Le 2 juillet 1950 a lieu à Bellac un « Festival Charles Silvestre », en fait une journée ponctuée d’hommages officiels à l’écrivain : pose d’une plaque sur la tour-maison Charles Silvestre, inauguration du parc Charles-Silvestre, en présence notamment du romancier Jean Blanzat, alors directeur littéraire des Éditions Grasset – le Ministre de l’Education Nationale est annoncé par la presse, mais on peut se douter qu’il ne vint pas, puisque ce jour fut celui de la passation entre Yvon Delbos et André Morice (qui resta ministre… 10 jours !). A la mairie, où le maire André Cluzeau prononce un discours, sont exposés des souvenirs et l’œuvre de l’écrivain, prêtés par la famille et son ami le peintre Aimé Vallat. Un banquet réunit de nombreuses personnalités, mais P. Clavé, de L’Echo du Centre, note que « le peuple de Bellac s’est montré assez distant et éloigné de la manifestation ». Surtout, il y a les deux représentations (de 3 heures) sur la scène de Bellac-Loisirs de Manoir par la troupe de Jean Dorsannes, renforcée pour la circonstance par Jacques Berlioz, de l’Odéon, et Jean Val du Théâtre de Chaillot. Il s’agit d’une adaptation du roman de l’écrivain par sa veuve – les décors sont d’Aimé Vallat – et c’est un succès, selon la presse.
Par la suite, André Cluzeau, a l’intuition que la commune pourrait appuyer son développement sur la notoriété nationale et internationale de l’œuvre d’un enfant de la ville inspiré par ses origines : Jean Giraudoux1. Romancier, celui-ci est également auteur de théâtre2 – justement de L’Apollon de Bellac (1942). La création d’un festival autour de l’œuvre de Jean Giraudoux fut suggérée à Louis Jouvet, au théâtre de l’Athénée, par André Cluzeau, le maire socialiste de Bellac3. Le 1er juillet 1951, en présence de nombreux spectateurs, la ville accueille tous ceux qui furent les interprètes de l’auteur : Valentine Tessier, Gabrielle Dorziat, Renée Devilliers, Dominique Blanchar, Pierre Renoir, Fernand Leroux et d’autres. Jouvet interprète le chevalier Hans dans Ondine, aux côtés de Monique Melinand. C’est son dernier rôle, il décède peu après, le 16 août.
L’année suivante, André Cluzeau crée, en compagnie du metteur en scène André Steiger, une coopération ouvrière de production, la Comédie du Centre-Ouest, pour organiser des tournées, monter chaque été à Bellac, un festival de théâtre en l’hommage de Jean Giraudoux. L’équipe s’installe dans l’hôtel du Midi alors désaffecté et prend ses repas chez Pierre Martin, restaurateur installé dans la maison natale de Giraudoux. Le 4 juillet 1954, c’est le premier festival, dans la cour d’honneur de l’hôtel de ville, qui fut utilisé vingt ans. Au programme : Le médecin de Son Honneur de Calderon. Michel Moreau écrit : « Un an après, Georges Osterberger impose un tour de force aux techniciens, Les joyeuses commères de Windsor, de Shakespeare, sont montées sous le balcon. Le lendemain, la scène pivote, le proscenium est installé devant le perron pour Mariana Pineda, de Lorca. Tout est « maison » dans ces créations. Les costumes sont fabriquées en coulisse par sept couturières du centre d’apprentissage de la rue Blanche, la musique est composée par un comédien, Guillaume Kergourlay, qui loge sous tente au camping. Il faut tout faire soi-même. »4 A Bellac, Mortemart, Chateauponsac, et d’autres villes, le festival utilise 46 lieux scéniques – des cours, des couvents, des châteaux, des églises. Le public suit. Mais en 1956, le torchon brûle entre le maire socialiste et le communiste André Steiger. C’est la Comédie-Française qui se charge du troisième festival, avec Jean Piat, Robert Manuel, Robert Hirsch, Denise Gence, Lise Delamare, Micheline Boudet. Les années 1957-68 vont conférer à la manifestation une aura méritée. En juillet 1957, Jean-Louis Barrault monte Intermezzo devant 2 000 personnes, avec