardé de son enseignement la passion d’être sincère et un certain goût pour le naturalisme dans le jeu. Pas vraiment de la distanciation, donc.
Plus tard, Michel Bruzat, qui est un autre de mes maîtres, sans doute le « maître » dans l’acception proposée puisque je ne l’ai pas eu comme professeur. C’est grâce à sa patience, sa confiance et sa fidélité que le comédien en herbe que j’étais a pu, spectacle après spectacle, naître à la scène, s’épanouir, grandir, se révéler. En 1987, lors de l’ouverture du Théâtre de la Passerelle, je fus du premier spectacle La Cerisaie et l’année suivante, Michel prit le pari de me confier mon premier monologue. C’était Enfantillages de Raymond Cousse. Encore aujourd’hui, je trouve incroyable de sa part de m’avoir confié cet imposant monologue qui m’a fait faire un bond en avant dans ce métier. Je me rappelle avoir eu des heures difficiles où je me trouvais sans ressource devant l’improvisation. J’étais alors très peu capable de trouver des propositions en scène à jet continu, d’accepter « d’y aller », de me tromper, de rebondir et j’avais du mal à « décoller » de la littéralité du jeu scénique. C’est Michel qui m’apprendra à fuir la redondance, l’illustration, le cliché, la facilité, la trivialité et érigera le corps en maître, pour sortir de la pensée et de l’intellect. C’est d’ailleurs ce qu’il enseigne inlassablement et avec succès à des générations d’élèves acteurs dans le cadre du conservatoire. Certains sont devenus de beaux acteurs. Et il continue à proposer à des comédiens en herbe des partitions difficiles, des monologues, en allant jusqu’ à leur offrir des représentations publiques dans un cadre professionnel. Et je suis toujours émerveillé de voir combien, avec la confiance, ceux-ci produisent des choses incroyables. Nous avons ensemble, à ce jour, fait 20 spectacles ensemble. C’est lui qui a fait de moi un comédien professionnel. Et la confiance mutuelle est notre ciment. J’ai été choisi par Michel pour la première participation de la Passerelle au Festival d’Avignon en 1993, avec le monologue Le Frigo de Copi. Depuis, il s’est rarement passé une année où la Passerelle n’ait été présente à Avignon et, pour ma part, j’y ai participé 7 fois. Pour parodier la chanson bien connue, je peux dire à Michel Bruzat : « Ma plus belle histoire de théâtre, c’est vous ». J’ai connu d’autres metteurs en scène, surtout dans le lyrique ou le théâtre musical, mais aucun n’a été un « maître ». Petite réflexion : derrière un maître, il y a souvent toute une lignée ascendante. Derrière Michel, on peut « lire » certainement Valde et Vitez – notamment – qui furent, entre autres, ses propres maîtres.
J’ai toujours eu la double casquette de comédien et de chanteur.
J’ai fait conjointement des études de chant et d’art dramatique au conservatoire de Limoges. Pendant onze ans, de 1980 à 1991, j’ai été instituteur et en même temps choriste au Grand Théâtre de Limoges. Le théâtre s’est imposé sur le tard, justement avec la création de la Passerelle et j’ai démissionné de l’Education Nationale pour devenir ce qu’on appelle laidement « intermittent du spectacle ». À partir de ce moment-là, j’ai alterné les productions de théâtre, d’opéra et d’opérette en soliste, de comédie musicale, de cabaret, de chanson. J’ai fait quelques mises en scène, toujours de spectacles musicaux et participé à une dizaine de films et de courts-métrages. Je ne saurais dire ce qui serait ma prédilection. Quand je suis sur un projet, quel qu’il soit, c’est cette forme-là que je préfère.
J’ai fait aussi un passage par l’enseignement du théâtre en conservatoire et il se pourrait que ce soit une nouvelle voie possible (c’est effectivement ce qui est advenu, NdA). Diriger des acteurs, quels que soit leur niveau, est très exaltant. Faire trouver sa vérité à un comédien sur scène est une expérience jubilatoire renouvelée. C’est aussi, à mon sens, un acte politique puisqu’il permet à tout un chacun de réfléchir à ce qu’il dit, comment il transmet, manipule même parfois, comment il se positionne par rapport à ses idées, ses convictions, à ce qu’il veut changer, non seulement en lui mais en l’autre, en éveillant les consciences. La fonction miroir si importante au théâtre.
(L.B.) Que pensais-tu de la vie culturelle et théâtrale à Limoges dans ces années-là ?
J’imagine qu’il s’agit des années d’apprentissage. Je les situerai donc entre 1976 et 1990. De mes 16 ans à mes 30 ans. Une première remarque qui me semble toujours vraie aux vues de ce que je vois lors de mes contacts avec les élèves de Michel, ceux que j’ai eus en conservatoire récemment et ma propre expérience d’ado ou de jeune adulte : aller au-devant des manifestations culturelles de sa ville ne va jamais de soi ! Je constate que très peu vont voir des spectacles et ce n’est pas forcément un problème économique. La curiosité, ça s’apprend. Le rôle des enseignants me semble prépondérant lorsque les parents ne peuvent s’en charger ou n’en ont pas la culture.
Dans mon souvenir, je revois quelques spectacles du Théâtre du Limousin – un peu l’ancêtre du CDN semble-t-il, montés par Jean-Pierre Laruy et sa troupe de fidèles comédiens. Je me rappelle l’étonnante chapelle de la Visitation comme un des rares lieux de théâtre autres que le Grand Théâtre et le CCSM Jean Gagnant. Jean Gagnant où j’allais voir les spectacles amateurs de la compagnie Les Masques de Lacouchie, parce que des copains du conservatoire y jouaient ou que Dominique Desmons y faisaient des musiques de scène. Mon lieu de prédilection était bien entendu le Grand Théâtre puisque j’y étais figurant puis choriste. Mais je jouais dans les spectacles et j’allais très peu en voir. Il m’arrivait de me faufiler par la petite porte qui donnait sur le hall et de m’immiscer dans le public pour voler un bout de spectacle de théâtre. C’était l’époque des tournées Barret, entre autres, mais je ne m’intéressais guère à tout ça, plus préoccupé par l’envie de jouer moi-même que d’aller m’inspirer des autres. Je me souviens, par exemple, avoir regardé d’un œil dubitatif Le Père Noël est une Ordure, trouvant que c’était n’importe quoi. Pièce devenue culte par la suite. Je regrette à présent de ne pas avoir mieux regardé ces acteurs que j’estime beaucoup. En fait, à l‘époque, je n’avais pas de discernement sur ce qu’était le « bon » ou le « mauvais » théâtre. Je crois même que je trouvais le théâtre classique embêtant, pompeux et un peu ridicule. Donc, je pourrais résumer en disant que l’éventail culturel du spectacle vivant me paraissait diversifié et abondant à l’époque, comme je juge qu’il l’a toujours été et l’est toujours à Limoges.
Je savais qu’il existait une programmation importante de chanson et cabaret (j’y inclus les humoristes) aux divers centres culturels, que le Grand Théâtre accueillait des chanteurs connus, de la danse, du théâtre, de l’opéra et de l’opérette en abondance – ça s’est réduit , qu’il y avait le fameux Hot Club qui drainait beaucoup d’adeptes.
Et puis il y eut les Francophonies et plus tard Danse Emoi, qui ont doté la ville d’une aura nationale et internationale considérable. J’ai vu quelques spectacles de ces manifestations périodiques mais assez peu finalement, tout en considérant leur excellence.
Et je m’aperçois, en me faisant la réflexion qu’il n’y avait pas beaucoup de lieux pour accueillir des créations de théâtre à Limoges (et c’est toujours le cas aujourd’hui, à part Noriac), que j’allais oublier purement et simplement l’autre lieu subventionné associatif qu’est Expression 7 de Max Eyrolle ! Je pense que je fais cet oubli car mon histoire n’est jamais passée par ce lieu et ce metteur en scène. J’y ai vu des spectacles bien sûr, plus ou moins appréciés, mais il semble que nous n’ayons pas, Max et moi, les mêmes affinités théâtrales. J’ai toujours ressenti même – et je ne sais honnêtement pas si c’est réel– une sorte de concurrence (à quel niveau ?) entre Passerelle et Expression 7. Les publics y étaient sensiblement différents, d’ailleurs. En tout cas, deux lieux de cette sorte dans une ville de moyenne importance, c’est assez rare, ce qui prouve que la création théâtrale est bien représentée (et bien soutenue ?) à Limoges.