Simone Valère, Jean Desailly, Pierre Bertin. Raymond Gérôme met en scène Electre. Giraudoux est de retour dans sa ville natale. En 1959, Jean Le Poulain propose un magnifique Cyrano. Progressivement, le festival s’ouvre aussi à la musique, à la danse et au spectacle lyrique. Des expositions d’émail ou de peinture sont organisées (en 1968, soixante-dix œuvres de l’Ecole de Crozant). Divers metteurs en scène et comédiens de talent y sont programmés, par exemple Michel Etcheverry, membre de la troupe de Louis Jouvet (1945-1951), pensionnaire puis sociétaire de la Comédie-Française, en 1966 dans Le Voyage de Thésée ou, l’année suivante, Jean Martinelli, ancien pensionnaire, puis sociétaire à la Comédie-Française, dans Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes, l’une des « pièces grinçantes » de Jean Anouilh, dans une mise en scène de l’auteur et de Roland Piétri. Les années post 68 ne sont pas de tout repos et en 1974, André Cluzeau est battu aux cantonales et démissionne de la mairie. Le festival semble menacé, mais il est sauvé. Jean-Pierre Laruy, du Centre dramatique national du Limousin, y signe plusieurs mises en scène, ainsi que Odile Mallet et Geneviève Brunet. Et puis, en 1987, Arlette Téphany et La Limousine créent La folle de Chaillot – je me souviens de la première, devant le château des Augustins à Mortemart, avec de très nombreux spectateurs.
En 2010, Francis Huster ouvre la 57e édition avec Traversée de Paris de Marcel Aymé ; il déclare à cette occasion : « Bellac est un haut lieu du théâtre. Je m’y sentirai dans les pas de Louis Jouvet qui initia son festival, aujourd’hui l’un des plus anciens de France. Y jouer a beaucoup de sens pour moi. »
En 2002, la ville de Bellac et la communauté de communes du Haut-Limousin décident après plus de 40 ans de présence artistique sur le territoire par l’intermédiaire du festival, d’intensifier ce développement artistique de manière plus ambitieuse, en édifiant un équipement culturel, le Théâtre du Cloître. Il faut dire que le festival a fortement modelé la cité durant ces 40 années. Bellac possède désormais la Médiathèque Jean Giraudoux, le Collège Louis Jouvet, et le Lycée Jean Giraudoux avec son option théâtre. Après Philippe Cogney et Stéphane Aucante, c’est Catherine Dété qui dirige le Théâtre du Cloître à partir de 2015. Depuis février 2015, l’établissement développe un projet en dialogue avec le territoire du Haut-Limousin et ses habitants. Pour cela, l’équipe met en place deux missions complémentaires : l’accompagnement des artistes, des œuvres sur le territoire du Pays du Haut-Limousin et l’accompagnement des habitants de ce territoire vers le spectacle vivant, en associant ces derniers à toutes les étapes des processus de création5.
1 29 octobre 1882 : Hyppolite-Jean Giraudoux naît à Bellac (Haute-Vienne). « Ma ville natale est Bellac, Haute-Vienne. Je ne m’excuserai pas d’y être né. » (Littérature). Mais après l’École communale à Bessines (Haute-Vienne), Giraudoux est scolarisé à celle de Pellevoisin (Indre). De 1893-1900 , il fut interne au lycée de Châteauroux.
2 Théâtre complet, dir. BODY Jacques, Paris, Gallimard, Pléiade, 1982.
3 En 1928, le romancier croise la route de Louis Jouvet. Les deux hommes ont une vision commune de la littérature. L’acteur incite l’écrivain à adapter l’une de ses œuvres, Giraudoux choisit Siegfried et le Limousin. La pièce est rapidement montée à la Comédie des Champs Élysées. Durant plusieurs semaines la salle ne désemplit pas. Pendant onze années, les deux hommes travaillent de concert à la grandeur de l’art dramatique.
4 Bellac 40 ans de festival Giraudoux en Limousin, Edité par Les Amis du Festival de Bellac, 1993, p. 13. Un ouvrage qui constitue une source précieuse pour les débuts du festival.
5 https://www.theatre-du-cloitre.fr/le-theatre/le-projet.html