Pour en finir avec ce chapitre, je retranscris ce que je répondais et réponds toujours farouchement à qui se gausse de Limoges: « Si on désire faire chaque soir une sortie culturelle à Limoges, il y a toujours un spectacle quelque part ! »
(Je me souviendrai toujours de Mr Florent, le fameux directeur du cours parisien, qui avait ironisé lors de mon premier jour dans son cours : « Ah bon, il y a un conservatoire à Limoges ? »). Ce cliché sur la vie en région et notamment sur la mienne a le don de me mettre en rage !
(…)
(L.B.) Que représente le théâtre aujourd’hui pour toi ?
Le théâtre c’est ma vie à plein temps – quoiqu’intermittent, ce qui est inhérent au genre –, c’est mon métier – car c’est bien un métier (qui a dit : ouvrier du rêve ?) depuis 1991 où j’ai lâché celui, plus classique, d’instituteur pour celui-ci. C’est, principalement, partager des aventures humaines avec des congénères éprouvant la même passion et avec des metteurs en scène qui doivent être idéalement des accoucheurs de sens et d’émotions de toutes sortes. La joie de jouer, de renouveler l’implication totale de l’enfant qui joue. C’est aussi faire découvrir ou redécouvrir des écrits d’auteurs remarquables et les partager avec le public. C’est peut-être ce qui s’est le plus affirmé dans mon parcours ces dernières années, notamment avec les humanistes comme Erasme et Montaigne dont je trouve jubilatoire et important de porter la parole par le biais de l’incarnation à destination des frères humains. Cette composante anti égocentrique est une des belles surprises de cette partie tardive de ma carrière, un des bons effets de la maturité.
Je serais tenté de disserter sur la fonction politique du théâtre mais je crains de m’y casser le nez, cette notion restant floue pour moi.
Je ne revendique rien, sinon ce que j’ai exposé plus haut, à savoir partager en vibrations mutuelles des idées fortes, des émotions, des convictions – car ce que je communique, je le fais car j’y crois à 100 pour 100. Et la fonction du rire, de la bouffonnerie, du divertissement, de la musique, du chant, n’est pas un petit détail dans ma façon de montrer les choses.
Bref, je défends vraiment le spectacle vivant même si je ne crache pas sur l’audiovisuel. Rien ne vaudra jamais les échanges d’énergies que l’on trouve dans une salle de spectacle où « il se passe quelque chose » !
(L.B.) L’avenir du théâtre pour toi ?
Je ne m’inquiète pas pour l’avenir du théâtre. Je crois qu’il bénéficiera toujours, quelles que soient ses formes, de l’assiduité d’une petite frange de gens touchés un jour par sa grâce ou plutôt sa force.
Je crois qu’il faudra de plus en plus amener les jeunes générations au théâtre pour leur montrer autre chose que ce qu’ils voient sur les écrans, les préparer à recevoir ce qu’ils peuvent parfaitement comprendre.
Les formes de théâtres se sont diversifiées tout au long du siècle dernier. Et ça s’est peut-être accéléré depuis 30 ans avec les supports diversifiés de la culture. Il cohabitera toujours des formes de spectacle vivant contrastées que l’on peut juger bonnes ou mauvaises à son aune, mais, pour moi, tant qu’on se déplacera pour s’asseoir dans une salle, il y aura vivacité du théâtre.
Bien sûr, on constate dans la Mecque du théâtre qu’est Avignon que le stand up et autre café-théâtre prennent énormément le pas sur le « classique » et c’est parfois désolant. Mais je pense qu’il y aura toujours des créateurs qui sauront faire passer le grand vent dans leurs créations sur des auteurs contemporains ou leur reprise du répertoire. Je m’émerveille souvent de la force de renouvellement de l’acte théâtral à travers ce que je vois ici et là.
Depuis la nuit des temps, l’homme a fait du théâtre, mû par je ne sais quelle nécessité de représenter l’activité et la personne humaines. Il me semble que si toute haute technicité disparaissait, il se trouverait toujours un groupe d’hommes pour jouer et dire et un autre pour le regarder et l’écouter. »
Notice pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (37): L’atelier du lundi soir au collège Maupassant de Limoges avec Isabelle Cardona
Isabelle Cardona enseigne les lettres modernes au collège Guy de Maupassant à Limoges et elle anime l’atelier théâtre de cet établissement. Elle y fait vivre de beaux moments aux élèves et aux spectateurs et suscite des vocations. Depuis des décennies, dans divers établissements, des professeurs ont œuvré en faveur du théâtre auprès de générations d’élèves – parmi eux, Mme Guillou, mon excellent professeur de français au collège Donzelot de Limoges, qui nous fit jouer Les Fourberies de Scapin et Knock.
« La première fois que je suis allée au théâtre, j’étais à Gay Lussac, en première et ma prof de français, Madame Lacombes (merci à elle à qui je dois de faire ce même métier) avait organisé la sortie. « La Limousine » venait de rouvrir ses portes et Arlette Tephany et Pierre Meyrand montaient La Folle de Chaillot. Choc inoubliable, telle Pretty Women devant La Bohème, je n’oublierai jamais : la salle, le plateau, les costumes et le JEU !
Et puis ? Et puis à la fac, l’envie d’y goûter, d’essayer d’en faire ! Mais déjà avec l’idée d’en faire faire. Fievet-Palies et Michel Bruzat sont là pour l’initiation : je découvre la peur d’y aller, de jouer , le fou rire nerveux et le plaisir de faire vivre un texte, des personnages.
A Brive, puis à Dunkerque, je m’amuse et les élèves aussi. Ce sont des moments de bonheur avec leur point culminant : la représentation où on rit tous ensemble de toutes les surprises du direct : le plateau, sur lequel l’élève roulé dans un drap joue un asticot, ne glisse pas, les techniciens, stimulés par la bière du Nord, rient et parlent plus fort que les élèves, la salle est vivante et bruyante, comme avant le noir, et avant André Antoine. Mais rien n’a d’importance : on joue, et j’apprends.
C’est de retour en Haute-Vienne que je découvre le travail d’un prof avec son intervenant : Céline Garnavault me fait faire mes premiers pas, l’adorable Julien Bonnet me bluffe par sa sensibilité , sa créativité, les merveilleuses Katherine Lorich ou Joëlle Pascal sont maternelles et autoritaires à la fois, Hervé Herpe est sympathique et rassurant, Nadine Béchade est incroyable, elle amène les enfants si loin…, la douce et fine Fabienne Muet, le mignon Thomas Visonneau avec qui on travaille dans une bonne humeur perpétuelle, et mon génie du moment : Frédéric Périgaud, il est énergique et joyeux, et trop sensible pour que j’en dise davantage. Chacun d’entre eux m’apprend quelque chose, chacun crée son lien particulier avec le groupe. Je suis d’abord surprise devant leurs exercices, je suis ravie et même éblouie de voir travailler un comédien, de voir une œuvre se créer sous mes yeux. Et enfin, je découvre le plaisir du duo que l’on forme peu à peu, du travail à deux, de la complicité qui nait, des fous rires, des regards fusionnels qu’on échange quand on voit, sous nos yeux, avoir lieu une métamorphose. Car il y a de la magie au théâtre.
Nous sommes les témoins de ce que les enfants sont capables de faire d’une séance à l’autre, d’une année sur l’autre. Le récitant, façon 17e, soudain donne sens à son texte : Yliess qui déclamait en 6e du Marivaux en s’arrêtant au hasard dans les phrases et qui en 3e nous fait hurler de rire en proposant la tirade du nez comme un pro. Il y a le timide qu’on n’entendait pas et qui s’impose soudain : Arnaud qui ne joue pas, jamais, et qui d’un seul coup devient juste et nous impressionne tellement que sa partenaire en a la réplique coupée ! L’adolescent et l’adolescente qui réussissent à jouer une scène d’amour après avoir résisté de tout leur corps pendant six mois : je n’oublierai jamais quand Vanessa embrasse soudain Léo avec une sensualité qui nous laisse sans voix, quand Jeanne prend tendrement Théo dans ses bras et nous procure une émotion totale. Et il y a le contrarié qui soudain s’amuse. Cela fait partie des surprises : ceux qui rechignent. Ils se sont incrits mais ils sont en refus de tout jeu, même d’un exercice sans risque, ils soupirent à la moindre consigne. Et bien sûr, ce sont ceux-là qui, lorsqu’enfin ils s’ouvrent, nous rendent fiers. Là où le spectateur ne voit qu’un petit rôle, qu’une courte réplique, nous, nous savons la douleur, l’effort accompli, la violence de l’acte. Il y a aussi celui qui échoue, qui, au bout de cinquante répétitions déclare toujours : « donnez-moi du bœuf bouilli » avec la même impassibilité, le même stoïcisme. Et tant pis pour Danil Harms ! Il ya celui qui se découvre : Marwin qui danse pour la première fois et bouleverse tous ceux qui regardent…Et il y a l’acteur, celui ou celle qui a envie, et qui d’une année sur l’autre grandit, trouve sa voix, son placement, le ton juste avec intelligence, qui chaque année devient plus grand et se jette sur la scène « comme un soleil splendide qui se jette dans le vide » (Keren Ann).
Certains vont ensuite au conservatoire ou choisissent l’option théâtre au Lycée Limosin. L’an dernier j’ai eu des nouvelles d’Armelle Gasquet qui, devenue comédienne, jouait au Théâtre du Soleil ! J’en rougis encore…
Au bout de vingt ans, toutes ces joies sont toujours là, mais d’autres se sont ajoutées. Le stress a disparu, remplacé par la confiance totale que je fais aux élèves et au comédien. Le plaisir domine grâce à la complicité qui est née entre nous. La troupe est une famille, ils ont 10 ou 15 ans, ils se retrouvent chaque lundi soir pendant deux heures, mais ils se voient aussi dans la cour, les grands accueillent les petits…, et les petits deviennent grands… Le soir du spectacle, les dés sont jetés, on a travaillé un an pour cette soirée. On ne peut plus rien faire. Tout se joue en une seule fois. Tout ce travail accompli pour un bonheur si éphémère : la brûlure de la scène. Le doute est là, toujours, car c’est l’art du spectacle vivant : il y a le prévisible ( le texte est su, certains enchainements sont bancals, un étourdi oublie toujours son chapeau, un autre fait toujours la même liaison improbable, …) et l’imprévisible. Cette part-là est variable : malgré toutes les répétitions, il se passe des choses…des choses magiques : souvent, ils évitent les erreurs, les trous de mémoire, les blancs. Rares sont les catastrophes. L’osmose entre eux est tangible. Le moment les porte haut dans le ciel. Comme si Dionysos lui-même montait le curseur d’un ou plusieurs crans. Voilà la part d’imprévisible : c’est la part de magie du spectacle vivant.
Et nous, la prof et le pro, nous semblons loin d’eux, à la régie, de l’autre côté du quatrième mur. Mais nous sommes avec eux : nous leur donnons la lumière, nous les éclairons, nous sommes dans la lumière qui remplit le vide autour d’eux, nous les soutenons. Et la communion holistique est à son paroxysme : nous connaissons chacun de leur trouble, de leurs hésitations, chaque phrase ou mot sur le fil. Nous tremblons suspendus à leurs lèvres, parfois en apnée dans l’angoisse d’un passage difficile, parfois dans une joie inégalable devant un miracle.
Nous les avons lancés dans le ciel et nous sommes éblouis. »
28 Déc
Notices pour servir à l’histoire du théâtre en Limousin (36): Jean Pellotier, Andrée Eyrolle et Robert Birou
PARCOURS et FIGURES
Jean Pellotier, figure totémique du théâtre limougeaud
l’acteur limousin Jean Pellotier par C. Lagarde
Jean Pellotier a partagé sa carrière entre le théâtre où il fut comédien et metteur en scène, et la radio, notamment « Limoges-Centre-Ouest » où il jouait des dramatiques radiophoniques dans les années 50. Professeur d’art dramatique au conservatoire de Limoges entre 1966 et 1993, il a également présidé l’association du théâtre de la Passerelle à Limoges pendant 27 ans. Il est mort à l’âge de 88 ans, en 2014 et nous avons été un certain nombre de ses anciens élèves, amis, spectateurs, à assister à ses obsèques à l’église Saint-Pierre de Limoges.
Voici ce qu’il m’avait confié :
« Ainsi que nombre de comédiens, c’est en partie pour vaincre ma timidité et aussi parce que j’ai éprouvé très vite une passion pour la poésie, que je commençai à m’entraîner dans la chambre vide d’un très vaste appartement – pièce comportant une alcôve pouvant figurer un plateau. C’est donc sous l’Occupation que j’affrontai le public en des spectacles donnés au bénéfice des prisonniers de guerre. Encouragé par mes camarades collégiens auprès desquels, me semblait-il, j’avais gagné quelque estime, je montai à Paris, venant de Fontenay-le-Comte en Vendée, avec une insouciance totale vis-à-vis de la concurrence, cramponné à mon ego ! C’était l’automne 1945.
Je m’inscrivis au cours d’un certain Louis Blanche (le père de Francis), comédien au Théâtre de l’œuvre. Ces cours avaient lieu au Théâtre des Noctambules, à deux pas de la Sorbonne. Je n’y suis resté que quelques mois. Et ce furent des mois de petits boulots : spectacles de patronage, synchro, figuration… et théâtre de salon chez ma propriétaire, poétesse et hagiographe à la Bonne Presse… ambiance « Madame Verdurin ». Pour sortir de cette situation aléatoire, j’eus l’idée de me présenter à un concours de speaker en 1947, conjointement à une audition de comédiens à la Radio Diffusion Française. J’eus la joie d’être reçu, mon timbre de voix convenant au style très officiel propre à l’époque. Nommé à Tunis (1949-1955) puis à Toulouse (1955-56), je suis arrivé ensuite à Limoges, boulevard Victor Hugo, où j’ai exercé jusqu’à l’éclatement de l’Office – 26 ans de radio au cours desquels le métier de speaker s’effaçait sournoisement face à l’emprise grandissante des journalistes et animateurs plus ou moins déboutonnés… Dieu merci, les émissions dramatiques m’ont permis de tenir la tête au-dessus des ondes, sans parler des émissions littéraires et de plusieurs spectacles décentralisés ou de télévision régionale et nationale.
Et ce fut le Conservatoire de Limoges, où je suis resté aussi 26 ans, succédant à Jean Dorsannes, mon successeur étant Michel Bruzat. Vinrent ensuite nombre de participations avec J.P. Laruy, le Grand Théâtre, le Festival de Bellac, Michel Bruzat, des films avec Patrick Jeudy, la télévision avec Serge Danot… Verba volent ! »
La Dédée
par Marc Bruimaud
Andrée Eyrolle et Marc Bruimaud (c) SerGe
Lors d’un épisode d’X-Files (« Le retour de Tooms »), Mulder et Scully attendent depuis des heures dans une voiture, ils papotent gentiment et soudain, chose inédite, Scully, qui s’inquiète pour la santé de son partenaire, appelle Mulder « Fox » (c’est son prénom). Amusé, Mulder lui répond : « Même mes parents m’ont toujours appelé Mulder ! ». Dans la vie, mine de rien, c’est important, comment certaines personnes vous appellent… Par exemple, j’avais une amie qui m’appelait « Mon gros lapin », une autre « Le vilain Meussieu ». Andrée Eyrolle, elle, elle m’appelait toujours « Bruims » : « Ah, c’est toi, Bruims ? », « Comment tu vas, Bruims », ou, encore mieux : « Bruims… Tu m’emmerdes ! ». Vous n’imaginez pas à quel point ça me plaisait, venant de La Dédée.
Sinon, La Dédée, c’était la personne la plus chavirante (non, j’en ai connu une autre qui s’appelait Marguerite H., mais bon, c’est une autre histoire) de la théâtreuserie locale, un bloc de sentiments tellement maousse costo que les kilos s’y étaient agglutinés. Elle avait beau cacher ça sous sa charpente ossue (comme disent les cruciverbistes), le poids du romantisme brut lui collait aux sandales, celui de l’offrande universelle – c’est pour ça qu’elle avait créé « Urbaka » et permis gracieusement à nous, pauvres humains avides d’amour, de vibrer au butō ou d’assister Ilka Schönbein accouchant de la souffrance du Monde Place de la République, puis sur un terrain de foute à Beaubreuil, devant les gosses du quartier. Il y eut aussi, évidemment, « La Passe imaginaire », de mémoire limougeaude, on n’avait jamais maté comédienne relevant ses jupes aussi haut, telle une Déesse des Mirodromes. D’ailleurs, quand La Dédée et Grisélidis, l’autrice du texte (comme disent les féministes) posaient côte à côte au comptoir d’un bistrot, on se demandait vraiment qui était la putain… Enfin, je sais que ça n’a rien à voir, mais les mois d’été, on pouvait admirer, lovées dans des pliants, La Dédée et sa maman au bord du lac de Bournazel à Seilhac (Corrèze), ce qui vaut bien Fellini ou Kitano.
Pour conclure « à la Perec », je me souviendrai longtemps d’elle devant les locaux perpétuellement en friche de « Mais…L’Usine », sa « factory in progress », me disant : « Bordel, Bruims, t’as vu à quoi on ressemble ?! ». Et puis, elle rigolait (son fameux rire à la fois cristallin et guttural) en ajoutant : « Pourtant, on continue ». Alors, c’est vrai, les matins où j’ai un peu de mal à me lever, je me dis : « Bordel, Bruims, fais pas ta chochotte ! » – et je me lève.
« Oh lala, lala, lala ! »
le témoignage de Robert Birou du Théâtre du Cri à Brive
Oh lala, lala, lala ! s’écrie Lulu devant la cheminée où, lui a-t-on dit, doit bientôt descendre le Père Noël. Il écarte les bras et lâche les souliers – bien cirés ! – qu’il tenait à la main. Et puis… Rideau ! Voilà. C’est tout. La scène se passe à l’école publique de Mayrinhac-Lentour, dans la classe des petits. L’interprète de Lulu se prénomme Robert. Il a six ans… peut-être sept… ou huit, pas plus! Nous sommes tout au début des années 50.
Aujourd’hui, Robert a oublié les raisons de cette exclamation et de ce geste. Par contre, la sensation forte qu’ils lui ont procurée est restée dans sa mémoire : une impression d’ouverture, d’élargissement, d’épanouissement. Avec ce geste qui, chez le personnage de Lulu, exprimait peut-être un sentiment d’impuissance, il aura l’impression de s’être projeté d’un coup dans un espace nouveau, d’avoir fait craquer les coutures du quotidien, de s’être risqué sur des territoires inconnus. Et l’exclamation d’un Lulu, sans doute catastrophé, résonne en lui comme un cri de jouissance et d’espérance à la perspective d’une liberté à conquérir.
Était-il passé dans la classe des grands, quand il a entendu pour la première fois : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » Probablement. Mais il n’a gardé en mémoire que la découverte de cette réplique fameuse. A ce moment-là, il ignorait que quelques années plus tard, sur une scène de théâtre, il exhorterait le Rodrigue en question à se battre pour l’honneur et pour l’amour : « Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix. » Eh oui ! A quinze ans, au petit séminaire dont il était l’élève, à Gourdon, il a interprété Chimène!
A la question : « Pourquoi faites-vous du théâtre ? », j’ai envie de répondre par cette exclamation venue du fond de mon enfance. Après tout, il suffit de la lâcher avec le ton qui convient! De lui donner l’inflexion qui traduira l’embarras éprouvé devant une pareille interrogation ! Sans prétendre fournir vraiment des explications, on pourra ensuite égrener quelques souvenirs plus ou moins flous que l’on chargera de placer ce choix sous le signe d’un certain déterminisme. C’est une façon de se tirer d’affaire qui en vaut d’autres, me semble-t-il. Et ça ne mange pas de pain, comme dit l’autre !
Les Tréteaux de l’Alzou ! A Mayrinhac-Lentour (Lot), au cours de l’été 1965, un groupe, qui va bientôt prendre ce nom, se constitue pour faire du théâtre. Au départ, il y a mon souhait de mettre sur les planches une pièce que j’ai écrite, sorte de vaudeville scolaire. Alors, pour cela, je mobilise : les copains, les copines, les cousins, les cousines, les frangins… Et nous nous retrouvons, souvent nombreux (plus de 20 parfois), à répéter pendant l’été. Notre répertoire ne manque pas d’ambition ni d’éclectisme : Le médecin malgré lui de Molière, Je veux voir Mioussov de Kataiev, le Revizor de Gogol, On purge bébé de Feydeau, Black Comedy de Shaffer…
Le 17 mai 1972, au Centre Raoul Dautry des Chapélies, à Brive-la-Gaillarde, le Théâtre du Cri donne sa première représentation: Devant la porte de Borchert, devant un public constitué pour l’essentiel d’amis et de membres des familles. Le groupe s’est constitué quelques mois plus tôt, à l’automne 1971. Son noyau est formé de jeunes enseignants du collège et du lycée Bossuet où je participe, auprès de mon collègue Bernard Lacombe, à l’animation du club d’art dramatique. Tous les deux, nous éprouvons l’envie “d’aller plus loin” dans la pratique théâtrale. C’est de cette envie que va naître Le Théâtre du Cri que je continue d’animer avec Michèle, mon épouse.